Chapitre 60
April
— Nan mais sérieux ! Comment on va faire pour débarquer là-bas sans se faire dégommer au passage ?! s'énerve Jonas en fixant l'écran de l'ordinateur, ses doigts tapotant nerveusement sur la table.
Nous sommes finalement parvenus à retourner discrètement à l'Académie. Le trajet n'a pas été de tout repos ; nous nous sommes perdus plusieurs fois dans les ruelles sombres et sinueuses. Chaque coin de rue semblait plus menaçant que le précédent, et l'absence totale de mercenaires nous paraissait presque trop suspecte. Après plus d'une heure et demie à avancer prudemment, en vérifiant chaque détour, nous avons atteint notre objectif. C'était presque trop facile. Comme si les soldats ne s'attendaient pas à ce qu'on se présente si vite.
— Je n'en ai pas la moindre idée, soupiré-je, lasse, en frottant mes yeux fatigués.
— On s'en doute bien, se moque gentiment Rahoul en me donnant une tape dans le dos, son sourire amusé contrastant avec la tension ambiante.
— Bon, au moins il n'est pas très loin, essayons de voir le bon côté des choses, raisonne Jaylan en croisant les bras.
— C'est vrai, concède Jonas avec une moue, il ne s'est pas trop foulé pour se cacher. Il doit être sacrément suicidaire, mais ça...
Je hausse les épaules, tressaillant légèrement. Une angoisse sourde me serre la poitrine, mais je m'efforce de rester stoïque.
Ils réagissent à l'attitude du chef d'établissement comme s'il ne s'agissait que d'une simple partie de cache-cache géante...
— Vous comptez réellement le tuer ? demandé-je après un moment de silence.
— Évidemment ! répond Konan avec une détermination glaciale. C'est la seule manière de gagner les Jokdaris.
— Et s'ils avaient menti ? insisté-je, le doute me rongeant. Si ça se trouve, ils...
— Non, me coupe Jaylan, catégorique. Tout est un jeu, April. Mais un jeu où on prend réellement des risques. Quitte à en payer le prix fort.
Je détourne la tête, le cœur lourd. Mes yeux balayent la salle d'informatique : des dizaines d'écrans lumineux, une lumière blafarde qui ne fait qu'ajouter à l'atmosphère oppressante. Un frisson me parcourt, et je décide de changer de sujet pour alléger l'ambiance.
— Qu'est-ce que vous feriez de ce gain ? demandé-je, curieuse.
Rahoul hausse les épaules, comme si la réponse était évidente.
— Sûrement comme d'habitude. Je demanderais des vacances supplémentaires.
Je lève un sourcil, incrédule. Rien que ça ? Il faudrait vraiment revoir ses priorités dans la vie.
— Pour ma part, je m'en servirais pour améliorer encore la vie de mes parents, confie Jonas en replaçant ses mèches brunes en arrière, l'air sérieux.
Cet objectif est très honorable, dois-je admettre.
— Personnellement, je vais continuer de mettre de côté, avoue Jaylan, fidèle à lui-même, toujours pragmatique.
Je me tourne vers Konan, qui n'a toujours pas répondu. Il finit par lever les yeux vers moi, et pour la première fois, son regard porte une lueur étrange, presque admirative.
— Je vais faire en sorte de quitter ce pays de merde, annonce-t-il, son ton vibrant d'émotion. Partir vivre en France et rencontrer la femme de ma vie. Et peut-être qu'un jour, je finirai par m'installer aux États-Unis.
— Notre pays est merveilleux ! s'écrie Jonas, attrapant violemment Konan par le col. Tu n'as pas le droit de le critiquer !
— Je pense ce que je veux, rétorque le châtain en se dégageant. Peut-être que toi, tu apprécies qu'on soit tous réduits à l'état de chiens obéissants pour un gouvernement affreux, mais moi, non. Je ne supporte plus cette oppression. Je veux vivre dans un pays où on est libre, où on ne risque pas de se faire tuer pour avoir refusé de s'agenouiller devant le portrait d'un monstre.
— Si quelqu'un apprend que tu penses comme ça, tu seras éliminé ! s'exclame Rahoul, le pointant du doigt. Et compte sur moi pour te balancer !
— Vous ne croyez pas que ce n'est pas le moment de se disputer ? intervient timidement ma voix, tranchant avec la tension grandissante. On doit retrouver le proviseur.
Un silence lourd s'installe, mais Jonas le rompt sèchement :
— Toi, tu la fermes. De toute manière, tu vas rester ici. Il faut quelqu'un pour surveiller nos déplacements et couvrir nos arrières.
Je le dévisage, les sourcils froncés.
— Et tu me crois capable de tout ça ?
— Bien sûr, affirme Jonas, une étincelle de malice dans les yeux. Tu as déjà prouvé que tu pouvais nous faire gagner un temps considérable. Alors oui, je n'ai aucun doute que tu sauras nous guider.
Je redresse la tête, tentant de cacher mon appréhension derrière une façade plus confiante.
— Alors dites-moi ce que je dois faire, dis-je d'un ton plus assuré.
— J'aime bien cet état d'esprit ! s'exclaffe Konan. Il y a du progrès !
Un sourire timide se dessine sur mes lèvres, mélange de fierté et de gêne. Je m'installe de nouveau sur le fauteuil face à l'ordinateur, mes doigts frôlant le clavier.
— Bon ! Ce n'est pas tout, mais on perd du temps !
— Oh, attention, la "femme faible" a gagné un milligramme de bagou, se moque Rahoul en me donnant une nouvelle tape sur l'épaule.
— Vraiment, là, j'en ai assez d'attendre. S'il vous plaît, dites-moi ce que j'ai à faire.
Le plus proche de moi, un sourire en coin, s'approche pour m'expliquer :
— Je suis hyper doué en technologie avancée. J'ai développé un moyen de pirater des objets à distance.
— Impressionnant ! m'exclamé-je, fascinée malgré moi.
Et ainsi, le plan commence à se dessiner.
Une fois que nos camarades sont partis, parés de talkie-walkie et d'armes soigneusement dissimulées, Rahoul se met immédiatement à pianoter sur plusieurs claviers, roulant d'un poste à l'autre sur sa chaise. Ses doigts s'agitent avec une dextérité impressionnante, changeant d'écran, piratant des accès, vérifiant des données en temps réel. L'intensité qui se lit sur son visage en dit long sur la difficulté de la tâche, mais il semble parfaitement dans son élément.
Pendant qu'il prépare tout, moi, je m'occupe d'établir le lien audio et de surveiller les nombreux appareils déjà connectés aux milliers de caméras de surveillance disséminées à travers la ville. C'est un travail qui demande une concentration extrême : le moindre faux mouvement pourrait alerter les professeurs de notre intrusion illicite ou pire, donner notre position à l'ennemi. Je fronce les sourcils, captivée par les écrans où défilent en continu les images granuleuses des rues désertes.
Je suis accrochée aux écrans, mes yeux ne quittant pas les flux de caméras. Les silhouettes qui se déplacent dans l'obscurité sont floues, mais je sais que ce sont mes coéquipiers. Je n'arrive pas à me débarrasser de l'angoisse qui me ronge l'estomac. La ville est encore plongée dans l'ombre, mais je sais que le jour se lève lentement. Il nous faut finir avant que les habitants ne commencent à circuler. Tout peut basculer en un instant, et je redoute de voir un visage innocent croiser leurs chemins.
Mon doigt tremble légèrement sur le clavier, mais je me force à garder mon calme. D'un coup, j'entends une respiration saccadée dans mes écouteurs, suivie de la voix de Jonas, faible mais déterminée.
« C'est trop calme... »
Je fronce les sourcils. Il a raison. Pas un bruit, pas un mouvement à part les leurs. C'est trop suspect. Pourtant, ils doivent continuer.
Soudain, une alerte apparaît sur l'écran. Une silhouette armée et vêtue d'un uniforme de combat, entre dans le champ d'une des caméras. Un mercenaire. Il est seul, mais cela ne veut rien dire. Il peut appeler ses alliés à tout moment.
Je souffle. Merde.
— Jonas, Jaylan, Konan, attention, un potentiel ennemi vient de passer à côté de vous. Restez discrets. Ne faites aucun bruit.
Je n'entends aucune réponse immédiate. Ils sont dans la merde, et je le sais. Je reviens à l'écran. L'homme avance, lentement, comme s'il savait déjà qu'il y avait quelque chose de suspect dans l'air. Sa posture est celle d'un prédateur, et mes mains se crispent sur le bord du bureau. Je déteste ça. Je déteste devoir leur dire d'agir.
Je ferme les yeux un instant, tentant d'éviter l'image du mercenaire armé jusqu'aux dents, de la violence qui s'en suivra. Je suis contre tout ça. Mais ce n'est pas le moment de douter. Je suis coincée, et eux aussi. Si nous n'agissons pas vite, la mission échouera et nous serons sûrement éliminés.
— Jonas, Jaylan, Konan, neutralisez-le avant qu'il ne vous repère, murmuré-je. Soyez rapides.
Les secondes s'étirent comme des heures, et je suis là, paralysée par l'angoisse. Si quelque chose tourne mal, si l'un d'eux se fait tuer...
Le bruit d'un coup de feu me sort de mes pensées. Puis un autre. Les soldats tombent, un à un, dans un silence brutal, seulement brisé par le cri d'un d'eux.
Je détourne le regard de l'écran. Ce n'est pas ce que je veux. Ce n'est pas ce que j'imaginais. Mais ils sont bons, trop bons.
— Ils sont tous éliminés. Mais il y en a d'autres sur votre route, les informé-je. Faites vite.
Je prends une profonde inspiration, mes doigts pianotant frénétiquement sur le clavier. Un autre groupe de mercenaires se déploie près du bunker, et leur présence est bien plus menaçante. Leurs visages sont masqués, mais je les vois déjà, armés, se déplaçant comme des machines à tuer. Ces types-là n'hésitent pas. S'ils croisent mes coéquipiers, ils ne feront aucune différence. Et je sais qu'ils en croiseront sûrement un.
D'un coup, les lumières du complexe s'allument en un éclair, et je vois sur l'écran que la zone est désormais complètement surveillée. Merde, ils ont dû activer les systèmes de sécurité.
Rahoul continu ses manipulations pour tenter de régler le problème tandis que je poursuis mes obesrvations minutieuses.
Le tunnel, est leur unique chance. Si ils venlent que ça fonctionne, il faut qu'ils y arrivent avant que les renforts ne les bloquent.
— Alez vers le tunnel. Vous avez une minute avant que les renforts arrivent.
Mais alors que j'ordonne ça, je vois un autre groupe de mercenaires surgir d'un recoin. Ils ont dû recevoir une alerte. Leurs armes brillent sous la lumière des réverbères, et je sens mon cœur battre plus vite. Je serre les poings, me forçant à ne pas les serrer trop fort.
— Dépêchez-vous ! Ils arrivent, ils arrivent !
Un cri déchire l'air, et je vois sur l'écran l'un des soldats tomber, fauché par une balle. Jonas est déjà en position, mais il est loin d'être seul. D'autres arrivent, leur nombre croissant à chaque seconde. Je ne peux plus rien faire. Je les ai avertis. Il faut qu'ils tiennent.
Le chaos éclate. Les balles sifflent dans l'air. Je ferme les yeux un instant, écoutant les bruits de la fusillade dans mon oreillette. Ça me brûle la gorge. Je déteste entendre ça. Mais je n'ai pas le choix. Je dois leur donner la chance de s'en sortir.
— Jaylan, Konan, changez de direction. Visez le flanc sud. Vous devrez contourner les mercenaires et vous faufiler, s'écrie Rahoul.
Je les entends grogner dans leurs casques, le bruit des corps qui tombent au sol. Je vois l'écran s'illuminer de flashes, les silhouettes de mes coéquipiers disparaissant dans l'ombre. Ils sont rapides. Précis. Mais à chaque mercenaire éliminé, un autre surgit. Ça n'arrête jamais.
Les minutes passent comme des secondes. Je n'arrive pas à respirer normalement. Mon cœur cogne contre ma poitrine. L'un des ennemis arrive à l'endroit où ils se cachent. Je suis sur le point de les perdre. Tout est sur le point de basculer.
Soudain, la voix de Jonas résonne dans mon oreillette, haletante, presque désespérée.
— April, on est encerclés. On n'a plus que quelques secondes avant de se faire piéger...
Mon sang se glace. Je sens la panique monter, mais je me reprends rapidement. Je ne peux pas céder à la panique maintenant. Le tunnel est à portée de main. Ils sont presque là.
— Ne lâchez rien, c'est maintenant ou jamais. Vous êtes proches !
Les tirs continuent de fuser. Les chiens du gouvernements sont partout. Les murs, les fenêtres, tout est leur terrain de jeu. Mes mains sont couvertes de sueur, mais je ne peux pas les laisser tomber. Pas maintenant. Une dernière ligne droite, et ils y seront.
Et là, je vois la porte du tunnel s'ouvrir sur l'écran. Ils y sont presque. Une dernière étape. Mais les mercenaires sont de plus en plus nombreux. C'est une question de secondes maintenant.
Je serre les dents, les oreilles vibrantes du bruit des balles et des explosions. Les images défilent si vite que je n'arrive presque plus à suivre. Mon corps est tendu comme une corde. Mais je sais une chose : si ce n'est pas aujourd'hui, ce sera un autre jour. Mais ce n'est pas le moment de flancher. Il faut qu'ils réussissent.
Ils ne peuvent pas échouer.
Pourtant, au moment où les assaillants semblent tous les encercler, prêts à en finir avec eux, un silence étrange s'installe. Mes yeux fixent les écrans, mon cœur battant à toute vitesse. J'espère, mais je n'y crois pas. Je me demande ce qui peut bien les sauver maintenant. C'est comme si le temps s'était figé.
Au lieu de recevoir des balles dans les bras et les jambes pour les stopper, tous les mercenaires se figent d'un seul mouvement, comme si un signal invisible venait de les paralysers. Puis, contre toute attente, dans un geste collectif, tous baissent leurs armes. Leurs regards se baissent également, et dans un mouvement presque synchronisé, ils s'inclinent devant les trois jeunes hommes, qui n'ont pas l'air de comprendre ce qui se passe. Leur posture est hésitante, mais le geste est net : une soumission qui semble venue de nulle part. La tension qui m'étouffe me fait presque vaciller. Pourquoi ? Que se passe-t-il ?
Mes doigts glissent nerveusement sur le clavier, cherchant à comprendre ce qui vient de se produire. Un frisson de doute me parcourt la colonne vertébrale. C'est trop étrange, trop soudain. Ce n'est pas possible, pas après tout ce qu'ils ont traversé.
Mes yeux s'écarquillent quand je remarque quelque chose d'encore plus déroutant. Les soldats ennemis, toujours en position d'inclination, ne bougent plus. Pas un son ne parvient à mes oreilles, ni le bruit d'une respiration haletante, ni même un mouvement de leur part. Ils sont figés. Une scène irréelle.
Je veux les appeler, leur demander ce qui se passe, mais ma voix reste coincée dans ma gorge. Mes trois camarades, eux, ne bougent pas non plus, comme frappés par la même stupeur que moi. Ils échangent des regards incrédules, ne sachant plus si ce qu'ils voient est réel ou si la fatigue et le stress leur jouent des tours. Une tension palpable se crée dans l'air. Mais soudainement, comme un coup de tonnerre, tout bascule.
Les lignes de communication se coupent brutalement, comme si une force invisible venait de les déconnecter, d'un seul coup. Les écrans qui affichaient encore les images de leurs positions se transforment en un écran noir. Mon cœur rate un battement. Plus de son, plus d'image. La pièce se plonge dans un silence assourdissant, et je reste là, figée devant mon poste de travail, incapable de bouger, écoutant l'autre se mettre à jurer d'une voix grondante.
Un malaise s'installe en moi, une sensation de vide.
Quelque chose ne va pas. Rahoul tape frénétiquement sur les touches du clavier, tentant désespérément de rétablir la connexion, mais c'est comme si quelqu'un avait coupé toute communication d'un simple geste, comme si nous n'étions plus les bienvenus dans cette situation.
Une pensée m'effleure alors. Et si quelqu'un, de l'autre côté, savait que nous les observions ? L'idée me hante, mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir davantage.
Le silence règne. Je n'entends plus rien dans mes écouteurs, aucun bruit de communication, rien. Juste le bourdonnement de mon propre souffle dans l'air épais. Un vertige me prend. On ne peut pas leur venir en aide...
Le prétorien 3 regarde une énième fois les écrans, impuissant, alors que ses doigts frénétiques cherchent une réponse, mais il reste obstinément noir. Le froid me gagne, et je sens une pression dans ma poitrine. Si tout se coupe maintenant, si nous avons perdu le contact, si c'était une diversion, alors ils sont peut-être déjà tombés dans un piège bien plus grand.
Le doute s'insinue dans mon esprit. Peut-être que nous n'avons jamais contrôlé la situation. Et peut-être qu'il est déjà trop tard.
C'était un piège de l'Académie... On ne recevra jamais de Jokdaris... Jamais...
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