Chapitre 19
April
Une fois enfin sortie de cet embarras, nous quittons la petite pièce exiguë. Il referme la porte derrière lui, et, sans un mot de plus, m'ordonne sèchement de m'asseoir sur l'une des chaises bancales placées devant une petite table en bois usé. Il dépose devant moi une boîte de salade accompagnée d'une fourchette en bambou, son regard m'intimant de ne pas discuter.
Il s'installe à son tour, à l'envers sur une chaise, le dossier entre ses jambes et son menton posé sur ses bras croisés. Ses yeux, perçants et inquisiteurs, ne quittent pas mon visage.
— Comment tu t'appelles ? demande-t-il soudainement, brisant le silence.
Mon esprit se met à tourner à toute vitesse. Si je lui dis mon vrai prénom, il pourrait en apprendre davantage sur ma mère, ma sœur... Et les retrouver pour leur faire du mal. Je prends une inspiration tremblante avant de répondre :
— Anouk.
Ses yeux se plissent légèrement, et il pousse un soupir las, comme s'il avait anticipé mon mensonge.
— Tu ne sais pas mentir, me lâche-t-il avec une pointe de sarcasme. Ton vrai prénom ?
— Je ne vous mens pas, c'est mon vrai prénom, insisté-je, bien que ma voix trahisse mon incertitude.
Il serre les dents, et, sans prévenir, sort un petit couteau de sa poche dissimulée. La lame étincelle à la lumière, froide et menaçante, tandis qu'il l'approche de ma gorge.
— La vérité. Tout de suite.
Je recule instinctivement, sentant la pointe de l'acier effleurer ma peau.
— Je... je ne veux pas vous le dire... murmuré-je. Sinon, vous vous en servirez pour retrouver ma famille et leur faire du mal...
Sa réaction me prend au dépourvu : il éclate de rire, un rire franc et déconcertant, tout en éloignant légèrement son arme.
— Intelligente, la petite conne ! s'esclaffe-t-il. Dis-moi, tu lis des thrillers et tu regardes trop de films de serial killer à la télé ?
Je hoche timidement la tête, incapable de répondre autrement.
— Eh bien, tu as raison, continue-t-il en essuyant une larme de rire. C'était exactement ce que j'avais prévu de faire. Mais pour te rassurer un peu : ici, je suis coincé dans cette école pour toute l'année scolaire. Pas de sortie, pas de vacances. Et même si j'avais le droit de partir, crois-moi, mes « vacances » sont tout sauf des vacances. Bref, tout ça pour dire que ta famille peut dormir tranquille. Ce qui leur arrivera ne dépendra pas de moi.
Je reste silencieuse, analysant ses paroles avec prudence. Il ne semble pas mentir, mais cela ne suffit pas à apaiser mon angoisse. Après quelques secondes d'hésitation, je murmure enfin :
— Je m'appelle April.
Il hoche la tête, satisfait, et se présente à son tour avec une désinvolture qui me déstabilise :
— Moi, c'est Malcolm.
Un silence tendu s'installe, et je décide de poser la question qui me brûle les lèvres depuis mon arrivée ici :
— Est-ce que nous sommes toujours en France ?
Son sourire s'élargit, presque moqueur.
— Si c'était ta méthode pour ne pas divulguer d'informations et protéger ta famille, tu viens de te planter royalement.
Je serre les poings sur mes cuisses, maudissant ma propre stupidité.
— Mais non, on n'est pas en France, répond-il avec un soupir. On est au Dovland.
Je fronce les sourcils, intriguée et méfiante à la fois.
— Le... Dovland ? Je suis vraiment nulle en géographie, mais ça ne me dit rien du tout.
Il secoue la tête, un sourire en coin, avant de baisser les yeux vers ma boîte de salade.
— Mange.
— J'ai pas faim, rétorqué-je aussitôt.
— Mange, répète-t-il, cette fois avec une froideur qui me glace.
Voyant la lame de son couteau se rapprocher lentement, je n'ai d'autre choix que de saisir la fourchette et de piquer dans la salade. Je mâche sans conviction, tentant de cacher mon dégoût.
— Et donc... le Dovland ? insisté-je, espérant en apprendre davantage.
— Pff, tu me gaves avec tes questions ! grogne-t-il en croisant les bras.
— C'est toi qui as commencé, répliqué-je aussitôt, profitant qu'il ait rangé son couteau.
Il me lance un regard noir qui me fait regretter mes mots.
— N'oublie pas dans quelle position tu es ici, Princesse, me provoque-t-il avec un sourire narquois.
— Ne m'appelle pas comme ça !
— Je t'interdis de me parler sur ce ton, et encore moins de me tutoyer, siffle-t-il entre ses dents.
Son regard dur me fait comprendre qu'il vaut mieux obtempérer. Je baisse les yeux sur ma nourriture, continuant à manger en silence, tout en réfléchissant à un moyen de me sortir de cet enfer.
— Est-ce qu'il y a des... ?
Je m'arrête, hésitante, fixant le plat rectangulaire devant moi avec une attention exagérée, comme si son contenu détenait la réponse à toutes mes inquiétudes.
— Des... ? répète-t-il sèchement, ses sourcils se fronçant légèrement face à mon hésitation.
— Je... je suis allergique... aux cornichons, fini-je par bafouiller, ma voix tremblant légèrement.
Son expression change à peine, mais un éclat amusé traverse ses yeux.
— Intéressant à savoir... dit-il, un sourire imperceptible flottant sur ses lèvres. Mais non, il n'y en a pas. Enfin... pas à ce que je sache.
Je pousse un léger soupir de soulagement, bien que mes mains restent crispées autour de la fourchette.
— OK, murmuré-je, détournant rapidement le regard.
Il ne dit rien, mais je sens son regard peser sur moi, comme s'il essayait de deviner si cette déclaration était une ruse ou une vérité sincère. Cette tension invisible, ce jeu silencieux, me donne l'impression que même un détail insignifiant comme une allergie peut devenir une arme entre ses mains.
— Dépêche, insiste-t-il après un moment, un ton plus tranchant dans la voix. J'ai pas toute ma journée non plus. J'aimerais bien dormir, ce soir je commence les cours avec Anglais.
Il ponctue sa phrase d'un soupir, visiblement agacé par mon manque de réactivité.
— Tu dis ça comme si c'était la pire chose qui soit, fais-je remarquer avec un sourire en coin.
Il lève les yeux au ciel, comme si ma remarque était à la fois prévisible et agaçante.
— C'est clairement le cas. Tellement ennuyeux !
Je ne peux m'empêcher de rire légèrement à son ton dramatique.
— Tu me le fais pas dire ! Et d'ailleurs... comment ça se fait que tu comprennes ma langue ?
Un éclair de satisfaction passe dans ses yeux, comme s'il attendait cette question depuis le début.
— Je parle plusieurs langues, répond-t-il avec un air égocentrique, le menton légèrement relevé.
— Oh... intéressant... dis-je, feignant une fascination que je ne ressens qu'à moitié.
On s'entend bien que l'idée de lui dire que moi aussi est parfaitement inutile... Je le laisse savourer son moment de gloire, mais au fond, une question commence à me tarauder.
D'ailleurs, je me demande encore comment j'ai pu comprendre les choses que disaient les personnes cette nuit-là. Les sons, les mots, tout me semblait étrangement limpide, comme si mon esprit les traduisait automatiquement, sans effort.
D'aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais eu de difficulté à apprendre une langue. Pour moi, c'était même très simple, presque naturel, comme si cela faisait partie de moi, comme un don que je n'avais jamais eu besoin de cultiver.
Ma jumelle, quant à elle, s'en sortait bien aussi. Je me souviens des heures passées à lui enseigner tout ce que je savais. Elle apprenait vite, mais je voyais bien qu'elle faisait un effort, là où, pour moi, tout semblait couler de source. J'ai toujours trouvé ça fascinant. Pourquoi cette facilité ? Pourquoi moi ?
Mon regard se perd un instant dans le vide alors que ces pensées tournent dans ma tête. Il claque des doigts devant mon visage, me ramenant brusquement à la réalité.
— Ohé, t'as fini de rêvasser ? Je te signale qu'on a une discussion ici.
Je secoue la tête pour chasser mes réflexions, un sourire amusé étirant mes lèvres.
— Oui, pardon, je réfléchissais à quel point tu es impressionnant, dis-je avec une pointe de sarcasme.
Il plisse les yeux, faussement vexé, mais je peux voir qu'il apprécie tout de même l'attention, ce léger sourire en coin le trahissant malgré lui.
— Depuis quand avons-nous une conversation alors que tu m'as demandé d'arrêter de poser des questions ? le provoqué-je, un brin d'audace dans la voix.
Il soupire, las, comme si le simple fait de répondre était un fardeau insupportable.
— Il n'y a que moi qui ai le droit de t'en poser, rétorque-t-il avec une assurance agaçante.
— Et si je ne veux pas répondre ? Tenté-je, croisant les bras pour lui montrer que je ne me laisserai pas faire.
— Libre à toi, concède-t-il en haussant les épaules. Mais tôt ou tard, je finirai par tout savoir de toi.
Je secoue la tête fermement, mes yeux le défiant.
— Tu ne sauras plus rien de moi, lancé-je avec une conviction que je ne suis pas sûre de ressentir.
Il esquisse un sourire, son regard perçant semblant me traverser.
— Je lis en toi comme dans un livre ouvert, Princesse.
Ses mots me frappent comme une gifle invisible. J'écarquille les yeux, ma bouche s'entrouvrant légèrement sous l'effet de la surprise.
— Là, tu te demandes comment c'est possible, n'est-ce pas ? reprend-il, son ton teinté d'un amusement cruel. Et je vais te répondre : ton visage te trahit.
Je me mordille instinctivement la lèvre, tentant de masquer mon trouble, mais c'est peine perdue.
— Tu te trouves idiote en ce moment même, déclare-t-il avec une satisfaction non dissimulée.
— Non, sans blague ! répliqué-je avec sarcasme, mais ma voix manque de force.
Il m'ignore royalement, son attention semblant se détourner de moi, et je profite de ce court répit pour terminer mon repas en silence. Lui, il se met à bailler avec force, étirant ses bras comme s'il venait de traverser une longue "journée" harassante.
— Je suis crevé, dit-il enfin, sa voix rauque rompant le silence. Retourne dans le placard.
Je bondis presque de ma chaise, mon cœur battant à tout rompre.
— Non ! S'il vous plaît ! Je vous en prie, je ne veux pas y retourner... supplié-je, ma voix tremblante, presque étranglée par l'émotion.
Il me fixe, impassible, ses yeux glacials.
— Tu n'as pas le choix, il va falloir que tu le comprennes, assène-t-il, implacable.
— Je vous promets de ne rien tenter... dis-je précipitamment, espérant qu'il entende ma sincérité.
— Je ne te crois pas, réplique-t-il d'un ton sec, comme si mes paroles n'étaient qu'un murmure dans le vent.
— Je ne mens pas ! Vous pouvez m'attacher, mais ne m'enfermez pas... supplié-je, désespérée, les larmes perlant au coin de mes yeux.
Il semble réfléchir un instant, comme s'il pesait le pour et le contre.
— Hmm, tu es sûre et certaine de ce que tu souhaites ? demande-t-il enfin, une lueur inquiétante dans son regard.
Je hoche imperceptiblement la tête, trop terrifiée pour répondre autrement.
— Très mauvais choix, petite conne ! lâche-t-il, sa voix tranchante comme une lame.
Avant que je ne puisse réagir, il m'attrape violemment par le bras, me jetant au sol avec une brutalité qui me coupe le souffle. Mon dos heurte le sol dans un craquement sourd, et je pousse un gémissement de douleur. Il tend son bras vers la commode près de son lit, récupérant des cordes épaisses qui semblent usées par le temps.
— Non... non, murmuré-je faiblement, mais il ne m'écoute pas.
D'un geste sec, il m'assène un coup avec les cordes, m'arrachant un cri étouffé. La douleur irradie dans mon dos, me clouant au sol, impuissante. Il se penche sur moi, son bras écrasant ma bouche pour étouffer mes protestations. Je sens son poids, sa force, et la terreur m'envahit entièrement.
Il m'attache rapidement, ses mouvements précis et mécaniques, comme s'il avait fait cela des centaines de fois. Chaque nœud semble tirer un peu plus sur ma blessure, et je grimace, incapable de retenir mes larmes. Il ajoute un bâillon rudimentaire, m'empêchant de crier, puis me soulève sans ménagement, me traînant comme un poids mort.
D'un coup de pied, il ouvre le placard avant de me pousser à l'intérieur sans aucune douceur. Je tombe lourdement, ma tête heurtant violemment le bois. Un éclair de douleur traverse mon crâne, et je reste là, étourdie, tandis qu'il referme la porte dans un claquement sourd.
Le noir m'enveloppe, épais et oppressant, et je sens mes larmes couler en silence, incontrôlables. Mes sanglots étouffés résonnent dans l'espace confiné, chaque respiration devenant un effort. Je suis seule, brisée, abandonnée à ma douleur et à mes peurs.
Je le hais.
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