Chapitre 57

April

— Dis-nous ce qu'on doit faire, au pire, propose le dénommé Rahoul en me fixant avec une attention à peine dissimulée.

Je sursaute en entendant cette demande surprenante. Donner mon avis une fois, puis suivre le tas, ok, mais diriger... non. Je n'ai jamais été la leader, je ne suis pas faite pour cela. Je n'ai jamais été celle qu'on écoute, celle qui dicte les règles. Je ne suis pas faite pour être le centre de l'attention, à moins que les moqueries ne soient l'objet du rassemblement. Mon regard se perd un instant sur le sol, tentant de fuir cette responsabilité qui pèse soudainement sur mes épaules.

— Je ne sais pas trop...

— Putain, si tu veux vraiment rester ici en vie, il va falloir que tu commences à t'imposer !

Konan fait un pas brusque dans ma direction, et avant que je ne puisse réagir, son poing s'abat violemment contre ma joue. La douleur explose dans mon crâne, une onde de choc qui me fait chanceler. Un gémissement m'échappe tandis que je porte une main tremblante à mon visage, sentant déjà la chaleur d'une ecchymose naissante.

— En espérant que ça te réveille ! gronde-t-il, le regard noir.

Il se détourne, son souffle court, et va s'appuyer contre un mur, les bras croisés. Mais lorsqu'il se repose contre la surface, celle-ci s'enfonce subitement sous son poids. Pris par surprise, il bascule en arrière et tombe lourdement sur les fesses dans un bruit sourd. Pendant une seconde, le silence plane, puis un rire éclate de sa gorge. Un rire franc, rauque, presque contagieux.

— On dirait bien que la fille va devoir se bouger le cul pour préciser sa façon de voir les choses, parce que le temps passe, finit-il par dire en se redressant.

J'essuie mon visage, tentant de ravaler ma douleur et ma frustration. Toujours en appui sur mes béquilles, je me redresse lentement, cherchant à me donner un semblant de contenance. Il a raison, je dois me réveiller. Si je veux survivre ici, je dois cesser d'hésiter.

— Il faut qu'on se divise, dis-je en essayant de masquer le tremblement dans ma voix. Je pense qu'on devrait aussi surveiller nos arrières.

— Ok, ce n'est pas très précis, soupire Jonas. Il va falloir que tu sois plus claire.

Je déglutis, prenant une grande inspiration pour me donner du courage. Mon cœur bat à tout rompre, mais je ne peux pas reculer maintenant.

— Peut-être que nos ennemis ont de l'avance. Alors, je crois que certains d'entre nous devraient faire le guet discrètement pour surveiller leurs mouvements. Le prof nous a laissé comprendre qu'il nous suivrait tout du long pour nous examiner, mais il n'a pas dit qu'il ne pouvait pas nous aider. On pourrait essayer de l'impliquer.

— Du genre ? interroge Jaylan, le sourcil haussé.

— Lui demander, par exemple, de couvrir nos arrières et de surveiller les alentours. Il ne pourra pas interagir directement, mais il pourrait nous donner des indices involontaires ou nous offrir une protection indirecte.

— C'est une bonne idée, admet Jaylan en croisant les bras. Ça nous laisserait aussi l'espace pour agir selon nos instincts, chose qu'on aurait du mal à faire avec un prof constamment sur notre dos.

— Je suis d'accord, concède Konan, à mon plus grand soulagement.

— Et du coup ? Pour nous ? interroge Jonas en réorientant son attention sur moi, les yeux brillants d'attente.

Je prends une seconde pour ordonner mes pensées avant de reprendre :

— Un guetteur en attendant que le prof revienne, deux personnes qui commencent à fouiller les lieux pendant que les deux derniers jettent un coup d'œil sur son paquetage, suggérai-je.

— Deux guetteurs de remplacement, corrige Rahoul. C'est plus prudent.

Je hoche la tête, rougissante qu'on me laisse prendre des décisions. Ils m'écoutent. Ils suivent mon plan. C'est à la fois grisant et terrifiant.

— Au bout de quinze minutes, on tourne, poursuit le jeune homme aux boucles brunes en me saisissant le bras de sa seule main. Jonas, tu viens surveiller avec moi dehors.

Il me relâche presque aussitôt et suit Konan à l'extérieur sans demander son reste. Une légère tension se relâche dans mes épaules.

Puis, Jaylan me fait un signe de tête pour que nous commencions à chercher des indices dans la pièce. Je serre mes béquilles un peu plus fort, chaque mouvement amplifiant une douleur sourde dans mes bras, mais je refuse de m'arrêter. Je suis décidée à prouver que je peux avoir ma place ici, même si tout semble jouer contre moi.

Le premier endroit que nous explorons est la nouvelle pièce qui s'est ouverte sous le poids de Konan. Une fois à l'intérieur, l'air y est différent : plus oppressant, plus froid. Pourtant, à peine avons-nous franchi le seuil que la porte se referme brutalement derrière nous, dans un claquement sec. Le bruit résonne, semblable à une sentence.

Mon cœur s'emballe, battant à tout rompre contre ma poitrine. L'idée de rester coincée m'envahit, me submerge presque. Pourtant, la présence de Jaylan, son calme apparent, parvient à me rassurer un peu.

— C'est comme un escape game... Notre clé de sortie doit être cachée ici, murmuré-je, plus pour moi-même que pour lui.

Il opine sans un mot, déjà en train de fouiller avec méthode dans les meubles visibles. De mon côté, je me mets à chercher aussi, bien que mes gestes soient maladroits, entravés.

Le silence s'installe entre nous, lourd et pesant, jusqu'à ce que Jaylan le brise.

— Tu ne veux plus m'adresser la parole ? demande-t-il, sa voix résonnant dans la pièce vide, mais teintée d'une pointe d'inquiétude.

Je hausse les épaules sans répondre tout de suite, mes yeux fixant un coin sombre de la pièce.

— Pourquoi tu avais disparu ? relancé-je finalement, ma voix plus sèche que je ne l'aurais voulu.

Il soupire, visiblement mal à l'aise.

— J'étais puni.

Je me redresse brusquement, mes mains s'arrêtant sur une vieille commode pleine de poussière.

— Puni ? Pendant trois semaines ?

Il acquiesce, le regard fuyant.

— Oui. Mais c'est interdit de parler à qui que ce soit des punitions.

— Pourquoi ?

— Parce que c'est comme ça, répond-il avec un soupir, mais il finit par ajouter, d'une voix plus grave : tout ce que je peux te dire, c'est que ce n'est vraiment pas cool. Et que ça fait très mal.

Son ton suffit à me glacer le sang.

— Ce sont des pénitences corporelles ? m'écrié-je, outrée.

Il hoche la tête, mais son visage reste impassible, comme s'il avait accepté cette réalité depuis longtemps. Je détourne le regard, un mélange de colère et de tristesse m'envahissant.

Pourtant, je me force à me concentrer sur notre mission. Je reprends mes recherches, fouillant dans des piles de serviettes usées. Mais c'est plus fort que moi.

— Tu savais pour Ricardo ? lancé-je, brisant à nouveau le silence.

Jaylan s'arrête net, une expression de culpabilité traversant son visage.

— On aurait dû t'en parler bien plus tôt... murmure-t-il.

Je sens la déception monter en moi, mais je la ravale, essayant de me concentrer sur ce que je fais. Cependant, il s'approche soudain, ses mains saisissant mon visage en coupe, m'obligeant à le regarder dans les yeux.

— Laisse-moi t'expliquer, dit-il doucement.

— Vas-y, ça fera un fond sonore, soupiré-je, tentant d'imposer une distance qu'il refuse de respecter.

Il inspire profondément avant de parler.

— Il y a deux ans, Ricardo s'est fait agresser sexuellement par Nicolaï.

Je reste figée, le choc de ses paroles me coupant le souffle.

— Quoi ? Mais c'est horrible !

— Oui, et le pire, c'est qu'il n'a rien écopé. Nicolaï était le président du conseil des étudiants à l'époque, intouchable. Ricardo a été harcelé, menacé, poursuivi... Ça a duré jusqu'à la fin de l'année. Quand Nicolaï est parti, on a cru que c'était fini. Mais il l'avait averti : s'il ne travaillait pas à l'Exutoire, il reviendrait... et ça serait encore pire.

Je sens mes larmes couler malgré moi. J'essaie de les essuyer, mais mes béquilles m'échappent, et je perds l'équilibre, tombant lourdement au sol. Pourtant, cette chute inattendue me fait découvrir une irrégularité dans le plancher.

Je passe mes mains sur les contours, tâtant avec soin, et je trouve une sorte de mécanisme. En appuyant dessus, un cube étrange surgit du sol, animé par une technologie qui semble bien trop avancée pour ce lieu délabré.

— Regarde ça ! dis-je à Jaylan, qui s'accroupit près de moi.

Après quelques manipulations, il parvient à ouvrir le cube, révélant une clé USB à l'intérieur.

— Génial, ironise-t-il. On va aller très loin avec ça.

Il m'aide à me relever, et je retrouve mon équilibre avec difficulté.

— Ne te laisse pas avoir par Jonas, lance-t-il soudain, son ton grave. Il est plus manipulateur que tu ne le penses.

— Pour une fois, je veux bien te croire ! m'exclamé-je en boitant jusqu'à la porte, qui s'ouvre facilement.

Elle n'était même pas verrouillée, simplement fermée.

Nous rejoignons les autres, prêts à échanger les rôles. Jaylan part en surveillance, me laissant seule avec le paquetage que je garde précieusement.

Profitant d'un rare moment de solitude, j'ouvre un des sacs et découvre un uniforme noir, radicalement différent de celui de l'Académie. Solide, sans distinction de genre, avec des chaussures robustes qui me changent de mes mocassins.

Je me change rapidement, remettant mes attelles par-dessus le pantalon, et je continue d'explorer le contenu du sac. Il y a de la nourriture pour trois jours, un autre uniforme, un manteau, une gourde... et une arme.

Je frissonne en la prenant en main. Tuer ? Non. Je refuse.

Alors que je m'apprête à la ranger, les autres font irruption.

— On a repéré du mouvement... annonce Rahoul.

— Deux heures avant le début officiel, mon cul ! s'énerve Konan. C'était sûr qu'ils essaieraient de nous avoir. Alors, quelqu'un a une idée ?

— On les tue, chuchote Jonas.

Ma voix s'élève, presque malgré moi.

— Si on les tue, on n'aura aucune information. Il vaut mieux les prendre en otage.

— Elle a raison, approuve Rahoul. On se cache et on attaque ensemble. Sauf toi, April.

Je me fige.

— Tu serviras d'appât, déclare Konan avec un sérieux glaçant.

Je tressaille. Ils veulent vraiment ma mort mais ne sont pas décidés à me l'offrir de manière paisible.


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