Chapitre 10 : Arrivée remarquée
En regardant son fils revenir au village avec ses amis, Arnor sans le vouloir se remémorait son passé.
Il y a un peu plus de dix-sept ans, c'était un jeune Dunk qui avait quitté ses contrées natales de Pléios. Il arpentait les chemins depuis plus de deux ans déjà.
"Deux ans." pensait-il, "Ça fait déjà long. Je pensais trouver un endroit pour me poser bien plus tôt. Enfin, j'imagine que ça fait partie du voyage."
Si Arnor avait décidé de partir de chez lui, c'était en quête d'un avenir meilleur. À Pléios les conditions de vie de son peuple sont médiocres, la faute à un environnement peu propice à l'épanouissement. Du sable soulevé par un vent sec, un sol poussiéreux et de temps en temps de gros monticules de roches qui sortent du sol.
Sa maison ressemblait beaucoup à celles de ses voisins. En même temps, aucun des membres de son peuple ne s'était essayé à en faire d'autres : "ça marche très bien comme ça, pourquoi changer ?" disaient-ils. Une maison avec le minimum pour vivre, un peu sale, mais au moins elle était solide, ça on ne pouvait pas lui enlever.
Son père pratiquait le métier le plus commun là-bas : le travail à la mine, ou aux champs. De toute façon, les deux ne différaient pas beaucoup. On y creusait la roche pour y dénicher les matériaux précieux qu'elle renfermait, on creusait la roche pour construire les maisons, on creusait la roche pour cultiver la nourriture. En fait Arnor pensait que la seule chose pour laquelle la vie ait été faite, et tout ce qu'il ferait jamais, c'était creuser la roche.
Le Quartz sucré était une pierre friable et comestible, Arnor ne trouvait pas cela bon, mais il s'y est habitué, faute de choix et, car cela calait bien l'estomac. C'était toujours mieux que les vers de sables dont son peuple faisait l'élevage. En plus d'avoir le goût de sable comme le Quartz sucré, ces vers étaient repoussants et réussissaient l'exploit d'ajouter une saveur immonde au repas dû à leur odeur rappelant des chaussettes sales et le jus qui suinte de leur corps. La nourriture venue d'ailleurs était bien meilleure, mais déjà ternie par le goût du sable.
Les étrangers ne restaient jamais longtemps.
"A l'époque, je me demandais bien pourquoi ils ne restaient pas. Mais après avoir connu le monde extérieur, tu m'étonne qu'ils ne restaient pas, ils voulaient se barrer le plus vite possible. Il faut croire que j'ai bien fait de suivre leur exemple."
En effet, les habitants de Pléios qui partaient de la région ne revenaient pas.
"Je pensais que ma vie était normale, que je n'étais pas à plaindre, mais aucune personne en dehors de Pléios n'aurait échangé sa place pour la mienne."
Ceux qui restaient disaient que le monde extérieur était bien plus impitoyable qu'ici. Ils le pensaient sans doute plus par ignorance que par malveillance. Toujours est-il qu'ils avaient tort.
Le monde extérieur était simplement trop attrayant pour que ceux qui étaient partis soient tentés de revenir.
"Et je fais maintenant partie de ceux qui ne reviendront pas."
Il y a quelques jours seulement Arnor réussissait à quitter le haut plateau qui entoure la vallée verdoyante. Il se retrouvait maintenant en plein milieu de celle-ci, sans sable ni poussière qui vienne agresser ses yeux ou ses narines. Un ciel bleu au-dessus de la tête. Les articulations engourdies de son long voyage n'entachaient pas sa satisfaction de voir une terre si accueillante, la plus douce qu'il ait jamais vu. En marchant, devant lui, il apercevait ce qu'il croyait être un village.
Le voyageur fatigué et satisfait soupirait : "Je ne vais plus être obligé de parler tout seul maintenant on dirait. En y réfléchissant, c'est un peu bizarre, mais bon en même temps, Est-ce que j'avais le choix ? Quoi qu'il en soit, ça en valait la peine."
Un peu plus tard il faisait une entrée remarquée au village. À Install les habitants n'avaient pas l'habitude de voir un homme à la peau grise vêtu de haillons avec des plaques osseuses sur le corps.
Ils le regardaient un peu de travers, espérant en secret qu'il ne soit que de passage en ville. Arnor l'avait remarqué, mais il s'en fichait, les villageois ne pouvait pas être moins hospitaliers que ce que l'atmosphère des lieux lui inspiraient.
Pour se changer les idées, il se dirigea vers la taverne. Lors de ses deux dernières années de voyages, les saveurs de ces repas n'ont pas beaucoup changé. Ainsi au contraire du plus grand nombre des personnes présentes dans l'établissement, il venait pour goûter de la cuisine, de la vraie cuisine, et pas pour se souler. Il voulait apprécier le fait de ne pas avoir à se procurer et cuisiner sa propre nourriture pour une fois, un plat chaud semblait être le moyen idéal de commencer une nouvelle vie.
À son arrivée dans la taverne, l'ambiance n'avait pas changé en comparaison à son passage dans la rue. Les hommes échangeaient des paroles à voix basse et des regards empreints d'étonnement et de curiosité.
Arnor prenait soin d'afficher son plus beau sourire et son visage le plus avenant au tavernier.
"Qu'est-ce que je peux faire pour monsieur ?" lui demanda-t-il.
"Je voudrais un repas ce qu'il y a de plus simple, celui que vous faites le plus souvent."
"Bon, eh bien, je vous sers une truite et des patates."
"Ça me semble parfait."
"Je vous donne du vin avec ça ?"
"Du quoi ?" questionna Arnor, n'ayant jamais entendu ce mot auparavant, pas plus que truite et patate d'ailleurs.
"Eh bien vous savez du vin, à moins que vous préfériez une autre boisson ?"
"Je vais juste prendre de l'eau pour l'instant, je gouterais peut-être le vin un autre jour."
Quelques rires étouffés résonnaient de différentes tables suite à cet échange.
"Bon, comme vous voulez, je vous prépare ça de suite." lui répondait le tavernier.
Tandis que le Dunk de dix-neuf ans s'installait à une table encore inoccupée en tapotant ses doigts sur la table pour combler l'attente, un homme un peu plus téméraire que les autres s'approcha de lui. Quelques autres l'imitaient. Arrivé à sa table, face à lui, il lui adressa d'un air défiant et méfiant : "Alors étranger, tu es de passage dans le coin ? Tu viens d'où ? Tu comptes rester longtemps ?"
Arnor feignant de ne pas comprendre le ton employé par son interlocuteur lui répondait d'un air jovial : "Eh bien, cela fait beaucoup de questions pour une première rencontre. Je viens d'un endroit qui est en tout point différent du vôtre. Et je n'ai pas vraiment une idée précise de quand je vais repartir. Je m'appelle Arnor, et vous ?"
Surpris du manque d'animosité que son abordage aurait dû susciter, l'homme reprenait : "Ecoute, c'est pas contre toi, mais, la plupart des personnes qui arrivent au village on les connait parce qu'elles sont du coin. La venue d'étrangers est vraiment rare, et en plus on a jamais vu de personnes comme toi avant. Alors je pense parler au nom de beaucoup en disant qu'il serait préférable pour toi de prendre ton repas et de partir d'ici."
À ces mots, il lui lançait un regard dur, qu'Arnor soutenait de son mieux. Un autre homme vint briser l'ambiance tendue qui régnait dans la taverne.
"Eh ben alors, Paul, vieille baderne. Je savais pas que tu étais aussi dur avec les nouveaux venus, surtout quand ils ont l'air de revenir d'un long voyage."
"Et toi tu prends sa défense alors que tu le connais à peine. Je ne savais pas que tu accordais ta confiance au premier venu Gérard." il poursuivait en pointant Arnor du doigt. "On ne sait même pas d'où il vient, de pourquoi il a ces trucs sur le corps et tu penses que c'est bon ? Tu penseras toujours du bien de lui s'il profite de NOS récoltes sans rien faire ou qu'il ramène d'autres personnes comme lui ?"
Se levant de sa chaise, Arnor se dressa face à son interlocuteur. Ce dernier perdait de son assurance en le voyant debout. Le Dunk défendait son cas : "De là où je viens, je travaillais la terre de bien des façons, je suppose que ce genre de talent doit être utile ici." Il sortait ensuite une pierre précieuse de taille modeste de sa besace avant de reprendre : "J'ai ceci pour l'attester, et je suppose aussi que cela a de la valeur ici. Si tel est le cas, régalez-vous, c'est moi qui paye la tournée."
S'ensuivit alors quelques instants de silence avant que le dénommé Gérard ne reprenne la parole : "J'ai l'impression que cet homme est plus fiable que ce que tu imaginais." Gérard et Arnor regardaient le petit attroupement visiblement vaincu et résigné s'éparpiller vers leurs tables respectives.
"Je suis désolé, Arnor, c'est ça. Ici on est pas vraiment des intellectuels, tu sais, même s'ils se sont mal conduits, je comprends pourquoi ils ont fait ça. T'as l'air d'un type bien et mon instinct ne m'a que peu trahi jusqu'à aujourd'hui."
"Et je ne compte pas le faire mentir aujourd'hui."
"Ça vous dirait de partager mon repas ?"
"Avec grand plaisir."
"Gérard, mais tout le monde m'appelle "gégé", forgeron du village, enchanté de faire ta connaissance."
"Moi de même."
Les deux hommes discutaient alors en attendant leur repas et une fois qu'il leur fut servi, Arnor contemplait son assiette presque avec admiration.
"Tout va bien, camarade ? On dirait que tu viens de voir un fantôme ?" plaisantait son compagnon de table.
"Désolé, c'est juste que si on te sert ça de là d'où je viens, on le mange pas, on l'encadre."
"Ça m'intéresse de plus en plus, dit moi, c'est comment d'où tu viens. Tu m'as dit que tu n'avais jamais goûter de vin, je vais en commander, ça va te délier la langue."
"C'est vous qui voyez, après ça va être rapide, je n'ai pas grand-chose à raconter."
"On va voir ça, Jean, une bouteille de rouge."
Le tavernier ne prenait pas la peine de répondre, par habitude, il hocha simplement la tête avant de piocher dans sa réserve.
Les deux inconnus faisaient alors connaissance au milieu d'anecdotes, blagues et de plats et boissons ; ordinaires pour l'un, exquis pour l'autre.
En ayant terminé leur repas, les deux compères tanguaient vers la sortie. Il faut croire qu'ils avaient les yeux plus gros que le verre ce soir-là.
Le forgeron, une fois dans la rue, bras dessus, bras dessous avec son nouvel ami, lui proposa : "Dit-moi l'ami, tu dois pas avoir un endroit où dormir. Viens chez moi si tu veux, il n'y a pas de chambres de libre, mais la porte est toujours ouverte, tu verras le canapé est très confortable."
"J'accepte avec plaisir, de toute façon, dans l'état où je suis, je pourrais m'affaler dans la rue ou dormir dans un grand lit, je trouverai cela tout aussi confortable."
"Bien parlé l'ami, bien parlé."
Par un miracle inexplicable le Dunk et le forgeron retrouvaient leur chemin menant à la maison de ce dernier, sans s'effondrer dans la rue ou régurgiter leur repas dans un coin sombre.
Une fois rendu sur place, Gégé présenta son nouvel ami à sa compagne. Cette dernière corrigea son mari d'un soufflet pour l'heure et l'état dans lequel il était rentré ce soir, suivi d'un deuxième pour avoir ramené un compagnon de table avec lui. Ce qui l'énervait le plus c'était que l'épave que son mari portait sur son épaule était non seulement un étranger, mais un étranger d'un genre qu'elle n'avait jamais vu auparavant.
Le forgeron n'était plus suffisamment lucide et éveillé pour se mettre en colère après cette remontrance.
Ainsi ils s'endormaient, à deux empilés sur le canapé, tandis que la maitresse de maison occupait seule le lit à l'étage. Les deux nouveaux amis ne savaient peut-être pas grand-chose en se couchant, mais ce qu'ils retenaient, c'est que c'était une bonne soirée.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top