10. Charlie et les boulevards des rêves brisés.
JE ME souvenais de mon premier amour, si on pouvait appeler ça comme ça. Peut-être le terme premier émoi serait plus adéquat. Il s'appelait Charles-Henri, mais tout le monde l'appelait Charlie. C'était sûrement plus facile à vivre.
Charlie était un bon ami de Martin. Ils parlaient encore régulièrement mais se voyaient moins.
Charlie était ce que moi, petite adolescente de treize ans perdue, recherchait. Si, à l'époque, sauter une classe ne posait pas de soucis d'intégration à Martin, j'en avais un peu plus que lui. Il invitait donc régulièrement ses amis à la maison.
De tous, c'était Charlie que j'aimais le mieux. Il avait des boucles châtains, toujours un mot gentil à mon intention, toujours un sourire quand je passais le pas de la porte. Quand Martin se plaisait à se moquer de moi, Charlie lui disait de laisser sa petite protégée tranquille. Il avait tout juste quinze ans et j'aimais déjà proclamer que c'était le garçon que je préférais.
Sûrement avais-je fait l'erreur de marquer ça dans le carnet que j'appelais journal. Ce cahier inconsistant que je documentais tout les six mois et que je cachais entre deux livres du Petit Nicolas.
Charlie, m'ayant vu passer du temps seule, venait parfois s'asseoir à ma table au CDI. C'était avec lui que j'avais tiré ma première tafe de cigarette, et sûrement que c'était aussi le cas de Martin.
Je me sentais toujours spéciale avec lui ; quand il m'appelait sa petite protégée, j'avais l'impression que rien ne pouvait m'arriver. C'est la dernière fois que j'ai cru aux contes de fée et au preux chevalier qui sauvait la princesse.
Une fois, il m'avait invitée chez lui. J'avais vu pour de vrai son chat, les posters des groupes qu'il écoutait et surtout, sa guitare. Il s'était installé à la fenêtre pour allumer une cigarette, m'avait proposé une tafe que j'avais déclinée.
"T'écoutes Green Day ? avait-il demandé, accoudé à sa fenêtre.
- Un peu."
Traduction : pas du tout mais s'il te plaît ne me prend pas pour une quiche.
Son visage s'était éclairé et après avoir écrasé sa cigarette précautionneusement, Charlie s'installa sur le lit. Je compris mon erreur lorsque qu'il sortit sa guitare.
Il commença à jouer une musique qui m'était vaguement familière et qui s'avérait être Boulevard of broken dreams. Charlie jouait avec vigueur et en repartant chez moi, j'avais cherché les paroles sur Internet et téléchargé la musique sur mon portable. Je l'écoutais en allant au collège et en rentrant, je l'écoutais en me brossant les dents et en flânant au parc.
Même quand j'étais seule, j'avais l'impression qu'il m'accompagnait à travers la musique. Les paroles que mon anglais approximatif comprenait me prenait les tripes.
Je marchais seule. Guitare.
J'étais revenue chez lui. Il avait rejoué Boulevard of Broken dreams, mais mieux. J'avais chanté en coeur. Il m'avait embrassée. C'était mouillé.
Il ne m'avait plus adressé la parole après coup.
Alors quand je rentrais chez moi, je marchais seule, sur le trottoir, et j'empruntais le boulevard des coeurs brisés.
Ce souvenir me piquait un peu trop.
Je portais le verre à mes lèvres et le but à grandes gorgées, le vidant à moitié.
"Ca, c'est une bonne musique, s'exclama Gene.
- Et une bonne descente, observa Daphné."
Je voulais enfouir ce souvenir. Je ne voulais plus y penser.
Augustin bailla, annonçant qu'il n'allait pas faire long feu. Estelle le suivit alors. Ne restèrent alors plus que Geneviève, Daphné et moi.
La nuit était longue mais avec les bonnes personnes, pas tant. Nous n'étions pas loin de chez Daphné. Elle rentra chez elle et déroba une bouteille à sa mère. Nous trouvâmes refuge sur le quai, avec le vent mordant qui nous sifflait sur la peau.
J'enchaînais les cigarettes, les lampées de liqueur qui brûlaient la gorge, et puis il y avait la peau de Geneviève qui se rapprochait de la mienne, je ne savais plus vraiment qui faisait quoi. Juste que dans le noir et le monde qui tanguait, j'avais une main à tenir et c'était aussi inquiétant que rassurant.
"Je reparle à mon ex, annonça Daphné.
- Moi aussi, avoua Gene."
Daphné lui asséna un coup. Pas violent, mais pas amical. Ce n'était pas des petites bourrades pour s'amuser, c'était un véritable coup.
"T'es con ou quoi ? Gene, elle se fout de ta gueule ! Tu lui reparles plus."
La voix rauque de la blonde claquait contre le vent froid comme un fouet.
"J'y arrive pas, capitula Geneviève, la tête entre les mains. Elle me manque trop, Daph, t'imagines pas à quel point.
- Ca te manque, de te faire traiter comme une merde ? Ca te manque de te faire considérer comme une moins que rien, ça te manque, qu'on se foute de ta gueule ? Retourne au collège si ça te manque tant que ça, mais lui reparle plus."
Daphné était brutale. Elle but une gorgée pour étancher sa soif et fusilla Geneviève du regard. La brune avait les yeux brillants.
"Tu veux que je te dise la vérité, Gene ? Tout le monde te dit que t'es courageuse pour avoir enduré une relation comme ça. Mais pour vouloir y revenir, pour pas lâcher prise après des mois, t'es juste une putain de faible.
- C'est pas vrai, protesta Gene faiblement, la voix éraillée par les larmes qui montaient à sa gorge.
- Et qu'est-ce qu'elle te dit, Aude, au juste ? "Tu me manques" ? Forcément, que tu lui manques, Gene, t'es quelqu'un de formidable et tout le monde le voit. Mais à toi, elle te manque pas.
- Si.
- Non."
Le ton de Daphné était sans appel, dur comme de la pierre.
"Dis lui, toi.
- Je connais rien à l'histoire..."
Geneviève prit une grande inspiration, les mains tremblantes. Les jambes pliées, elle apposa son menton sur ses genoux.
"Aude m'a draguée. Elle savait qu'elle me plaisait. Et puis..."
Ses lèvres ne voulaient pas raconter. Elle semblait vouloir fermer les yeux, laisser les larmes couler, le long de ses joues, le long de ses jambes.
"Et puis elle savait que je lui passais tout, et elle en jouait, elle savait que si elle continuait son petit jeu, elle pourrait tout faire."
Sa voix faiblissait. Elle ne semblait être plus que l'ombre d'elle même. Daphné semblait surprise. Ca devait être la première fois qu'elle voyait Gene dans cet état.
"Elle est morte, gémit Gene."
Une larme coula. Puis une autre. Et ses sanglots fendirent le silence, bercés par le vent.
"Elle est morte et c'est ma faute."
Je ne savais pas qui était elle. Personne ne m'avait parlé d'une fille morte. Etait-ce une métaphore ? Certes, ce n'était pas un commérage très amusant, mais il avait le mérite d'être important.
"Elle a harcelé cette meuf et moi j'osais rien dire, parce que si je disais quelque chose, elle allait plus m'aimer. Et je veux pas qu'elle m'aime plus. Et maintenant elle est morte."
Gene me tomba dans les bras, pleurant encore.
Je m'efforçais de la bercer au mieux afin de l'apaiser, passant mes doigts dans les vagues de ses cheveux châtains.
"Désolée d'enfoncer le couteau dans la plaie, Gene, mais je pense que ça confirme bien que tu dois plus lui parler, appuya Daphné."
Finalement, la soirée ne se finit pas aussi bien que je l'espérais.
Puis vint le temps du retour.
"J'ai pas envie d'être seule, balbutia Gene. Est-ce que vous pouvez rester ?"
En temps normal, j'aurais fui. Mais là, j'avais bu et je n'avais pas envie de marcher. Alors je montais avec Daphné et me lovais contre le mur, Gene entre nous deux.
Et, alors que le silence nous berçait, j'entendis les sanglots de Geneviève fendre la nuit.
Bon ; c'est pas forcément ce que je voulais écrire en commençant cette histoire mais c'est ce que j'ai écrit et pour mes lecteurs qui savent de quel bouquin je parle, ça me semblait cohérent d'écrire ça
alors voilà, hihi. J'espère que ça vous plaît malgré tout!!
K.
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