Chapitre 21
April
« Bonjour ma chérie... »
Cette voix.
Elle s'élève dans l'obscurité comme une mélodie oubliée, douce et réconfortante, mais teintée d'une tristesse indicible. Mon souffle s'arrête.
— Christale ? Maman ? murmuré-je, hésitante.
Mon cœur s'emballe, cognant douloureusement contre ma poitrine. Un instant, je doute. Peut-être que je rêve... ou pire, que je délire. Mais cette voix, je la reconnaîtrais entre mille. Elle porte encore les inflexions familières de mon enfance, ce timbre rassurant qui pouvait chasser mes peurs d'un simple mot.
« April... »
Mon prénom, prononcé avec une tendresse presque insoutenable. J'ai envie de pleurer, mais les larmes restent coincées dans ma gorge.
— Maman... je ne... je ne te vois pas... Où es-tu ?
Mes mains tremblent, cherchant vainement une présence dans cette obscurité oppressante. Mon souffle devient court, chaque mot un effort.
« Retourne-toi. »
Sa voix semble venir de partout à la fois, un murmure qui s'infiltre dans mon esprit. Je pivote lentement, la peur et l'espoir mêlés. Mon regard scrute la noirceur environnante, et puis, enfin, je l'aperçois.
Là, au milieu de ce vide infini, elle se tient, lumineuse et fragile. Ses contours sont flous, presque irréels, comme si elle appartenait à un autre monde. Mon cœur bondit, emporté par une vague d'émotion si forte que mes jambes faiblissent.
Par réflexe, je cours vers elle, mes pieds frappant le sol sans un bruit, et me jette dans ses bras. Ses bras m'accueillent, chauds et rassurants, comme si rien n'avait changé. L'étreinte est si intense que je sens son souffle saccadé contre mon cou. Ses mains dessinent de petits cercles dans mon dos, un geste familier qui me fait presque croire que tout va bien.
« Je suis tellement, tellement désolée, ma chérie... » Sa voix se brise en prononçant ces mots.
— Ce n'est pas de ta faute, maman... dis-je d'une voix tremblante, presque inaudible. C'est à cause de ta maladie... Je ne t'en veux pas... Je ne t'en ai jamais voulu...
Ses épaules se secouent alors qu'elle éclate en sanglots. Je ressens chaque spasme comme une vague de douleur qui traverse mon propre corps. Ses larmes chaudes coulent sur mon épaule, mouillant ma peau.
— Maman... tu me serres trop fort...
Elle ne répond pas. Au contraire, son étreinte devient presque douloureuse, comme si elle avait peur que je m'échappe. Puis, brusquement, sa voix change.
« TOUT EST DE TA FAUTE ! Si Christale pleure, c'est à cause de toi ! »
Je recule d'un pas, abasourdie. Son ton est glacial, tranchant, comme un couteau s'enfonçant dans ma poitrine.
— Non... Non ! Je ne suis pas responsable ! Ce n'est pas vrai !
Les contours de son visage se durcissent, perdant toute douceur. L'ombre qui l'entoure semble s'épaissir, se tordre, comme si elle était vivante. Une nouvelle silhouette apparaît alors, plus loin.
— Christale !
Ma jumelle se tient là, immobile, ses traits tirés par une expression de dégoût qui me fait l'effet d'une gifle. Ses cheveux blond encadrent son visage comme une couronne sombre, et ses yeux, autrefois remplis de complicité, sont vides, froids.
— Ne me tourne pas le dos, s'il te plaît ! criai-je, désespérée. Ne m'oublie pas !
Mais elle se détourne sans un mot, ses pas l'éloignant dans l'obscurité.
« Elle te déteste parce que tu l'as abandonnée ! » hurle ma génitrice sa voix résonnant comme un jugement irrévocable.
— C'est faux ! gémi-je, tombant à genoux. Je ne l'ai pas fait ! On m'a enlevée ! Ce n'est pas ma faute ! Je vous aime ! Je vous aime toutes les deux ! S'il vous plaît... ne m'abandonnez pas...
Les ténèbres se referment autour de moi. Les silhouettes de ma mère et de ma sœur vacillent, deviennent floues, puis disparaissent, emportées comme des grains de poussière dans le vent.
— Non ! Revenez ! crié-je de toutes mes forces, mais ma voix se perd dans le vide.
Je suis seule. L'obscurité m'écrase. Une douleur sourde envahit ma poitrine, et les larmes jaillissent sans retenue. Ma respiration est saccadée, mon corps tremble.
Soudain, une douleur vive explose sur ma joue gauche.
J'ouvre les yeux d'un coup, haletante, désorientée. La lumière blafarde de la réalité me heurte violemment.
— Qu'est-ce que...
Je croise le regard froid et furieux de Malcolm, penché au-dessus de moi. Ses traits sont déformés par l'agacement, et son haleine sent l'alcool.
— Tu vas arrêter de chouiner, putain ?! grogne-t-il, sa voix chargée de colère. Tu me gonfles ! Même pas moyen de dormir tranquille alors que je suis en week-end !
Son ton est un couperet, brutal et sans pitié. Je reste figée, ma joue encore brûlante de la gifle qu'il m'a donnée, les larmes continuant de couler malgré moi. Ma poitrine se serre. La chaleur de l'étreinte de ma mère s'est évanouie, remplacée par le froid glacial de la réalité.
Je me redresse sans difficulté alors qu'il s'écarte d'un pas.
Je jette un regard rapide autour de moi, cherchant des repères, et remarque avec horreur que je suis... dans son lit.
Un frisson me parcourt l'échine, et dans un réflexe de panique, j'attire mes jambes contre ma poitrine, les encerclant de mes bras tout en me balançant doucement, comme pour me rassurer.
— P-pourquoi est-ce que je suis ici... ? murmuré-je, ma voix tremblante, accompagnée par le claquement de mes dents sous l'effet de la peur.
Le jeune homme, qui m'observe sans bouger, hausse un sourcil, visiblement agacé par ma réaction.
— Au lieu de paniquer comme ça, tu devrais me remercier, déclare-t-il d'un ton plat, presque détaché.
Il marque une pause, comme s'il attendait que ses mots s'imprègnent en moi, avant de reprendre sur un ton plus bas, presque inaudible :
— Tu avais de la fièvre... J'ai fait ce qu'il fallait.
Je hoche la tête, incapable de dire quoi que ce soit. Sous le choc, des questions tourbillonnent dans mon esprit. Il m'a laissé en vie... Mais pourquoi ? Quel est son but ?
Les mots me brûlent les lèvres, mais je n'ose pas les prononcer. À la place, je murmure un remerciement maladroit, ma voix s'éteignant presque au milieu de la phrase.
— Ça ne serait pas drôle que tu crèves de la maladie, quand même, ajoute-t-il, un sourire en coin qui ne m'inspire aucune confiance.
Je hoche la tête mécaniquement, toujours en état de stupeur, et décide de me lever. Mais à peine ai-je posé un pied hors du lit que ses deux mains se posent fermement sur mes épaules, m'immobilisant et me forçant à me rasseoir sur le matelas moelleux.
— Tu dois encore te reposer. Dors, ordonne-t-il avec autorité.
— Mais... !
— Quand je te dis de faire quelque chose, tu le fais, un point c'est tout !
Je n'ose pas protester davantage et obéis, m'allongeant à contrecœur sur les draps sombres.
Mes yeux se ferment presque instantanément, comme si mon corps capitulait sous le poids de l'épuisement. Très vite, je sombre dans un sommeil profond et réparateur, sans rêves, perdu dans l'obscurité.
Quand je me réveille, une odeur délicate chatouille mes narines. Intriguée, j'ouvre les yeux et aperçois le brun aux yeux gris tenant un bol fumant dans ses mains. Il s'approche de moi et, sans un mot, tend la cuillère jusqu'à mes lèvres. Surprise, je recule d'un mouvement brusque.
— Avale ! ordonne-t-il en saisissant mon menton pour m'obliger à ouvrir la bouche.
Je déglutis à contrecœur.
— Beurk ! m'exclamé-je en grimaçant.
C'est infect. Le goût est si atroce que j'ai envie de tout recracher. Mais comment lui dire sans risquer de l'énerver davantage ?
— Tu gardes tes commentaires pour toi, gronde-t-il. Et tu manges, ou je t'assure que-
— Tu me tues ? l'interrompé-je, exaspérée. C'est bon, je connais la chanson ! Si tu voulais vraiment le faire, pourquoi tu ne l'as pas fait depuis le début ? Combien de fois tu en as eu l'occasion ?!
Il reste silencieux, son visage fermé, exprimant une colère contenue. Mais il ne réplique pas.
— J'ai faim ! Donc oui, je vais l'avaler, ta putain de soupe ! m'écrié-je, attrapant le bol d'un geste brusque.
Sans attendre, je le porte à mes lèvres et ingurgite tout d'un coup, retenant ma respiration pour ne pas sentir le goût.
Quand je relève la tête, il est assis sur une chaise près de la table, ses yeux fixés sur ce qui semble être un cahier. Sa concentration est totale, comme si je n'existais plus.
Je me lève doucement, dépose la vaisselle avec précaution, et m'installe en face de lui, la culpabilité me rongeant de l'intérieur.
— Pardon, dis-je à voix basse. Je n'aurais pas dû t'agresser comme je l'ai fait alors que tu m'as sauvée...
Il ne répond pas, ses yeux toujours rivés sur les pages devant lui. Je l'observe quelques minutes, cherchant une quelconque réaction, mais rien.
Finalement, je détourne les yeux et commence à examiner la pièce. Par la fenêtre, je remarque qu'il fait nuit noire. Pourtant, l'horloge murale indique 7h07 du matin.
La lumière artificielle éclaire faiblement l'espace, donnant à l'endroit une atmosphère oppressante.
Je me lève pour explorer un peu plus, et il ne bronche pas, indifférent à mes mouvements. Prenant cela comme une permission implicite, je m'aventure jusqu'à la salle de bain.
Une fois à l'intérieur, je referme la porte, profitant de cet instant d'intimité pour me soulager.
Je m'observe dans le miroir, passant une main sur mon visage fatigué. Mes cernes se sont légèrement atténuées, et les hématomes qui marquaient ma peau ont disparu. Je passe une main dans mes cheveux longs et emmêlés, soupirant en réalisant à quel point ils ont poussé.
Quand je retourne dans la pièce principale, Malcolm n'a pas bougé d'un centimètre. Assis à la même place, il feuillette toujours ses cahiers, l'air absorbé.
Je m'installe à nouveau en face de lui, hésitant à briser ce silence pesant. Mes pensées vagabondent. Pourquoi m'a-t-il sauvée ? Et pourquoi continue-t-il à m'aider malgré mon comportement ?
— Est-ce que tu me fais la tête ? demandé-je doucement, espérant briser ce mur de silence entre nous.
Aucune réaction. Pas un mot. Pas un regard.
— Réponds-moi, s'il te plaît...
Rien. Il tourne une page de son cahier avec une lenteur qui semble presque calculée pour m'ignorer.
Je pousse un soupir résigné. Puisque je ne peux obtenir aucune réponse de sa part, je décide de me rendre utile. Mon esprit agité a besoin d'une distraction, et l'inaction me rend folle.
Je jette un coup d'œil autour de la pièce, cherchant quelque chose à faire.
D'abord, je m'attelle à remettre en ordre son lit. J'arrache la grande couette épaisse avec précaution, en secouant légèrement la poussière qui s'y est accumulée, avant de l'étaler correctement. Je repositionne les oreillers, en les tapotant pour leur redonner du volume, et ajoute le traversin, parfaitement centré. Ensuite, je tends le drap-housse, tirant fermement sur les bords pour qu'il n'y ait pas un seul pli.
Quand tout est en place, j'ouvre la fenêtre, laissant entrer une bouffée d'air frais et revigorante. La brise matinale emplit la pièce, et pour un instant, je me surprends à sourire légèrement.
Mon regard dérive vers l'armoire grande ouverte à l'autre bout de la pièce. En m'approchant, je découvre une corbeille de linge sale pleine à craquer. Les vêtements s'entassent de manière désordonnée, et une odeur légèrement désagréable s'en dégage.
— Autant m'en occuper, murmuré-je pour moi-même.
Je prends la corbeille et me dirige vers la machine à laver dans un coin de la pièce. Je trie rapidement les vêtements, ajoutant du détergent trouvé dans le placard sous le lavabo, avant de lancer le cycle de lavage. Le ronronnement régulier de la machine remplit l'espace, ajoutant une présence sonore apaisante.
Quand je reviens vers la table, il est toujours plongé dans ses cahiers, immobile, comme une statue de marbre. Exaspérée, je détourne les yeux pour trouver autre chose à faire. Mes pas me ramènent vers la salle de bain, où je commence à nettoyer la douche et le lavabo. L'eau coule, emportant avec elle la saleté et les traces d'usure. Le savon mousse sous mes doigts, et je m'applique à faire briller les surfaces.
Une fois satisfaite, je retourne dans la pièce principale pour récupérer le bol et la cuillère laissés sur la table. Je les rince à l'eau claire dans l'évier de la salle de bain, observant les gouttelettes glisser sur mes mains. Chaque tâche, aussi insignifiante soit-elle, me donne un semblant de contrôle dans cette situation où je n'en ai aucun.
Mais bientôt, il n'y a plus rien à faire. Je reste immobile, les mains appuyées contre le rebord du lavabo, fixant mon reflet dans le miroir. Une fatigue sourde s'affiche sur mon visage, mais une étrange détermination brille dans mes yeux.
Revenant dans la pièce principale, je m'assieds de nouveau sur la chaise en face de lui. Mes yeux se posent sur l'horloge accrochée au mur : 9h59.
Je me lève pour éteindre la lumière, le soleil s'étant levé. Les rayons dorés filtrent par la fenêtre, réchauffant doucement la pièce. Je m'approche du rebord et m'appuie contre le cadre, laissant le vent caresser mon visage.
Derrière moi, je l'entends tourner une autre page. Toujours silencieux, toujours inaccessible.
Je ferme les yeux un instant, respirant profondément. Peut-être que ce silence finira par s'ébrécher, mais pour l'instant, il reste mon seul compagnon.
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