Chapitre 58
April
Il ne nous aura fallu que quelques tirs çà et là pour prendre le dessus sur nos assaillants. Et par « nous », je veux bien sûr dire eux, car moi, tout ce que j'ai fait, c'est rester plantée là, devant l'entrée, les jambes flageolantes et les larmes coulant sur mes joues. Toute cette situation est diablement terrifiante. À quel moment une école peut-elle organiser un tel type d'examen ? À quel moment des adolescents à peine sortis du lycée ou l'équivalent des étudiants en licence se retrouvent-ils à tirer sur des gens dans un cadre parfaitement légal ? C'est insensé. Complètement démesuré. Et pourtant, c'est leur réalité. Une réalité brutale, cruelle, où l'on ne fait aucun cadeau. Une réalité dans laquelle ils essaient désespérément de me faire entrer, de gré ou de force.
Peut-être est-ce dans leur intérêt. Peut-être veulent-ils éviter d'être éliminés par ma faute, s'ils ne respectent pas les règles absurdes de cette mascarade. Pour tenter de me rendre utile, ils m'ont demandé de jouer les appâts. Une idée qui, à mon sens, frôle la barbarie. Ils m'ont installée sur une chaise, là, en plein milieu, à chouiner comme une pauvre âme en peine. Ils espéraient que cette mise en scène ridicule attirerait les assaillants, qu'ils croiraient que mes camarades m'avaient abandonnée pour suivre une fausse piste. Et ça a fonctionné. Pendant quelques secondes, une arme a été pointée droit sur moi. Mon cœur s'est arrêté. Mais, dans un élan inattendu, ils ont eu pitié. Peut-être ont-ils vu une jeune fille brisée, une adolescente obligée de côtoyer ceux-là mêmes qui, autrefois, avaient essayé de la tuer. Que c'est triste, auraient-ils pu penser.
Pile à ce moment-là, mes camarades ont jailli de leurs cachettes et les tirs ont fusé. La cacophonie de la violence m'a engloutie. Je suis restée figée, incapable de faire quoi que ce soit. Les larmes ont redoublé, brouillant ma vue. Voir ces hommes gémir, hurler de douleur, ou de rage, c'était insupportable. On pourrait me faire subir mille souffrances, mais entendre la détresse d'autrui m'est plus intolérable encore. Et pourtant, dans ces instants, je ne peux qu'être tétanisée, incapable de réfléchir, incapable d'agir dignement.
— Bon, voilà qui est bien, sourit Jonas.
Son expression malsaine est de retour, illuminant son visage clair d'une lueur dérangeante.
Devant lui, nos ennemis, quatre hommes, nous dévisagent. Leurs regards, pleins de haine, transpercent nos maigres défenses, même alors qu'ils sont solidement ligotés sur des chaises. Je devine ce qu'ils pensent : pour eux, mes camarades ne sont que des amateurs. Quant à moi, je ne suis qu'un accessoire, une décoration inutile, un poids mort qui pourrait être brisé d'un simple geste. Pourtant, un sentiment étrange me ronge. Une intuition sourde me dit qu'ils pourraient encore prendre le dessus.
— Vous m'avez l'air trop sûrs de vous, lance Rahoul d'un ton moqueur.
D'un geste vif, il dégaine son arme. Attachée à la ceinture de son uniforme d'examen, elle semble étrangement à sa place. Rahoul l'a revêtu avant tout le monde, comme s'il savait déjà ce qui allait se passer. Il tire sans attendre, atteignant la cuisse de l'un des hommes. Celui-ci ne laisse échapper qu'une grimace. Je pousse un cri à sa place, horrifiée, et fixe Rahoul avec incrédulité.
— Mais t'es malade ?!
— Non, je suis réaliste ! Ces trouducs ne vont rien nous répondre avec leurs airs d'ennuyés ! Il faut leur montrer qu'on ne plaisante pas !
— Je ne comprends pas votre façon de penser ! Pourquoi tant de violence ? Pourquoi toujours choisir le mal plutôt que d'essayer de discuter ?
Rahoul éclate de rire, un rire cruel, qui résonne comme un couperet dans cette ambiance déjà suffocante.
— Parce que discuter ne sert à rien ! T'es vraiment stupide ma parole !
Sa voix rauque s'élève, acide, tranchante. Je me tourne alors vers Jaylan, espérant un peu de soutien, mais il se contente d'un hochement de tête avant de lâcher calmement :
— Il a raison, April. Tu devrais t'éloigner et nous laisser faire. On gère.
Je baisse les yeux, résignée. Toute cette situation me dépasse. D'un pas hésitant, je m'éloigne, laissant mes camarades régler cette affaire comme ils l'entendent. Ce n'est pas ma guerre, me dis-je.
— Je vais commencer à voir ce qu'on peut faire avec cette clé USB et vérifier ce que les autres ont trouvé.
Mon ami blond aux yeux clairs acquiesce, et mes camarades posent leurs trouvailles sur une table un peu plus loin. Pendant ce temps, les cris, les ordres, et l'odeur métallique du sang continuent de tourbillonner autour de moi.
Face à moi, un relevé bancaire en plusieurs morceaux ainsi qu'un petit carton d'invitation. Fronçant les sourcils, je rassemble les morceaux du mieux que je peux, puis saisis la carte et lis les quelques lignes inscrites d'une écriture élégante, presque trop parfaite :
« Mon très cher Hugue, ici Clayton, comment vas-tu ? Moi, ça va très bien. J'aimerais t'inviter à dîner au Palace demain soir. Et tu ne peux pas décliner mon invitation ! Je te dois bien ça ! »
Je relis plusieurs fois ces mots, les tournant et retournant dans ma tête. Quelque chose ne va pas. Depuis quand une invitation à dîner se retrouve-t-elle cachée dans un endroit secret ? C'est absurde. Ce n'est pas juste une invitation, c'est un message codé, une sorte d'énigme qui attend d'être déchiffrée.
Et ce relevé bancaire... Pourquoi diable un relevé de toutes les transactions d'une personne serait-il caché au même endroit ? À moins que...
Je sens une vibration d'excitation mêlée d'angoisse remonter le long de ma colonne vertébrale. L'instinct me souffle que cette trouvaille pourrait être la clé d'une révélation capitale.
Boitillante, je me tourne vers Jonas, qui observe toujours nos prisonniers avec ce sourire malsain qui me met mal à l'aise.
— Tu connais un endroit où on pourrait trouver un ordinateur ?
Il hoche la tête, sans me quitter des yeux.
— À l'Académie, il y a une salle d'informatique, mais il faut être sûrs que ce ne soit pas un détour inutile.
Je resserre mes doigts sur la carte et le relevé, et lève le menton avec détermination.
— Non. Cette fois, je suis sûre de moi.
Jonas m'observe un instant, puis acquiesce, comme s'il acceptait enfin que je puisse prendre une décision. Derrière nous, nos camarades s'acharnent toujours à essayer de faire parler les quatre mercenaires capturés.
Je me décale légèrement et me place au centre du cercle, levant la main où brille la petite clé que j'ai trouvée accidentellement.
— Est-ce que ça vous dit quelque chose ?
Le silence se fait. Une ombre passe sur les visages des prisonniers. Je plisse les yeux. Bingo.
— Hein... Donc vous savez quelque chose ? Que peut-elle bien contenir ?
Je scrute chacun d'eux, attentive au moindre tic nerveux.
L'un des hommes soupire profondément et tourne la tête vers ses comparses.
— Ce n'était pas prévu, ça... On fait quoi ?
— Pour le moment, vous n'allez rien faire puisque vous êtes attachés et blessés ! s'écrie Konan, moqueur.
Mais l'un des hommes – un grand chauve au regard perçant – laisse échapper un petit sourire amusé. En une fraction de seconde, il se détache, et avant même que je puisse réagir, son bras se referme autour de ma gorge, une lame pressée contre ma peau.
Je me fige.
— Oh, tu peux la tuer, tout le monde s'en bat les couilles d'elle, lâche Rahoul, totalement indifférent.
— Il ne ment pas, murmuré-je avec une pointe d'ironie amère.
— De toute manière, pour le coup, on n'a pas le droit de vous tuer, ajoute un autre mercenaire, d'un ton presque désinvolte.
— Mais nous si, alors ne faites pas de conneries, soupire Jonas en avançant.
— On peut discuter, finalement. Parce que cette situation est tellement improbable, lâche soudain mon ravisseur en me relâchant aussi facilement qu'il m'a capturée.
Je recule immédiatement, troublée. Pourquoi sont-ils aussi calmes alors qu'ils viennent de se faire capturer et tirer dessus ?
Je m'installe sur une chaise libre, alors que les deux groupes se rassemblent.
— Pourriez-vous nous expliquer ?
Konan est clairement exaspéré. Il n'aime pas ça. Je crois qu'il a aussi la rage de voir que, encore une fois, j'avais raison : il n'est pas toujours nécessaire d'user de violence.
L'un des mercenaires – celui qui s'était détaché juste après le chauve – croise les bras et nous observe un instant avant de lâcher :
— Eh bien, c'est très simple. Vous avez trouvé le dernier indice qui vous permettra de localiser votre cible.
Mon cœur loupe un battement.
— Cinq jours d'examen réduits à néant parce que vous avez mieux fouiné que tout le monde, continue-t-il avec un sourire en coin.
— En fait, April est tombée et a trouvé la cachette par hasard, rigole Jaylan.
Un rire nerveux m'échappe. Ce n'est pas faux.
— Normalement, on est censés vous mettre hors d'état de nuire, mais disons qu'à la base, nous n'étions pas censés vous retrouver tout de suite...
— Et pourquoi ça ?
Le mercenaire hausse les épaules.
— Votre prof référent a balancé votre cachette.
— Sympa ! lâche Jonas, un sourire mauvais aux lèvres.
— Du coup, il va falloir que vous nous mettiez KO.
Je fronce les sourcils.
— Pardon ?
— En dessous, on a des gilets pare-balles sur tout le corps, c'est pour ça que vos assauts ne nous ont pas blessés. Mais il faut une explication au fait qu'on n'a pas réussi à vous éliminer de l'examen.
Je cligne des yeux.
— Donc... vous voulez qu'on vous frappe jusqu'à ce que vous soyez inconscients ?
— Exactement, répond le chauve avec un sourire.
Je jette un regard à mes coéquipiers. Rahoul et Jonas échangent un regard amusé, Jaylan éclate de rire, Konan soupire profondément, visiblement agacé.
Mais moi, une étrange sensation de soulagement me traverse.
— Je dois bien avouer que finalement, je suis content que tu aies été mise dans notre équipe, concède Konan avec un sourire satisfait, suivi d'un clin d'œil.
Ses mots me surprennent. Il y a une sincérité inattendue dans son regard. Je sens le rouge me monter aux joues, et mon cœur se réchauffe.
Le chauve s'approche alors et pose une main lourde sur mon épaule.
— Vous devriez l'écouter un peu plus. Cette fille est pure et futée. Elle n'a rien à faire dans ce milieu.
Je lève les yeux vers lui. Son regard est grave, sérieux.
— Il faut protéger l'âme des gens comme toi. Si tu en as l'occasion, pars. Partage ta pureté avec le monde.
Je reste figée.
Derrière moi, Jonas et Rahoul éclatent de rire, mais cette fois, ce sont des rires bienveillants.
— Et maintenant, allez arracher votre victoire !
Je prends une profonde inspiration et me dirige vers la sortie de la pièce secrète. Une nouvelle énergie brûle en moi.
On se croirait dans les Bisounours.
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