Chapitre 38

April

Au bout de longues minutes passées à rassurer Jaylan et Ricardo, ils finissent par céder, bien que leurs regards trahissent encore leurs inquiétudes. Je sens leurs bras crispés autour des miens, comme s'ils cherchaient à m'ancrer à leurs côtés, à me retenir d'affronter cet inconnu qui avait osé me contacter. Leur présence, bien que réconfortante, pèse lourd, mêlée à une tension qui semble palpable dans l'air.

Nous avançons péniblement en dehors du bâtiment principal, nos pas résonnant sur le sol pavé. Les allées bordées d'arbres s'étendent devant nous comme une route sans fin, leurs ombres ondulant sous la faible lumière des lampadaires. Les feuilles mortes, brassées par un vent glacial, tourbillonnent autour de nos pieds, rappelant le chaos intérieur qui m'habite. Nous nous dirigeons vers le sixième gymnase, un bâtiment qui porte encore les stigmates de ce qu'il a été autrefois, ‒ il n'y a pas si longtemps ‒ pour nous.

Un frisson incontrôlé parcourt mon échine lorsque l'imposante silhouette du petit bâtiment se dessine à l'horizon. Mon cœur se serre. C'est ici que tout mes espoirs s'étaient effondré. Cet endroit maudit où nous avions été enfermés, réduits à l'état de simples animaux, du bétail qu'on parquait sans ménagement dans une grange délabrée. Les souvenirs s'insinuent dans mon esprit.

— Si jamais ça se passe mal, promets-moi de partir te cacher, murmure Jaylan d'une voix basse, mais ferme.

Je sens ses yeux bleus percer mon visage, lourds de préoccupations et d'un amour fraternel qu'il refuse d'exprimer à voix haute. J'hésite un instant, prise entre l'envie de le rassurer et la crainte de lui mentir. Finalement, je tourne ma tête vers lui, mes lèvres tremblantes esquissant un léger sourire d'assurance, avant d'acquiescer.

L'air semble s'alourdir tandis que nous approchons des lourdes portes en métal. Mon souffle s'emballe, et je fais de mon mieux pour retrouver une respiration stable, bien que chaque pas me rapproche un peu plus de l'inconnu. Une fois mon rythme moins saccadé, je pose ma main sur la poignée froide et pousse.

L'intérieur du gymnase est vaste et faiblement éclairé, le sol usé résonnant sous mes pas. Au centre, un groupe d'Adeptes et de Prétoriens se tient rassemblé, formant un cercle imposant, leurs silhouettes floues se détachant dans la pénombre. Mon regard s'attarde sur eux un instant, avant d'être attiré par une voix claire et assurée.

— Bienvenue, chère April ! s'exclame un homme d'un ton exagérément jovial. Et vous aussi, chers camarades ! Je suis ravi de votre présence.

L'homme, grand et vêtu de l'uniforme habituel, mais orné d'un symbole que je ne reconnais pas, se tient au milieu du groupe. Son sourire semble sincère, mais ses yeux brillent d'une lueur étrange, presque inquiétante.

À mes côtés, je sens Jaylan se raidir. Son poing se referme lentement, les veines de son bras devenant saillantes sous la tension. Du coin de l'œil, je vois sa mâchoire se contracter, signe qu'il lutte pour ne pas exploser.

— Qu'est-ce que tu nous veux ? gronde-t-il, les sourcils froncés, la voix basse et pleine de défi.

Son ton est tranchant, presque agressif, mais je sais qu'il n'est motivé que par la peur de ce qui pourrait m'arriver. Je pose brièvement ma main sur son bras, un geste silencieux pour lui rappeler que je suis là, que je vais bien... pour l'instant.

J'aimerais lui murmurer que ce n'est qu'une simple invitation de courtoisie, un geste sans importance, mais tout en moi hurle que ce n'est pas le cas. Mon instinct me trahit, m'alertant d'un danger dissimulé derrière des apparences soigneusement construites. Leurs regards perçants, leurs sourires carnassiers et leurs murmures. Tout est tourné vers moi sans une once de sympathie.

— Approchez-vous, chers amis, poursuit l'homme d'une voix qui semble mielleuse, mais dont la froideur sous-jacente me met mal à l'aise.

Je fais un pas en avant, mes jambes presque tremblantes, et je sens les garçons me suivre de près. Jaylan est tendu, prêt à réagir à la moindre menace. Ricardo, lui, est encore plus nerveux. Je sens son agitation, palpable, presque suffocante, comme un poids qui s'alourdit dans l'air. Pourtant, ce n'est pas une simple méfiance instinctive... Non, c'est autre chose. Il y a quelque chose de plus profond, une ombre qu'il ne parvient pas à dissimuler derrière son masque fragile. Une pointe de tristesse, mêlée à une amertume presque douloureuse, traverse son regard fuyant. Comme s'il connaissait cet inconnu mieux qu'il ne le devrait. Cet homme aux cheveux blancs laiteux et à la peau aussi pâle que la neige semble être la source d'un souvenir qu'il préférerait oublier.

— Comment se passe donc ton intégration ? me demande soudain l'homme, sa voix perçant le silence.

— Très bien, mais ce n'est clairement pas grâce à toi ! s'empresse de rétorquer Jaylan avant que je n'aie le temps de répondre.

Sa voix est sèche, tranchante, et la veine qui pulse sur son front trahit son irritation.

L'homme ne semble pas perturbé. Au contraire, il esquisse un signe de tête comme s'il attendait une telle réponse. Un Adepte, frêle et courbé, s'avance alors et se met à quatre pattes devant lui. Sans un mot, l'homme albinos s'assied sur son dos, croisant les jambes avec une désinvolture provocante, tout en claquant sa langue contre son palais.

— Je ne crois pas que la jeune fille soit muette, si ? ironise-t-il, ses yeux pâles perçant à travers moi comme une lame.

Cette fois, il s'adresse directement à Jaylan, qui serre les poings.

— Bon, Nikolaï, crache le morceau ! Qu'est-ce que tu lui veux ? lance-t-il avec une audace teintée de colère.

— Détends-toi, jeune Adepte numéro 4, avertit l'homme nommé Nikolaï, un sourire narquois se dessinant sur ses lèvres.

Je saisis la main de mon ami brun, espérant lui transmettre un peu de calme, mais je sens sa paume moite et tremblante. Mon inquiétude s'intensifie.

— Tout va bien ? lui murmuré-je, mon regard cherchant le sien.

Il secoue la tête faiblement, le souffle court, avant de m'expliquer d'une voix entrecoupée.

— C'est... un ancien élève... Et-il... il...

— Oh, mon cher petit Ricardo daigne enfin s'exprimer ? interrompt l'albinos d'un ton moqueur. Tu sais, ta présence dans ma chambre me manque énormément.

À ces mots, Ricardo devient livide. Ses yeux s'écarquillent, et je pourrais presque entendre son cœur battre si fort qu'il semble prêt à transpercer sa poitrine. Il serre ma main gauche si violemment que cela me fait presque mal.

— April... il faut qu'on parte, tout de suite... gémit-il, la panique perçant dans sa voix.

— Qu'est-ce que vous lui avez fait pour qu'il soit dans un tel état ? m'emporté-je soudain, ma voix tremblant autant de colère que d'inquiétude.

L'homme penche la tête sur le côté, son sourire mauvais s'élargissant comme une ombre qui s'étire. Ses traits blancs, presque irréels, prennent une expression délibérément sadique.

— Oh, ma chère petite curieuse... soupire-t-il avec une douceur feinte. Ce n'est pas une question de ce que je lui ai fait, mais plutôt de ce que je pourrais encore lui faire. Et de ce que je pourrais te faire aussi...

Je frémis, une onde glacée parcourant mon échine.

— Je savais que mon père n'aurait jamais dû devenir le dirigeant de cette académie... Il est trop indulgent, trop faible, et surtout, pas assez comme son maître. Il permet même à mon jeune frère d'y faire entrer une femme. Tu n'as clairement pas ta place ici et je compte bien te le prouver, déclame-t-il, sa voix empreinte d'une froide détermination.

« Jeune frère » ? Alors Malcolm... est le fils du proviseur... ? Et il partage donc le sang de cet homme ?!

Le choc de la révélation me frappe de plein fouet, comme un coup de poing dans l'estomac. L'air semble me manquer, mes pensées se brouillent. Je manque de perdre pied, une vertige qui m'envahit subitement. C'est un abîme de confusion qui m'engloutit. Mais alors que je vacille, Ricardo réagit presque instantanément pour me retenir. Je sens sa poigne se resserrer sur ma peau, mais aussi une faiblesse grandissante en lui, comme si ses forces se fanaient à chaque instant qui passait.

De son côté, Jaylan, visiblement agacé, commence à se craquer les doigts nerveusement, un tic qui trahit son énervement grandissant.

— Toute cette histoire commence vraiment à me taper sur le système, gronde-t-il, ses yeux brillant d'une lueur menaçante. Alors, si tu le veux bien, mes amis et moi on s'en va.

Il attrape ma main droite avec une fermeté qui me rassure, mais aussi avec une urgence palpable. Il me tire derrière lui, essayant de nous éloigner du cercle menaçant qui nous entoure. Mais dans l'instant où nous commençons à faire demi-tour, je sens une pression dans l'air. Le temps que nous soyons distraits par cette confrontation, des garçons se sont discrètement placés derrière nous. Ils ont pris position, nous bloquant le passage. Nous voilà encerclés, sans issue.

— Je sens que nous allons bien nous amuser ! lâche l'un d'eux d'un ton sinistre, un sourire cruel étirant ses lèvres.

L'atmosphère devient oppressante, l'air lourd et presque suffocant. Tout s'accélère. Soudain, des bras puissants nous saisissent, nous écartant violemment. Nous sommes séparés, chaque mouvement déstabilisant, comme si la scène avait été réglée d'avance. Les forces nous tirent dans des directions opposées, nous éloignant de quelques mètres. Un cri étranglé monte dans ma gorge, mais il reste coincé. Ce n'est pas la douleur qui m'écrase, c'est la terreur sourde qui me paralyse, la sensation d'être piégée, de ne plus avoir aucun contrôle.

C'est idiot, tu n'en as jamais eu, me rappelle ma voix intérieure, un murmure froid et moqueur. Elle a raison, et cela m'exaspère au plus haut point. Une colère sourde monte en moi, pulsant dans mes veines, et je serre les dents pour contenir l'irritation qui menace de tout engloutir.

— Qu'est-ce que tu veux, à la fin ! s'énerve Jaylan, cette fois pour de bon, sa voix tremblant de frustration, réitérant sa demande pour la troisième fois, voire la quatrième, dans une cadence de plus en plus impatiente.

L'homme devant nous, qui semble se nourrir de nos tensions, laisse échapper un sourire froid, presque dédaigneux.

— Patience, mes chers amis. Je veux prendre mon temps, explique-t-il avec une lenteur exaspérante. Nous avons toute la nuit devant nous, avant le lever du soleil. Mais là encore, nous serons dimanche, donc cela pourrait même durer plus longtemps... C'est moi qui déciderai, et personne d'autre.

Les mots résonnent dans l'air, et je sens un frisson glacial me parcourir le dos. C'est comme si, à chaque seconde qui passe, l'étau se resserrait davantage autour de nous, et une angoisse sourde m'envahit. Mes instincts me crient de réagir, mais je suis paralysée par la situation. Le silence s'installe, lourd et pesant, jusqu'à ce que plusieurs grincements au sol me fassent sursauter. Des chaises sont déplacées, traînées avec un bruit métallique et grinçant, et je sais déjà ce qui va suivre. C'est comme si mon corps, dans un réflexe de survie, avait anticipé le mouvement. Ils vont nous ligoter.


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