Chapitre 20

Malcolm

Plus d'une semaine s'est écoulée depuis la fin du premier examen. Nous sommes le samedi 12 octobre. Ma punition a eu lieu mercredi dernier, le 9. J'ai été réquisitionné pour nettoyer le gymnase 6, celui où les proies avaient été gardées. Cette corvée ne m'a pas dérangé, elle m'a pris seulement quelques heures, et ça m'a permis de réfléchir.

Je me tiens à présent devant la cellule en bois. D'un geste brusque, j'en tire la blondinette, ses jambes fléchissant sous son poids plume. Elle semble incapable de se tenir droite.

— Tu as fait un bon gros dodo ? demandé-je avec ironie, en l'attrapant par le bras pour l'adosser contre le mur froid du couloir.

Elle ne me répond pas. Pas un mot, pas un regard. Ses yeux vides fixent un point imaginaire, comme si toute l'étincelle qui l'animait autrefois s'était éteinte. Cela fait cinq jours qu'elle n'affiche plus aucune expression. J'avoue qu'elle aura tenu plus longtemps que ce que j'avais prévu dans sa petite résilience.

Cela dit, elle commence enfin à céder. Je ne l'ai pas nourrie depuis vendredi dernier, cela remonte déjà à huit jours. Je lui ai seulement donné de l'eau – par charité, disons – et permis d'aller aux toilettes quand bon me semblait. J'ai désinfecté sa plaie une ou deux fois. C'est déjà énorme, elle ne méritait pas tant. Tout cela pour qu'elle comprenne une bonne fois pour toutes qui est le chef ici. Qu'elle réalise que tant qu'elle reste sous mon joug, elle vivra pire que tout ce qu'elle a pu connaître avant.

Un sourire narquois étire mes lèvres. La voir se briser lentement, à petits feux, m'apporte une satisfaction morbide.

Je tire un morceau de pain de ma poche et le balance devant elle, juste sous son nez.

— Tu as faim ? la provoqué-je, en agitant la nourriture comme une carotte devant un âne récalcitrant.

Rien. Toujours rien. Ses yeux restent dans le vide, sans le moindre mouvement.

Agacé, je claque des doigts près de son visage. Toujours aucune réaction.

— Hé, tu m'écoutes ou pas ? dis-je en haussant le ton, un soupçon de frustration perçant dans ma voix.

Je m'accroupis à son niveau et dénoue les cordes autour de ses poignets pour voir si cela la fera réagir. Mais à peine ses bras libérés, elle s'effondre à genoux.

C'est alors que je remarque la sueur qui dégouline sur son front. Ses mèches blondes collent à sa peau blême, et son souffle est saccadé, presque rauque. Par curiosité, je pose ma main sur son front brûlant. Une chaleur anormale. Je retire ma main et serre les dents.

— Merde ! Une poussée de fièvre ? Tu te fiches de moi ou quoi ? grogné-je, furieux.

Je la fixe, partagé entre l'agacement et une certaine perplexité. Si elle claque ici, cela compromettrait mes plans. Cette fichue fièvre n'était pas prévue.

D'un geste sec, je l'attrape par le bras et l'entraîne vers la porte menant à la salle de bain. Elle titube, incapable de marcher seule, et je sens son corps trembler comme une feuille dans une bourrasque.

— Bouge ! Ce n'est pas le moment de faire ta petite nature, m'entends-tu ? râlé-je, sans m'arrêter.

Elle ne répond toujours pas.

L'ombre de mon sourire a disparu. Si elle ne s'en sort pas, tout cela aura été une perte de temps.

Je la soulève sans ménagement, ses membres pendants comme ceux d'une poupée de chiffon. Elle est si légère que cela en est presque dérangeant. Je la dépose sur mon lit, ses cheveux s'éparpillant sur les draps sombres. Son visage est pâle, strié de sueur. Elle ressemble à une coquille vide.

Agacé, je me détourne et me dirige d'un pas précipité vers la salle de bain. J'ouvre le robinet d'eau glacée, laissant le linge s'imbiber. Le liquide ruisselle entre mes doigts, froide et mordante, mais je ne m'en soucie pas. Avec un soupir irrité, je retourne auprès d'elle et pose le linge humide sur son front brûlant.

— Genre, je n'ai que ça à foutre de m'occuper de toi... marmonné-je, tout en fronçant les sourcils.

Pourtant, mes gestes se font étrangement précis, presque minutieux. Une part de moi se demande pourquoi je fais cela. Après tout, ce n'est pas comme si elle comptait pour moi.

Une fois cela fait, je saisis ma gourde d'eau posée sur la table de chevet. Je l'ouvre d'un geste brusque et l'approche de sa bouche entrouverte. Mais un problème surgit : comment lui faire avaler l'eau sans risquer qu'elle s'étouffe ?

— Merde ! pesté-je, en frappant doucement la gourde contre ma paume.

Je fixe son visage inerte, cherchant une solution. Sa respiration est faible, irrégulière. Une vague de frustration monte en moi, accompagnée d'une sensation étrange que je refuse de nommer.

— Comment on fait pour s'occuper d'une personne malade, hein ? lancé-je à voix haute, comme si elle pouvait m'entendre.

Bien sûr, elle ne répond pas.

Je passe une main nerveuse dans mes cheveux, mes doigts tremblant légèrement. La vérité, c'est que je n'en ai aucune idée. Je n'ai jamais appris cela. Moi, tout ce que je sais faire, c'est causer du mal, pas le réparer.

— Je suis pas un putain de docteur... murmuré-je, la gorge serrée par une frustration que je ne m'explique pas.

Je reste là, immobile, à la regarder. Un poids indéfinissable s'installe dans ma poitrine. Cette situation me dépasse. Et pourtant, je ne peux pas m'empêcher de tenter de la maintenir en vie.

Après un instant, je me penche à nouveau. Je cale ma main sous sa nuque, soulevant doucement sa tête, et approche la gourde. Lentement, je verse quelques gouttes d'eau sur ses lèvres sèches, priant intérieurement qu'elle les avale sans difficulté.

Chaque geste me coûte, non pas physiquement, mais mentalement. Ce n'est pas mon rôle. Ce n'est pas ma place. Et pourtant, je continue, incapable d'expliquer pourquoi.

— Tu me gaves, franchement ! Pourquoi je t'ai récupérée ! J'aurais dû les laisser te tuer, mais non, comme un abruti, j'ai laissé mon instinct et mes pulsions prendre le contrôle !

Une fois que j'ai terminé de parler, je repose sa tête délicatement sur l'oreiller. Malgré ma rage, mes gestes restent mesurés. Je m'attarde un instant à observer son visage. Elle semble si fragile, comme si le moindre souffle pouvait la briser. Puis je me détourne, le cœur lourd, et quitte la pièce d'un pas rapide pour rejoindre l'infirmerie. J'ai besoin d'Aspirine, et d'un peu de calme pour rassembler mes pensées.

— Malcolm...

Cette voix, basse et traînante, me stoppe net alors que j'arrive près du bureau de l'infirmier.

Jonas.

Il se tient là, accoudé au mur, son éternel sourire narquois étirant ses lèvres.

— Tu fais quoi ? demande-t-il avec un ton faussement désinvolte.

— Qu'est-ce que ça peut bien te foutre ? répliqué-je sèchement.

— Tu es très étrange ces derniers temps. Et par "étrange", je veux bien dire que c'est pire que d'habitude...

Je lève les yeux au ciel, déjà lassé par cette conversation.

— Et alors ?

— Il paraît même que des élèves ont entendu des gémissements dans ta chambre il y a quelques jours...

Il marque une pause, espérant me voir réagir. Mais je ne lui laisse pas ce plaisir.

— Oups... on dirait bien que je me suis laissé un peu trop submergé par le plaisir, il faut croire. Dis-leur que je suis navré, ironisé-je avec un sourire en coin.

— Putain, mais tu vas arrêter de me prendre pour un con ?! tonne-t-il soudain. Je sais très bien que tu as gardé cette fille.

Ses mots claquent dans l'air comme une accusation directe. Je le fixe, un sourire glacial étirant mes lèvres.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? murmuré-je, lassé.

— On n'a pas retrouvé sa dépouille, Malcolm. Qu'en penserait le proviseur s'il apprenait que tu séquestres une proie de l'examen pour... te la taper ?

Un rire sarcastique m'échappe.

— Me la taper ? Je ne me suis tapé personne à part ma main droite depuis cinq mois, l'informé-je froidement.

— Je ne veux pas le savoir, grogne-t-il, dégoûté.

— Pourtant, c'est toi qui viens me chercher alors que je ne fais chier personne. Je m'occupe simplement de mes affaires.

— Tu ne l'as pas fait cette nuit-là.

Je croise les bras, le toisant de haut.

— Parce qu'elle faisait partie de mes affaires, rétorqué-je avec calme. Je l'ai choisie comme proie.

— Dis la vérité. Est-ce qu'elle est dans ta chambre ? Qu'est-ce que tu nous caches ?

Un soupir m'échappe. Mon irritation monte, mais je sais qu'il ne lâchera pas l'affaire.

— Je suis pas mal occupé, tu vois. Je suis un peu à court de capotes, si tu vois ce que je veux dire. Donc une seule question. Choisis-la bien.

Il plisse les yeux, méfiant, puis se frotte le menton comme s'il pesait ses options.

— Attends, l'interrompis-je avant qu'il ne parle. Je soumets une condition.

— C'est culotté, ricane-t-il.

— M'en fous. Une question à laquelle je te réponds honnêtement, sachant que je suis tout sauf un menteur, et en échange tu m'accordes une faveur.

Il hausse un sourcil, intrigué.

— Trois questions.

— Deux, c'est mon dernier mot.

Il soupire, mais finit par acquiescer.

— D'accord. Marché conclu. De toute manière, je suppose que je n'aurais pas mieux.

— Exactement. Personne ne m'intéresse dans cette école. Je fais ça juste parce que c'est mon délire de me servir des gens, et que tu n'auras pas le choix que de m'accorder cette demande.

— Pourquoi est-ce que tu as tous les profs dans ta poche ? demande-t-il enfin.

Je souris, un rictus amusé.

— Parce que je suis le fils de quelqu'un d'important, concédé-je.

Je vois dans son regard une hésitation. Il aimerait savoir de qui je suis le fils, mais aussi si je cache bel et bien la blondinette qu'il a tenté d'agresser...

— Tu pourras me poser ta deuxième question quand tu auras fait ce que je vais te demander, ajouté-je, posant ainsi les règles.

Il hoche la tête, son sourire narquois s'effaçant peu à peu. Il sait que je ne plaisante pas. Dans cette école, le week-end est une jungle. Tout est permis entre les élèves. Les règles changent, et les alliances se forment ou se brisent en un clin d'œil.

— Je veux le Jokdaris de Konan, déclaré-je enfin, mon ton redevenu glacial.

Ses yeux s'écarquillent sous le choc.

— Mais putain, comment tu veux que je fasse ça ?!

Je mime une lame qui tranche ma gorge, lui faisant comprendre facilement ce qu'il a à faire.

— Considère que ma mission est déjà remplie, grogne-t-il, résigné.

Sur ce, il tourne les talons et disparaît sans un mot de plus.

Dans notre école, un Jokdaris fait office de Joker. Il permet à son détenteur, celui qui l'a obtenu, de faire n'importe quelle demande au chef d'établissement, et celle-ci est exécutée sans discussion. En semaine, les élèves n'ont pas le droit de se battre (hormis dans les cours spécialisés) ou de s'entre-tuer. Mais le week-end, tout est possible. Plusieurs ont déjà essayé de m'éliminer. Dommage pour eux, leurs tentatives leur sont retombées dessus.

Les classes diminuent en taille non seulement à cause des cours de pratique, mais surtout à cause des élèves eux-mêmes. Ils cherchent à prouver leur supériorité, quitte à éliminer leurs camarades dès que l'occasion se présente. Cette Académie est un terrain de chasse, un microcosme où seules les règles tacites du plus fort survivent.

Je suis dans un environnement on ne peut plus familier... tout ici me paraît si simple, presque enfantin. Pour moi, c'est un jeu d'enfant, une véritable régalade, une friandise que je savoure sans même y penser. Je prends une grande inspiration, laissant mes épaules s'abaisser dans un soupir calme et maîtrisé, puis, d'un pas assuré, je pénètre dans la pièce. Mes mouvements sont mesurés, presque chorégraphiés, tandis que je récupère ce dont j'ai besoin. Tout cela sous le regard inquisiteur et perçant de Monsieur Poe, dont l'attention semble peser comme une brise froide sur ma nuque. Sans un mot, je ressors, ni vu ni connu, et regagne ma chambre d'un pas feutré, le cœur battant légèrement plus vite, mais l'apparence toujours imperturbable.


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