11. Geneviève et la fuite.

AU REVEIL, j'avais la bouche pâteuse et la désagréable sensation que le monde tournait quand j'y posais le pied. Sentiment qui me revenait souvent, malheureusement.

A mes côtés, Daphné dormait encore à poings fermés. Gene, en revanche, était assise à son bureau. Elle fixait le vide, ses écouteurs dans les oreilles.

"Bien dormi ? demandais-je en me relevant sur les fesses."

Au vu de ses yeux rougis et de la mine fatiguée qu'elle affichait, j'en doutais pas mal.

"Ce que j'ai dit hier...

- Mh ?

- Je sais plus vraiment ce que j'ai dit, mais j'aimerais vraiment qu'on en reparle plus. Ok ?

- Ca marche."

Je m'extirpais de la couette étouffante de Geneviève et m'assit en tailleurs à côté d'elle.

"Je suis pas forcément d'accord avec Daphné, objectais-je.

- Rochelle, j'ai vraiment pas envie d'en parler.

- Mais tu peux pas fuir, intimais-je durement. Tu peux pas éviter la conversation. Eviter la conversation, c'est nous dire qu'on a raison et que t'es pas prête à le dire. C'est fuir."

Les lèvres de Geneviève se pincèrent.

"Si je voulais une séance de psy, j'irais voir quelqu'un qui a un diplôme. Pas une nana de mon âge qui fuit dès qu'on manifeste un tant soi peu d'intérêt à son égard."

J'encaissais. Ca ne servait à rien de s'énerver pour si peu.

"Si tu t'intéresses à moi, dis le moi clairement. J'ai pas de temps à perdre avec cette connerie d'amour.

- Je m'intéresse à toi quand tu te mêles de ce qui te regarde, affirma-t-elle sans une once d'hésitation."

Je croisais son regard, si fatigué deux secondes auparavant. Il débordait d'assurance, il me soutenait et je me sentis mal à l'aise.

"Alors maintenant, quoi ? On va plus jamais entendre parler l'une de l'autre ?"

Je ne répondis pas, essayant de savoir quoi dire.

"C'est bien beau, de faire des leçons, affirma Geneviève avec une certaine aigreur. Mais quand t'agis comme de la merde, ce serait pas mal de le reconnaître."

Je prenais assez mal le fait qu'une fille que je ne côtoyais que deux jours par an me donne des leçons de vie.

"Alors c'est pas réciproque, affirmais-je froidement."

Je réunis les quelques affaires que j'avais éparpillé et les fourrais dans mon sac. Geneviève me fixa, longtemps. Elle se heurta à l'acier de mon regard. Elle y espérait une faille, quelque fragilité qui fasse vaciller ma voix.

Elle cherchait quelque chose qui lui ferait ressembler à moi.

Mais elle et moi n'étions pas du même moule. Elle cachait sa fragilité tout en l'exposant aux yeux de tous. Et moi, je ravalais mes sentiments si bien que je n'avais plus l'impression d'en avoir réellement.

Je ne me sentais guère peinée de ce que je venais d'annoncer, d'une voix si dure pourtant. Je n'allais pas verser de larmes, peut-être éprouver une pointe de regret.

"Donc, tu fuis, constata-t-elle avec une colère maîtrisée."

Je la voyais bouillonner, de colère ou de peine ou un hasardeux mélange des deux. Ses sourcils s'agitaient, sa bouche tremblaient mais elle s'efforçait de paraître impassible.

"Je n'ai rien à faire ici, répondis-je calmement."

Et je sortis, laissant Geneviève colérer dans son coin. Pour l'instant, je m'en foutais pas mal. Je rentrais chez moi et, en proie à l'ennui que me procurais l'absence de plan, laissait mes parents me traîner en balade à vélo.

"C'est chouette, de faire des trucs tout les trois, s'exclama ma mère en me pinçant la joue."

Je n'aimais pas franchement le vélo, mais je préférais encore ça à la solitude. La solitude, ça voulait dire être confronté à ses pensées et je les fuyais comme je pouvais.

"Faudrait en faire plus souvent !

- Oulah, t'emballes pas non plus, grognais-je en massant ma joue. J'avais juste envie de profiter du soleil.

- Moi aussi je t'aime, me taquina ma mère."

Elle croyait que je n'étais pas encore sortie de ma période "je déteste le monde, mes parents et je vous emmerde". Elle croyait que c'était une manière de dire que je tenais à eux, leurs fronts détrempés de sueur et leur amour qui persistait avec les années.

"On pensait aller sur l'île de Ré une journée. On prépare un pique nique, on va manger sur la plage, ça te tente ?

- Y'aura un monde fou.

- Chérie, c'est comme si tu refusais d'aller à Disney juste pour pas faire la queue. Ca fait partie du charme des vacances."

Le positivisme de mon père m'étonnait chaque jour. Bientôt on allait l'entendre dire que payer les impôts faisait le charme de la vie.

"Sauf qu'à Disney, les pass prioritaires existent. Pas sûre d'en dire autant du pont.

- Tu feras le DJ."

A quoi bon m'évertuer à chercher des compliments par les gens de mon âge quand mon père savait mieux que quiconque comment m'amadouer ?

Ils me proposèrent d'aller prendre un verre en terrasse. Sous le soleil d'après-midi, la mer étincelait. Je m'éloignais pour fumer une cigarette, n'imposant pas la fumée à mes parents.

Et, avec le bâton qui me brûlait entre les lèvres, la mer scintillante face à moi et le soleil qui réchauffait ma peau, je me dis que je n'étais pas si mal que ça.

Puis, je me rappelais. Ce n'était pas la première fois que je me fâchais avec quelqu'un à Saint-Palais. Je m'étais fait une bonne copine, il y avait trois ans de ça. Elle s'appelait Cynthia et nous faisions tout ensembles. Jusqu'à ce qu'elle me reproche un jour d'être trop collante et de ne pas la laisser respirer.

La conversation s'était plutôt mal terminée et nous ne nous étions plus vraiment adressé la parole.

La fumée s'échappa d'entre mes lèvres pendant que je continuais à réfléchir. Les mots de Martin me revinrent. Sa théorie des sangsues. Sa véhémence. Qu'entendait-il par ça ? Parlait-il de Charlie ?

Etonnament, malgré sa distance et sa tendance à se moquer de tout, Martin avait aussi besoin de beaucoup d'affection. Plus que moi. A Rouen, il ne passait pas beaucoup de temps célibataire. Pas qu'il enchaînait les copines, mais qu'il avait une peur du célibat qui semblait lui planer au dessus.

Parlait-il de ses expériences ? Voulait-il se confier sur une de ses ex ? Se rapprocher de moi ?

Peut-être que j'étais trop mauvaise avec mon frère, trop méfiante. Je n'y pouvais rien : j'étais intimement convaincue qu'il avait cafté mon béguin à Charlie. Presque, même, que c'était lui qui lui avait demandé de m'embrasser, pour rire.

J'en étais convaincue depuis l'incident. Depuis que j'étais rentrée et que Martin me fixait, l'air goguenard. C'était la première fois qu'il me gâchait la vie, mais ce n'était pas la dernière. Lorsque j'avais invité mon copain de l'époque, il ne s'était pas gêné pour balancer son prénom à table, sous le regard inquisiteur de mes parents.

Heureusement pour moi que les deux ne posaient pas trop de questions et ne m'interdisaient rien, partant du principe qu'interdire, c'était inciter à faire.

Sur le chemin du retour, mon père attrapa mon attention. Fièrement, il leva les mains de son guidon et me cria :

"Eh, tu sais faire ça, ma chélie ?"

Je fis abstraction du surnom douteux qu'il employait seulement quand il était de bonne humeur et m'inquiétais pour lui :

"Mais tu vas tomber ! protestais-je.

- Rochelle, faut que t'apprennes à lâcher prise."

Je pris mal sa remarque. Comment ça, lâcher prise ? Je lâchais suffisamment prise comme ça et je faisais assez de choses pour ne pas me loger dans le cocon rassurant de ma zone de confort.

Je continuais à le surveiller du coin de l'oeil, maugréant ses paroles dans ma tête.

Lâcher prise.

j'espère que votre rentrée s'est bien passée :)) et bon courage si vous l'avez pas encore faite!!

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