Chapitre 23

April

Depuis mon énième réveil, je trouve que l'homme qui me séquestre a changé. Il n'est plus tout à fait le même. Ses gestes semblent plus... attentionnés... presque amicaux. C'est étrange. Il me rappelle maman : un coup glaciale, l'instant d'après tendre, comme si deux personnes cohabitaient en lui. Pourtant, il y a une nuance, quelque chose d'indéfinissable qui le différencie, mais quoi exactement ?

— Repose-toi encore. Tu n'es pas rétablie, dit-il, sa voix basse et étonnamment douce.

Je me redresse, mes muscles endoloris protestant légèrement.

— Non, je t'assure que ça va beaucoup mieux maintenant.

Pour appuyer mes mots, je saisis sa main. Sa peau est tiède, solide, et malgré moi, ce contact me trouble. Je veux lui montrer : je n'ai plus de fièvre. Je vais bien, ou du moins, mieux.

— D'accord, finit-il par dire après un silence. Alors va te laver, et après, je m'occuperai de ton poignet.

Ses mots me surprennent. Il me laisse une marge de manœuvre inhabituelle, sans même insister pour me surveiller.

— Tu n'as pas peur que je tente quelque chose ? demandé-je en le fixant, espérant discerner une faille dans son masque.

Il secoue la tête avec un petit sourire. Puis, il s'approche. Trop près. Son beau visage envahit mon champ de vision, et je retiens mon souffle, intimidée.

— Non... je t'ai laissée seule hier, quand je suis parti chercher le docteur. Tu n'as rien tenté. Alors pourquoi le ferais-tu maintenant ?

Un silence s'installe, mais avant que je puisse répondre, son regard se fait plus intense, et ses lèvres s'étirent en un sourire carnassier.

— Mais si tu me demandes... ce sera avec plaisir que je savonnerai moi-même ton magnifique corps, partout... si tu vois ce que je veux dire.

Mon cœur rate un battement. Il se penche encore, son souffle effleurant ma peau. Son regard gris acier, perçant, s'ancre dans le mien. Je déteste l'effet qu'il a sur moi. Mes joues brûlent d'une chaleur que je ne peux contrôler.

— N-non, balbutié-je, ma voix tremblante.

Je ne me souviens que trop bien des mains d'un de ces trois hommes qui ont commencé à m'agresser, celles-ci posées sur ma poitrine.

— Tu hésites... N'hésite pas, susurre-t-il, ses mots coulants comme du venin suave.

Il passe lentement sa langue sur sa lèvre inférieure, ses gestes étudiés, calculés, une lueur perverse illuminant son visage. Je suis figée, incapable de bouger, assise au bord du lit double. Il s'appuie sur ses bras, m'encerclant, réduisant mon espace vital à néant.

— Réponds-moi, Princesse... Est-ce que tu en as envie ?

Je secoue la tête frénétiquement, terrorisée par la tournure que prend la situation.

— Très bien, jolie blondinette...

Il se recule soudain, rompant le contact, me laissant respirer à nouveau. Mais la tension reste suspendue dans l'air, électrique, étouffante.

Bordel, mais qu'est-ce qui lui prend ?!

Je n'attends pas pour chercher refuge. Sans un mot, je m'enferme dans la petite pièce, mes mains tremblantes s'appuyant sur le lavabo pour retrouver mon calme.

Un bruit sec retentit soudain derrière la porte principale de la chambre. Quelqu'un frappe. Mon corps se tend, mes pensées s'affolent.

— Ne sors pas et ne fais aucun bruit, ordonne-t-il à voix basse, son ton tranchant mais discret.

Je m'immobilise, le souffle court. La peur serpente dans mon esprit. Qui est là ? Et pourquoi ne veut-il pas qu'on sache que je suis ici ?

Ma curiosité piquée, je me penche en avant, plaçant mon oreille contre la porte avec l'espoir de capter les moindres sons qui s'échappent de l'autre côté. La pièce au-delà semble être plongée dans un silence étrange, mais au moindre mouvement, chaque souffle devient plus net, plus détaillé. Les voix s'élèvent, mais elles sont étouffées par la porte.

— C'est bon, lance une voix masculine.

Je fronce les sourcils. Ce ton, cette voix... il me rappelle quelqu'un, mais qui ? Mon cœur s'emballe une fraction de seconde, et je fais de mon mieux pour rester calme.

— Tu as le Jokdaris ? Continu celui qui me garde prisonnière.

Il y a une tension palpable dans ses mots, et je me demande pourquoi il se montre si impatient. La situation m'échappe encore.

— Ouais, répond l'autre, plus calme, mais sa voix trahit une forme de méfiance. Il n'est pas pressé, mais il est sérieux.

Un frisson me parcourt.

— Parfait.

— Figure-toi que je n'ai même pas eu besoin de le tuer. Il te l'a cédé sous une condition, poursuit l'inconnu, son ton presque amusé.

Je me tends, tendant encore plus l'oreille, pressant mon dos contre la porte pour m'approcher davantage de ce qui semble être une conversation cruciale.

— Laquelle ? demande Malcolm, légèrement agacée, sans doute fatiguée d'attendre.

Je me concentre sur les mots, attendant la réponse avec une impatience qui me dévore.

— Il voulait simplement savoir si tu savais si, avec le Jokdaris, on pouvait partir de ce pays.

Je fronce les sourcils, ne comprenant pas immédiatement pourquoi cette question semble si importante. Pourtant, elle fait naître en moi une lueur d'espoir. Peut-être qu'il y a une échappatoire, peut-être que cette clé pourrait m'offrir une chance de m'échapper.

M'enfin, faudrait-il savoir ce que c'est un « joke d'Harriss ».

Le silence s'installe un instant.

— Et du coup... Tu me dois une réponse.

Je sens une pression s'intensifier dans l'air, le genre de pression qu'on ressent quand les choses commencent à se resserrer.

— Je suis un homme de parole, je te l'ai déjà dit, répond le brun aux yeux gris. Il semble impatient, sa voix trahissant l'irritation de l'attente. Mais crache le morceau. J'ai attendu bien assez longtemps.

— Oh, ça va ! On est à peine lundi ! Tu m'as demandé samedi !

— Ouais, mais je ne supporte pas qu'on me fasse attendre, quand même. Mais passons. Je suis fatigué, la journée a été longue.

Je sens l'agacement monter, mais j'essaye de rester concentrée sur la conversation.

— Tu étais malade, c'est ça ? C'est pour ça que tu n'es pas venu en cours ?

Je peux presque entendre la moue sur son visage. L'inconnu semble chercher à le piéger, à lui faire avouer quelque chose.

— C'est ça ta question ? demande Malcolm son ton oscillant entre l'agacement et la résignation.

Mais l'autre insiste, avec une question qui me fait presque sursauter.

— Non. Du coup... J'ai mis du temps pour la choisir... Parce que j'aimerais aussi savoir si tu as gardé la fille vivante... Mais du coup voilà, j'ai revu mes intérêts... C'est qui ton père ?

Les mots résonnent dans ma tête. Mon cœur se serre.

« Gardé la fille en vie »... Une voix familière... Est-ce que ce serait un des type qui... ? Non... Pas possible... Si.

Une pause s'étend entre eux. Un long silence lourd de sens, où chaque mot pourrait tout changer. J'imagine l'inconnu, dans l'autre pièce, attendant la réponse, scrutant chaque mouvement.

Enfin, la réponse tombe.

— Je suis le fils de Hugues Voss.

Le nom frappe l'air comme un éclair, un coup de tonnerre.

— Quoi ! Mais t'es le fils du pro-

— Ferme ta gueule et barre-toi ! réplique-t-il, froidement, avec une fermeté glaciale.

Il est visiblement hors de lui.

Soudain, un bruit sec retentit, et je devine que l'autre a été jeté dehors sans ménagement. La tension qui flottait dans l'air se dissipe un instant, me laissant dans un silence lourd de conséquences.

Je prends une grande inspiration, tremblante, et me précipite pour me déshabiller.

— C'est bon, tu peux te laver, m'indique Malcolm. Il semble détendu, comme si rien ne venait de se passer.

Une fois que j'ai terminé, je sors de la petite pièce, encore enroulée dans la serviette qu'il m'a laissée. Le froid me frôle à chaque pas que je fais, et je serre le tissu contre moi, espérant qu'il m'apporte un peu de chaleur.

Je m'arrête en voyant l'homme qui m'a capturée. Il me fixe, son regard perçant, presque inquisiteur. Il semble réfléchir avant de parler, pesant soigneusement ses mots.

— Tu devrais éviter de sortir comme ça si tu ne veux pas que... Enfin... Je veux dire que je suis un homme respectable, mais que j'ai tout de même certaines pulsions, dit-il d'un ton un peu moqueur, comme s'il attendait une réaction de ma part.

Je n'ose rien répondre, mais je hoche la tête en silence, resserrant instinctivement le tissu autour de mon corps amaigri. C'est étrange, je devrais peut-être être plus en colère ou encore plus effrayée, mais une partie de moi est encore figée dans l'incompréhension. Pourquoi est-il comme ça ? Pourquoi joue-t-il à être à la fois cruel et presque... humain ?

— J'ai besoin de vêtements... finis-je par murmurer, espérant qu'il comprenne la nécessité de sortir de cette tenue qui ne me couvre même pas correctement.

Il hausse les épaules, comme si la question ne l'avait pas vraiment perturbé.

— C'est ce que je me suis dit. Laisse-moi dix minutes, je vais aller te chercher ton uniforme.

Un uniforme ? Je fronce les sourcils, perplexe. Un uniforme ? Pourquoi un uniforme ? Pourquoi pas juste des vêtements normaux ? Pourtant, je me dis que je n'ai pas le choix. Je hoche la tête, résignée, et m'installe sur son lit, observant d'un œil distrait les coins de la chambre, cherchant quelque chose à me raccrocher. Il presse le pas vers l'entrée sans se retourner, mais juste avant de franchir le seuil, il me lance une dernière remarque.

— Si tu as bougé à mon retour, tu seras punie.

Les mots flottent dans l'air, lourds et menaçants. Il ne me donne même pas le temps de répondre, puis il disparaît dans le couloir, me laissant seule, figée dans une multitude de questions sans réponse. Pourquoi cette menace ? Les autres fois il me disait qu'il me tuerait... Et pourquoi un uniforme ?

Je me secoue, me forçant à ne pas me perdre dans ces pensées, dans cette spirale d'incertitude. L'attente est longue, mais je me dis que ce n'est pas grave. Je vais survivre. Tout ce que je peux faire, c'est compter les secondes qui passent, comme si cela pouvait changer quelque chose. En attendant son retour, je me laisse submerger par la solitude de la pièce, l'angoisse qui serre ma poitrine. Pourtant, étonnamment, une part de moi semble ressentir quelque chose d'inattendu. Une forme d'attente qui me surprend.

Je me déteste pour ça, mais il faut bien l'admettre : j'attends son retour avec une étrange impatience. C'est ridicule. Je déteste cet homme. Je déteste ce qu'il a fait, ce qu'il est. Mais peut-être que je n'ai pas le choix. Une part de moi veut croire qu'il y a encore une chance, une possibilité de comprendre.

Parce que c'est la règle que j'ai toujours suivie, la règle que j'ai partagée avec ma jumelle : ne jamais se laisser submerger par les pensées négatives. Je n'abandonnerai pas, même dans cette situation. Peu importe que j'aie été kidnappée, vendue, prise en otage par cet homme. Je n'abandonnerai pas. Pas question.

Je resserre mes bras autour de moi, luttant contre les tremblements de mon corps, me rappelant que tout n'est pas encore perdu.


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