Chapitre 1
April
Nouvelle année scolaire, nouveau départ !
C'est ce que j'essaie de me dire depuis plusieurs semaines.
Depuis cet évènement.
Pourtant, tout semble rester tel quel. Rien ne change. C'est toujours la même chose. Une boucle sans fin. Les mêmes jours qui se répètent, encore et encore inlassablement. Comme si quelqu'un avait appuyé sur un bouton "replay" uniquement pour avoir le plaisir de nous voir proches du précipice à plusieurs reprises. C'est vrai que cette activité a tellement l'air amusante ! Pourtant, je ne cesse de me répéter que ça devrait être différent cette fois-ci comme on change d'établissement, ce qui est censé augurer une remise à zéro. En apparence. Ce n'est pas comme si nous avions fait ça déjà une quinzaine de fois depuis nos cinq ans, et que quelque chose avait changé... La vie a trop d'humour, c'est fou !
Trois semaines avant la rentrée, ma jumelle et moi trépignons d'impatience. On range notre chambre à fond, espérant qu'un espace bien ordonné nous apportera un peu de clarté dans nos vies. On fouille dans les cartons encore scellés depuis notre emménagement précipité, se demandant parfois si nous trouverons des traces d'un "avant" plus heureux. On trie, on nettoie, on réorganise. Une façon pour nous de reprendre le contrôle sur quelque chose, n'importe quoi, dans un quotidien souvent chaotique.
Deux semaines avant, c'est l'heure des préparatifs scolaires. On s'immerge dans les rayons des magasins, feuilletant des cahiers neufs, testant des stylos colorés, cherchant des pochettes qui correspondent à nos goûts. C'est devenu une tradition : tout choisir ensemble.
Une fois rentrées à la maison, on installe soigneusement nos nouvelles fournitures dans des boîtes premier prix que l'on place sous nos lits. Ce sont les seuls emplacements totalement libres depuis la visite surprise d'un huissier il y des mois qui nous a laissé presque sans aucun meuble de rangement, alors on fait comme on peut avec ce que nous avons.
Une semaine avant la rentrée, l'excitation atteint son comble. Nous sommes à la limite de l'implosion. Tout est prêt, chaque détail réglé, et pourtant, l'attente semble interminable. On imagine les nouveaux cours, les nouveaux professeurs, et, peut-être, de nouveaux amis. On se surprend à rêver d'une année meilleure, plus lumineuse, comme si ces quelques heures à l'école pouvaient tout changer. Le cerveau est puissant dans son idée de toujours tout idéaliser !
Et aujourd'hui, c'est le grand jour ! Le 1er septembre. Celui que nous avons attendu pendant des semaines. Celui qui, sur le papier, symbolise un renouveau, un espoir. Mais pour nous, il représente surtout une échappatoire. Le début d'un répit, de quelques heures volées au chaos de la maison. Des moments où nous pourrons respirer, loin des crises de maman, loin de ses éclats de voix qui nous laissent vidées, incapables de comprendre ce que nous avons fait de travers.
Nous espérons que cette année sera différente. Qu'elle marquera un véritable nouveau départ, et pas seulement une date sur un calendrier qui se répète tous les 365 jours. Mais au fond, une petite voix me souffle que rien ne change vraiment, et cette voix n'a malheureusement pas tort.
— April ! s'exclame ma sœur, sa voix brisant le silence pesant de la maison.
— J'arrive !
Je sursaute, revenant brutalement à la réalité. J'attrape mon sac à dos posé au pied de mon lit et me précipite hors de ma chambre, mes pas résonnant sur le parquet. L'entrée de notre petit appartement est encombrée : un carton jamais déballé dans un coin, un parapluie cassé qui traîne, et une paire de chaussures oubliée. Il faut dire que notre génitrice n'est pas la femme la plus maniaque qui soit, et que ma sœur et moi ne sommes pas non-plus très avenantes pour ce qui est de faire le ménage. Pour notre défense, tout le monde à ses défaut !
Maman est là, debout au milieu du désordre habituel, mais aujourd'hui, elle rayonne. Son sourire est large, ses yeux bleus brillants d'un éclat presque fébrile. Elle nous tend deux sachets en papier kraft, un pour moi, un pour ma paire.
— Je vous aime, mes amours, dit-elle, sa voix tremblant légèrement. Passez une bonne journée !
Elle nous enlace, rapidement mais avec une chaleur presque désespérée, comme si ce geste pouvait tout réparer. Ses lèvres se posent sur nos fronts, laissant une empreinte fugace. Puis, comme si elle s'en voulait de tant d'émotion, elle se détourne et essuie précipitamment les larmes qui menacent de couler.
Aujourd'hui, elle est dans une bonne phase. Pas comme hier, où les murs semblaient résonner de ses cris et où nous avions préféré nous enfermer dans notre chambre, espérant que la tempête passe. Ces jours-là, il n'y a ni déjeuner préparé ni mots doux, seulement un silence lourd ou des paroles tranchantes.
— Déjà en deuxième année de lycée... souffle-t-elle, comme si elle se parlait à elle-même.
Sa voix tremble légèrement, et je vois ses mains commencer à se tordre nerveusement. C'est le signe.
Ma sœur jumelle, toujours plus rapide que moi à capter les changements dans l'humeur de notre génitrice, attrape mon poignet. Ce simple geste, discret mais ferme, est notre code. Il signifie : On ferait mieux de partir avant que ça ne tourne mal.
Je hoche imperceptiblement la tête, et sans ajouter un mot, nous mettons fin à l'instant.
— À ce soir, maman ! dis-je en attrapant mon déjeuner.
— Bonne journée, ajoute ma sœur.
Nous sortons en vitesse, fermant la porte derrière nous. Dans la cage d'escalier, je relâche un soupir que je ne savais pas retenir.
Dehors, l'air doux du matin nous accueille. Nous marchons en silence jusqu'à l'arrêt de bus, le bruit de nos pas sur le trottoir remplissant le vide. À mesure que nous nous éloignons de l'appartement, la tension s'estompe un peu, comme si chaque mètre parcouru mettait une distance entre nous et les ombres de ce que nous avons laissé derrière, à la seule différence que ce n'est pas le cas. Ҫa ne l'est jamais.
Ma paire finit par briser le silence, d'un ton léger, presque moqueur
— Alors, prête pour une nouvelle journée passionnante ?
Je souris malgré moi.
— J'espère que ça se passera mieux que la dernière fois.
Son regard se ferme quelques secondes, comme pour repousser un souvenir trop vif, puis reprend en éclat. Ses yeux brillent d'une détermination que je lui connais bien, une lumière qui semble vouloir tenir tête à l'ombre qui rôde. Il n'y a qu'une règle que nous nous imposons strictement entre nous : ne jamais se laisser submerger par les pensées négatives. C'est une promesse que nous avons scellée un jour comme un autre il y a bien longtemps, mais que nous nous sommes juré de tenir.
— Tu crois qu'on sera dans la même classe ? m'interroge-t-elle soudain, rompant le silence avec une pointe d'appréhension dans la voix.
Je hausse les épaules en guise de réponse tout en m'installant sous l'abri-bus. Le vent chaud souffle doucement, faisant virevolter quelques feuilles tombées autour de nous.
— J'espère, soupire-t-elle après un instant. Au moins, je pourrais veiller sur toi.
Je tourne la tête vers elle, légèrement agacée, mais surtout touchée par son inquiétude.
— Tu sais très bien que tu n'as pas à le faire, c'est à moi de veiller sur toi, dis-je d'un ton un peu trop brusque. En plus, je suis née deux minutes avant toi.
Elle secoue la tête fermement, ses mèches blondes dansant autour de son visage.
— Non, ce n'est pas vrai, c'est moi qui suis née en première !
— Pff, tu n'as qu'à vérifier sur les papiers et on verra bien.
Elle hausse les épaules avec désinvolture avant de soupirer.
— Je ne veux pas qu'on se dispute aujourd'hui. Alors disons plutôt que nous nous devons d'être là l'une pour l'autre. C'est tout. Peu importe la quelle de nous est l'aînée ou la cadette.
Son sourire s'adoucit et, malgré moi, je lui rends le sien. C'est toujours comme ça avec elle. Elle a cette manière de désamorcer les tensions, de trouver les mots justes pour remettre les choses à leur place, alors que moi je préfère juste les ignorer et simplement accepter.
Un grincement familier annonce l'arrivée du bus au loin. Nous nous levons en silence, les yeux tournés vers ce mastodonte qui s'arrête dans un souffle lourd devant nous. Les portes s'ouvrent dans un bruit mécanique et, sans un mot, nous grimpons à bord. Je m'assieds près de la fenêtre, et elle prend place à côté de moi.
Le moteur ronronne doucement, le bus s'ébranle. À travers la vitre, les paysages inconnus défilent, mais je ne les vois pas vraiment. Je sens sa présence à mes côtés, rassurante, et cette pensée me fait chaud au cœur. Je ne peux pas imaginer ma vie sans elle.
— Peu importe ce qui arrivera cette année, commence-t-elle à voix basse. On s'en sortira, comme toujours.
Je hoche la tête, serrant l'une des bandoulières de mon sac un peu plus fort. Oui, on s'en sortira. Parce qu'à deux, on est plus fortes.
Le trajet est court, seulement une vingtaine de minutes, mais il me semble durer une éternité. Les paysages défilent à travers la vitre, mais je ne leur prête pas vraiment attention, trop occupée à tenter d'apaiser le léger nœud qui s'est formé dans mon estomac.
Lorsque nous descendons du bus, nous sommes aussitôt plongées dans une marée humaine. Une horde d'élèves envahit les lieux, comme un fleuve qui converge inexorablement vers un même point : le grand portail à quelques mètres. Le bruit des conversations se mêle au claquement des chaussures sur le bitume, créant une cacophonie familière et intimidante.
Je scrute les visages autour de moi. Filles, garçons, certains au look de basketteur avec des casquettes vissées sur la tête, d'autres en mode gamer avec des écouteurs autour du cou. Des jeunes filles aux longs cheveux impeccables, portant des sacs à main brillants, discutent en petits groupes, le regard parfois perçant, parfois distrait.
Une bousculade inattendue me sort de mes pensées. Une jeune fille me donne un coup d'épaule avant de se retourner précipitamment.
— Oh, excusez-moi ! Désolée ! dit-elle d'une voix rapide et légèrement essoufflée.
Je balaie ses excuses d'un geste de la main, un peu surprise, mais pas contrariée. Elle me sourit, dévoilant une rangée de dents parfaitement alignées, avant de jeter un coup d'œil curieux à ma gauche.
— Ҫa alors ! Vous êtes jumelles !? s'exclame-t-elle, comme si elle venait de faire une découverte fascinante.
— Oui, répond ma sœur, un léger sourire en coin.
— C'est fou, on dirait une photocopie ! C'est quoi vos prénoms ?
— Moi, c'est April, et voici Christale, dis-je en désignant ma sœur d'un léger mouvement de tête.
— OK, vous n'êtes pas du coin. Moi c'est Mélane. Enchantée ! lance-t-elle en tendant la main, pleine d'assurance et de spontanéité.
Sa présence, pétillante et amicale, semble balayer l'atmosphère intimidante du moment. Elle nous fait signe de la suivre en direction des affichage, comprenant rapidement que nous sommes nouvelles ici.
— Les listes des classes sont là-bas, dit-elle en pointant du doigt une rangée de feuilles collées sur un grand panneau.
Les élèves se pressent devant, certains se hissant sur la pointe des pieds pour lire leur nom, d'autres échangeant des remarques joyeuses ou contrariées. Mélane, après avoir repéré nos noms sur l'une des feuilles, lit à haute voix :
— April et Christale Collins, c'est ça ?
Ma jumelle hoche la tête, silencieuse.
— Bon, annonce la jeune fille avec un sourire, je suis dans la même classe que Christie. Et toi, April, tu es avec mon meilleur ami.
Je hoche la tête, confuse. Les lieux, les visages, tout m'est étranger, et ses paroles mettent un moment à s'ancrer dans mon esprit. Avant que je ne puisse poser la moindre question, elle s'exclame :
— Ah bah, le voilà justement !
Mélane se retourne en faisant un signe de la main à un jeune homme qui approche. Il a l'air décontracté, son sac jeté sur une épaule et un sourire tranquille sur le visage.
— Salut ! dit-il en échangeant un check avec Mélane.
Elle lui glisse quelques mots à l'oreille, apparemment pour lui demander de m'escorter jusqu'à notre salle. Il acquiesce sans hésiter, puis se tourne vers moi avec un sourire amical.
— Prête ? me demande-t-il simplement.
Je me retourne vers ma sœur pour une dernière étreinte. Son regard est plein de cette assurance rassurante qui me donne toujours un peu de courage.
— À plus tard, murmure-t-elle.
Je prends une profonde inspiration et emboîte le pas à mon camarade, laissant derrière moi l'agitation de l'entrée pour me plonger dans ce qui sera désormais ma nouvelle réalité.
— Au fait, moi c'est Jessi.
— April.
— C'est joli comme prénom, dit Jessi en esquissant un sourire rapide.
— Merci, je réponds, légèrement mal à l'aise.
Nous avançons dans les couloirs animés du lycée. À chaque pas, une nouvelle scène se déroule devant mes yeux : des groupes d'élèves discutent, des professeurs passent en jetant des coups d'œil à leurs montres, et des tableaux d'affichage débordent d'informations colorées. En bref, que des choses que j'ai déjà vues l'année passée, mais en beaucoup moins hostile.
— Là, c'est le hall principal, commence Jessi. La plupart des gens se retrouvent ici entre les cours.
Je hoche la tête, tentant de mémoriser ce qu'il me montre.
— La salle de permanence est juste après. Si tu veux échapper à la foule, c'est le meilleur endroit... Enfin, si t'aimes pas trop le bruit.
Il parle avec aisance, mais je sens qu'il fait un effort pour que je me sente à l'aise. Une forme de gentillesse naturelle, peut-être.
— C'est ta première rentrée ici ? demande-t-il après un moment.
— Oui. Je viens de déménager.
Il ne pose pas de questions supplémentaires, comme s'il comprenait que ce sujet n'était pas à approfondir tout de suite. Nous montons un escalier large, où les conversations résonnent contre les murs, tandis que la sonnerie retentis.
— Tu verras, c'est facile de s'y retrouver. Enfin, sauf si tu te perds dans l'aile des sciences, là c'est un vrai labyrinthe, plaisante-t-il en désignant un couloir à notre droite.
— Super, je vais adorer me perdre le premier jour, dis-je en esquissant un sourire nerveux.
Il rit doucement, ce qui détend un peu l'atmosphère.
— Mais dans tous les cas je serais présent pour t'accompagner.
Nous nous arrêtons finalement devant une porte grise. Une plaque indique "Salle 204".
— Voilà, on est arrivés. Je crois que c'est ici pour le premier jour.
Je prends une inspiration profonde, tentant de calmer les battements rapides de mon cœur, puis nous entrons. L'atmosphère change immédiatement : le brouhaha des couloirs disparaît, remplacé par un calme studieux. Les élèves déjà installés se retournent, curieux, et leurs regards se posent brièvement sur nous avant de se détourner.
— Bonjour, dit un vieil homme à la voix grave, un sourire bienveillant éclairant son visage.
Il est installé derrière un large bureau en bois sur lequel s'entassent des dossiers et des papiers.
— Je suis Monsieur Rayer, votre professeur principal pour cette année.
Son ton est accueillant, mais je perçois une légère pointe de reproche dans son regard. Sans perdre une seconde, mon camarade à la peau brune m'indique deux chaises libres tout au fond de la classe. Il avance avec assurance, alors que je le suis d'un pas précipité, consciente que tous les regards semblent encore peser sur le visage inconnu qu'est le miens.
Les adolescents chuchotent, probablement en train de spéculer sur la nouvelle venue. Mon visage chauffe sous leur attention, et je serre légèrement les poings pour masquer ma gêne. Jessi, lui, agit comme si de rien n'était, s'installant calmement et sortant son carnet de notes.
Je m'assois à mon tour, posant mon sac à mes pieds et tentant de me faire la plus discrète possible. Pourtant, cette tentative semble vaine : il est impossible de passer inaperçue quand on arrive en retard le jour de la rentrée.
Monsieur Rayer se racle la gorge, mettant fin aux chuchotements dans la salle. Tout le monde se redresse, moi y compris, alors qu'il commence à parler de ce qui nous attend cette année : projets, devoirs, examens, mais aussi sorties scolaires et activités de classe.
Je me laisse emporter par ses paroles, tentant d'oublier les murmures et les regards. Jessi, à côté de moi, griffonne distraitement sur son cahier. Moi, je reste droite, absorbant chaque mot, déterminée à ne pas rater un détail de cette nouvelle aventure qui, qu'importe son début un peu chaotique, est désormais la mienne.
— Tu voudras qu'on mange ensemble ? M'interroge mon nouvel ami.
— Avec plaisir !
Il me lance un sourire, chaleureux mais discret, avant de reprendre son activité avec une concentration presque palpable, sans émettre le moindre bruit. Je l'observe un instant, fascinée par cette sérénité apparente, puis détourne les yeux pour ne pas m'attarder davantage.
Autrefois, moi aussi je dessinais en classe. Mes cahiers étaient ornés de croquis, des pages entières couvertes de motifs et de personnages imaginaires, échappatoires à l'ennui des cours. Mais cette époque semble désormais lointaine. J'ai décidé de tourner la page, de prendre de nouvelles résolutions pour ne plus sombrer dans cette insouciance qui, je le sais maintenant, a fini par peser lourd sur ma mère. Mes écarts de comportement, bien qu'anodins à mes yeux, ont d'une manière ou d'une autre érodé sa santé mentale. Cela a parfois déclenché de violentes tensions à la maison, des disputes douloureuses, jusqu'à culminer dans cet événement. Mais ce n'est ni le moment ni l'endroit pour ressasser tout ça.
Inspirant profondément, je chasse ces réminiscences d'un autre temps et force mon esprit à se recentrer sur le présent, sur les explications détaillées de mon professeur d'Histoire-Géographie qui s'efforce de rendre la lecture du règlement intérieur vivant malgré les regards distraits de certains élèves.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top