Chapitre 6 : Fer et plumes

L'entraînement de Victor auprès de Bernard durait depuis près d'une semaine, et en récompense pour les efforts du jeune homme, son professeur lui octroyait une journée de repos.

À la fin de la première journée passée sous sa tutelle, il avait finalement réussi à reprendre parfaitement sa forme humaine, et durant toute sa première semaine, ses exercices visaient à lui permettre de passer d'une forme à l'autre naturellement. Et il avait fait d'énormes progrès dans cette pratique. Mais cette réussite avait un prix ; la concentration à tenir pendant les exercices étant très exigeante, cela l'épuisait aussi bien mentalement que physiquement. Alors, le réveil de ce jour de repos tardait à venir.

Au bout du compte, alors que toute sa famille s'affairait déjà en bas, Victor s'éveillait lentement de sa torpeur : "Oooh la vache, oh j'ai la tête dans le cul ce matin." grommelait-t-il en essayant de se motiver intérieurement pour sortir des draps douillets et chauds qui semblaient le retenir.

Au prix d'un petit effort, il se mettait sur ses pieds et posait le regard sur la fiche d'entraînement du matin que Bernard lui avait imposé de mettre dans sa chambre, pour être sûr qu'il la respecte : "Bon c'est parti. Allez, petit étirement : 1, 2, 3 ... De l'autre côté : 1, 2, 3 ...", puis reprit par son coup de mou du matin il reprenait, décider : "Ouais, c'est bon, le reste ça attendra, je vais prendre mon petit déjeuner et retour à la sieste !"

Après être mollement descendu jusqu'à la salle à manger, il prononçait un timide : "Bonjour tout le monde.", en voyant l'ensemble de sa famille déjà en train de débarrasser leur repas.

Son père le recevait alors d'un vif : "Bonjour tout seul !" dont le but était de réveiller un peu plus son fils. Produisant de fait l'effet escompté.

Sa mère plus douce le questionnait : "Alors tu as bien dormi mon chéri ?"

"Si les enclumes dormaient, elles envieraient mon sommeil." lui répondait-il sur un ton moins mollasson.

"Tiens, en parlant d'enclumes, puisque c'est ta journée de repos, je t'ai réservé une petite surprise pour aujourd'hui, j'espère que tu seras d'attaque." lui annonçait Arnor.

"Et est-ce que cette "surprise" va me permettre de faire une petite, euh, grosse sieste aujourd'hui ?" lui demandât-il perplexe.

"Je pense qu'il ne devrait pas y avoir de problèmes à ce niveau-là, même si c'est possible aussi que cette surprise te coupe l'envie de faire ta longue sieste."

Victor prenait un déjeuner copieux, de plus en plus intrigué par la surprise que son père lui réservait. Ainsi, ils partaient tous les deux de la maison et dans l'allée principale, ils trouvaient Pilou et Tille en train de vagabonder au milieu de la rue, ils décidaient donc d'aller les saluer.

Après les salutations d'usage, Pilou questionnait Victor : "Alors, ton entraînement, ça se passe bien ? Tu respires toujours calmement en récitant des incantations mystiques ?" prenant un ton blagueur avec sa deuxième question.

Répondant du tac-au-tac Victor, lui donnait en passant une petite tape amicale sur l'épaule : "Alors, déjà ça se passe bien, même si c'est éprouvant. Oui, je respire toujours et mieux qu'avant ; d'ailleurs, ces exercices, sont plus durs qu'ils en ont l'air."

"Je dois faire attention alors, bientôt tu vas respirer deux fois plus vite que moi !"

"Tu rigoles, mon objectif, c'est de respirer huit fois plus vite que toi !" les deux amis riaient de concert de leur propre bêtise ; reprenant son sérieux, Victor enchaînait, pendant que son père inspectait les marchandises à prendre au retour : "Ben du coup, vous faites quoi, vous allez-où".

Tille jusqu'à lors "silencieuse" commençait à signer ce qu'ils projetaient de faire, à savoir : que Pilou avait une surprise à lui montrer. Elle l'incitait par la suite à les suivre pour la découvrir.

Ce à quoi il répondait : "Franchement j'aurais bien aimé, mais apparemment, c'est la journée des surprises, mon père a pratiquement dû me soulever du lit pour que je vienne avec lui."

Pilou reprenait la parole : "Pas de problème, fait ce que t'as à faire, je te le montrerais plus tard, par contre tu m'excuseras, mais j'ai vraiment envie de le montrer à quelqu'un alors j'emmène Tille le voir avant toi."

"Ouais, bien sûr pas de problème, allez salut."

Tille lui adressait quelques signes d'au revoir, tandis que Pilou et elle se dirigeaient vers la petite clairière où Victor avait pour habitude de s'entrainer.

Arnor revenait donc auprès de son fils, en ayant déjà prévu le menu du soir dans sa tête durant la courte discussion des trois amis. "C'est bon fiston, tout va bien ?"

"Oui, Pilou, préparait une surprise aussi, il a même l'air plus content que d'habitude. D'ailleurs, tu ne m'as toujours pas dit où on va."

"Oui, mais c'est parce que si je te le disais tu devinerais tout de suite."

Ils reprenaient ainsi leur marche. Et après une bonne dizaine de minutes, ils arrivaient presque à la sortie d'Install. Voyant les possibilités s'amenuisent, Victor tentait une déduction : "Tu m'amènes à la forge, c'est ça ?!" sur un ton d'excitation palpable.

"Oui, c'est exactement ça, je me suis même dit que tu le devinerais un peu plus tôt."

"Ça, c'est le genre de surprise que j'aime." lâchant dans son excitation une petite décharge d'électricité touchant son père, lui provoquant un léger choc.

Suite au relâchement involontaire de son fils, Arnor lui faisait les gros yeux, avant de laisser place sur son visage à un large sourire. Ils échangeaient quelques éclats de rire complices en passant le seuil de la forge.

Le forgeron n'ayant pas pu rater cette entrée joviale, reconnu de suite les nouveaux arrivants et les saluaient en conséquence : "Ah, Arnor et le petit Victor, comment va notre totémisé tout frais ?!" sur un ton familier dont Arnor avait l'habitude, mais que Victor avait tendance à bouder.

Il reprenait : "Qu'est-ce qui vous amène, tu veux former ton fils à l'art délicat du forgeage, ou tu as besoin de quelque chose ?"

"Ce sont de bonnes idées, mais ça attendra une prochaine fois, je suis venu pour équiper mon fils."

"Pour de vrai ?!" intervenait son fils, n'arrivant pas à contenir son excitation plus longtemps.

"Bien sûr, tu as souvent dit à qui voulait l'entendre que lorsque tu aurais reçu ton totem tu partirais de la maison pour découvrir le monde. Si c'est toujours ce que tu veux, autant que tu prennes un bon départ."

Victor, dont l'excitation avait complètement fait oublier la puanteur caractéristique de la forge, commençait à regarder les différentes étagères où étaient entreposés les articles, pour examiner ceux qui lui faisaient le plus envie. Il avait déjà admiré ces étals une centaine de fois avec un regard où pétillait son esprit d'aventure, mais pour une fois, il allait vraiment devoir choisir ce qu'il allait prendre.

Il commençait donc à prendre des équipements de base pour ne pas trop en demander au début. Il commençait donc par prendre un pourpoint en cuir souple qui n'était pas aussi résistant qu'une armure en métal conventionnelle ; mais il comptait plusieurs avantages, il est à sa taille, plus légers, offre plus de liberté de mouvement et est bien plus intuitif à utiliser.

S'en vêtir, n'était pas aussi aisé que ce que Victor pensait, mais son père, le forgeron et lui-même trouvait son premier essai satisfaisant.

Pour mieux se protéger, il choisit des petites pièces d'armures pour recouvrir des endroits importants, à savoir, une épaulette droite pour le protéger du côté de sa bonne main. Et des gantelets qui malgré le fait qu'ils ressemblaient à des moufles, donnant un rendu un peu ridicule, compensaient ce manque d'esthétisme par une bonne protection et une maniabilité agréable.

Le forgeron qui entre deux ou trois aller et retour sur son travail du moment jetait un petit coup d'œil curieux et attendri envers son jeune client et l'interpellait : "Alors, mon gaillard, tu en as fini avec les hors-d'œuvre, tu veux passer au plat de résistance ?"

À cette remarque du marchand, le regard de Victor se tournait avec avidité vers les armes entreposées sur un râtelier, puis sans même détourner la tête il demandait à son père : "Papa, c'est sûr je peux ?"

Son père se sentant presque résigné après coup, l'ôtait de son doute : "Oui, après tout, tu es là pour ça."

Le forgeron prenait alors en main l'affaire pour contenir les élans du jeune homme : "J'imagine que tu veux une grande, belle et longue épée, mais calme-toi et voyons ensemble ce qui serait le mieux, d'accord."

"Compris monsieur." lui répondait-il le cœur plein d'entrain.

"Tu veux bien une épée n'est-ce pas ?"

"Oui, c'est l'arme que j'ai le plus envie de manier depuis que je suis tout petit."

"Et je présume que tu la veux bien affutée."

"Non, en fait, si je pars à l'aventure, c'est pour découvrir le monde, pas pour blesser les gens, je souhaite simplement avoir les moyens de me défendre. Alors, si vous avez une épée d'entraînement bien solide, ce serait parfait." les deux adultes tout d'abord surpris d'une telle maturité chez le jeune homme, en furent ensuite très heureux.

Le forgeron, sortait alors d'un étui proche de son étal principal, une épée à deux mains quasi neuve, et la mettait entre les mains de Victor.

Il trouvait l'épée étrangement facile à manier, même doté des équipements choisis plus tôt.

"Vous avez vraiment tout ce qu'il faut dans votre forge ?" : demandait-il au forgeron l'air incrédule, face à cette épée qui semblait faite pour lui.

"Tu sais, les enfants de ton âge sont ceux qui utilisent le plus ce genre d'épée d'entraînement, alors c'est normal que j'en ai deux ou trois en réserve. En tout cas, je suis ravi de voir que cette épée te va comme un gant."

"Comme une moufle." lui répondit-il enchanté. "Si possible, j'aimerais aussi prendre une petite dague, ça me serait très utile comme ustensile pour tout et n'importe quoi."

"Il devrait pas y avoir de problèmes à ça. J'ai dû fabriquer tellement de dagues et de couteaux dans ma vie que les gens du village doivent les utiliser pour se torcher le cul."

Tandis que père et fils riaient de concert avec cette touche d'humour, le forgeron rapportait une petite dague cachée derrière une des caisses de l'arrière-boutique.

En remarquant que le pommeau brillait, Victor s'écriait : "C'est de l'or ?!"

"Oh non, c'est de la peinture, mais après tu peux faire croire que c'est de l'or si ça te fait plaisir." lui indiquait le forgeron.

"Ce sera tout fils ?" lui répondait Arnor.

"C'est déjà pas mal."

"C'est bien ce que je me disais aussi. Bon mon ami, qu'est-ce que je peux faire en échange de tout ça ?" demandait-il pour régler sa commande.

"Viens à la forge m'aider un peu plus souvent et me donner un coup de main pour enlever les vignes de la façade de ma maison et on sera quitte." lui répondais il avec bonhomie.

"Très bien, je n'y manquerai pas. À la prochaine."

Ils sortaient donc tous deux de la forge en prenant le chemin du retour, ne manquant pas d'attirer les regards curieux, mais bienveillants des autres passants.

Pendant ce temps, dans la clairière où Victor avait pour habitude de s'entraîner, Pilou venait de conduire Tille à l'endroit qu'il avait repéré.

Tille qui voyant Pilou presser le pas, elle le tirait légèrement par la manche, avant de lui expliquer par signe de ralentir, car elle n'avait pas l'habitude de se presser autant.

"Oui, bien sûr, de toute façon, on y est presque. Tu vois l'arbre de Victor, là-bas ? Eh bien, juste derrière, il y a un autre arbre tout aussi intéressant, à côté de la rivière. C'est là où on va." lui répondait-il, lui aussi un peu essoufflé de son empressement.

Après avoir repris un rythme de marche normal, ce qui leur permettait de souffler, ils arrivaient au lieu-dit.

Tille signait à Pilou : "Alors, qu'est-ce qu'il y a de spécial ici ? Pourquoi on est là ?"

Ce à quoi il répondait : "Ça se trouve en haut de l'arbre, il va falloir grimper."

La jeune fille, prenait alors une figure déconfite en regardant la hauteur de l'arbre en question : "Il fait au moins trente mètres, je sais que toi et Victor vous avez l'habitude de monter aussi haut, mais pas moi."

"Ne t'en fait pas, je vais te montrer par où passer, en plus la grimpe est facile sur celui-ci."

"Bon, je te fais confiance." signait-elle, malgré la moue de son visage, lui donnant un air peu convaincu, tandis que les muscles de son petit corps commençaient à se crisper d'appréhension.

Ils amorçaient donc l'ascension de l'arbre, Pilou en tête pour montrer le chemin le plus facile à emprunter tout en donnant des regards réguliers vers Tille pour s'assurer que tout allait bien.

Arrivé à environ vingt mètres du sol, Tille commettait l'erreur de regarder en bas. Instinctivement, elle fermait les yeux et restait cramponnée à la branche sur laquelle elle se tenait. Pilou l'ayant remarqué, s'arrêtait et redescendait de quelques branches pour la rejoindre. Il la rassurait et restait avec elle quelques minutes sur la branche avec elle le temps qu'elle retrouve son calme.

Tille sans aucun avertissement donnait une petite pichenette en plein sur le front de Pilou, avant de signer : "J'espère que ta surprise en vaut vraiment la peine, avec la frayeur que je viens de me faire."

"J'avoue que je l'ai un peu cherché, mais je te jure que ça vaut le coup." répondait-il un peu penaud.

Ils reprenaient alors la grimpe, mais cette fois-ci plus lentement pour éviter un potentiel risque. Au bout du compte, ils arrivaient au sommet de l'arbre.

Pilou, intimait à son amie de se taire en mettant un doigt sur sa bouche, avant de se rappeler un peu tard du mutisme de celle-ci. Pour faire oublier sa bourde, il commençait à expliquer la raison de leur venue à mi-voix : "Ça fait plusieurs jours que j'observe régulièrement la clairière à la recherche de quelque chose d'intéressant, et j'ai trouvé ça."

Tille contemplait alors un nid remplit de six œufs presque prêts à éclore.

Pilou reprenait : "C'est un nid de faucon, on est en pleine période d'éclosion, on a vraiment de la chance de voir un de leurs nids si près du village, tu trouves pas."

Tille acquiesçait tout en arborant un large sourire. Ils restaient alors plusieurs minutes à observer l'objet de leur petite escapade. Lorsque soudain, un léger bruit se faisait entendre, à cela, s'ensuivit des craquelures sur la surface d'un des œufs.

Pilou s'exclamait alors : "Trop bien, celui-ci est en train d'éclore, j'aurai jamais cru qu'on arriverait au bon moment."

Les deux amis échangeaient une poignée de main, complices dans ce moment de joie. Ils voyaient alors ensemble le petit fauconneau briser sa coquille avant de tomber maladroitement dans le nid. Le fauconneau poussait alors un petit cri plaintif.

Pilou, détournant le regard vers son amie, la trouvait avec un regard complètement attendri, ne lâchant pas des yeux le petit animal en gardant un sourire béat aux lèvres. Il pensait sur le coup que sa surprise était une réussite totale.

Pour la sortir en douceur de sa contemplation, Pilou lui posait une petite question : "Il va falloir lui trouver un nom ; tu as une idée ?"

Prenant un petit temps pour reconsidérer la question, elle lui signait le fait qu'elle avait effectivement trouvé un nom. Elle épelait alors lettre par lettre le nom qu'elle avait trouvé : Talon.

"D'accord, va pour Talon. Par contre, vu comment il piaille, on ferai mieux de partir avant que ses parents ne rappliquent." reprenait le jeune homme.

C'est alors que les deux amis entendaient un petit bruissement dans les feuillages, suivit d'un cri incontestablement plus fort que celui du fauconneau qui venait de voir le jour. Ils se retournaient de concert et tombaient nez-à-nez avec un faucon adulte visiblement contrarié.

L'oiseau, poussa un autre cri strident et tentait de prendre dans ses serres l'un des deux enfants, cependant cela n'eût pour effet que de les déséquilibrer. Leur chute fût stoppée, par quelques branches en contrebas.

Ils se regardaient tous deux pour examiner si l'autre allait bien. Ils s'en sortiraient avec des égratignures et quelques bleus, Pilou, quant à lui dit adieu à un des verres de ses lunettes.

"On ferait mieux de redescendre, sinon, on risque encore d'avoir des ennuis." concluait Pilou.

Pour toute réponse, Tille commençait déjà à dé-escalader l'arbre. Une fois descendus, ils jetaient un regard vers le sommet et Tille profitait de l'occasion pour donner un câlin à Pilou en guise de remerciement.

Elle lui signait par la suite "merci beaucoup, c'était génial, je suis sûr que Victor adorera voir ça aussi."

Ce à quoi Pilou répondait : "C'est vrai, mais je suis content d'avoir fait ça avec toi."

Ils repartaient par la suite au village et passaient le reste de l'après-midi ensemble. 

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