Chapitre 11 : perspective d'avenir
Le lendemain de la beuverie les deux nouveaux amis se levaient avec la gueule de bois. Le forgeron invita Arnor à prendre le petit déjeuner même si aucun d'eux n'avait très faim.
Il commença alors à le questionner sur ses projets : "On a passé une belle soirée l'ami, tu comptes partir au plus vite que te l'a dit Paul ? Ou bien tu comptes rester un peu plus longtemps ?"
"Ce village est de loin l'endroit le plus agréable que j'ai pu voir jusqu'à présent. Je pense rester, au moins un temps."
"J'espérais que tu dirais ça."
"Par contre, je vais sans doute être obligé de dormir à la belle étoile comme quand j'étais en voyage, avant de me trouver un toit au-dessus de la tête."
"Mais pauv' nigaud va, un toit au-dessus de la tête, t'en a déjà un ! Le temps de te trouver une maison, tu peux rester chez moi tant que tu veux."
"C'est très gentil, mais je ne veux pas abuser de ton hospitalité."
"Mais t'abuses rien du tout, on te trouve une baraque en deux coups de cuillère à pot et tu seras chez toi. Bon, tu vivras peut-être pas dans le grand luxe, comme moi d'ailleurs, mais, hé, ma femme cuisine vachement bien, tu vas te régaler chez nous."
"Très bien, dans ce cas, je te remercie de m'accueillir chez toi. Je vais faire en sorte de trouver une maison rapidement pour vous déranger le moins de temps possible."
"Bon, au moins tu es motivé, ça fait plaisir d'entendre ça."
Ils finissaient leur petit déjeuner sans se presser avant de sortir dans la rue à la recherche d'un logement pour Arnor.
"Oh pétard, t'as vu l'ami. Le soleil est déjà bien haut dans le ciel. Il doit être presque onze heures." s'écria le forgeron.
"Notre soirée a dû nous laisser plus de séquelles que prévue."
"Quoi qu'il en soit, je te souhaite officiellement la bienvenue à Install. Faisons en sorte que tu t'y sentes comme chez toi. Enfin façon de parler. Je vais pas ramener des tonnes de sable pour te faire plaisir." disait l'homme bourru en empoignant la main de son ami de manière virile.
"Ah, mais ne ramenez surtout pas du sable, j'en ai pas du tout besoin." lui répondait il en riant aux éclats.
Arnor n'espérait pas se faire un ami si facilement en débarquant ici, ou n'importe où ailleurs. Cette rencontre avait décidément dépassé ses espérances et lui donnait bien plus d'assurance pour le travail qui l'attendait. Il savait maintenant qu'il pouvait compter sur quelqu'un.
Ils se dirigeaient alors dans les rues de la ville et pendant qu'ils cherchaient où loger Arnor, Gégé en profitait pour lui faire visiter le village et lui présenter les habitants.
"Alors tu vois, la femme blonde avec sa charrette, c'est la poissonnière ; là elle va fournir la taverne où on était hier soir et l'approvisionner pour la journée. La grande maison que tu vois au loin près du petit lac, c'est celle de Bernard. Lui aussi est nouveau dans le coin et il a décidé de se mettre à l'écart. Je sentais bien que c'était un ermite quand il est arrivé, je sais ces choses là. Et au coin de la rue, tu as la boutique du cordonnier, il est sympa et en plus il adore les blagues de... "
Arnor l'interrompu dans sa visite guidée pour lui indiquer quelque chose qui venait d'attirer son attention : "Et cette maison là-bas, à la porte et au toit bleu, tu peux m'en dire plus à son sujet ?"
"Ah, ça, c'est la maison du vieil Alphonse, le pauvre est mort de vieillesse l'année dernière. Depuis sa maison est inoccupée."
"Je l'avais remarquée à l'allure négligée de la devanture. Tu crois qu'on pourrait demander à sa famille si je pourrai habiter ici ?"
"On peut leurs demander, mais pas sûr qu'ils acceptent. Mais bon, tu veux vraiment habiter là-dedans, c'est plus tout jeune."
"Toute ma vie j'ai vécu dans pire que ça, tu te souviens. Et puis, un peu de ménage et de bricolage ne me fait pas peur."
"Eh bien, si tu le dis, tentons le coup."
Après avoir discuté avec la famille du défunt, le voyageur et le forgeron ont obtenu qu'Arnor puisse vivre dans la maison après l'avoir rénovée. Et il y avait beaucoup à faire.
Beaucoup de tuiles manquaient sur le toit. La peinture s'écaillait. Le plancher grinçait par endroits. Les carreaux des vitres cassées exposaient la maison aux quatre vents. Et des animaux sauvages avaient élu domicile un peu partout dans la maison. Des chauves-souris au grenier, des rats au rez-de-chaussée, et même des cafards dans quelques coins.
A priori ce n'était pas l'endroit idéal pour s'installer, mais cela ne semblait pas déranger Arnor. Pour lui d'une manière inexplicable, cette maison lui inspirait confiance et sérénité. Et le jour même il s'était mis en tête de la remettre en état avec toute la bonne volonté qui l'habitait.
Les jours passaient à Install, Arnor travaillait de son mieux sur le chantier de la maison et les résultats se faisaient sentir. En effet, l'habitacle avait maintenant une bien meilleure allure. Mais les travaux étaient trop importants pour lui permettre d'emménager maintenant. Ainsi il logeait pour l'instant encore chez Gégé, son ami du premier jour. Le jeune Dunk se faisait doucement à la vie dans cette maison et ce village.
Il sentait cependant qu'il serait difficile pour lui de s'intégrer vraiment. À part Gégé et sa famille, peu de personne à Install lui adressait la parole, la plupart d'entre eux se contentaient de le regarder du coin de l'œil. Il se consolait en se disant qu'au moins à défaut d'être apprécier il connaissait les principaux noms à retenir au village et en avait rencontré presque tous les habitants maintenant. Quelques ombres figuraient au tableau tel que le mystérieux ermite Bernard qui ne descendait quasiment jamais au village.
"C'est le début, les gens s'habitueront à moi." pensait-il en terminant de passer une couche de peinture sur un des murs extérieurs de la maison.
L'après-midi touchait à sa fin et Arnor finissait son labeur de la journée. Comme chaque soir, il allait retrouver Gégé qui lui sortait de sa forge pour faire un tour au bar avant de rentrer chez le forgeron. Mais ce soir, un peu fatigué, Arnor prenait le temps de faire une pause. Vers le centre du village se trouvait la crèche commune où tous les enfants étaient gardés et éduqués.
Les cours et autres activités destinées aux enfants étaient terminées depuis peu de temps. En attendant que leurs parents viennent les chercher, ils jouaient sur la place du village et plus particulièrement sur le carré d'herbe en son centre.
Ils s'amusaient sous le regard d'Arnor. Cette vision de petits êtres en train de s'épanouir dans la joie lui donnait matière à penser. Il n'avait pas souvenir de s'être amusé de cette façon dans son village natal. Leurs jeux ne se faisaient pas là-bas. Le vent et le sable rendraient ça impossible. À Pléios, chaque effort était calculé pour avoir le meilleur résultat en un minimum d'effort. Ces enfants n'auraient pas pu s'amuser chez lui, contraints par le climat et leurs propres corps.
"Si je m'installe ici, j'aurais sans doute des enfants. Je souhaite de tout cœur qu'ils puissent s'amuser comme cela sur cette même place." pensait il.
Le carré d'herbe où jouait les enfants était entouré de bancs disposés de manière assez aléatoire. Arnor remarqua que celui sur lequel il se tenait appuyé était occupé par une jeune demoiselle dans une robe écarlate, tenant un livre entre ses mains. Après s'en être aperçu, il entreprenait de quitter les lieux discrètement pour ne pas la déranger.
Mais au lieu de cela, au moment où il tournait le dos à la place, on l'interpella : "Hein, ah, désolé, je ne vous avais pas vu." C'était la jeune fille du banc.
"Non, c'est moi qui suis désolé, je ne voulais pas vous déranger dans votre lecture."
"Oh, mais je ne lisais pas, j'écris une histoire du soir pour mon petit frère."
"C'est une belle intention, vous êtes douée ? Pour écrire des histoires ?"
"Il n'y a pas vraiment besoin d'être douée, à son âge, il n'est pas très exigeant. Mais tu sais, on peut se tutoyer. Je ne t'ai jamais vu avant au village, tu es nouveau ?"
"Oui, je suis arrivé il y a deux bonnes semaines et je pense que tu dois faire partie des dernières personnes du village que je n'ai pas encore rencontré. Et une des seules qui veulent bien m'adresser la parole."
"Ah bon, pourquoi ça ?"
"Mon apparence n'a pas dû t'échapper."
"Oui, c'est vrai, mais ça ne m'effraie pas, au contraire, je trouve que ça te rend très intéressant." disait elle en lui faisant les yeux doux.
"Tu es bien une des seules, d'ailleurs je ne me suis toujours pas présenté. Je m'appelle Arnor et je viens du pays de Pléios, là-bas, à l'inverse d'ici, les gens comme vous sont l'exception et les gens comme moi la norme."
"Dans ce cas, j'espère que tu me trouves intéressante aussi. Moi, c'est Venna." plaisantait elle avec un regard taquin.
"Enchanté, Venna, tu es là pour ton frère ?"
"Oui, c'est celui avec l'écharpe rouge ?"
"Bon, eh bien, je vais te laisser, tu as une histoire à écrire."
"Attends, tu peux me tenir compagnie, peut-être qu'en discutant avec toi, ça va m'inspirer."
Après quelques instants d'hésitation, il répondait : "Bon, comme tu veux, de quoi veux-tu discuter."
"Tu peux me parler de ton pays, et du voyage que tu as fait jusqu'ici pour commencer."
"D'accord, je me suis aperçu que c'est une histoire plus longue que je ne le pensais à force de la raconter encore et encore."
Tandis que les minutes défilaient, il lui raconta toute son histoire, du départ de son pays natal, jusqu'à ses travaux de rénovation de la maison bleue. Venna s'en alla quand ses parents venaient la récupérer, elle et son frère. Les regards des parents de Venna étaient de toute évidence moins amicaux envers Arnor que les siens.
À partir de ce jour les deux jeunes adultes passaient du temps ensemble et se retrouvaient quand ils pouvaient se le permettre. Au début, les parents de Venna voyaient d'un mauvais œil le garçon et le fait que leur fille insiste pour le voir. Mais eux, et d'autres membres du village commençaient de plus en plus à se faire au jeune homme, voir à l'apprécier.
Quatre mois s'étaient écoulés depuis l'installation d'Arnor à Install. Il avait emménagé dans sa maison depuis peu. Gégé lui avait offert de travailler avec lui à la forge en attendant de trouver un travail qui lui convienne mieux. Mais même s'il pouvait maintenant vivre sous son propre toit, il n'en avait pas fini avec les travaux.
Le soir commençait à tomber, Arnor s'occupait à purger son jardin des mauvaises herbes. Une voix familière l'appela de l'autre côté du muret qui séparait son jardin de la rue : "Arnor, tu es là ?"
"Oui Venna, je suis dans le jardin, je viens t'ouvrir."
Il traversa la maison et ouvrit à son amie. Celle-ci l'attendait dans une petite robe rouge, un panier à la main. Bien qu'il en ait l'envie, il décidait de ne pas l'embrasser ou la prendre dans ses bras pour l'accueillir. Étant couvert de terre et sueur dû à son travail, cela n'aurait pas été une bonne initiative.
"Regarde Venna, je suis en train de dégager le jardin, j'ai l'intention de faire des plantations bientôt."
"Toujours en train de faire quelque chose, tu ne t'arrêtes jamais." disait-elle faussement bougonne.
"Une fois que cette maison sera complètement restaurée, il faudra que je me concentre sur mon travail, donc, oui, je ferai toujours quelque chose. Et à ce sujet, je pense que j'aimerais bien faire des plantations, mon métier."
"C'est assez ironique en sachant d'où tu viens." riait-elle.
"En effet, j'ai peu d'expérience en la matière, contrairement à toi. J'ai toujours trouvé les bouquets que tu fais magnifiques. Au fait, il me semble que c'est la robe que tu portais le jour où on s'est rencontré, il y a une raison à ce choix ?"
"Oui, viens avec moi."
Elle sortait une lampe à huile qu'elle alluma avant de l'emmener dans une petite clairière en dehors du village bordée par la rivière. Arnor découvrit sur place qu'elle avait agencé une nappe pour un petit diner, et pour y voir plus clair, elle allumait des chandelles à des endroits choisis pour éviter un départ de feu de forêt. Cela donnait une ambiance chaleureuse à l'endroit.
"On fête quelque chose ? J'ai du mal à croire que tu aies fait ça juste pour moi."
"C'est pourtant juste ça, je voulais qu'on passe une petite soirée ensemble."
"Je pense que je vais adorer." lui souriait-il.
Venna avait préparé une salade de fruit et quelques tranches de jambons. Et pour accompagner cela, elle avait pris en cachette une bouteille de vin de la réserve de ses parents. Elle tenait bien moins l'alcool qu'Arnor cependant, les nombreuses soirées qu'il avait passées à la taverne l'ont endurcies sur ce point.
Après s'être rassasiés, ils admiraient ensemble un moment la beauté de la forêt, la nuit et les étoiles suspendues au ciel. Dans un élan romantique, Arnor déposât un baiser sur les lèvres de la jeune fille. Elle y répondit en l'enlaçant doucement. Ils se regardaient les yeux dans les yeux, en pensant qu'il ne pouvait pas vivre de meilleure nuit.
Après avoir ramassé leurs affaires, ils s'en retournaient dans la nuit main dans la main. Et Arnor offrait une embrassade sur le pas de la porte de son amoureuse pour lui souhaiter la bonne nuit avant de rentrer chez lui, plus heureux que jamais.
À compter de cette nuit, l'amour entre les deux jeunes adultes ne cessait de croître, tant et si bien qu'un beau jour Arnor prononça ses vœux de fiançailles pour elle. À ce moment-là tout le village l'avait adopté, même les plus sceptiques. Et le jour de son mariage, pas un seul villageois ne manqua à l'appel. Même le vieux Bernard avait fait le déplacement. C'est d'ailleurs en partie grâce au jeune couple que le vieil ermite s'intégrait de plus en plus à la vie de village.
Quand Venna eut dix-sept ans, elle tomba enceinte d'un jeune Garçon. Son père et elle décidaient de l'appeler Victor pour le destiner à un avenir victorieux. Un enfant affectueux, mais de fort caractère. Dès qu'il fut amené à la crèche, il était indissociable d'un autre petit enfant aux cheveux blonds et bouclés, le petit Pilou.
Lors du troisième anniversaire de Victor, Arnor retrouvait sa femme sur la place à la sortie de la crèche. Cette dernière tricotait sur le banc où ils s'étaient rencontrés la première fois. Arrivant dans son dos, elle ne le sentit pas arriver près d'elle. Elle sursauta quand il lui prit vivement les épaules pour la surprendre.
"Ah, Arnor, sale voyou, tu ne vois pas que je m'occupe ?"
"Oui, et moi je m'occupe à te détourner de tes occupations."
Ils riaient aux éclats devant leurs petites plaisanteries avant de s'embrasser langoureusement.
"Tu sais ma douce, j'ai fait un rêve le jour où je t'ai rencontré ici, je ne te l'aie jamais dit. Tu veux que je te le raconte ?" lui disait-il solennel en regardant son fils jouer avec les autres enfants de son âge dans la lumière éblouissante du soleil couchant.
"Oh, et bien, maintenant, tu es obligé de me le dire."
"Très bien, j'ai rêvé de voir un jour mon enfant jouer ici, comme je n'ai jamais pu le faire chez moi. Le voir s'épanouir, heureux comme un soleil, avec ses amis. Sous le regard de ma femme aimante. Et je me dis que ce rêve est devenu réalité. Qu'en penses-tu ?"
"J'en pense que je t'aime et que j'aime ma famille."
"Je pense à peu près la même chose."
Ils restaient alors un bon moment sur ce banc dans un état de plénitude qu'il n'avait atteint que de rares fois, contemplant leur fils et le miracle de leurs trois vies.
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