Chapitre 37
April
— Alors il n'y a ici que des livres de propagande ? demandai-je en effleurant les reliures rigides des ouvrages imposants, mes doigts glissant sur le bois patiné des étagères de la bibliothème d'Hollowspire.
Les lieux ont quelque chose d'intimidant, presque solennel, comme si chaque recoin gardait jalousement les secrets de générations entières.
Jaylan et Ricardo échangent un regard complice, leurs yeux pétillant d'une malice presque enfantine, avant de m'inviter à les suivre.
Je me laisse guider, observant la pièce avec fascination. Les plafonds hauts, soutenus par des arches en pierre grise, donnent une impression de grandeur austère, et l'air porte une odeur caractéristique de parchemin ancien et de poussière oubliée. Chaque étagère semble crouler sous le poids d'un savoir accumulé depuis des siècles. Ici, le temps semble suspendu, figé dans l'immobilité d'une bibliothèque qui a vu défiler bien plus d'histoires que ses propres livres ne peuvent en contenir.
Nous arrivons finalement à l'extrémité de la pièce, là où plusieurs fauteuils moelleux sont disposés en cercle, comme une invitation discrète à la lecture ou à la réflexion. Jaylan tire celui placé dans l'angle, révélant un conduit d'aération dissimulé derrière le lourd dossier.
Je reste bouche bée. Jamais je n'aurais imaginé une telle cachette ici, dans cet endroit si strict et surveillé.
Le blond esquisse un sourire amusé et théâtral, faisant une pirouette exagérée avant de s'adosser à un mur, les bras croisés, tandis que Ricardo s'agenouille devant le conduit. Avec des gestes précis et habitués, il en détache le couvercle métallique, révélant une pile d'ouvrages poussiéreux, leurs couvertures ternies par le temps.
Je m'accroupis, mes mains tremblantes de curiosité effleurant les tranches jaunies. Mon cœur s'emballe lorsque je distingue un titre familier.
Mon roman préféré.
Avec une excitation presque incontrôlable, je m'empare de l'ouvrage, étreignant le précieux livre contre ma poitrine comme si je venais de retrouver une part de moi-même longtemps perdue.
Little Women, de Louisa May Alcott, murmurais-je, presque pour moi-même.
— Comment est-ce qu'ils se sont tous retrouvés ici ? demandai-je en levant les yeux vers mes deux complices.
Les garçons haussent les épaules avec un détachement feint, leurs regards trahissant néanmoins une certaine fierté.
— D'autres générations d'élèves ont sûrement caché des choses un peu partout, répond Ricardo. On a découvert cet endroit par hasard, un jour où on était consignés à nettoyer toute la bibliothèque. Jaylan a glissé en passant ici et, en tombant, il a aperçu une lueur métallique derrière les pieds du fauteuil.
Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire, et leur histoire, si absurde et pourtant si typique de leur duo, semble raviver un instant la légèreté qui me manquait tant.
— C'est la vérité, je te jure ! s'exclame Jaylan en levant les mains, feignant l'offense.
Je secoue la tête, amusée, puis retourne mon attention sur le livre. Mes doigts caressent doucement la couverture usée, appréciant la texture rassurante du cuir vieilli.
— Tu peux le garder si tu veux, propose le brun avec un sourire chaleureux.
— C'est vrai ? Merci beaucoup ! m'écriai-je, submergée par la gratitude.
Je manque de leur sauter au cou, mais je me retiens in extremis. Après tout, les règles tacites imposées par Malcolm en matière de proximité me reviennent à l'esprit. Cette situation est délicate pour moi, car j'ai toujours été tactile, en quête constante d'affection et de gestes tendres.
Des souvenirs envahissent soudain mon esprit.
Je revois mon père, cet homme si attentionné, qui m'offrait chaque jour tout l'amour qu'il pouvait, malgré les ombres qui planaient sur notre foyer. Christale et moi étions son monde, tout comme il était le nôtre. Je me remémore une journée particulière, lorsque j'avais six ans. Papa était rentré du travail, fatigué mais souriant, et m'avait proposé de l'accompagner à la librairie. Christale avait refusé, et j'avais eu droit à un moment privilégié avec lui.
Je nous revois, assise sur ses genoux dans un coin de la librairie, tandis qu'il me parlait de son amour des mots, de leur pouvoir, de leur magie. Il m'avait acheté Little Women ce jour-là, et je me souviens encore de la manière dont ses paroles réchauffaient mon cœur, me transportant dans un monde où maman allait bien et où nous formions une famille heureuse.
Une larme me brûle presque les paupières, mais je secoue la tête pour chasser cette nostalgie douloureuse.
— Que se passe-t-il ? demande Jaylan, sa main se posant doucement sur mon épaule.
— Rien... Je suis juste nostalgique, répondis-je en tentant de dissimuler mon trouble.
Mais il est trop tard pour s'attarder sur mes souvenirs. Ricardo relève soudain la tête, les yeux fixés sur l'entrée de la bibliothèque.
— Des Novices approchent, avertit-il à voix basse.
Aussitôt, nous rangeons la cachette dans un silence précipité, Jaylan remettant le fauteuil en place d'un geste rapide. Lorsque les intrus arrivent enfin à notre niveau, nous avons déjà adopté une posture décontractée, comme si nous étions simplement plongés dans une discussion ordinaire. Nos visages sont parfaitement neutres, des masques d'innocence bien rôdés.
Parmi les nouveaux arrivants, une tête rousse se distingue, appartenant à un garçon frêle qui semble encore plus nerveux que nous. Il avance timidement, presque à contre-cœur, et tend un petit papier froissé dans ma direction.
— On... On doit donner ça à la fille, murmure-t-il d'une voix tremblante, comme s'il craignait une réaction violente.
Jaylan se place aussitôt devant moi, son corps formant un barrage protecteur. Je vois ses mâchoires se contracter alors qu'il fixe le garçon avec une intensité presque intimidante.
— Alors déjà, la fille, elle a un prénom, râle-t-il avec véhémence. Elle s'appelle April. Ce n'est pas compliqué à retenir !
Je pose une main sur son épaule, cherchant à calmer sa montée de colère avant qu'elle n'éclate.
— Calme-toi, murmuré-je d'un ton apaisant. Ce n'est pas grave.
Je le pousse doucement sur le côté et tends la main pour récupérer le papier. Le garçon me le remet avec une hésitation visible, ses doigts tremblant légèrement, avant de reculer précipitamment.
Le papier est chiffonné, mais les mots écrits en anglais sont clairs et précis. En lisant, je sens un frisson glacial parcourir ma colonne vertébrale :
« Ramène-toi au gymnase 6 dès que tu reçois ce message. Ne te défile pas, sinon on viendra te chercher nous-même. »
Mon cœur se serre, et je tressaille légèrement. Une sensation oppressante s'installe dans ma poitrine, comme un présage sombre. Les mots résonnent dans mon esprit, menaçants, et je ne peux m'empêcher de repenser aux mises en garde de Malcolm. Aurait-il eu raison de m'intimer de rester méfiante ?
Jaylan, toujours à mes côtés, semble avoir perçu mon trouble. Il se penche pour lire par-dessus mon épaule, son visage se durcissant instantanément.
— C'est quoi ce bordel ? murmure-t-il, son ton empreint d'une inquiétude contenue.
Ricardo, qui a observé la scène en silence jusqu'à présent, s'approche, l'air grave.
— Qu'est-ce qu'ils te veulent ? demande-t-il doucement.
Je secoue la tête, incapable de répondre. Une chose est certaine : ce message n'annonce rien de bon.
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