Chapitre 33
April
Le sommeil, bien qu'il ait temporairement apaisé les tourments causés par les révélations de Malcolm, n'a pas suffi à me soulager complètement. Au moment où mes yeux se sont ouverts, la réalité m'a heurtée comme un mur de briques. Non, pire. La métaphore est encore trop douce pour décrire l'intensité de ce que je ressens. C'est comme si on m'avait arraché le cœur à mains nues, me laissant un vide béant et une douleur insupportable.
Ma propre mère... Celle que j'ai aimée de tout mon cœur, malgré ses failles, malgré ses déviances, malgré sa maladie mentale... m'a trahie. Elle m'a vendue. Pour de la cocaïne. Ces mots résonnent dans mon esprit, déformés, amplifiés, jusqu'à ce qu'ils ne soient plus qu'un hurlement incessant.
Je veux crier, hurler jusqu'à ce que ma voix se brise, mais je ravale le cri qui monte dans ma gorge. Pas ici. Pas dans cet endroit où chaque souffle semble surveillé, où chaque mouvement pourrait trahir une faiblesse. Je suis au cœur d'un nid de monstres, dans une académie bâtie pour former leurs serviteurs. Un endroit où l'on façonne la soumission et où l'on érige en vertu ce que je ne peux voir que comme de l'obéissance aveugle. Je ne suis pas faite pour ça. Je ne pourrai jamais me plier à leurs règles, jamais suivre cette voie qu'ils me tracent de force. Jamais.
Fuir. C'est la seule option. Mais comment ? Où pourrais-je aller ? Si j'ai bien compris, obtenir un Jokdaris pourrait me donner une chance. Une arme, une force, un moyen de me libérer de cette prison déguisée en institution. Mais à quoi bon ? Qu'est-ce que je trouverai dehors ? Rien ne sera plus comme avant. Maman ne m'attendra pas à la maison. Chistale, elle non plus. Et si elle... Non, je ne peux pas penser à ça. Je ne peux pas imaginer que Chistale puisse subir le même sort. Mais l'idée s'infiltre malgré tout, insidieuse et paralysante.
Je sens un poids énorme peser sur mes épaules, une pression si intense qu'elle me cloue sur place. Je me sens piégée, comme un oiseau enfermé dans une cage trop étroite pour déployer ses ailes. L'air semble manquer dans cet endroit, chaque respiration devient un effort. Ce lieu est une torture. Chaque pierre, chaque couloir, chaque regard posé sur moi me rappelle que je ne devrais pas être ici, que ma vie n'aurait jamais dû prendre ce tournant.
Mais maintenant que je suis là, qu'est-ce que je peux faire ? Attendre ? Me battre ? Partir ? Tout semble insurmontable. Pourtant, une lueur vacille quelque part au fond de moi. Une flamme, fragile mais persistante. Une part de moi refuse d'abandonner. Si je dois rester ici, ce ne sera pas pour devenir comme eux. Ce sera pour les défier. Et pour retrouver Chistale. Elle, au moins, mérite d'être sauvée.
Il n'est pas question que je connaisse les possibilités et que je reste les bras croisés. Si je sais que quelque chose peut être fait, alors je dois agir. Je ne veux plus être cette fille paralysée par la peur, celle qui regarde sa vie lui échapper sans rien faire... Et pourtant, cette peur me colle encore à la peau, comme une ombre impossible à dissiper.
— Aprilou, allô la Terre ? Ici la Lune !
Je sursaute légèrement, arrachée à mes pensées par cette voix bien trop familière. Je secoue la tête, chassant les larmes qui menaçaient de monter, et tente de revenir à la réalité.
— C'est quoi ce surnom ? M'exclamé-je, feignant l'indignation.
Jaylan et Ricardo me regardent alors avec cet air mi-moqueur, mi-condescendant qui semble leur être si typique. Le genre de regard qui pourrait agacer, mais qui, venant d'eux, semble presque rassurant.
— T'es notre seule amie fille, donc désolé, mais on compte bien s'amuser avec toi pour te faire chier, rétorque le brun, un sourire en coin.
— Ah bah merci ! répondis-je, levant les yeux au ciel.
Il éclate de rire pendant que Jaylan, fidèle à lui-même, en rajoute une couche. Il me donne quelques tapes amicales sur l'épaule, son sourire malicieux illuminant son visage.
— T'inquiète, on ne sera pas trop méchants, me lance-t-il avec un clin d'œil complice.
Je sens immédiatement mes joues s'embraser. Pourquoi faut-il que ce fichu clin d'œil me fasse rougir ? Je détourne le regard, tentant de cacher mon trouble.
Nous avons encore usé de notre petite stratégie pour nous retrouver à manger ensemble. Rien de bien discret, il faut l'admettre. La moitié des élèves dans la cafétéria semblent nous observer, curieux. Pourtant, pour la première fois depuis hier matin, j'arrive à me détendre. La menace de Malcolm s'éloigne un peu, reléguée à l'arrière-plan de mes pensées.
Mais ses paroles, elles, restent gravées dans ma mémoire.
Il m'a surprise. Autant que je l'ai surpris, je crois. Sa façon de me dire de ne pas avoir peur, son regard si intense lorsqu'il m'a révélé la vérité... Et surtout, sa manière de me réconforter, de me serrer dans ses bras. Je peux encore sentir la chaleur de son étreinte, la sécurité qu'elle m'a apportée. C'était étrange et terrifiant à la fois, mais si réconfortant.
Je crois que j'aurais pu rester des heures ainsi, blottie contre lui, oubliant tout le reste. Et ce moment où il a fixé mes lèvres... Mon cœur s'emballe rien qu'en y repensant. J'ai rêvé qu'il m'embrasse. C'était ridicule, irréel, mais... oh, tellement tentant. Des papillons dansent soudain dans mon ventre, effaçant brièvement cette douleur lancinante qui m'habite depuis des jours. Je sursaute légèrement, ramenée à la réalité par une vive crampe.
— Tout va bien ? demande Jaylan, son regard inquiet fixé sur moi.
Il a déjà passé un bras protecteur sur mes épaules, comme s'il pouvait me protéger de tout ce qui me tourmente.
— Oui, juste un peu mal au ventre, répondis-je avec un sourire forcé.
— Si ça ne va pas, n'hésite pas à aller à l'infirmerie, me conseille-t-il avec douceur.
Je hoche la tête, murmurant que ce n'est rien. Mais en réalité, je ne suis pas aussi sereine que j'essaie de le faire croire. Ces douleurs durent depuis un moment maintenant, et elles deviennent de plus en plus étranges. Une sensation oppressante, comme si quelque chose tentait de tirer mes organes hors de mon corps. Parfois, ce sont des pulsations électriques qui me parcourent, comme des coups de jus, accompagnées d'une sensibilité accrue dans ma poitrine. Rien de bien alarmant, du moins c'est ce que je veux croire. Peut-être juste une fatigue passagère.
Mais si ce soir, ça ne va pas mieux... peut-être que je devrais vraiment écouter Jaylan et passer voir l'infirmier.
— Allons vider nos plateaux, propose Ricardo, rompant le silence qui s'était installé à notre table.
Je lève les yeux vers lui, sortant de mes pensées, et acquiesce. Nous nous levons en même temps, chacun prenant son plateau avant de nous diriger vers la zone de tri.
Une fois sortis de la cafétéria, nous nous dirigeons en silence vers la salle de biologie 10. Le cours d'anatomie humaine, bien que fascinant pour certains, n'est pas ce qui m'enthousiasme le plus. Je traîne un peu les pieds, essayant de ne pas laisser les pensées sombres envahir mon esprit. C'est Ricardo qui finit par briser le silence, une étincelle d'excitation dans la voix.
— Demain, c'est mon anniversaire, lance-t-il, un sourire fier illuminant son visage. On va faire un truc en comité restreint, pendant que tout le monde dormira. Est-ce que ça te dirait de participer ?
Sa proposition me prend un peu au dépourvu. Je m'arrête une seconde, réfléchissant à ce que cela impliquerait.
— Je ne sais pas trop si je vais pouvoir..., murmuré-je, hésitante.
Jaylan, qui marchait juste à côté du brun, se tourne vers moi avec une expression compatissante. Il sait à quel point les contraintes que m'impose Malcolm sont pesantes.
— On sait que tu dois rester avec Malcolm tous les matins, intervient-il. Mais à part les moments où tu dors dans sa chambre, tu devrais pouvoir retourner dans ton dortoir, non ?
Je hoche la tête, sans grande conviction. Leur enthousiasme est presque contagieux, mais une partie de moi reste sur la défensive.
— Et au pire, tu attends que tout le monde dorme et tu nous rejoins à la bibliothèque, propose Ricardo, son ton se faisant encourageant. Ça pourrait être cool, non ?
— Je ne sais pas si c'est une bonne idée..., admis-je, baissant légèrement les yeux. Je ne suis pas vraiment rassurée.
Ils échangent un regard, semblant peser le pour et le contre. Contrairement à ce que je craignais, ils ne poussent pas plus loin, respectant mes hésitations.
— Sinon, on peut faire ça dans la nuit, toujours au même endroit, reprend le brun aux yeux marrons. Mais bon... on risque d'être dérangés si quelqu'un passe.
Je secoue la tête, un soupir m'échappant malgré moi.
— Je dois rester tout le week-end dans sa chambre... C'est compliqué.
Jaylan plisse les yeux, réfléchissant intensément à une solution. Ricardo, quant à lui, hausse les épaules avec une désinvolture feinte.
— Bon... au pire, demande-lui la permission. Ou invente une excuse, dit-il avec un sourire en coin, comme s'il venait de résoudre un problème mathématique complexe.
Je laisse échapper un rire nerveux, plus pour alléger l'ambiance que par réel amusement.
— Je vais essayer, promis-je, croisant déjà mentalement les doigts pour que Malcolm accepte. Mais honnêtement... je ne sais pas comment il pourrait réagir.
En vérité, je doute fortement qu'ilaccepte. Même si, parfois, il semble presque humain, il reste imprévisible et impose des règles strictes. L'idée de lui demander une permission pour rejoindre une petite fête clandestine avec Jaylan et Ricardo me semble presque suicidaire. Pourtant, une part de moi espère qu'il pourrait comprendre... ou, du moins, qu'il oubliera sa règle sur l'amitié.
Nous arrivons devant la salle de biologie, et le bavardage se dissipe progressivement alors que nous pénétrons dans la pièce. Je m'assieds entre les deux garçons, me sentant étrangement protégée par leur présence. Mais au fond, mes pensées restent tournées vers Malcolm. Peut-être qu'en jouant sur les bons mots, je pourrais obtenir ce que je veux. Mais si je me trompe... que se passerait-il ?
Il vaut clairement mieux mentir...
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