Chapitre 13

April

Je suis terrorisée. Le mot semble bien trop faible, presque dérisoire, pour traduire la tornade d'émotions qui m'envahit. La peur n'est pas qu'une sensation : elle est une lame acérée, s'enfonçant dans chaque recoin de mon esprit, broyant ma lucidité. Chaque battement de mon cœur résonne comme un tambour de guerre, chaque respiration est un combat pour ne pas céder à la panique qui menace de m'engloutir.

Je cours, pieds frappant lourdement le sol froid, dans la pénombre oppressante de ce domaine gigantesque. L'endroit me paraît si vaste, si infiniment labyrinthique qu'il pourrait engloutir Paris tout entier sans en laisser une trace. À vrai dire, je ne sais pas exactement où je vais. Je ne sais rien, hormis une chose : il faut fuir, fuir à tout prix. Alors, malgré mon souffle qui devient court, malgré les muscles de mes jambes qui hurlent à chaque foulée, j'ordonne, encore et encore, aux quelques personnes qui ont eu le courage - ou la folie - de me suivre, d'accélérer.

À ce stade, j'ai repéré huit bâtiments principaux. Leur architecture froide et austère me rappelle celle des complexes militaires, bien plus que celle d'une école. Six d'entre eux ressemblent à des gymnases basiques, du moins en apparence. Peut-être cachent-ils des secrets bien plus sombres sous leur façade banale. Parmi eux, je reconnais celui où nous avons été séquestrés. Autour de ces bâtiments, de nombreux terrains de sport s'étendent à perte de vue, comme un hommage étrange et grotesque à l'effort physique..

Une question tourne dans ma tête, insidieuse, refusant de me laisser en paix : est-ce vraiment une académie ? Et si oui, que peut-on enseigner dans un endroit aussi lugubre, aussi oppressant ? Quel genre de savoir justifie de kidnapper des innocents ? Nous avons été emmenés ici comme du bétail, mais pour quoi ? À quoi servons-nous dans ce jeu macabre dont nous ignorons les règles ?

Des milliers de pensées se bousculent en moi, menaçant de m'aveugler. Pourtant, je n'ai pas le temps pour cela. Il faut se cacher, survivre.

Notre fuite précipitée nous a permis de gagner une certaine avance sur nos assaillants. Mais pour combien de temps ? Leur avantage est écrasant : ils connaissent ces lieux comme leur poche, tandis que nous errons en aveugles, sans carte ni boussole. Ils sont entraînés, préparés à traquer, à abattre leurs proies sans la moindre hésitation. Et nous ? Nous ne sommes que des âmes ordinaires, arrachées à nos vies pour avoir eu le malheur de nous trouver là, au mauvais endroit, au mauvais moment, ou du moins c'est ce que je suppose.

Je serre les dents, retenant un sanglot. Aucun de nous ne mérite cela, mais le monde ne semble pas s'en soucier. Il ne nous reste qu'une option : courir. Jusqu'à ce que nos jambes cèdent, jusqu'à ce que la lumière nous sauve... ou que l'obscurité nous engloutisse.

- Je... je peux plus... gémit le petit garçon que je tiens par la main depuis tantôt.

Sa voix tremble, faible, presque inaudible. Il s'est arrêté, plié en deux, les mains sur ses genoux, à bout de souffle. Son visage est pâle, ses lèvres légèrement bleuies. Pendant que tous les autres continuent de courir, se dispersant dans la nuit, à la recherche de cachettes qu'ils jugent sûres, lui reste figé. Il tremble comme une feuille, incapable d'avancer davantage.

- On ne peut pas s'arrêter ainsi, murmuré-je, ma voix teintée d'une inquiétude que je tente de dissimuler.

Je m'agenouille devant lui, essayant de capter son regard. Ma paume valide se pose doucement sur son épaule frêle, mais il détourne les yeux, honteux de ralentir notre fuite.

- S'il te plaît... souffle-t-il, presque inaudible. Je... je suis asthmatique...

Mes yeux s'écarquillent, la panique s'insinuant dans mes veines. Asthmatique ? Et il a tenu jusque-là ?

Pourtant, je n'ai pas le temps de réfléchir davantage. Un cri retentit au loin, un hurlement déchirant, suivi de gémissements de douleur et de cris de peur. Mon sang se glace.

- Viens, chuchoté-je en me redressant vivement.

Je serre sa main avec plus de fermeté et l'entraîne vers le premier bâtiment à portée de vue. Nous courons, mais nos pas deviennent précipités, maladroits. Sans réfléchir, nous nous faufilons à l'intérieur, glissant dans l'obscurité oppressante.

- Si c'est vraiment une école, il doit bien y avoir une infirmerie... ou un truc du genre, soufflé-je, la voix tendue. On va trouver ça, d'accord ?

Le garçon hoche la tête faiblement, essuyant la sueur qui coule sur son front. Nous avançons dans la pénombre. L'endroit me semble être une petite demeure, peut-être celle d'un professeur ou d'un gardien. L'air y est lourd, presque suffocant.

Soudain, une lumière vive s'allume, m'aveuglant temporairement. Mon cœur s'emballe lorsque je vois, face à nous, le canon d'un fusil braqué dans notre direction.

- Aidez-nous ! supplié-je désespérément, ma voix se brisant sous l'émotion.

L'homme devant nous est grand, trapu, et son regard froid m'envoie un frisson dans le dos. Il baisse lentement son arme, un rictus mauvais étirant ses lèvres. Puis, d'un geste brusque, il nous pousse vers la porte.

- Ce soir, ce sont les jeunes élites les prédateurs, pas moi. Alors trouvez une autre cachette que chez moi ! Je suis en repos aujourd'hui et je compte bien en profiter !

Avant que je ne puisse protester, il verrouille la porte derrière nous, nous abandonnant à notre sort. Je reste figée un instant, abasourdie par son égoïsme, avant de sentir le garçon tirer sur ma manche, tremblant de peur.

À peine avons-nous le temps de nous retourner que des pas légers se font entendre, suivis de chuchotements indistincts.

- Est-ce que quelqu'un a besoin d'aide ici ?

Mon instinct de survie reprend le dessus. Je tire le garçon par la main et nous nous dissimulons derrière un buisson. Je retiens ma respiration, priant pour que nous ne soyons pas repérés. Une silhouette s'approche lentement de la maison, jetant des regards autour d'elle.

- Je ne comprends pas ce qu'il se passe... gémit la voix, presque plaintive.

Je plisse les yeux pour mieux voir. La personne porte un uniforme sombre, similaire à ceux que j'ai aperçus dans les gradins. Mon cœur s'emballe. Est-ce un ennemi ? Ou quelqu'un de perdu comme nous ?

- Je ne vous veux aucun mal, ajoute-t-il en regardant autour de lui. Laissez-moi vous aider.

Avant que je puisse l'en empêcher, le garçon se détache brusquement et court à découvert.

- Non ! replié-je, ma voix étouffée par la peur.

Le jeune homme l'attrape en un éclair. Mais au lieu de l'aider, il serre ses mains autour de son cou frêle, l'étranglant de toutes ses forces. L'enfant se débat faiblement, sa respiration sifflante et désespérée me transperçant le cœur.

Je bondis, incapable de rester immobile. Sans réfléchir, je m'élance vers eux dans l'idée de le sauver. Mais à peine ai-je parcouru quelques mètres que je sens deux mains puissantes se refermer sur mes bras, m'immobilisant brutalement.

C'est un piège. Nous sommes tombés dedans.

- Je vous l'avais dit que ce serait trop simple de l'attraper, râle l'homme, tout en continuant d'étrangler l'enfant, ses gestes froids et dépourvus de la moindre trace d'humanité.

- Laissez le petit tranquille, je vous en prie, sangloté-je, désespérée, ma voix brisée par la peur et l'impuissance.

Leur rire cruel résonne à travers le domaine, des échos percutants qui semblent vibrer dans mes os. Mes supplications restent sans effet. Le corps du garçon, si frêle, s'affaisse soudain dans leurs mains comme une poupée brisée, ses membres pendants, sa tête inclinée dans un silence glaçant.

Mon cœur rate un battement. Est-il évanoui ? Ou... mort ?

Ils le relâchent sans ménagement, le laissant s'écrouler au sol comme un objet inutile. Mon hurlement est étouffé par la poigne brutale qui me tire vers l'entrée d'un bâtiment asssez éloigné de la maison du gardien, marqué "Gymnase n°2".

À l'intérieur, les lumières s'allument brusquement, m'aveuglant. Mes yeux peinent à s'adapter à l'éclat artificiel après tant de temps passée dans l'ombre. Mon souffle court, je prends conscience de la scène qui se dévoile : trois silhouettes masculines, massives, se tiennent devant moi, leurs regards lourds de mépris et de malveillance. Ils semblent plus âgés que moi, peut-être même déjà adultes, avec une assurance glaçante.

- On va bien s'amuser avec toi, jolie blonde ! lance l'un d'eux, son sourire malsain révélant des dents jaunies. Ses boucles brunes tombent négligemment sur ses yeux brillants d'une excitation dérangeante.

Je recule instinctivement, mais mes jambes cèdent sous moi, et je me retrouve assise, glissant sur le sol glacé. Mon cœur bat si fort que chaque pulsation résonne douloureusement dans ma poitrine. Ils avancent, leurs ombres menaçantes grandissant avec chaque pas.

En un éclair, ils sont sur moi. Mon T-shirt, déjà en lambeaux, est arraché sans ménagement, dévoilant ma peau marquée par la saleté et les bleus en train de disparaître progressivement. L'un d'eux me saisit par les bras et me plaque contre son torse, m'immobilisant complètement, tandis que les deux autres s'acharnent sur mon pantalon, tâchant de le retirer.

Je me débats de toutes mes forces, mais mes mouvements sont dérisoires face à leur puissance. Je suis trop faible, vidée par des jours - peut-être des semaines - de captivité. Mon corps me trahit, incapable de fournir la moindre résistance. Je pue. Je suis encrassée, mes cheveux sont emmêlés, mes dents, sûrement tellement sales qu'elles pourraient se détacher de mes gencives. Un dégoût pour moi-même m'envahit, mêlé à une peur viscérale.

Ils finissent par me laisser en sous-vêtements, et je comprends alors, avec une horreur glaciale, ce qu'ils ont l'intention de faire. Mon esprit se met à hurler, mais mon corps reste figé, incapable de bouger, comme pétrifié par l'ampleur du traumatisme.

- Elle est parfaite, murmure l'un d'eux, sa main s'approchant dangereusement de ma poitrine.

Il presse mes chairs avec une brutalité qui me fait tressaillir, son rire empli de satisfaction malsaine.

Un autre se recule légèrement pour refaire un chignon à la va-vite, ses gestes méthodiques détonnant avec la violence de la scène. Puis, d'un geste obscène, il ajuste son pantalon, sa main s'attardant à l'entre-jambe. Mes larmes coulent en silence.

Je ferme les yeux, cherchant désespérément un refuge dans mes pensées. Christale, ma sœur jumelle, apparaît dans mon esprit. Elle aurait su quoi faire, elle. Toujours forte, toujours prête à se battre pour moi. Où est-elle maintenant ? Est-elle en sécurité ? Je veux qu'elle vienne, qu'elle me sauve, qu'elle me sorte de cet enfer.

Mais aucun miracle ne se produit. Je me retrouve seule, abandonnée, tandis que l'un d'eux laisse échapper un gémissement grotesque :

- Putain, elle est bonne, grogne-t-il en sortant son sexe, se masturbant sans la moindre pudeur face à mon humiliation.

Alors que des mains s'approchent de ma culotte, je me prépare au pire. Mon souffle se bloque, et une terreur paralysante m'envahit. C'est alors qu'un grondement profond retentit dans l'entrée du gymnase.

- Hé ! s'écrie une voix grave, autoritaire, qui perce l'atmosphère lourde.

Les agresseurs se figent, leurs mains cessant leurs gestes odieux. Je rouvre les yeux, mes larmes brouillant ma vision, mais l'espoir renaît brièvement dans mon cœur.

Qui est là ? Un allié ? Ou une nouvelle menace ?

Dans le fond, est-ce que je veux vraiment savoir ce qui va m'arriver ? Non. Plus maintenant. Tout ce que je souhaite, c'est que le sol se dérobe sous mes pieds, m'engloutisse, m'emporte loin de ce cauchemar, comme un cocon qui me protégerait de tout. J'aimerais disparaître, m'échapper de cet enfer et m'éveiller dans un monde où tout ceci n'aurait jamais existé. Je voudrais rentrer chez moi, retrouver les disputes banales et les tensions habituelles de mon quotidien. Elles ne sont rien comparées à ce que j'ai enduré depuis qu'on m'a arrachée à ma vie, jetée comme un vulgaire objet dans cette camionnette blanche.

Ma sœur... Christie... Son visage envahit mes pensées, sa voix douce résonne comme une mélodie lointaine. Je veux sentir ses bras autour de moi, ses mains caresser mes cheveux comme elle le faisait quand j'étais bouleversée. Mon cœur hurle de douleur à l'idée qu'elle ne sache pas où je suis, qu'elle s'inquiète, qu'elle souffre autant que moi.

Autour, tout semble flou, irréel. Je ne sais plus où je suis ni ce qui m'entoure. Mon esprit vacille, mon corps semble abandonné, trop faible pour lutter. La peur, la douleur, tout se mélange dans un chaos insupportable. Je ne suis plus qu'une ombre de moi-même, enfermée dans un nuage obscur qui m'enveloppe et m'étouffe lentement.

Est-ce que c'est ça, la mort ? Est-ce cette sensation de vide qui s'infiltre partout, ce froid glacial qui paralyse chaque parcelle de mon être ? Je ne sais pas. Et pourtant, je la sens, cette présence oppressante, tapie tout près. Elle m'effleure, m'effraie. La mort n'a jamais semblé aussi réelle, aussi proche.

Mais je refuse de m'abandonner à elle. Pas encore. Pas comme ça. Pas avant de m'être assurée que ma jumelle et ma mère vont bien.


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