Chapitre 47

Malcolm

Bordel de merde ! Je jure que je vais l'étriper moi-même, cet imbécile ! À quoi il pensait, hein ? Me rendre service ? Mon cul, ouais ! Tout ce que je vois, c'est que cet enculé de Ricardo a planté un putain de couteau dans le ventre de ma proie ! LA MIENNE, bordel ! Fais chier !

J'avais tout prévu, pourtant. J'avais un plan clair, précis. Elle n'était pas censée crever, pas comme ça, pas maintenant ! Mais tout s'est accéléré d'un coup, tout m'a échappé. Quand je suis arrivé sur les lieux, elle était déjà avec ce bout de métal fiché profondément dans son corps.

Putain... Elle respirait encore, mais à peine. Ses yeux... Merde, ses yeux cherchaient désespérément quelque chose, ou quelqu'un. Et moi, comme un abruti, je suis resté figé une seconde de trop. Une seconde de trop qui a tout foutu en l'air.

Comment est-ce que je vais la faire devenir dépendante psychologiquement de moi si elle clamse avant que tout commence, hein ?! Je voulais la briser lentement, savamment, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus que moi. Mais là ? Là, je n'ai qu'un cadavre potentiel sur les bras et un plan qui part en fumée.

Nicolaï, espèce de connard, t'as tout ruiné. Je vais te faire payer ça. Que tu sois mon grand frère ou pas. Je m'en bats les couilles.

Sans plus réfléchir, je serre les dents, laissant ma colère guider mes gestes, et j'enfonce mon poing avec toute la force que je peux rassembler dans la figure de cet enflure de bourreau. Peu importe si lui il a juste payé pour s'amuser avec ses fantasmes sans savoir que sa cible serait la mauvaise. Le craquement sinistre de son nez se mêle à un grognement de douleur étouffé. Pas satisfait, je me tourne immédiatement vers ce Ricardo, ce traître, cet imbécile en qui April, dans un élan de naïveté désespérée, a eu l'intelligence de faire confiance.

Idiote.

Une confiance mal placée, qui l'a menée là, sur ce, brisée, humiliée. La rage me brûle les veines, mais je n'ai pas le luxe de la laisser m'aveugler davantage. Je la détache rapidement, mes doigts tremblants défaisant les liens qui emprisonnent ses poignets meurtris. Ses mains sont glacées, sans vie, et son corps de plume, si léger, si fragile, semble sur le point de se briser pour de bon.

Je glisse un bras sous ses genoux à moitié détachés de son corps, et l'autre sous ses épaules, la soulevant contre moi avec une précaution presque instinctive. Je détourne le regard de son visage, de peur que ma résolution ne vacille en croisant ses yeux vides. Je ne m'attarde pas sur les marques visibles des sévices qu'elle a subis, ni sur son souffle faible qui effleure à peine ma peau. Ce n'est pas le moment. Si je m'arrête pour réfléchir, je vais exploser, ou pire, perdre le contrôle.

Sans un mot, je quitte le bar, le poids de sa vie entre mes bras. Mon léger accès de rage a été filmé, bien visible sur le grand écran. La tension était palpable dans la pièce, et personne n'a osé m'arrêter. Les regards se sont détournés, feignant l'ignorance ou la peur – peu importe.

D'un pas pressé, presque mécanique, je quitte le domaine de l'Académie. À l'entrée, le gardien me dévisage avec une hésitation nerveuse, mais mon regard sombre et ma voix tranchante suffisent à le convaincre. Sans attendre, je le menace de quelques mots bien choisis, et il s'empresse de me céder le passage. D'un geste tremblant, il ordonne à l'un des soldats présents de me conduire immédiatement aux urgences.

***

April

Bip. Bip. Bip.

Le bruit strident résonne dans ma tête, me tirant d'un sommeil qui aurait dû être éternel.

Putain, mais c'est pas vrai que je suis encore vivante !

Ce bruit, ce son artificiel et constant, m'a l'air bien réel. Pourtant, pour une fois, je n'aurais pas détesté succomber à cette envie de crever, cette envie qui m'accompagne depuis pas assez longtemps à mon goût.

Pourquoi vouloir survivre encore et encore ? Pourquoi se cramponner à cette existence après avoir été trahie par son propre ami ? Et même avant ça, bien avant... Pourquoi avoir voulu continuer à vivre après avoir appris que sa propre mère m'avait vendue, moi, son enfant, à une bande de psychopathes ? Parce que je suis une abrutie finie, voilà pourquoi. Une imbécile pathétique incapable de lâcher prise, même quand tout m'appelle à sombrer.

Pourtant, ce bip incessant, cruel et inhumain, semble me murmurer que le Créateur Suprême, s'il existe, n'en a pas fini avec moi. Mais je parie que même lui n'a aucune idée de ce qu'il veut faire de ce cas déséspéré que je suis. Après tout, qui voudrait d'une merde pareille ? Personne. Pas même ma mère. Mon père, peut-être. Oui, lui m'aurait encore aimée. Mais il est mort. Tout ce qui reste, c'est moi, et cette misérable carcasse brisée.

Mes paupières sont lourdes, collées, comme si elles étaient scellées par tout le poids de mes erreurs. J'arrive pourtant à les ouvrir, difficilement, et mon regard se pose sur un visage familier.

Les larmes coulent avant même que je ne puisse les retenir. Elles brûlent, traçant des sillons acides sur ma peau meurtrie.

— T-tu-tu... c'est toi qui... Tu es venu... m'as sauvée... ? balbutié-je d'une voix à peine audible.

Malcolm est là. Sa main est dans la mienne, mais il la retire précipitamment, comme si ce simple contact le brûlait. Son visage se ferme, reprenant cette expression froide et implacable qui me déroute à chaque fois.

— P-pourquoi ? Pourquoi t'es là ? demandai-je, les mots sortant difficilement, comme s'ils étaient prisonniers de ma gorge.

Il détourne les yeux, ses mâchoires crispées.

— Content que tu sois en vie, murmure-t-il finalement. On va pouvoir rentrer.

Rentrer ? Mais rentrer où ? Et où suis-je, d'abord ?
Je tente de bouger, mais la douleur m'assaille immédiatement, foudroyante, me clouant au lit. Mes yeux parcourent la pièce, détaillant cette chambre d'hôpital anonyme. Les murs ternes, l'odeur stérile, tout me semble irréel.

— Quand je t'ai retrouvée... commence Malcolm, hésitant, j't'ai emmenée ici. On est à dix minutes d'Hollowspire.

Hollowspire. Ce nom résonne dans ma tête comme une cloche fêlée. J'hoche la tête, plus par réflexe que par compréhension réelle.

Malcolm s'éloigne, m'abandonnant un instant à ma solitude, avant de revenir accompagné d'un homme en blouse blanche.

— Bien le bonjour, mademoiselle ! Comment vous sentez-vous ?

Son ton est chaleureux, mais je n'y crois pas.

— Je ne sais pas trop... Un peu... troublée, dis-je d'une voix rauque, presque étrangère.

— Ça se comprend, répond-il avec un sourire timide qui ne m'apaise pas. Vous avez subi de graves blessures, et il y aura probablement des séquelles importantes.

Ses mots tombent comme des pierres.

— Les brûlures provoquées par les cigares ont endommagé plusieurs couches de votre épiderme. Vous aurez des cicatrices permanentes sur vos bras et votre ventre. Les plaies ont été désinfectées, mais elles nécessiteront des soins réguliers pour éviter toute infection.

Je reste silencieuse, mon esprit déjà ailleurs, mais il continue.

— Votre corps a également subi un choc thermique. L'exposition prolongée à l'eau glacée a causé des engelures graves sur vos pieds et vos mains. Vous pourriez perdre partiellement la sensibilité au froid ou même au toucher dans ces zones.

Mon souffle se bloque un instant.

— Vos genoux, enfin... poursuit-il, sont sérieusement endommagés. Les coups répétés ont causé des fractures internes. Vous pourrez remarcher, mais cela nécessitera des mois de rééducation et des séances de kinésithérapie intensives. Des douleurs chroniques pourraient persister.

Son ton est calme, presque mécanique, mais ses mots s'enfoncent en moi comme des aiguilles. Mon corps est en morceaux, brisé, irréparable.

— Il faudra aussi surveiller votre état mental, conclut-il doucement. Ce que vous avez vécu... c'est un traumatisme majeur.

Traumatisme. Le mot roule dans ma tête. Ce n'est pas un traumatisme, c'est un enfer. Et il ne fait que s'ajouter à tous ceux que je porte déjà en moi depuis bien trop longtemps.

Je baisse les yeux, incapable de répondre. Ma gorge est nouée, mes mains tremblent légèrement. Les souvenirs, les douleurs, tout revient en boucle. J'aurais préféré mourir, clairement.

J'ai vraiment une vie de merde, il faut se l'avouer. Comme si tout ce que j'avais déjà subi ne suffisait pas, il fallait forcément que ça s'empire encore un peu plus. À croire que l'univers a une dent contre moi et qu'il s'amuse à me piétiner chaque fois que je tente de me relever.

Le médecin a parlé de rééducation, de soins, d'un suivi médical indispensable. Mais soyons honnêtes... Comme si Malcolm allait me permettre de suivre une rééducation digne de ce nom. Je n'ai même pas besoin de l'entendre pour savoir exactement ce qu'il va répondre.

— Ouais, bah elle se démerdera comme elle peut, elle retourne à l'Académie dès aujourd'hui.

Et voilà. Qu'est-ce que je disais ?

Un rire amer manque de m'échapper, mais ma gorge est trop serrée pour ça. Bien sûr qu'il s'en fout de mon état. Pour lui, je suis fonctionnelle tant que je respire encore. Peu importe si mes genoux sont en miettes, si chaque mouvement est une torture.

Le médecin, lui, semble abasourdi par cette déclaration. Il cligne des yeux, cherche ses mots, puis tente une dernière fois de faire entendre raison au brun aux yeux gris.

— Monsieur, nous devons la garder en observation au cas où nous découvrions d'autres problèmes...

Je pourrais presque croire qu'il tient sincèrement à ma santé. Il a une voix douce, presque hésitante, comme s'il pesait chaque mot pour éviter d'aggraver la situation. Il ne sait pas encore à qui il a affaire.

Le brun pousse un long soupir exaspéré avant de dégainer une arme.

Attendez une seconde... Depuis quand il a un putain de pistolet !?

Mes entrailles se nouent immédiatement. Le médecin, lui, devient livide. Son regard se fige sur l'arme, et il semble soudainement comprendre qu'il vient de faire une erreur monumentale en contredisant Malcolm.

— Vous voyez qui sont les Voss, Monsieur Winston ? lui murmure-t-il à l'oreille d'une voix traînante.

Le nom suffit. L'effet est immédiat. Le vieil homme pâlit encore plus ‒ je ne savais même pas que c'était possible ‒ et hoche frénétiquement la tête, avalant difficilement sa salive.

— D'accord, vous pouvez sortir, bégaye-t-il. T-tout de suite. J-je vous appelle une limousine.

Son ton tremblant me file presque la nausée. Il capitule aussi facilement ? Il va vraiment me laisser partir alors que mon corps est à moitié hors-service et que je suis encore sous perfusion ? Le pouvoir de la peur est terrifiant.

— Excellent ! Bon, on s'entend bien que je vous demande ce qu'il faut pour ma petite blessée afin qu'elle puisse guérir sans encombre...

Il dit ça comme si c'était une simple formalité. Comme s'il s'assurait juste que j'aie un petit kit de survie avant de me balancer dans un enfer encore pire que celui que je viens de traverser. Mais au moins, il demande quelque chose pour moi... Une minuscule part, bien cachée, est soulagée qu'il ne m'abandonne pas totalement à mon sort.

Le médecin acquiesce frénétiquement et disparaît en un éclair, sûrement ravi d'échapper à cette situation sans prendre une balle dans la tête.

Un silence pesant s'installe dans la chambre. Mon regard dérive vers l'arme que Malcolm range tranquillement, comme si ce qu'il venait de faire était la chose la plus normale au monde. Il tourne la tête vers moi et, à ma grande surprise, m'adresse un sourire.

— Tout est bien qui finit bien ! s'exclame-t-il d'un ton enjoué.

Son sourire est chaleureux, presque sincère. Il ne devrait pas avoir cet effet sur moi, mais étrangement, ma nervosité se dissipe légèrement. Peut-être parce qu'il est la seule chose stable dans mon univers chaotique, même si cette stabilité est teintée de menaces et de violence.

Mais au fond, je sais que rien ne finit bien. Pas pour moi.


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