Chapitre 43

Nicolaï

Depuis mon plus jeune âge, je n'ai eu qu'un seul et unique souhait : posséder le contrôle absolu. Je voulais tout diriger, imposer ma vision, devenir le maître incontesté. Ce rêve, cette ambition, a forgé chaque décision de ma vie. Alors, j'ai fait ce qu'il fallait, tout ce qu'il fallait. J'ai appris à me fondre dans l'ombre, à devenir un fantôme, discret mais déterminé. J'ai obéi sans discuter aux ordres du chef de la famille, avalant ma fierté et rongeant mon impatience. J'ai accepté d'aller étudier dans cette académie que nos ancêtres eux-mêmes ont bâtie de leurs mains. Chaque effort, chaque sacrifice que j'ai consenti a fini par porter ses fruits.

Dans quelques années à peine, je serai le Patriarche. Cette place que j'ai convoitée toute ma vie, cette position suprême, sera enfin mienne. Je prendrai la relève de cet homme, ce modèle, ce chef en qui j'ai toujours voulu me refléter. Cette perspective me remplit de joie, une joie froide, maîtrisée, presque mécanique.

Mais il faut dire les choses comme elles sont : je n'ai jamais eu une enfance normale. J'étais l'enfant qu'on mettait de côté, celui qu'on ne voulait pas voir, celui dont la simple existence dérangeait. Mon crime ? Être différent. Je suis né albinos, comme ma mère, et cette différence était perçue comme une tare, une honte, une cicatrice indélébile sur l'image parfaite de notre famille. Mon oncle, le chef actuel, n'a jamais réellement accepté cela. Pour lui, j'étais une erreur, un poids, quelque chose à cacher. Pendant des années, il m'a tenu à l'écart, s'assurant que je reste à ma place.

Mais le temps fait toujours son œuvre. Mon oncle a fini par comprendre que, malgré tout, je restais son meilleur atout. Mon petit frère et mon cousin, eux, étaient occupés à se déchirer pour obtenir le contrôle du gang officiel hérité de notre grand-père. Rob Voss, mon cousin, a été écarté assez vite, trop faible ou trop docile peut-être. C'est Malcolm qui a triomphé, et maintenant il porte le poids du pouvoir sur ses épaules. Mais ce pouvoir a un prix. Très bientôt, Malcolm devra partir pour remplir la mission qui lui a été assignée dès sa naissance. Une mission qui ne lui laisse pas le luxe de se reposer sur ses lauriers. Je connais mon petit frère et je sais qu'il ne sera pas décevant.

Nous avons tous un rôle à jouer, c'est un fait. Mais moi, je refuse d'attendre passivement que le destin décide pour moi.

Entrer à Hollowspire a été un honneur, mais aussi un défi. Cette académie, avec son prestige et ses mystères, a été le théâtre de ma transformation. Pendant des années, j'y ai forgé une nouvelle identité. Je suis devenu quelqu'un de respecté, quelqu'un qu'on écoute, quelqu'un qui gère. C'est là que j'ai découvert un monde parallèle, un univers caché derrière les apparences impeccables de l'établissement.

Un aîné m'a initié à ce qu'on appelle l'"autre partie" de Hollowspire. Ce n'est pas juste une aile ou un bâtiment annexe. Non, c'est une dimension différente, où seules les élites des élites ont accès. C'est un bar, mais pas n'importe quel bar. Officiellement, il appartient encore à l'Académie, mais en réalité, son fonctionnement est complètement indépendant.

Ce bar, appelé ironiquement l'Exutoire, est un lieu où se croisent des figures mondiales, des multi-millionnaires, des noms qu'on entend chuchotés dans les couloirs du pouvoir. Mais ces gens-là ne viennent pas seulement pour boire un verre ou discuter affaires. Non. Ils viennent ici pour se libérer de leurs chaînes, pour explorer leurs désirs les plus sombres, pour faire ce que leur imagination, parfois perverse, leur dicte.

Et voici le plus étrange : cet endroit n'a pas été créé par mon père, pourtant proviseur de l'Académie, ni par le Patriarche. Non, l'Exutoire est l'œuvre d'un autre membre de notre famille. Wyatt Voss, le frère ainé de Rob, donc mon grand cousin, ancien élève de Hollowspire. C'est lui qui a bâti cet empire clandestin. C'est aussi lui qui m'a nommé président du Conseil des Étudiants, me confiant le rôle de manager, celui qui supervise tout, celui qui donne les ordres.

Cette responsabilité m'a permis de découvrir les rouages du pouvoir, mais également ses limites. À la fin de mes études, j'ai dû m'éloigner, fonder une famille, remplir mes obligations.

Mais aujourd'hui, je suis de retour, plus déterminé que jamais.

J'ai de grands projets. Je ne veux pas attendre d'être Patriarche pour prendre les rênes. Je veux tout, tout de suite. Je veux devenir le proviseur d'Hollowspire, mais surtout, je veux diriger lcet endroit. Être le patron, l'homme aux commandes, celui qui dicte les règles dans l'ombre.

Et croyez-moi, je n'accepterai aucun compromis.

— Tu ne peux pas imaginer ce que cela représente. Ce lieu, cet instant... Tout a été construit pour te conduire ici. Tu es la pièce manquante de ce puzzle, celle qui peut tout faire basculer.

Je contemple les écrans avec un calme glacial, les mains jointes sous mon menton. Mon regard parcourt chaque détail de l'image, chaque pixel reflétant une partie du plan soigneusement élaboré. Elle est là, assise, prisonnière.

April.

Son visage trahit la panique, l'incompréhension. Il est évident qu'elle ne saisit rien de ce qui se joue ici. Elle ne réalise pas à quel point j'ai été heureux d'apprendre que Malcolm, mon frère, avait enfin une copine.

Certes, il ne l'admettra jamais. Trop orgueilleux, trop secret. Mais moi, je sais. Je vois au-delà des masques. Alors, je lui ai rendu un service qu'il ne pourra jamais comprendre ni refuser : j'ai joué mes coups en douce pour enlever cette chère blondinette. Grâce à moi, elle va pouvoir lui appartenir totalement. En un sens, je suis son sauveur, la personne qui arrive au bon moment pour l'aider à s'approcher de son but ultime de se faire reconnaître par la hyène.

Je me redresse légèrement, la toisant avec une fausse douceur.

— Chaque décision, chaque mouvement que tu feras ici aura des conséquences, dis-je, ma voix grave résonnant dans la pièce vide.

Je lève la main, désignant les écrans autour de nous, où défilent des images et des données cryptées.

— Sur toi, sur moi... et sur eux, ajoutai-je, un sourire énigmatique aux lèvres.

Le ton est posé, presque rassurant, mais je sais qu'elle ne s'y trompe pas. Son regard cherche une issue, une échappatoire. Peine perdue.

— Je vais tout te montrer, dis-je enfin.

Un mensonge éhonté, mais qu'importe. La vérité n'a jamais été mon alliée. Tout ce que j'ai prévu pour elle, c'est une peur comme elle n'en a jamais connue. Une terreur si viscérale qu'elle en perdra le sommeil pour des années. Jusqu'à ce que Malcolm débarque, l'air de rien, en jouant les héros. Après ça, il me sera redevable. Oh, tellement redevable. Et quand le moment viendra, il acceptera sans broncher de me prêter main forte.

Je sais qu'il met du temps à se manifester. Pourtant, je suis sûr qu'il est déjà au courant d'à peu près tout. Mon petit frère est un génie, un digne membre de la famille Voss. Ça, je n'en ai jamais douté. Il est la seule personne que j'aime, la seule en qui j'ai confiance. Et c'est précisément pourquoi je sais qu'il ne pourra jamais me décevoir.

Je pivote lentement vers sa proie, un éclat joueur dans les yeux.

— Je vais m'amuser avec toi, ma chère, murmurai-je. Ton cher sauveur ne sera pas là pour toi cette fois.

Elle blêmit, et je ne peux m'empêcher de savourer l'expression d'effroi qui s'empare de ses traits.

— T-tu as dit que tu ne me tuerais pas ! s'écrie-t-elle, sa voix brisée par la peur.

Je ris doucement, un son qui résonne comme une lame froide dans l'atmosphère oppressante.

— Malcolm ne t'a jamais appris que personne n'était digne de confiance ? Quel imbécile... Tu es ici parce que c'est le seul moyen de l'attirer, lui, et de le pousser à me suivre. Alors oui, tu vas jouer le rôle de la victime parfaite.

Elle tente de se lever, une tentative désespérée, pathétique. J'appuie sur un bouton dissimulé sous le bureau, et les liens d'acier jaillissent du fauteuil, s'enroulant autour de ses poignets avec une précision mécanique.

— Bienvenue dans le futur, ma chère, murmurai-je avec un sourire carnassier. Ici, tout est contrôlé. Des prototypes jamais dévoilés au grand public, des technologies qui feraient frémir le commun des mortels... Et toi, tu as l'honneur de les tester.

Je me lève, sortant une seringue de mon manteau. Le liquide à l'intérieur brille sous la lumière blafarde. Avant qu'elle ne puisse protester, je lui enfonce l'aiguille dans le bras. Ses paupières papillonnent, et elle s'effondre en un soupir.

D'un claquement de doigts, six hommes en uniforme scolaire entrent dans la pièce. Les écrans se rétractent dans les murs, laissant la salle dans une semi-obscurité.

— Wyatt nous a informé de la venue d'un client de longue date en cellule 34, déclare l'un d'eux.

J'acquiesce, un sourire satisfait aux lèvres.

— Parfait. Vous avez dix minutes pour la préparer. Je lui ai injecté une micro-dose, ça devrait suffire.

Sans perdre de temps, ils la détachent et la soulèvent comme une poupée de chiffon. Je les regarde disparaître dans le couloir, déjà impatient de ce qui va suivre.

Dans une quinzaine de minutes, un nouvel écran s'allumera dans le bar, et le spectacle commencera. Tout ce qui se passe ici est filmé en direct et retransmis dans l'aile festive. Ce genre de représentation attire toujours de nouveaux clients, des âmes perdues qui n'osent pas encore franchir le pas. Mon cousin sera aux anges.

Je me passe une main dans les cheveux, savourant l'anticipation.

Ce soir promet d'être mémorable. Et moi, je n'ai qu'une hâte : voir jusqu'où l'on peut aller.


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