Chapitre 55

April

Assise désormais dans les gradins, je tente de calmer les battements frénétiques de mon cœur tandis que l'agitation se dissipe peu à peu. Tous attendent. Puis, enfin, il apparaît. Mais pas en chair et en os. Le proviseur fait une entrée magistrale, projeté sur un écran gigantesque qui domine toute l'arène. Une mise en scène presque théâtrale. Moins intimidant en apparence, et pourtant... quelque chose dans cette apparition est bien plus inquiétant qu'une présence physique. Son regard froid et perçant, amplifié par la taille de l'écran, nous scrute comme si nous étions de simples pions sur son échiquier.

Les murmures s'éteignent lorsque des silhouettes armées font irruption sur le terrain. Une dizaine d'hommes, cagoulés, vêtus de noir, avancent d'un pas calculé, chacun d'eux tenant un fusil en bandoulière. Le silence se fait pesant, suffocant. Un frisson glacial me parcourt l'échine. Ma gorge se serre. Mon corps se souvient avant même que mon esprit ne puisse réagir. Ces hommes...

Je ferme les yeux un bref instant, mais cela ne fait qu'empirer les choses. Les souvenirs affluent, brutaux, implacables. Il y a quelques semaines à peine, j'étais de l'autre côté. J'étais une proie. Chassée, piégée comme un animal. Séquestrée, aux côtés d'autres infortunés, dans un lieu sordide. L'odeur du sang, l'écho des cris étouffés, la douleur d'un ventre affamé... tout me revient en une vague suffocante.

Mon cœur se serre plus fort lorsque je repense à cette vieille femme. Elle était si douce avec moi, malgré la faim et la peur. Une lueur d'humanité dans cet enfer. Et ce petit garçon... ce petit garçon si courageux qui est parvenu à courir un long moment en étant asthmatique. Jusqu'à ce qu'ils le saisissent. Jusqu'à ce que j'entende son cri étranglé. Jusqu'à ce que je voie ses pieds battre l'air une dernière fois avant de s'immobiliser...

Une larme brûlante se forme au coin de mon œil. Je l'ignore, je l'écrase d'un revers de main. Ce n'est pas le moment. Pas maintenant. Je dois rester impassible. Faire taire cette douleur. Car bientôt, dans quelques minutes à peine, ce sera à nous d'entrer dans le jeu. Et cette fois, je refuse d'être la proie.

La tension est palpable lorsque le silence se fait dans les gradins. Les élèves, d'ordinaire bruyants et désinvoltes, sont suspendus aux lèvres du proviseur, projeté sur l'écran géant qui surplombe l'assemblée. Son regard perçant balaie la foule à travers la caméra, et sa voix grave résonne, implacable.

— Bonsoir à tous en cette belle nuit étoilée du 18 novembre 1975. Si je vous ai réunis ici, c'est pour une raison qui vous a été présentée des plus brièvement.

Il marque une pause, laissant flotter ses mots dans l'air glacial de la nuit. Quelques murmures s'élèvent, vite réprimés par la présence oppressante des gardes armés qui veillent à maintenir l'ordre. Il reprend, sa voix tranchante comme la lame d'un couteau :

— Comme Monsieur Dumas vous l'a explicitement informé, les examens de fin de trimestre débuteront dès aujourd'hui.

Un silence pesant s'installe alors qu'il se râcle la gorge, sa posture droite et autoritaire ne laissant place à aucune contestation.

— Mais cette année est différente. Cette fois-ci, nous allons accentuer les difficultés. Comme vous le savez tous, vous avez été – à une exception près – sélectionnés selon des critères précis pour avoir l'honneur d'intégrer l'Académie Hollowspire. Notre institution n'a qu'un seul et unique objectif : former les futures générations de mercenaires impitoyables au service de notre cher et tout-puissant dictateur, ainsi que de celui qui lui succédera.

Son ton se durcit, et son regard s'assombrit légèrement.

— Malheureusement, depuis le début de mon mandat, j'ai constaté une perte de sérieux alarmante. Une faute inacceptable, que je compte bien rectifier dès aujourd'hui. Vous n'êtes pas ici pour vous amuser ni pour fanfaronner sous prétexte que votre admission a offert à vos parents un statut plus avantageux. Non, ceci n'est pas un centre de vacances où vous attendez patiemment la fin de vos études, si tant est que vous y parveniez... Car, inutile de le rappeler, les meurtres entre élèves sont fréquents.

Un ricanement amer franchit ses lèvres avant qu'il ne secoue légèrement la tête.

— Enfin bref, je ne vais pas m'attarder là-dessus au risque de perdre votre précieuse attention.

Il se racle une nouvelle fois la gorge et plante son regard froid dans la caméra, rendant l'atmosphère encore plus oppressante.

— L'épreuve que vous vous apprêtez à passer portera le nom de « la Traque ».

Un frisson parcourt lentement la salle. Cette fois, même les élèves les plus insolents se figent. D'ordinaire, ils auraient pris ces examens à la légère, mais là... Il y a quelque chose de différent. L'aura du proviseur, son intonation... Un pressentiment malsain s'installe, un mauvais pressentiment.

— Et comme je suis le premier responsable du manque de discipline de ces dernières années, j'ai décidé de participer à ce jeu.

Un murmure de stupeur traverse l'assemblée. Certains élèves échangent des regards inquiets, d'autres, au contraire, semblent frémir d'excitation.

— J'ai toujours été un fervent adepte de la prise de risque. Cette semaine, je serai votre cible numéro une. Votre but ultime sera de m'éliminer. Je suis prêt à courir le risque.

Un frisson glacial court le long de mon échine. Mon souffle se coupe un instant. L'information met plusieurs secondes à s'imprimer dans mon esprit.

Il plaisante... non ?

Non, bien sûr que non. Hugue Voss n'a pas l'air de savoir plaisanter avec ce genre de choses.

Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Comment cela va-t-il se dérouler ? Quels seront les règles exactes de ce « jeu » macabre ? Et surtout... Comment pourrais-je y survivre ?

Je baisse les yeux sur mes jambes, coincées dans des attelles. Mes doigts crispés sur le bois du gradin serrent un peu plus fort. C'est impossible. Je ne suis pas faite pour ce milieu, et encore moins dans mon état. Alors pourquoi suis-je là, coincée dans cet enfer à ciel ouvert, avec pour seule issue une épreuve dont l'issue ne promet rien de bon ?

Le proviseur redresse légèrement son buste, sa silhouette imposante projetée dominant les gradins. Un silence nerveux s'étire dans l'assemblée. Tous attendent la suite, suspendus à ses lèvres, oscillant entre appréhension et excitation.

— Les élèves concernés par l'examen vont être appelés un à un afin de former douze équipes. Nous avons sélectionné méticuleusement chaque profil. Évidemment, ceux ayant obtenu les pires résultats sont d'office désignés... mais pas seulement. Nous avons également intégré certains profils moins performants dans des matières clés.

Son regard scrute la foule, comme s'il cherchait déjà les prochaines victimes.

— L'équipe qui parviendra à m'éliminer recevra une récompense de cinq Jokdaris, ainsi que le droit d'insérer une loi de son choix dans le règlement intérieur de l'établissement.

Une vague d'excitation parcourt l'assemblée. Des murmures impatients s'élèvent, trahissant l'effervescence qui s'empare des plus ambitieux. Certains y voient une occasion en or, un tremplin vers le pouvoir, un moyen de graver leur nom dans l'histoire de Hollowspire.

Mais moi, je n'y vois qu'un danger supplémentaire.

Les gagnants deviendront des cibles.

Leur victoire fera d'eux des proies, enviées, haïes, traquées par ceux qui n'ont pas su saisir leur chance. L'avidité d'aujourd'hui se transformera en rancune demain. Pourtant, ce n'est pas cela qui me terrifie le plus.

Gagner une si grande chose... mais à quel prix ?

Le sang, Apy... Tu n'as toujours pas compris ?

Un frisson me parcourt, glacé, et mon estomac se contracte douloureusement.

Le proviseur, lui, savoure chaque seconde du suspense insoutenable. Il laisse flotter ses paroles avant d'asséner le coup de grâce, le ton toujours aussi implacable :

— Cependant... les six équipes ayant obtenu les pires résultats seront éliminées.

Un silence de plomb s'abat instantanément. Les murmures s'évanouissent, étouffés par la menace implicite qui pèse sur chaque élève.

— Et ce n'est pas une métaphore.

Le poids de ces mots s'écrase sur ma poitrine. L'air semble se raréfier, devenant oppressant, étouffant.

— Comme vous le savez déjà... aucune possibilité de rentrer chez vos parents. Vous êtes coincés ici, dans l'enceinte d'Hollowspire. Votre seule occasion de quitter l'Académie sera lors des vacances avancées... si vous survivez.

Un sourire fend son visage, éclatant, lumineux, presque chaleureux.

— Sinon... ce sera dans une urne à cendres.

La menace est claire. Plus personne ne bouge. Les regards se figent, les souffles se retiennent. Un vertige s'empare de moi, me faisant vaciller sur mon siège.

Il joue avec nous. Il se régale de la peur qui nous enserre la gorge, du malaise qui grandit.

— Les instructions vous seront données par vos professeurs référents lorsque vous serez appelés dans une équipe.

Il marque une dernière pause. Puis, d'un ton faussement enjoué, il annonce d'une voix presque théâtrale :

— Que les meilleurs gagnent que que les sous-merdes meurent !


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