Chapitre 82
Vladimir Voss
J'ai besoin de calme. De sérénité.
Un silence profond, presque irréel, enveloppe la pièce, mais en moi, tout hurle. Une cacophonie sourde, un tumulte invisible ravagent mon esprit. Mon cœur, pourtant affaibli par le temps et la maladie, tambourine contre ma poitrine, comme s'il tentait de m'arracher à cette enveloppe charnelle qui me sert encore de prison. Mes pensées tourbillonnent, chaotiques, incapables de trouver un point d'ancrage. Je suis fatigué. Si fatigué.
Mais je ne peux pas m'arrêter. Pas encore.
Je sens que la fin approche. Comme un spectre tapi dans l'ombre, elle guette le moment opportun pour fondre sur moi, pour me happer dans l'obscurité et m'arracher à ce monde que j'ai façonné de mes mains. Une existence entière de lutte, de conquêtes, de victoires écrasantes et de massacres méthodiques. Une vie dédiée au pouvoir, au contrôle. Une vie bâtie sur la peur et le respect. Et maintenant... Maintenant, je dois résister.
Je ne peux pas mourir tant que ma mission n'est pas achevée.
Pas tant que l'avenir de la famille Voss n'est pas assuré.
La famille Voss... La plus puissante au monde. La plus riche. La plus impitoyable. La plus respectée. Un empire bâti sur les cendres de mes ennemis, sur les os brisés de ceux qui ont osé me défier. Je suis Vladimir Voss, le maître incontesté de cette dynastie, le pilier autour duquel tout gravite. Sans moi, tout s'effondrera. Je le sais.
Mais pour combien de temps encore ? Quelques semaines ? Quelques jours ? Quelques heures ?
Allongé sur mon lit, perdu dans les ténèbres de mes pensées, je fixe le plafond d'un regard vide. L'air est lourd, oppressant. Une odeur subtile de renfermé et de médicaments flotte autour de moi, m'étouffe presque. Je pourrais presque voir, juste au-dessus de moi, les âmes errantes des milliers de personnes que j'ai envoyées dans l'au-delà. Elles dansent, silencieuses, moqueuses. Certaines sont venues à moi en suppliant, d'autres en criant, et d'autres encore en me défiant du regard jusqu'au dernier souffle. J'en ai tué avec plaisir, d'autres par nécessité. Qu'importe. La mort a toujours été ma plus fidèle compagne, marchant dans mon ombre, glissant sur ma peau comme un frisson glacé.
Elle ne m'a jamais quitté.
Je ferme un instant les yeux et ma main se crispe sur le drap froissé. Si j'avais su... Si j'avais pu prévoir l'avenir, j'aurais choisi Malcolm dès son plus jeune âge. Il était le plus fort, le plus rusé, le plus implacable. J'aurais dû l'élever pour qu'il devienne mon successeur, au lieu de lui assigner le rôle de chef de gang. Il aurait porté ce fardeau à la perfection, j'en suis certain.
Mais ce sera son frère aîné.
C'est ainsi. C'est écrit, scellé, gravé dans la pierre.
Et je ne reviendrai en aucun cas sur mes paroles...
À moins que...
À moins que le digne successeur ne soit tué.
Là, ce serait... parfait.
Une étincelle traverse mon esprit. Un espoir malsain, une lueur froide dans l'abîme de mes pensées. Un sourire imperceptible étire mes lèvres tandis que je me redresse avec peine. Ma poitrine est lourde, mon souffle court, mais mon esprit, lui, s'anime à cette pensée. D'un geste lent, tremblant, je saisis la télécommande posée à mes côtés et appuie sur le bouton.
Salim saura quoi faire.
Mon fidèle bras droit arrive en seulement trente secondes. Toujours rapide, toujours alerte, comme s'il sentait mes besoins avant même que je ne les exprime. Il entre sans frapper, sa silhouette massive se découpant dans l'ombre, imposante et implacable. Un courant d'air glacé accompagne son arrivée, ou peut-être est-ce mon propre corps qui commence à faiblir.
Ses yeux sombres et perçants balayent la chambre avant de se poser sur moi.
Je dois avoir l'air misérable. Hitler et Staline se fouteraient de ma gueule dans cet état... Quoi qu'un des deux s'est suicidé comme un gros lâche...
Un sourire douloureux étire mes lèvres tandis que je reviens dans le moment actuel.
Salim. Mon plus précieux allié. Mon plus fidèle serviteur.
Je l'apprécie. Peut-être même un peu plus que tout le monde. Mais bien sûr, pas au point de sacrifier ma vie pour lui. Jamais. Je ne suis pas de ceux qui se laissent mourir pour les autres. Ce sont eux qui me doivent tout.
Sans moi, aucun d'eux ne serait en vie. Aucun.
Je suis leur pilier, leur roi, leur seul et unique dieu.
Et pourtant, je sens la fin approcher.
Salim s'approche, impassible, puis incline légèrement la tête.
— Monsieur, murmure-t-il d'une voix basse et maîtrisée. Que puis-je faire pour vous ?
Il m'aide à me redresser, avec ce mélange d'efficacité et de respect qui le caractérise. Je tousse violemment, et une tache écarlate s'épanouit dans ma paume. Du sang. Mon sang.
Un rappel brutal de ma propre mortalité.
Mais je n'ai pas le temps pour ça.
Je relève le regard et articule lentement :
— Il faut tuer Nicolaï. Je veux que Malcolm le remplace.
Aucune hésitation. Aucune question. Seulement l'action.
Le Black hoche la tête d'un mouvement bref et précis. Il sait. Il comprend. Il obéit.
— Je l'invite à un repas de famille ? propose-t-il d'une voix calme.
Un rictus satisfait déforme mes traits.
— Parfait, acquiescé-je. Tu demanderas à Sélène de glisser du laurier-rose dans son verre. Ou... Je ne sais pas. Tu gères ça.
Mais soudain, quelque chose change.
Le silence se fait plus dense, plus pesant. Salim, appuyé contre l'encadrement de la porte, incline légèrement la tête, comme un prédateur qui sent une anomalie dans l'air.
— Votre neveu est-il encore là-dedans ? demande-t-il d'une voix plus basse encore qu'à l'ordinaire.
Je laisse échapper un léger soupir, jetant un regard à la porte fermée.
— Il anime la purge de la fille, expliqué-je d'un ton détaché.
Un cri étouffé traverse le bois épais. Je souris de nouveau. Tout se déroule comme prévu.
Mais alors que la porte pivote lentement sur ses gonds, le silence envahit la pièce. Un silence absolu.
Trop calme.
Mon estomac se serre. Un mauvais pressentiment rampe le long de mon échine.
Puis Malcolm apparaît enfin.
Livide. Figé. Son regard est empli de... de quoi ? Peur ? Colère ? Regret ? Je n'arrive pas à le dire. Cela ne lui ressemble pas...
Mais ce n'est pas lui qui me frappe.
C'est elle.
La blonde, recouverte de sang, pendante dans ses bras.
Vivante.
Un rire amer me serre la gorge.
Malcolm... qu'as-tu fait ?
— Tu n'as pas respecté les règles de l'art, le toisé-je avec déception.
— Je m'en bats les couilles de toutes tes règles de l'art à la con !
Je reste figé, une fraction de seconde, l'écho de ses paroles résonnant dans mon crâne. Il ne m'a jamais parlé ainsi. Personne n'a jamais osé. Je devrais le tuer. Je devrais... Mais je n'en ai plus la force.
Fichue maladie.
Elle me vole tout. Mon pouvoir, ma force, mon statut. Et pire encore, mon emprise sur ceux que je croyais contrôler. Comment ai-je pu en arriver là ? Comment ai-je pu devenir une ombre de moi-même, cloué dans ce lit, mouchant de désespoir alors que j'ai consacré ma vie à être l'alpha ? À être celui qui dicte les règles.
Je pourrais très bien ordonner à mes soldats de le liquider, mais je sais que ce n'est pas aussi simple. Il est bien trop fort pour être abattu si facilement. C'est moi qui l'ai entraîné, qui lui ai appris à voir à travers chaque mouvement, chaque faiblesse. Il sait exactement comment se préparer, à quel moment frapper, et surtout comment anticiper chaque attaque que je pourrais tenter de lancer. C'est un monstre dans son propre domaine. Un monstre que j'ai moi-même créé. Et je ne peux pas simplement le réduire en poussière. Non, je ne le peux pas. Pas alors que j'ai encore besoin de lui.
Le jeune homme continue sa route, ses pas lourds résonnant dans l'air lourd de mon bureau, en direction de la sortie. Il est hors de question qu'il parte comme ça, mais mon homme de main, Salim, bloque irrémédiablement son passage.
— Bouge ! s'énerve le brun aux yeux gris, sa voix saccadée par l'impatience.
Mais Salim ne se déplace pas, menaçant Malcolm du regard. Le même regard que j'ai appris à connaître, celui qui vous dit que si vous franchissez une ligne, vous ne reviendrez jamais. C'est ce regard qui a fait de lui l'un des meilleurs de mes hommes. Mais ce regard, même lui, ne parvient pas à effrayer Malcolm. Habituellement, j'aurais agi, j'aurais fait tomber le poids de ma volonté sur lui, sur ce garçon qui osait défier mon autorité. Mais aujourd'hui, je suis littéralement cloué dans ce putain de lit de morts, impuissant face à cette misérable leucémie. Elle m'enlève tout. Mon corps, mon esprit, ma capacité à contrôler le monde que j'ai si durement façonné.
— Je ne me répèterai pas deux fois !
Salim insiste, sa voix plus basse, menaçante.
Mais Malcolm ne cède pas.
— Monsieur, vous n'avez pas le droit de parler de cette manière au maître suprême, dit le Black d'une voix rauque.
Les muscles du jeune homme se tendent instinctivement, comme un prédateur sur le point de bondir. Une rage animale monte en lui, et tout son corps est tendu, prêt à faire éclater cette tension qui semble le consumer de l'intérieur. Je devrais intervenir, arrêter tout ça, mais je suis comme paralysé, immobile, spectateur de ma propre chute. La douleur dans ma poitrine, la frustration qui m'étouffe, tout cela devient flou.
— Tu veux parler de pédophile faible qui ne sait rien faire d'autre que donner des ordres et tuer tous ceux qui refusent de plier ?! s'écrie-t-il soudain, les mots fuyant sa bouche comme des balles.
Mon souffle, déjà faible, se coupe instantanément. Le coup est porté avec une telle violence que je suis littéralement sous le choc. Le regard de mon neveu se tourne vers moi. Ses yeux sont pleins de haine, de dégoût, mais aussi de cette désillusion qui me frappe en plein cœur. C'est comme si une porte s'était ouverte en lui, une porte que je n'aurais jamais dû laisser entrebâillée. Un accès direct à la vérité qui nous lie. Et cette vérité, je ne peux plus la cacher.
— Si tu croyais que je n'aurais jamais compris, c'est râté ! Tu l'as fait à qui d'autre, hein ? À Wyatt ? C'est pour ça qu'il est parti rapidement faire ses affaires dans l'Exutoire ? Et Kiara... ?
Il marque une pause qu'aucun n'ose interrompre.
— Putain je te hais ! Je te voyais comme un putain de dieu, mais en fait tu n'es qu'un miséreux ! Être un dictateur qui a le contrôle sur tous les faits et gestes des membres de sa famille, OK, mais en abuser sexuellement ?!
Les mots me frappent comme une décharge. Chaque syllabe est un coup de marteau sur le roc de ma conscience, et chaque coup me brise davantage. La chaleur de la colère monte en moi, mais elle est rapidement remplacée par une froideur glaciale, celle d'un homme qui sait que ses secrets ne sont plus si secrets. Que tout ce qu'il a caché derrière des murs d'acier est maintenant exposé à la lumière crue de la vérité. La vérité qu'il a toujours redoutée. La vérité qu'il a tout fait pour étouffer.
Je veux répondre. Je veux hurler, nier, effacer ces accusations. Mais je ne peux rien faire. Je suis paralysé. Mon pouvoir n'est plus qu'un lointain souvenir, une illusion. La maladie m'a volé mes forces, et cette vérité m'a volé mon autorité.
Je suis un homme détruit. Et je suis incapable de m'empêcher de regarder mon neveu s'éloigner, cette fois-ci sans retour.
— Nous avons des comptes à régler, mon oncle, termine-t-il d'une voix ferme et tranchante. Mais comparé à cette purge insensée que tu as imposée à une âme plus pure que n'importe quelle autre, nous allons le faire dans les fameuses règles de l'art de la famille Voss, comme il se doit. Je mettrai fin moi-même à ton régime.
Il s'arrête un instant, ses yeux brûlants de haine et de détermination plantés dans les miens, comme s'il cherchait à enflammer chaque recoin de ma conscience, chaque parcelle de mon âme abîmée par les années de tyrannie. Ses paroles vibrent dans l'air, s'imprimant en moi avec une clarté glaciale.
— Les Voss n'étaient pas ça à l'origine. C'est toi et toi seul qui l'as transformé de telle manière !
Ses mots me frappent comme des lames, chacune portant un poids que je ressens jusque dans mes entrailles. Il a raison. Je sais qu'il a raison, mais c'est une vérité que je ne voulais pas admettre. Une vérité trop douloureuse à affronter. Les Voss, avant moi, étaient une famille honorée, respectée. Les ancêtres avaient bâti cet empire avec fierté et vertu. Nous étions les bâtisseurs, ceux qui tissaient des liens invisibles entre le peuple et la royauté. Nous étions les garants d'un ordre juste et divin. Mais tout cela, je l'ai détruit. J'ai sacrifié tout ce que ma lignée avait de noble, au nom du pouvoir, au nom du contrôle, au nom de ma propre arrogance.
Je ferme les yeux, une brève lueur de culpabilité traversant mon esprit. Je l'ai fait. J'ai pris cette famille magnifique et je l'ai déformée en quelque chose de méprisable, un monstre assoiffé de sang, d'asservissement et de soumission. Il est vrai que j'ai façonné cette dynastie selon ma propre vision, ma propre conception du pouvoir. Et pourtant, le souvenir des valeurs fondamentales des Voss persiste, comme un fantôme hantant les murs de ce Manoir que j'ai moi-même souillé.
Mon neveu, toujours aussi résolu, n'a pas fini. Il sait que ce n'est pas encore assez, que ce n'est qu'une introduction à l'assaut final. Il me fixe avec une intensité telle que je me sens exposé, vulnérable. Dans son regard, il y a une flamme que je reconnais, une flamme que j'ai moi-même alimentée, en nourrissant cette soif de justice, en créant ce monstre qu'il est devenu aujourd'hui.
— Tu as pris tout ce que cette famille représentait, tu l'as écrasé sous ton poing de fer. Et moi, je vais le reconstruire. Je vais effacer tout ce que tu as fait, tout ce que tu as détruit. Tu penses que ton pouvoir peut durer éternellement, mais c'est toi qui es devenu l'ombre de ce que nous étions. Et cette ombre, je vais l'effacer, même si je dois le faire en utilisant les mêmes règles que celles que tu m'as imposées. Je vais te détruire en honorant l'héritage de notre lignée, contrairement à toi, qui n'a fait que le pervertir.
Ses mots, lourds de menace, flottent dans l'air. Ils résonnent en moi comme une cloche annonçant la fin d'un règne, la chute d'un empire que j'ai moi-même bâti sur des cendres. Et je sais, au fond de moi, qu'il a raison. Que tout ce que j'ai accompli n'aura servi qu'à accélérer ma propre déchéance.
Pourtant, est-ce que ça signifie que je vais plier et accepter ce sort ? Bien évidemment que non. Sinon je ne serais pas Vladimir Voss, fils de Bartholoméo Voss, alias le Sanguinaire. Ce nom, ce poids, cette réputation... tout cela m'a forgé. Chaque battement de mon cœur résonne avec la violence de mes ancêtres, avec le sang versé pour arriver ici. Je suis né pour régner, né pour imposer ma volonté, quel qu'en soit le prix.
Ce n'est pas une simple question de fierté, de dignité. C'est une question de survie, une question d'héritage. Je n'ai pas seulement hérité d'un nom, d'une lignée, mais d'une mission : celle de maintenir le pouvoir, de faire respecter les règles, de faire plier ceux qui osent défier la lignée des Voss. Ceux qui se croient plus forts, plus intelligents, plus justes... Je vais leur montrer ce qu'il en coûte de s'opposer à moi.
Je sais qu'ils pensent tous que je suis à terre, que je suis faible, malade. Mais ils n'ont pas compris. Ils ne comprennent rien. La leucémie, cette misérable maladie, ne fait que m'affaiblir physiquement, mais elle ne touche pas mon esprit. Mon esprit est resté intact, plus acéré que jamais, plus déterminé. C'est dans cette douleur que je trouve la force de combattre, dans cette maladie que je découvre une nouvelle forme de puissance, une rage encore plus grande, alimentée par la certitude que je ne vais pas laisser mon nom se dissiper dans l'oubli.
Je suis le plus puissant, et je vais le prouver. Ceux qui croient que je suis un monstre, qu'ils se préparent à voir ce que signifie vraiment être un monstre. Personne n'a le droit de me défier, pas même ceux qui partagent mon sang. Si ma propre famille veut me renverser, alors ils apprendront la dure vérité : aucun Voss n'est plus redouté que moi.
J'ai été forgé dans le feu de la guerre, dans le sang des innocents, dans la souffrance. Ce n'est pas un petit rebelle de mon propre sang qui va me faire plier. J'ai trop sacrifié, trop donné, trop souffert pour que tout cela soit réduit à néant par une simple révolte. Je vais leur montrer, à tous, ce que signifie véritablement la puissance Voss. Ce n'est pas une question de contrôle ou de domination, c'est une question de survie.
Et quand ce sera terminé, quand le dernier coup sera porté, il ne restera qu'un seul nom sur les lèvres des survivants : le mien. Je vais régner, encore et encore, jusqu'à ce que tous se souviennent de qui je suis et de ce que j'ai fait.
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