Chapitre 30
April
Plus d'une semaine s'est écoulée depuis ma "rentrée" forcée à l'Académie Hollowspire. Un établissement qui n'a rien de commun avec ce que j'ai connu jusqu'à présent. Je n'aurais jamais cru m'y habituer, même un tant soit peu, mais étrangement, je commence à me sentir un peu plus à l'aise en classe. Les mots en dovlandais me viennent avec moins d'hésitation, et parfois, je parviens même à exprimer quelques phrases cohérentes. Pourtant, ce n'est pas sans mal.
J'aimerais pouvoir dire que je me suis fait deux amis parmi mes camarades de classe. Mais la menace de Malcolm plane au-dessus de ma tête, comme une ombre froide et suffocante. Impossible d'oublier ses mains puissantes qui enserraient ma gorge, ni la sensation de mes jambes cherchant désespérément un appui dans le vide. Je revois encore son sourire carnassier, cruel, lorsqu'il m'a vu cesser de lutter, quand tout mon corps a capitulé sous la panique et le manque d'air. Cette peur, viscérale, s'est incrustée en moi, comme une plaie qui refuse de guérir.
Depuis cet épisode, j'ai fait tout mon possible pour l'éviter. Mais dans un lieu aussi clos que celui-ci, c'est une tâche presque impossible. Malcolm a décrété que je devais me rendre dans sa chambre chaque matin, avant le dîner, et avant d'aller me coucher. Une routine écrasante, humiliante, à laquelle je ne peux me soustraire. Il ne me parle presque jamais. Son silence est pire que des mots. Chaque soir, il me fixe d'un regard vide, presque méprisant, avant de me donner des ordres laconiques : me laver, m'asseoir dos au mur et attendre. Le pire ça a été le mercredi après-midi et le week-end, des heures à attendre. Mais attendre quoi ? Je n'en ai aucune idée. Ces moments, si longs et interminables, me donnent parfois l'impression que le temps lui-même s'est figé, me laissant seule face à un néant pesant.
J'avais imaginé que partager un dortoir avec des dizaines de garçons serait un cauchemar, que leurs railleries viendraient s'ajouter à mes tourments. Pourtant, jusqu'à présent, ils ne m'ont rien dit. Peut-être qu'ils attendent, eux aussi. Attendront-ils que je sois totalement acclimatée avant de révéler leur véritable nature ? Quoi qu'il en soit, ma fatigue est telle que je sombre chaque jour dans un sommeil profond, sans même leur accorder une pensée.
Pendant les cours, je m'efforce de me concentrer, de donner le meilleur de moi-même. Mais, plus je m'acharne à comprendre leur système éducatif, plus il m'échappe. Leurs méthodes, leurs valeurs : tout ce que l'on m'enseigne ici va à l'encontre de mes convictions profondes. L'autre jour, en cours d'Histoire des "Grands Monstres", nous avons abordé des sujets que je n'aurais jamais cru rencontrer. Parmi eux, à ma stupéfaction, Adolph Hitler a été présenté comme un homme de génie, un modèle de gouvernance. Je me suis sentie mal, horriblement mal. L'envie de vomir était si forte que je me suis cramponnée à mon pupitre pour ne pas céder à la nausée.
La Seconde Guerre mondiale a toujours été un sujet sensible pour moi. Chaque fois qu'on l'évoquait à l'école, un poids indescrcomprendre, encore moins tolérer, qu'on encense un homme à l'origine de génocides et de tant de souffrances. Ce culte de la iptible m'écrasait la poitrine. Je ne peux pas violence, omniprésent dans cet endroit, m'est totalement étranger. Pourquoi cette glorification de la brutalité, cette obsession de la force et du pouvoir ? Pourquoi l'humanité s'entête-t-elle à choisir la destruction, encore et encore ?
C'est plus facile de faire le mal.
— Salut !
Je sursaute légèrement en sentant deux mains s'abattre doucement sur mes épaules. Mon cœur bondit, et je me retourne rapidement. Ricardo se tient derrière moi, affichant son sourire le plus éclatant, presque contagieux. Malgré les règles strictes de cette école, les élèves semblent souvent bien plus détendus que ce que j'avais imaginé. Je m'étais attendue à des automates sérieux, presque des robots incapables de spontanéité, mais c'est tout l'inverse.
— Coucou ! lui réponds-je timidement.
— Tu veux qu'on mange ensemble ? demande-t-il en inclinant légèrement la tête, ses yeux pétillant d'enthousiasme.
Je m'éloigne doucement de la sortie de la salle de Conditionnement Psychologique, mais Ricardo ne se laisse pas distancer. Il me rattrape en deux enjambées, ses pas résonnant dans le couloir désert.
— Tu n'as pas l'air très... cordiale, remarque-t-il d'un ton sincère, un soupçon de déception marquant ses traits.
— Désolée de mon attitude, murmuré-je, baissant les yeux.
— Alors, tu viens avec nous ? Jaylan serait ravie que tu te joignes à nous, insiste-t-il avec un clin d'œil complice.
Un instant, l'idée de partager un moment agréable avec eux m'effleure. Mais l'image de Malcolm surgit brusquement dans mon esprit, comme une ombre menaçante. Je revois son regard glacial, son sourire cruel. Mon estomac se noue.
— Allez, s'il te plaît... insiste le jeune homme avec douceur.
— Je... Je n'ai pas le droit de me faire des amis, avoué-je d'une voix brisée. Sinon, il va...
Ma gorge se serre. Les mots restent en suspens, mais il semble comprendre.
— J'ai une idée, propose-t-il avec un sourire malicieux. Installe-toi à une table toute seule. Après, on fera semblant de ne pas avoir de place et on viendra te rejoindre. Comme ça, tu ne seras pas en tort.
L'ingéniosité de son plan me fait sourire malgré moi.
— Pourquoi êtes-vous aussi gentils avec moi ? demandé-je, intriguée.
Ricardo réfléchit un instant avant de répondre :
— Parce que c'est normal. Et puis, ne crois pas qu'on a tous voulu venir étudier ici. Moi, par exemple, ma famille est contre ce système depuis des générations. Les parents de mes arrière-grands-parents faisaient partie de la rébellion des années 1830. Mais il se trouve que je remplissais tous les critères pour entrer à Hollowspire. Mes parents ne voulaient pas que je vienne, mais quand ils ont reçu des menaces, je n'ai pas eu le choix. J'avais huit ans.
Sa voix se brise légèrement, et une émotion sincère envahit ses yeux.
— Et maintenant, j'ai quinze ans, poursuit-il, presque dans un murmure. J'espère qu'un jour, je pourrai infiltrer ce système pour le détruire de l'intérieur.
Ses mots résonnent en moi. Une larme menace de rouler sur ma joue, mais je l'essuie rapidement.
— C'est vrai ? murmuré-je. Mais si tu fais ça et qu'ils le découvrent...
Le jeune homme me fixe avec une intensité désarmante.
— Si personne n'a le courage de se sacrifier pour la paix, alors qui le fera ?
Mon cœur se serre à ces paroles empreintes d'une sagesse inattendue pour son âge.
— Bon, changeons de sujet avant que je ne dise trop, ajoute-t-il avec un sourire en coin. Va t'installer, on te rejoint bientôt.
Avant que je puisse répondre, il me pousse gentiment vers la cafétéria, me tournant pour m'offrir un sourire éclatant et encourageant que je ne peux m'empêcher de lui rendre.
Quelques minutes plus tard, comme prévu, Jaylan et Ricardo arrivent. Ricardo s'installe à mes côtés tandis que Jaylan prend place en face de moi.
— Comment ça va ? me demande Jaylan en tendant une main amicale.
— Très bien ! Et toi ?
— Ravi que tu sois avec nous, lance-t-il avec enthousiasme.
Mes joues s'empourprent. Ricardo prend la parole, ses yeux sombres fixant les miens avec douceur.
— Tu sais, Jaylan et moi sommes ici pour des raisons similaires. Et on partage le même objectif.
Le blond acquiesce.
— Ne t'inquiète pas, murmuré-je. Ce que tu m'as confié restera entre nous.
— Je l'espère bien, répond Ricardo, presque méfiant. Désolé, mais je ne peux pas te faire entièrement confiance.
— Ne t'excuse pas, dis-je en hochant la tête. C'est normal. On ne se connaît pas vraiment.
Jaylan, souriant de toutes ses dents, lève les bras avec enthousiasme.
Mon visage se crispe malgré moi. Ricardo, observant ma réaction, pose un bras protecteur autour de mes épaules.
— Elle m'a dit qu'elle n'a pas le droit de se faire des amis, explique-t-il calmement. Mais on restera discrets.
Jaylan opine, son sourire s'évanouissant légèrement.
— Très bien. Mais souviens-toi, maintenant que tu es ici, tu peux devenir plus forte. Avec le temps, tu pourras empêcher cette personne de t'enchaîner ainsi.
Je hoche doucement la tête, réfléchissant à ses paroles.
— Pour l'instant, rester discrets m'arrange bien, murmuré-je.
Ils échangent un regard complice, et pour la première fois depuis longtemps, je me sens un peu moins seule.
— Alors, tu viens d'où ? m'interroge un des deux garçons, curieux.
— Un peu partout, concédé-je, préférant rester vague.
Jaylan arque un sourcil et échange un regard avec Ricardo, comme pour se consulter silencieusement.
— Non, je veux dire, avant de débarquer ici, il y a bien un endroit où tu habitais, non ? reprend-il avec insistance.
J'acquiesce en silence, détournant les yeux vers mon plateau.
— Mais tu veux pas nous le dire, déduit Ricardo, le ton légèrement teinté de déception.
Voyant leur regard sincèrement attristé, je prends une profonde inspiration. J'envoie valser ma gêne et finis par lâcher, presque à contrecœur :
— De Clairmontel. C'est là que je me suis fait enlever.
Leurs visages se figent, et une grimace de malaise se dessine sur leurs traits.
— Désolés pour toi, murmure Ricardo, sa voix pleine de compassion.
— On ne veut pas te rappeler de mauvais souvenirs, alors si tu préfères qu'on change de sujet, c'est ok, d'accord ? propose Jaylan avec douceur.
Un sourire reconnaissant étire mes lèvres. Leur bienveillance me touche plus que je ne l'aurais imaginé. Nous commençons alors à manger, le silence s'installant momentanément entre nous, mais il n'est pas pesant.
— Tu aimes faire quoi dans la vie ? me relance le brun, quelques bouchées plus tard.
Je prends le temps de réfléchir, remuant les légumes dans mon assiette, avant de répondre :
— J'adore écrire. Ça me permet de m'évader un peu... Et vous deux ?
Je les fixe tour à tour avec attention, curieuse d'en apprendre davantage sur eux.
— Les arts martiaux, me confie Jaylan avec un sourire en coin.
— Impressionnant ! Comme j'aimerais apprendre à me défendre... avoué-je, légèrement admirative.
— Je pourrais te donner des leçons, si tu veux, propose-t-il avec enthousiasme.
— Ce n'est pas de refus ! accepté-je avec un sourire sincère.
Puis, je me tourne vers Ricardo, qui n'a pas encore répondu à ma question.
— Et toi ?
Un éclat malicieux brille dans ses yeux, comme s'il savourait le suspense.
— Moi, j'aime énormément dessiner, finit-il par dire, le ton empreint de fierté.
— Tu me montreras tes œuvres ? demandé-je, intriguée.
— Oui, évidemment ! répond-il, presque ravi de ma demande.
Le reste du repas se passe dans une ambiance chaleureuse. Nous discutons de choses plus légères : des anecdotes amusantes sur les professeurs, leurs matières préférées, et même quelques ragots sur certains élèves. Ce moment simple mais précieux m'offre une parenthèse de normalité dans un quotidien qui ne l'est pas du tout.
La sonnerie finit par retentir, brisant la bulle de convivialité que nous avions créée. Elle annonce le début du prochain cours : Chimie de destruction avec M. Falkner. Mon estomac se serre légèrement. Cette matière, rien que par son intitulé, me met mal à l'aise, mais je n'ai pas le choix.
Ricardo se lève et tend une main pour m'aider à ramasser mon plateau.
— On t'attend à la sortie, me dit-il, un sourire rassurant sur le visage.
Jaylan acquiesce à son tour, et je hoche la tête, touchée par leur sollicitude. Alors que nous nous dirigeons pour porter nos plateau, je ne peux m'empêcher de ressentir une chaleur étrange dans mon cœur. Peut-être, juste peut-être, ces deux-là pourraient-ils devenir quelque chose de rare ici : des alliés.
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