Chapitre 28

April

La nuit est passée à une vitesse incroyable. Le débat du cours de début de soirée s'est plutôt bien passé, même si j'ai rapidement compris que je ne suis clairement pas faite pour ce genre de leçon, mêlant à la fois stratégie géopolitique et manipulations subtiles. La complexité des idées m'a un peu perdue, mais j'ai fait de mon mieux pour suivre. Ce n'était pas facile, surtout en sachant qu'on attendait de moi non seulement une compréhension mais aussi une participation active. Heureusement que mes camarades m'ont bien aidé, car sinon je n'aurais jamais réussi.

Ensuite, comme me l'avait promis Malcolm, il m'a rejoint devant le gymnase après les deux heures de sports avec un certain Monsieur Holloway, où nous avons fait de l'Athlétisme en évitant des obstacles. D'ailleurs, il ne m'avait pas précisé que de nombreuses classes participaient à cette matière en même temps, dont la sienne. Je l'ai aperçu de loin, concentré, courant à vive allure, pratiquant lui aussi un sport d'endurance. C'était étrange de le voir dans cet environnement, lui qui semblait si calme et mesuré à certains moments. Je n'avais pas l'habitude de le voir en action, et je dois avouer que c'était impressionnant.

Nous avons déjeuné dans le silence, comme deux étrangers partageant un même moment sans vraiment savoir comment l'appréhender. Le repas n'était pas désagréable, mais l'atmosphère lourde entre nous ne m'a pas permis de me détendre. Après ça, il m'a accompagné jusqu'à la salle 30, où j'ai rencontré mon nouveau professeur d'Anglais. C'était le seul cours à m'avoir semblé "normal", ou du moins plus familier. On n'avait pas besoin de se livrer à des jeux d'esprit ou à des manipulations d'aucune sorte. Nous avons simplement appris des termes et des expressions anglaises, et ce fut presque un soulagement, un moment où j'ai pu respirer un peu.

Enfin, la nuit de cours s'est terminée avec une heure de Langage codé et cryptographie avec un professeur nommé Asher Draven, en salle 2, où l'ambiance a été nettement plus sérieuse. La complexité des codes et des clés m'a laissée dans une sorte de torpeur intellectuelle. Puis, après ce moment de concentration intense, nous avons enchaîné avec le cours de Combat sans arme, animé par Monsieur Hawthorne dans le gymnase 3. La session a été éprouvante, nous avons été poussés à nos limites physiques, à apprendre à maîtriser nos mouvements, à réagir à chaque geste avec précision. C'était un défi, mais une fois de plus, je me suis retrouvée à lutter avec moi-même, épuisée et légèrement perdue dans tout ce tumulte pendant que tout le monde semblait en vouloir encore plus.

Tout ça a été très intense et, à la fin de la session, je me sentais comme un robot surchargé d'informations et de fatigue. Pourtant, Malcolm a insisté pour me faire visiter toute l'académie. Bien que je sois presque au bord du burn-out, il ne semblait pas vouloir me laisser partir sans me montrer chaque recoin, chaque détail de ce lieu qui m'était encore inconnu.

Et voilà comment je me retrouve là, marchant à côté de lui, le souffle court et la sueur perlant sur mon front. Cela fait bientôt une heure que nous marchons dans les couloirs immenses et froids de l'académie. Le bruit de nos pas résonne dans les couloirs vides, mais je n'arrive même pas à me concentrer sur les détails du décor. Je suis trop épuisée, chaque mouvement me demande un effort supplémentaire. Mais Malcolm, lui, semble plein d'énergie, me guidant à travers les longs corridors sans montrer la moindre trace de fatigue.

— Je vais te montrer ton dortoir. Je t'apporterai tes affaires pendant que tu feras ton lit.

J'acquiesce sans dire un mot, suivant le brun à la peau clair qui me guide vers un énième escalier en colimaçon, son regard concentré sur chaque marche que nous gravissons. Le silence est lourd autour de nous, seulement brisé par le bruit de nos pas. À chaque étage, l'atmosphère semble se densifier un peu plus, comme si nous pénétrions plus profondément dans un monde à part, loin de tout ce que je connaissais auparavant. L'angoisse me serre un peu la poitrine, mais je me force à avancer, ne montrant rien de mes appréhensions.

Bientôt, nous arrivons dans une large salle baignée d'une lumière tamisée, à peine filtrée par des fenêtres étroites, laissant un faible rayon de lune éclairer l'endroit. Des dizaines de lits sont entreposés, chacun placé contre un mur, comme une rangée infinie de corps endormis. Chaque lit est accompagné d'un grand casier vertical, et d'une commode surmontée de quelques livres, de photos, ou d'objets personnels. Tout semble ordonné, bien rangé, presque militaire. Mais il y a quelque chose de désordonné dans cette perfection. Comme si, au milieu de cette salle aseptisée, des secrets se cachaient dans chaque recoin.

Au centre de la pièce, des bureaux sont alignés avec une précision impeccable. Certains sont couverts de cahiers ouverts, de fiches de notes éparpillées, ou de tasses abandonnées, témoignant d'un travail acharné, une activité constante qui ne s'arrête jamais. L'air ici semble lourd d'efforts, de pression. Je me sens un peu oppressée par cet environnement trop organisé, trop concentré sur la productivité. Mais je n'ai pas le temps de réfléchir à tout ça. Malcolm, implacable, poursuit sa présentation.

— Les chambres personnelles ne sont que pour l'élite de l'élite. Dit-toi qu'il m'a fallu huit ans de travail acharné pour l'obtenir ! Huit étoiles !

Ma bouche s'ouvre instinctivement, formant un « O » de surprise. Huit ans pour obtenir une chambre à part, dans un lieu pareil ? Ça me paraît être une éternité. Une idée de la hiérarchie me frappe alors : je ne fais que débuter, et je suis déjà au bas de l'échelle. Mais je n'ai pas le temps de m'attarder sur cette pensée. Malcolm, implacable, continue de m'expliquer tout cela, comme s'il me donnait les clés du royaume. Je hoche la tête, essayant d'assimiler chaque mot, chaque détail.

Il m'indique un lit vide, sur lequel un trousseau de draps est soigneusement posé, attendant d'être utilisé.

— Et ton bureau est là-bas, me dit-il, en me montrant un endroit précis du doigt, au bout de la salle.

Je lui jette un regard, mes yeux parcourent les longues rangées de lits et de bureaux, cherchant à m'orienter dans cet endroit étranger. Je fais un effort pour reprendre mon souffle, la fatigue et le stress pesant sur mes épaules. C'est étrange, mais j'ai l'impression que ce dortoir est tout sauf un lieu de repos. Plus une arène où chacun attend son tour, son moment de gloire ou d'échec.

— Je vais chercher tout ce qui t'appartient. Reste ici et installe-toi. Je revient vite.

Sur ce, il part d'un pas décidé, me laissant seule dans cette grande pièce. Je prends un instant pour détailler davantage l'endroit. Les murs, blancs et froids, semblent renvoyer l'écho de mes pensées. Les lits, tous les mêmes, uniformes, presque déshumanisés, semblent m'observer. Certains élèves, déjà installés, mènent des conversations à voix basse, leurs regards curieux se posant sur moi, comme si ma présence allait tout perturber. C'est une sensation étrange, presque comme si j'étais une étrangère dans un lieu où tout le monde se connaît déjà. Je me demande combien de temps cela me prendra pour me fondre dans la masse, ou si j'y arriverai jamais.

Je me force à ne pas me perdre dans mes pensées et je commence à ranger les draps sur le lit. Mais même en accomplissant ce geste simple, je ressens la pression de l'endroit, cette étrange impression de devoir constamment prouver ma valeur. Sinon je serais tuée.

Une fois ma tâche achevée, je trouve Malcolm déjà de retour. Sans un mot, il commence à m'aider à ranger mes affaires avec une aisance nonchalante, comme s'il avait fait ça des milliers de fois. Lorsqu'il termine, il s'installe sur mon lit, son regard fixé sur moi avec une intensité qui me met mal à l'aise.

— Il faut qu'on établisse des règles, annonce-t-il soudainement.

Je reste figée, surprise par sa déclaration. Mon silence semble l'encourager à préciser sa pensée.

— Tu m'appartiens, donc c'est normal que tout le monde le sache.

Mon cœur rate un battement. Ses mots, froids et tranchants, s'immiscent dans mon esprit comme des lames acérées. Je secoue la tête, refusant cette idée absurde.

— Non, je ne suis pas à toi, je ne suis pas un objet, répliqué-je avec une force que je ne savais pas posséder.

Un sourire narquois se dessine sur ses lèvres.

— Tu n'es pas un objet, mais mon objet, rectifie-t-il avec une telle assurance que j'en tremble intérieurement.

Je baisse les yeux et commence à froisser nerveusement le tissu de ma jupe, tentant de contenir la colère et la peur qui s'entremêlent en moi. Le grand brun se lève lentement, son ombre semblant s'étirer sur les murs de la grande pièce.

— Règle numéro un : tu dois m'obéir au doigt et à l'œil, commence-t-il, sa voix grave résonnant comme un jugement sans appel. Bon, pour celle-là, je dois dire que tu te débrouilles pas trop mal.

Je tente de protester :

— Mal-

Il lève une main pour m'interrompre brusquement.

— Tais-toi ! tonne-t-il. Règle numéro deux : tu n'as pas le droit de parler à qui que ce soit d'autre que moi, sauf pour les cours.

Il marque une pause, comme s'il prenait plaisir à observer ma réaction.

— Ensuite, j'en viens à la troisième règle : tu as l'interdiction de te faire des amis. Je serai la seule et unique personne que tu côtoieras en dehors des cours, sache que c'est déjà un honneur, un énorme privilège.

Je sens mon estomac se nouer. La liste semble interminable.

— Aussi, tous les matins, de cinq heures à six heures, pendant le temps des douches et tâches ménagères, tu resteras dans ma chambre. Pareil entre huit heures et dix heures. Le couvre-feu est à 8h30, mais cela signifie seulement que les élèves n'ont pas le droit de sortir du bâtiment principal. Et hors de question que tu te laves dans les douches communes, devant tous les autres.

Un frisson glacé parcourt mon échine. Ces règles ne sont pas seulement absurdes, elles sont oppressantes, écrasantes. Un nœud se forme dans ma gorge, mélange de frayeur et de révolte. Je serre les poings, mes ongles s'enfonçant dans mes paumes, et je le regarde droit dans les yeux.

— Je refuse ! m'écrié-je, ma voix tremblante mais déterminée. Il n'est pas question que j'obéisse à ces règles stupides ! Tu n'es pas mon sauveur ! Tout ce que tu fais, c'est me faire souffrir encore plus !

Je respire profondément, le fixant avec défi malgré la panique qui monte en moi.

— Je te rappelle que tu m'as privée de nourriture pendant des jours, tu m'as ligotée ! Et en plus de ça, t'es bipolaire ! Un coup, tu me menaces de me tuer, un coup, tu soignes mes blessures, et un autre, tu m'obliges à intégrer les cours de cette académie ! C'est toi qui as demandé à ce que j'y sois admise, c'est ça ?

Son regard s'assombrit, une lueur de colère pure traversant ses iris gris.

— Ah ouais ? Je ne t'ai pas sauvée ? Tu en es si sûre que ça ? gronde-t-il, s'approchant de moi à grands pas. Sans parler de cette tentative de viol, je te signale que ta plaie aurait pu s'infecter. Tu en serais morte, et je t'ai soignée. J'ai veillé sur toi, sur ton hygiène de vie. Je t'ai cachée du proviseur parce que, s'il avait su que je te gardais, il t'aurait tuée ! J'ai fait en sorte que tu puisses devenir une des nôtres pour survivre ! Tu me dois tout, petite conne !

Mes jambes flageolent sous le poids de ses mots, et mes larmes commencent à couler en torrents incontrôlables.

— Si tu continues à chialer comme la grosse merde que tu es, poursuit-il, implacable, tu ne feras que donner une nouvelle preuve à tous les garçons et hommes de cette Académie que tu es une faiblarde !

Je renifle, tremblante, tentant de reprendre le contrôle de mes émotions.

— C'est quoi les autres preuves ? demandé-je d'une voix cassée entre deux sanglots.

Un sourire cruel étire ses lèvres.

— T'es une femme, déclare-t-il. Femme commence par un F, comme Faible.

Je ressens une explosion de rage.

— Tu peux pas dire une telle chose... Toutes les femmes ne sont pas ainsi... Les femmes sont des guerrières...

Il me toise, son regard empreint d'un mépris glacial. Puis, sans prévenir, ses deux mains s'abattent sur ma gorge. D'un geste calculé, il me soulève du sol comme si je ne pesais rien, ignorant les regards curieux des autres élèves présents dans la pièce.

L'air quitte mes poumons brusquement. Mes jambes s'agitent dans le vide, cherchant un appui inexistant. Mes mains agrippent ses poignets dans un réflexe désespéré, mes ongles s'enfonçant dans sa peau. Une sensation de brûlure envahit ma trachée tandis que mes oreilles bourdonnent, ma vision se rétrécissant peu à peu.

Je veux crier, mais aucun son ne sort. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, un écho sourd dans le chaos de mon corps en manque d'oxygène. Ma tête tourne, des étoiles dansant devant mes yeux. Ma bouche s'ouvre et se ferme comme celle d'un poisson hors de l'eau, en quête de ce souffle vital qui ne vient pas.

— Combien de temps ça tient ainsi, d'après toi, une guerrière ?

Il pivote légèrement, comme s'il savourait chaque instant, puis lance à la cantonade :

— Vous pariez combien, les gars ?

Son visage, métamorphosé par un sourire psychotique, m'horrifie. Son regard brillant d'une folie contenue m'envoie des frissons glacés dans le dos.

— Trente secondes ? Tente un jeune homme que je reconnais.

Nous sommes dans la même classe d'Adeptes 4.

— Allez, quand même pas, une minute, essaie un autre, plus près de la porte, une serviette enroulée autour de la taille.

Je serre encore mes bras autour de ses poignets, m'agrippant désespérément à cette maigre tentative de lutte, mais mes forces me quittent peu à peu. L'épuisement de la nuit de cours, combiné au manque d'air, transforme mes muscles en plomb. Mes jambes tremblent, mes bras chutent lourdement, et un sourire sadique s'étire sur ses lèvres.

Il jubile. Cet homme, non, ce monstre, incarne la cruauté à l'état pur. Il n'y a pas d'autre mot. Et pourtant, une partie de moi sait, au plus profond de mon être, qu'il pourrait aller encore plus loin.

Quand il finit par me lâcher, je m'écroule à genoux sur le parquet, toussant et haletant comme si je venais d'échapper à une noyade.

— Faiblarde !

Le mot claque dans l'air, lourd de mépris. Cette fois, l'horreur m'a figée. Les larmes, pourtant si promptes à couler, restent prisonnières de mes yeux. Ma tête reste basse, tournée vers le sol. Tout mon être est concentré sur une seule tâche : reprendre mon souffle.

Mais Malcolm n'en a pas fini. Il saisit mes cheveux d'un geste brusque, tirant ma tête en arrière pour me forcer à le regarder. La différence de taille entre nous me frappe encore plus cruellement dans cette position. Il dépasse facilement 1m80, tandis que je peine à atteindre les 160 centimètres.

— Je te conseille de respecter tout ce que je t'ai énoncé, petite conne. Sinon, il va t'arriver des emmerdes. Méfie-toi.

Sa voix est basse, menaçante, chaque mot imprégné d'un venin glacial. Puis, aussi soudainement qu'il est apparu, il me relâche et quitte la pièce sans un mot de plus.

Je reste figée quelques secondes, incapable de bouger, avant de ramper jusqu'à mon lit. Mes couvertures deviennent mon refuge. Je m'y glisse, cherchant à me soustraire aux regards des autres élèves, à la honte qui me ronge jusqu'à l'os.

Ma tête tourne encore, incapable de se détacher de ce qui vient de se passer. Et là, comme un éclair tardif, une réponse que j'aurais pu lui lancer jaillit dans mon esprit : "Ouais, peut-être que le mot femme commence par un F, comme faible, mais le mot masculin commence par merde."

Un rire nerveux, amer, m'échappe. Non, ça aurait été ridicule, complètement inutile. De toute façon, j'ai toujours les meilleures répliques après coup, quand elles ne servent plus à rien. Sauf celle-ci visiblement...

Et même si j'avais eu le cran de lui répondre, qu'est-ce que ça aurait changé ? Il m'aurait probablement étranglée encore plus longtemps, ou pire. Alors oui, je crois que j'ai bien fait de me taire. Quoi que, dans le fond, je me déteste pour mon silence.

Mais n'est-ce pas ce que je fais toujours ? Je baisse la tête, j'encaisse, je laisse ce poids monstrueux tomber sur mes épaules sans jamais trouver la force de le repousser. Parce qu'au fond, je ne crois pas pouvoir lutter contre un destin qui semble vouloir m'écraser à chaque instant. Il l'a dit lui-même : « faiblarde ». Et il a raison. Malheureusement.


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