Chapitre 46

April

Je souffre. Il y a je ne sais combien de temps - une éternité, peut-être - c'était purement physique. Une douleur brutale, franche, presque mécanique. Mais aujourd'hui, le mental a pris le relais, surpassant de loin tout ce que mon corps pensait pouvoir endurer.

Je le vois. Il tourne autour de moi comme un vautour au-dessus d'une carcasse. Mon corps, lui, est paralysé, encore engourdi par le jet d'eau glacé qu'il m'a lancé sans ciller. La première giclée a été un choc, comme si un millier de petites aiguilles s'étaient enfoncées dans ma peau d'un seul coup. Puis, au fur et à mesure que l'eau continuait de ruisseler, le froid s'est intensifié, devenant insidieux. Chaque goutte piquetait, mordait, brûlait ma chair comme du feu liquide, mais un feu inversé, glacial.

Mes nerfs étaient en alerte, comme si mon corps ne savait plus comment réagir. Mes membres, déjà ankylosés, se sont raidis sous l'assaut, mes muscles se contractant en spasmes douloureux. La douleur irradiait, vive, tranchante, s'étendant de mes extrémités jusqu'à ma poitrine, où elle se logeait comme une pierre glacée. Chaque respiration devenait un supplice, l'air semblant geler mes poumons de l'intérieur.

Après ce qui m'a semblé être des heures, mes pores, engourdis par le froid, me donnaient l'impression qu'ils éclataient, comme si ma peau se craquelait sous une tension invisible.

Puis, il a sorti un cigare. L'odeur âcre du tabac a envahi l'air, mêlée à celle de l'eau glacée qui s'évaporait à peine sur ma peau gelée.

Quand il a écrasé le premier sur mon bras, la chaleur s'est abattue comme un coup de tonnerre. Une décharge brûlante, intense, mais paradoxalement... apaisante. Juste un instant. Un instant de folie où le contact du chaud sur le froid m'a offert une illusion de soulagement. Le contraste était insupportable. La chaleur s'enfonçait dans ma chair, la brûlure irradiant à travers mes nerfs, mais dans cette douleur vive, je sentais une étrange fraîcheur, un répit trompeur.

À chaque brûlure, le schéma se répétait : une morsure brutale, une chaleur dévorante, puis une sensation glacée qui s'insinuait sous la peau, comme si mon corps essayait de compenser.

Mais ce répit était pire encore.

Cette fraîcheur n'était qu'un mensonge cruel, un rappel ironique du froid qui continuait de me torturer. La chaleur, au lieu de réchauffer mon corps, semblait réveiller chaque pore engourdi, ravivant la douleur avec une intensité décuplée.

Mon esprit vacillait entre le feu et la glace, incapable de trouver un équilibre. Le froid m'arrachait des larmes, des spasmes incontrôlables, tandis que le chaud m'arrachait des cris étouffés, pris dans ma gorge. Les deux sensations s'entremêlaient, se nourrissaient l'une de l'autre, comme si mon bourreau avait trouvé un moyen de prolonger ma souffrance indéfiniment.

Le corps est un mystère cruel. Il meurt à petit feu, mais refuse d'abandonner. Chaque pore brûle, chaque nerf s'enflamme, et pourtant, je reste là, prisonnière d'une spirale sans fin entre deux extrêmes.

- Ne crois pas que j'en ai terminé avec toi. Bien au contraire, on ne fait que commencer...

Sa voix glaciale résonne dans la pièce, s'insinuant dans chaque recoin de mon esprit. Ces mots, si simples en apparence, portent un poids insupportable. Je voudrais pleurer, déverser toutes les larmes possibles et inimaginables, mais elles restent coincées, étouffées quelque part dans ma gorge. J'ai l'impression que mon corps tout entier retient sa respiration, figé dans une attente douloureuse.

Je voudrais vider mon corps, évacuer chaque goutte de cette eau qui me compose, comme si cela pouvait alléger ce poids immense qui pèse sur ma poitrine. M'effacer. Disparaître. Mais même cela semble être un luxe inaccessible, une consolation trop douce pour le cauchemar que je vis.

Si seulement Malcolm pouvait venir me sauver... Cette pensée, douce et amère à la fois, s'infiltre malgré moi. Mais ce serait rêver, et je sais que rêver est une faiblesse. Il ne viendra pas. Il ne m'aime pas. Il ne m'a jamais aimée.

Je repense à ces moments où j'ai cru, bêtement, naïvement, qu'il tenait à moi. Ces rares instants où il m'a tendu la main, où il a dit les mots justes pour apaiser mes angoisses. Mais maintenant, je vois clair. Ce n'étaient que des miettes, de petits gestes motivés par une pitié qu'il ne pouvait cacher. Des gestes calculés, mesurés, comme on tend une couverture à un chien abandonné dans le froid.

Et moi, idiote que je suis, je m'y suis accrochée. À chaque regard, à chaque murmure, j'ai vu une promesse, une lueur d'espoir. Mais tout cela n'était qu'une illusion, un mirage cruel dans un désert de solitude.

Il me laissera mourir. Je le sais au fond de moi. Peut-être qu'il détournera le regard, qu'il trouvera une excuse pour justifier son absence, mais il ne viendra pas.

Et moi, je resterai là, à attendre un sauveur qui n'existe pas, à espérer une rédemption que je ne mérite probablement pas.

Mon regard se tourne de nouveau, chargé d'amertume, vers Ricardo. Je commençais à peine à lui faire confiance... et il m'a trahie. Une douleur violente me traverse, comme si mon organe vital se contractait dans une énième tentative de m'écraser de l'intérieur.

De toute manière, je ne devrais même plus être surprise. La trahison semble être une constante dans ma vie. Je n'ai jamais su ce que c'était d'avoir des amis à long terme. Les perpétuels déménagements de ma famille, qui espérait naïvement que changer d'air pourrait améliorer notre situation émotionnelle, ont tout saboté. Mais rien n'a jamais changé, bien sûr. Ce n'était qu'une illusion, un détail insignifiant dans le chaos de mon existence.

À chaque nouvelle ville, Christale et moi rencontrions des gens, parfois merveilleux, mais toujours temporaires. Quelques mois, parfois même quelques semaines, et il fallait dire adieu. Encore et encore. Une routine qui finissait par anesthésier le cœur. Pourtant, cette situation-là... elle est bien pire.

Ici, dans cet enfer qu'on appelle mon kidnapping, tout est démultiplié. Chaque perte, chaque blessure, chaque trahison. J'ai été arrachée à ma jumelle, vendue comme une marchandise, utilisée comme cible vivante. Les élèves de cette académie maudite, où on m'a forcée à étudier, n'avaient aucune pitié. Ils tuaient pour apprendre.

Dans ce cauchemar, avoir un ami comme Ricardo avait été une lueur d'espoir, un certain réconfort. Mais maintenant... maintenant il se tient là, immobile, me regardant souffrir sans rien faire. Non, pire. Il ne fait pas que regarder : il accepte. Il participe. Et moi, idiote, je continue à espérer. J'espère que Jaylan n'a pas, lui aussi... Mais si, évidemment. Ils doivent être dans le coup, tous les deux. Je dois arrêter de rêver, d'idéaliser les choses. Chaque fois que je me berce de ces illusions, je ne fais que me détruire davantage.

- Je veux que tu hurles ! s'exclame soudain l'homme masqué, levant sa canne au-dessus de mon corps pâle.

Le coup s'abat avec une violence inouïe sur mes genoux. Cette fois, le choc est insoutenable, et malgré tous mes efforts pour rester silencieuse, un cri déchirant m'échappe.

- Ouais ! C'est ça ! Vas-y, hurle ! Appelle à l'aide ! Je jouirai dans mon froc !

Il frappe encore, encore plus fort, chaque coup amplifiant la douleur qui irradie dans tout mon corps. Les os de mes genoux se brisent sous l'impact, et une douleur insupportable me déchire.

- Ricardo... gémis-je, à bout de forces.

- Oui, ma belle ! Supplie ton ami ! hurle mon bourreau en abattant un énième coup, toujours au même endroit.

Ricardo, adossé contre le mur d'en face, reste impassible. Les bras croisés, il jette un regard désinvolte à sa montre, comme si tout cela n'était qu'une formalité ennuyeuse.

- Il va falloir vous dépêcher de l'éliminer, Monsieur, annonce-t-il d'un ton plat. Le temps est presque écoulé.

- D'accord, soupire l'homme masqué en ajustant le col de son costume bordeaux, toujours impeccable malgré l'horreur de la scène.

- Plus que deux minutes, détaille Ricardo, son visage restant froid et détaché.

Les larmes coulent en abondance sur mes joues, brouillant ma vision.

- Je veux que tu l'achèves, déclare mon bourreau en sortant une large lame de sa veste.

Il tend l'arme à Ricardo, comme s'il s'agissait d'un cadeau.

- Très bien, Monsieur, répond Ricardo en prenant le couteau. Mais qu'on soit bien clair : aucun remboursement n'est possible.

- Bien évidemment, acquiesce l'homme en esquissant une révérence avant de s'éloigner.

L'homme que je croyais être mon ami s'approche alors de moi, lentement, le regard dur, si différent de celui que je croyais connaître. Lui qui souriait toujours...

- Malcolm avait raison, April. Tu n'aurais jamais dû nous faire confiance, murmure-t-il, sa voix glaciale me transperçant autant que la lame qu'il s'apprête à utiliser.

Il lève le bras.

- Mais pardonne-moi... Ça a quand même été un plaisir d'être ton ami, ajoute-t-il avec une pointe d'ironie dans la voix.

Et il me poignarde.


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