Chapitre 6
Malcolm
Prêt pour une nouvelle année à Hollowspire Academy ? Non, pas le moins du monde, mais ce n'est pas comme si j'avais le choix. Je n'ai jamais le choix. Personne ne l'a de toute manière. On m'a appris à accepter ma place, à marcher sur le fil du rasoir sans jamais me laisser tomber. La liberté, ce n'est pas pour nous, les élèves de Hollowspire. Tout est calculé, tout est ordonné. L'idée de tout quitter me trotte dans la tête depuis un moment, mais je sais que je dois encore patienter, encore jouer le jeu. Une année de plus... Ça devrait bien se passer tant que tout reste tel qu'il est depuis maintenant dix ans.
Une année. Un dernier tour de piste avant que je puisse enfin souffler.
Si seulement je pouvais en être sûr.
J'attrape mon sac à dos d'un bras, son poids m'alourdissant déjà, puis je quitte le manoir d'un pas précipité, comme si je pouvais échapper à l'atmosphère oppressante qui semble toujours m'enserrer ici. La voiture m'attend déjà au bout du chemin, prête à m'emmener vers l'endroit que je connais si bien et que je déteste tout autant.
Chaque année, c'est la même chose. Loin des murs dorés de ma maison qui ne m'a jamais offert de véritable chaleur, je me précipite vers cette voiture, l'unique moyen de m'échapper, même pour un court instant, de tout ce qui me retient. Je ne suis qu'un pion, une simple pièce dans un jeu dont je ne maîtrise pas les règles.
Il ne me reste que cette année. Plus qu'une et je pars. Une seule année à survivre à ce système. Je n'ai plus qu'à tenir, à ne pas craquer. La routine. Tout ce que j'ai à faire, c'est suivre le courant, comme toujours, comme depuis le début. Tant que rien ne change, je serai tranquille.
- Bien le bonjour, Monsieur, me salue Salim, le conducteur, dans un rictus chaleureux que je ne lui rends pas.
Je ne vois pas l'intérêt de sourire, de faire semblant que tout va bien. Sa gentillesse me semble toujours dérangeante car il sait tout ce qui se passe ici, tout ce que nous subissons et reste le seul à participer de son propre chef sans éprouver le moindre désir de fuir.
Dans tous les cas il serait retrouvé et tué.
- Comme d'hab, tu me déposes à trois kilomètres d'Evergleen, réponds-je sans la moindre émotion.
Il hoche la tête en m'ouvrant la portière, sans dire un mot de plus. Il sait que je n'ai aucune envie de discuter avec lui.
Je m'assois dans la voiture, jetant un dernier coup d'œil au manoir derrière moi. Le vent souffle doucement, comme pour effacer mes dernières hésitations, mes dernières pensées. Je m'installe contre la fenêtre, et, malgré la sensation de malaise qui me ronge l'estomac, je ferme les yeux, espérant peut-être quelques instants de paix avant d'arriver à destination. La route sera longue. Et, de toute façon, Hollowspire m'attend.
April
J'ai été kidnappée !
La réalité s'impose douloureusement à moi alors que je suis écrasée contre le sol dur et froid de l'habitacle. La terreur m'envahit, mes pensées se brouillent et se mélangent, mais une seule vérité perçante s'impose à moi : je ne contrôle rien. Je ne sais pas où je suis, ni pourquoi j'y suis, mais la sensation de danger est là, omniprésente, pesante. Tout se passe trop vite, tout est trop intense.
- Attache-la !
La voix grave me transperce, brute, autoritaire. Avant même que je puisse réagir, l'un des trois hommes me saisit violemment par les épaules pour me redresser, me forçant à me relever alors que mes jambes tremblent et que la douleur dans mon bras m'électrise. Comme lorsque maman est énervée, je reste paralysée, figée par la peur, et me laisse faire. Il faut que je garde mon calme. Je n'ai pas d'autre choix. Si je m'agite, je risque de leur donner une raison de me blesser davantage. Mais même si je le veux, mes mains restent inertes, mon corps se révolte, se bat contre moi.
Je sens mes bras être tirés brutalement derrière mon dos. Mon gémissement résonne, amplifié par le silence pesant qui suit. Mon corps tout entier est tendu, comme une corde prête à céder, mais la douleur dans mon poignet droit fait écho à chaque mouvement. C'est comme si tout était décuplé, chaque sensation d'agonie me rappelle la terrible réalité : je suis là, prisonnière, sans aucune échappatoire.
- Putain, mais elle a un membre cassé !
L'homme qui m'a attrapée grogne, comme si cela le dérangeait réellement. Mais dans sa voix, je sens aussi une pointe d'impatience, de frustration, comme si ma douleur était un obstacle dont il aimerait bien se débarrasser.
- Merde ! Fais chier, on ne doit pas abîmer les cargaisons !
Un autre s'énerve à son tour, une voix dure qui semble prête à éclater. Je n'ose pas bouger, je n'ose même pas respirer de peur qu'ils ne me frappent pour m'imposer encore plus de souffrances.
- On n'a qu'à se débarrasser d'elle et prendre quelqu'un d'autre, propose une voix qui me glace le sang.
Elle est calme, posée, presque détachée, mais la menace est palpable. Elle ne me voit pas comme une personne. Je suis juste une marchandise, un bien qu'on peut échanger, qu'on peut jeter.
Mon cœur s'emballe. Je sens l'air se raréfier autour de moi, mes poumons se serrent, me brûlent comme si chaque inspiration était un supplice. Mais, à mon soulagement, je vois celui qui s'est énervé secouer la tête avec un geste agacé.
- La personne a déjà payé.
La voix glacée semble maintenant plus calme, mais il y a une nuance dans ses paroles, une dureté, un côté implacable. Ce n'est pas le genre d'homme à se laisser émouvoir. Je ne suis qu'un objet, une transaction, et il a l'air de détester que cela ait à l'impacter.
- Ah...
L'autre semble déçu, mais il se tait. Ils sont comme des automates, manipulés par des ordres qu'ils suivent sans questionner. Mais ce qu'il dit après me fait frissonner d'horreur, bien plus que tout le reste.
- C'est pas grave, on va faire avec. Au moins, elle se laisse faire.
Sa voix est presque rassurante, mais d'une manière inquiétante. La facilité avec laquelle il parle de moi, la nonchalance avec laquelle il m'évalue comme une simple pièce du puzzle, me glace. Ils ne me considèrent même pas comme une personne.
Tout devient flou. Mon esprit s'échappe dans un tourbillon de terreur et de confusion. Mes pensées s'entrechoquent, incapables de s'assembler correctement. Est-ce que Christale va bien ? Est-ce qu'elle a pu échapper à cette horreur ? Est-ce que la vieille dame a réussi à la protéger ? Et maman... Est-ce qu'elle sait ce qui m'arrive ? Est-ce qu'elle sait que je suis là, à la merci de ces hommes, sans aucun moyen de m'échapper ? Est-ce qu'elle va bien ?
Chaque seconde semble s'étirer, me laissant dans une attente insupportable, où chaque pensée me fait plus de mal qu'elle ne m'apporte de réponses.
- Tu es bien calme...
La voix brise le chaos dans ma tête, nette et imposante. L'un des hommes me fixe. Il retire sa cagoule lentement, me dévoilant un visage jeune, mais marqué par une dureté que je n'arrive pas à identifier. Un brun aux yeux bleus. Ses traits sont décidés, son regard perçant.
- Et diablement belle...
À cet instant, je sens une vague de dégoût m'envahir. Il y a quelque chose dans sa voix, une lueur perverse qui traverse ses yeux et me glace le sang. Mon cœur rate un battement, et une peur sourde se fait plus vive dans ma poitrine. Je suis plus que jamais consciente de la situation dans laquelle je me trouve. Ce n'est plus juste un enlèvement, c'est bien pire. Je suis à leur merci, et tout en moi me crie que je suis dans un danger bien plus grand que je n'aurais jamais imaginé.
- Calme-toi, Riorson ! On n'est pas là pour ça !
Un autre homme intervient, sa voix grave et autoritaire, et je peux sentir la tension s'accumuler dans l'air. Le regard de l'homme nommé Riorson reste fixé sur moi, mais il finit par détourner les yeux, l'agacement sur son visage se mêlant à une étrange frustration.
- Mais regardez-là !
Il parle comme si je n'étais qu'un objet, une chose à observer, à juger. Je veux me révolter, leur crier que je ne suis pas un jouet, mais je suis paralysée, comme si mes mots restaient coincés dans ma gorge.
- Oublie pas que c'est une gamine.
La voix de l'homme à la voix grave, celle qui m'a parlé plus tôt, se fait plus calme, mais il y a une forme de fermeté dans ses mots. Je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe dans leurs têtes, mais je suis la cible d'un tir croisé de regards, et je comprends soudainement que je suis bien plus vulnérable que je ne l'aurais imaginé.
- On en a déjà baisé des biens plus jeunes. Et puis elle a déjà la majorité sexuelle !
Le simple fait de les entendre parler de cette manière à propos de moi me donne la nausée. Leurs mots sont comme des poignards invisibles qui me transpercent. Je veux hurler, me débattre, mais je suis clouée à ce siège, accablée par la terreur.
- Non, on la livre et c'est tout !
La voix grave semble vouloir clore la discussion, mais Riorson n'a pas l'air d'accord.
- Pff, c'est pas juste !
Je ne comprends même pas de quoi il parle, mais sa révolte me terrifie. Qu'est-ce qu'ils veulent de moi exactement ? Pourquoi suis-je là ? Je suis juste une adolescente, une gamine... Mais dans leurs yeux, je ne vois aucune pitié.
Une poigne ferme se pose sur mon épaule, me forçant à m'asseoir. Je n'ai même pas la force de protester, je me laisse faire, comme un animal docile, un jouet entre leurs mains. Mon corps reste pétrifié, et tout ce que je veux, c'est qu'ils me laissent respirer, qu'ils me laissent me défendre.
- C'est quoi ton petit nom ? J'espère qu'on s'est pas trompé. Tu es bien une petite Collins ?
La voix me sort de mes pensées, et je lève les yeux vers celui qui parle, Riorson. Son regard scrute mes traits, à la recherche d'une réponse. Je suis trop choquée pour réagir immédiatement, mais mes lèvres tremblent. Comment savent-ils ? Qu'est-ce qu'ils savent de moi ?
- Sérieusement, tu en vois souvent une paire de jumelles blondes aux yeux bleus quitter les cours à midi et demi pour rentrer chez elle sur un coup de frayeur ?
La voix grave résonne de nouveau, et l'interrogation dans ses mots me fait frissonner. Comment savent-ils cela ? Comment connaissent-ils ces détails ? Chaque seconde qui passe me fait sentir de plus en plus vulnérable, comme une souris dans un piège.
Je cligne des yeux, essayant de rassembler mes pensées, de comprendre ce qui m'arrive, mais tout devient flou à nouveau. Mon souffle se coupe.
- C-... ?
J'ai à peine prononcé ces deux syllabes, mais tous les regards se tournent dans ma direction. Je sens leur attention se poser sur moi, lourde, implacable. Un frisson de terreur me traverse l'échine.
- Inutile de te poser des questions, ça ne sert à rien. Alors comment tu t'appelles ?
Je suis prise dans leur regard. Les larmes roulent sur mes joues sans que je puisse les arrêter. Chaque goutte qui tombe est un autre fardeau. Je voudrais leur crier d'aller se faire voir, que je n'ai aucune réponse à leurs donner. Mais la terreur m'en empêche.
- Répond !
La voix du brun se fait plus menaçante, et je vois bien que leur patience s'épuise. Leur pression sur moi se renforce, et je suis au bord de la rupture. Je veux savoir pourquoi ils sont là, pourquoi moi, pourquoi tout cela. Mais je suis trop faible pour obtenir des réponses.
Je vois un des hommes attraper mon oreille et la pincer violemment. Je me tords de douleur, un gémissement s'échappant de mes lèvres.
- Alors ?
Je sens une chaleur monter en moi, une rage sourde. Je serre les dents, mais une voix brisée s'échappe malgré tout.
- Pourquoi nous ?
C'est tout ce que je parviens à dire avant que ma gorge ne se serre à nouveau, comme si mes mots s'étaient empoisonnés.
- Il n'y a que toi pour le coup.
Un soupir de soulagement s'échappe de ma gorge, presque incontrôlable. Christale a pu échapper à cela. Mais mon soulagement est de courte durée.
- Mais on a un mot à faire et d'autres vont chercher ta sœur d'amour.
Le froid m'envahit de nouveau. Mon cœur rate un battement. Non, il ne faut pas... je ne veux pas...
- Du coup, c'est quoi ton prénom ?
Ils veulent connaître mon nom. Pour mieux me marquer, mieux me contrôler.
- April.
Le mot quitte mes lèvres dans un souffle tremblant, et je sens immédiatement que rien ne sera jamais plus pareil.
- Merde ! J'avais parié que c'était Christale !
La voix éclate dans l'espace clos de la camionnette, pleine de frustration. L'homme qui parle semble déçu, mais il se reprend rapidement, ses gestes brusques et impétueux trahissant son irritation. Il attrape quelques billets dans sa poche, les comptant avec hâte avant de les distribuer à deux autres hommes, toujours cagoulés. L'échange est rapide, froid, sans aucun égard pour moi.
- Laissez-moi rentrer chez moi...
Je parle d'une voix faible, presque suppliante. Les mots m'échappent, chargés de désespoir. J'ai l'impression que ma voix se perd dans un vide insondable, noyée par le bruit de la camionnette qui roule à toute allure. Tout ce que je veux, c'est retrouver la sécurité de chez moi, sentir la chaleur rassurante de mon lit, entendre la voix de ma sœur me dire que tout va bien. Mais je sais que ces pensées sont futiles, que ces espoirs sont des mirages qui se dissipent dès que j'essaie de m'y accrocher.
- Non non non. Ne t'inquiète pas, tu vas bientôt sortir de la camionnette, on va arriver au local.
L'un des hommes répond d'une voix détachée, comme si ma peur ne l'atteignait pas. Il parle de "local", un terme vague qui résonne dans ma tête comme une sentence. Où suis-je en train de me rendre ? Qu'est-ce qui m'attend là-bas ? Les réponses à ces questions me terrifient plus que tout.
Je murmure encore, espérant qu'un miracle se produise, espérant que l'un d'eux éprouve un peu de compassion, que l'un d'eux se ravise et me laisse partir. Mais mes paroles sont des murmures de défaite, des cris silencieux jetés dans l'abîme. Je sais que je ne suis qu'un fardeau pour eux, une marchandise. Je n'ai aucune chance de m'en sortir indemne.
- Boucle là, sale gosse !
La voix de l'homme qui parle se fait plus dure, plus impitoyable. Et sans un avertissement, un poing s'écrase violemment contre mon visage. La douleur me prend par surprise, tout me devient flou pendant un instant. Je pousse un cri perçant, mais il se perd dans l'air lourd de la camionnette alors que je tombe à nouveau. Mon corps heurte le sol, et la douleur qui en découle me foudroie. La bouche pâteuse, je tente de me redresser, mais je n'y arrive pas, mes membres sont trop faibles, trop paralysés par la peur et la douleur.
- Abruti ! Il faut pas gâcher son beau visage ! Le but c'est de la vendre ! Ils n'achètent pas les gens déjà marqués !
La voix grave résonne, pleine d'agacement. Elle m'assène des vérités brutales que je refuse d'accepter. Vendre ? De quoi parlent-ils ? Mon esprit s'embrume, la réalité se fait plus insupportable à chaque mot qu'ils prononcent. Je suis un objet à leurs yeux, rien de plus, et tout ce qu'ils veulent, c'est me rendre "présentable" pour quelqu'un d'autre. Mon cœur se serre à cette pensée.
- Droguez-la ! C'est mieux si elle dort jusqu'à ce qu'on arrive.
Le ton de l'homme est décidément plus calme, comme s'il ne faisait que donner un ordre ordinaire. Mais ces mots me frappent comme une gifle. Droguer... ? Ils veulent me rendre inconsciente pour ne pas avoir à m'entendre pleurer, pour ne pas avoir à supporter mes supplications. C'est une idée qui me fait suffoquer. Ils veulent me voler ma conscience, me voler mes pensées, m'éteindre lentement.
À ce moment-là, mes instincts de survie se réveillent. Je commence à bouger, du mieux que je le peux, malgré les liens qui me serrent les poignets et mes chevilles. Mais mes efforts sont vains. Mes mouvements sont lents, mes muscles engourdis par la terreur. Je lutte, mais c'est comme si je me battais contre l'invisible. Rien ne sert.
Et puis, en une fraction de seconde, un morceau de tissu imbibé d'un liquide étrange est pressé contre ma bouche et mon nez. L'odeur est âcre, pénétrante, et je sens mes pensées se dissiper, se faire de plus en plus floues. Mon esprit lutte un instant contre cette brume qui s'installe. Je tente de respirer, de crier, mais tout devient plus sombre, plus distant. Je sens mon corps se relâcher, m'échapper.
Je n'ai même pas le temps de réaliser que le noir m'engloutit totalement. Tout devient vide. La douleur, les voix, l'angoisse... tout disparaît dans un abîme noir. Et je sombre.
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