CHAPITRE 13 : QUARTIER EST (Partie 1/2 )

Le Bureau du conseiller Arynn baignait déjà dans une agréable et chaleureuse lumière matinale quand Clay franchit sa porte, mais il n'y prêta aucune attention, occupé qu'il était à réfléchir sur la meilleure façon de rattraper son retard concernant cette immense pile de documents posés soigneusement sur le bureau.

Cela faisait quelques années déjà qu'il s'occupait des tâches de son père en son absence, mais il ne s'était toujours pas habitué à autant de paperasse. C'était le garde du corps du roi, et sa tâche était toute simple : veiller à la sécurité de ce dernier. Alors pourquoi fallait-il toujours qu'on lui rajoute des tâches qui incluaient bureau, plume et des centaines - des milliers même- de lignes à lire et à relire ?

Il comprenait qu'il y était assigné par confiance, et cela l'emplissait de gratitude, mais ce n'était pas pour autant un travail pour lui.

Parmi ces papiers, il y avait différents types reçus de personnes aux divers rangs sociaux. Ceux qui concernaient les affaires étrangères - et qui représentaient la pile la moins épaisse, attendaient gentiment d'être consultés par le conseiller en personne. Clay avait plutôt l'ordre de consulter les demandes du peuple. Un travail pas très palpitant, vu qu'il se résumait à lire des paragraphes et des paragraphes d'incessantes plaintes qu'il jugeait très exagérées, rédigées dans l'unique but de récolter un maximum de pitié de la part du roi afin de voir leurs requêtes acceptées.

Ce qu'ils ignoraient, c'était que le roi n'était en rien concerné par leur lecture. Théoriquement, c'était le conseiller qui s'en chargeait. Techniquement, même lui n'en avait pas le temps. Résultat : Clay s'y noyait chaque jour.

Et pas que les plaintes aient une quelconque conséquence sur le résultat, non; Clay disposait d'un pouvoir et d'un budget limités. Tout était question de logique et de bonne gestion de fonds.

Les heures passaient, les soleil s'approchait du Zénith quand on toqua à sa porte. La dernière fois qu'on l'avait dérangé dans cette tâche, c'était quand Evensworn était venu témoigner. Il grimaça à ce souvenir. Pénible journée.

Il déposa sa plume à son grand soulagement et invita la personne à entrer. Il avait la migraine et était bien content d'avoir un moment de repos. Un jeune homme à l'uniforme de messager royal entra et s'inclina légèrement devant Clay. Ce dernier y répondit pas un hochement de tête :

- Quelque chose pour moi ? Demanda-t-il en regardant la sacoche remplie de lettres.

Il priait de tout son cœur pour que ce ne soit pas à lui de tous les lire. À son plus grand soulagement, le messager acquiesça en lui tendant une lettre. Clay l'inspecta :

- Le nom du destinateur n'est inscrit nulle part. Où l'as-tu eu ?

- Une jeune femme me l'a confié devant les portes du palais. À ce qui paraît, elle attendait mon passage depuis je ne sais combien de temps. Elle m'a demandé de vous la remettre à main propre et au plus vite.

Clay fronça les sourcils. Les événements de ces derniers jours étaient vraiment étranges. Il tourna la lettre entre ses doigts encore une fois avant de congédier le messager.

L'écriture négligée de la lettre donnait peine à voir. Le message, bien que court, était bourré de fautes assez évidentes. Cela lui prit quelques secondes supplémentaires à déchiffrer et à deviner des passages, mais il finit par la lire entièrement. La lettre lui venait de la femme de Jonah. D'abord, il pensait s'être trompé, mais après la deuxième lecture, il confirma que c'était bien elle - Chose à laquelle il ne s'attendait guère. La jeune femme l'invita chez elle pour un café cet après midi, lui confiant vouloir lui parler en toute urgence.

Clay n'avait aucune idée sur la nature du sujet qui pourrait bien les rassembler. Il avait déjà entendu parler d'elle, Jonah ne manquait jamais l'occasion de parler de sa petite famille, et cette dite occasion se ramenait assez souvent, puisque c'était un ami assez proche de lui. Ce mot l'avait assez intrigué pour accepter l'invitation, et ce malgré les papiers qu'il devait terminer dans la journée, mais il fit aussi naître en lui un sentiment d'inconfort qu'il ne pouvait ignorer. Il prit la lettre avec lui pour jeter un coup d'œil sur l'adresse et se dirigea sur le champ vers les quartiers est de Ürain.

Le quartier est, connu aussi sous le nom du " quartier des ouvriers'', abrite principalement de simples travailleurs, et séparé du reste de la ville par un grand mur identique à celui qui entoure la capitale. Clay n'y avait pas posé les pieds depuis son adolescence. Il n'avait rien à faire dans le coin, vu que le roi ne s'y rendait jamais.

Ürain était une ville florissante. La majorité de ses habitants étaient riches; possesseurs de commerces, de terres agricoles ou de vastes domaines. La petite communauté qui restait représentait les gens modestes qui, généralement, travaillaient chez la première catégorie. Tout d'abord, Clay ne comprenait pas pourquoi le roi avait divisé la ville de la sorte, jugeant l'égalité plus apte à faire régner la paix au sein des murs de la capitale. Mais avec le temps il comprit; ces quartiers contenaient aussi les plus dangereux criminels de la ville. De plus en plus nombreux, vu leur mode de vie terre à terre,ils commencèrent à se rassembler en bandes, servant différents chefs. ils devinrent rapidement une menace pour le roi et ses semblables. Comme solution rapide et efficace, le roi fit bâtir le mur qui isolait cette infâme partie du reste. Il prit même soin d'établir un système de reconnaissance pour sélectionner et gérer les entrées et sorties. Chose qui penchait un peu vers l'extrême, de l'avis de Clay.

Il atteignit les portes du quartier, s'identifia à l'aide d'un papier comportant son poste et le sceau royal.

Les étroites ruelles qu'il empruntait empestaient l'urine, et le sol y était tellement irrégulier qu'il n'arrivait pas à marcher droit. Les regards qu'on lui jetaient étaient tout sauf amicaux. Les gens étaient curieux de voir une nouvelle tête parmi eux. Tous dévoraient de leurs regards sa veste de haute couture et son pantalon en soie sur mesure, mais il gardait son attention fixée sur la route, ignorant leurs regards pesants.

Clay était évidemment armé. S'aventurer à travers les ruelles sombres représentant le territoire d'un quelconque chef de bande ne l'enchantait pas vraiment. Il aurait aimé que la femme de Jonah lui ai donné rendez-vous dans l'un des endroits publiques de la ville, un petit jardin paisible aurait été parfait.

Il arriva enfin à l'adresse indiquée dans la lettre. Une maison lui faisait face. Ni trop grande, ni trop petite. Elle s'élevait sur deux étages et avait un petit balcon en bois décoré de magnifiques fleurs colorées. Clay toqua et attendit quelques secondes avant d'entendre le craquement du plancher en provenance de l'intérieur. La porte s'ouvrit sur une jeune femme de petite taille. C'était une brune vêtue d'une simple robe bleue en plus d'un tablier. Quand leurs regards se croisèrent, elle lui sourit :

- Vous devez être messire Hans, demanda-t-elle timidement.

Clay acquiesça et pénétra dans la demeure de Jonah. Cette maison était tellement chaleureuse et douillette qu'elle lui apporta instantanément un sensation de bien-être. Elle était propre, bien éclairée avec une décoration très fine et distinguée. Une agréable odeur de café flottait dans l'air. Nous n'avons jamais eu l'occasion de nous rencontrer ; je suis Mary, l'épouse de Jonah, dit-elle en s'inclinant légèrement. Mettez vous à l'aise, messire, je reviens tout de suite.

Le jeune blond se débarrassa de sa veste avant de s'installer sur une chaise en bois près de la fenêtre. Ses souvenirs n'avaient rien à voir avec ce qu'était devenue cette partie de la ville. Cela réclamait vraiment l'attention du roi. Les crimes qui s'y passaient n'étaient pas une raison valable pour tourner le dos à ses sujets de la sorte.

L'idée d'aller lui en parler à son retour trottait dans son esprit quand la jeune brune entreprit une descente d'escaliers lente et prudente.

- Je m'excuse de vous avoir amené ici aussi hâtivement, dit-elle en se dirigeant vers le coin cuisine de l'étage.

- J'ai réussi à me libérer, la rassura Clay avec un sourire amical.

- Vous m'en voyez ravie, répondit la jeune femme en remplissant ses tasses de café fumant.

Ils échangèrent quelques courtoisies avant que la femme de Jonah ne dépose les tasses sur la table et s'assoit face à lui.

- Si je vous ai demandé, c'est pour avoir des réponses.

Ses traits se contractèrent en une expression inquiète. Elle évitait le regard de Clay et exerçait une forte pression entre ses doigts.

- Je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions, madame.

- De quoi avez-vous chargé Jonah ? Lâcha-t-elle.

Clay n'essaya même pas de cacher sa surprise.

- Pardon ?

- Pourquoi l'avoir envoyé hors de la ville ? Il n'a jamais été assigné à une mission similaire, et ça m'inquiète qu'il ait quitté la maison aussi brusquement.

- Que vous a-t-il dit à ce sujet ? demanda Clay.

Mary eut un rire amère, son regard, à présent dirigé vers Clay reflétait une certaine colère.

- Nous avons eu une dispute. Il ne voulait pas me dire de quoi il s'agissait. C'était assez brusque, j'avais le droit de le savoir !

- Jonah n'a fait que suivre les ordres, la coupa Clay. Je lui ai ordonné de garder la nature de ce déplacement secret. Je suis navré que ça ait causé ce genre de conflits entre vous.

La jeune brune haussa les épaules, la gentillesse et la timidité qui accueillirent Clay la désertèrent complètement.

- Je suis sa femme ! Il pouvait tout de même me faire confiance ! s'exclama Mary.

- Cela dépasse toute question de confiance conjugale.

Mary soupira, déposant la tête entre ses deux mains sèches aux ongles fissurés. Elle avait l'air lasse et désespérée par la tournure qu'avait prise la discussion. Cela n'allait pas au sens qu'elle espérait, et elle ne se gênait pas à le montrer.

- Je suis enceinte, messire Hans, déclara-t-elle.

- Je suis au courant. Toutes mes félicitations.

- Il est donc normal, poursuivit-elle, que j'exige que mon mari soit à mes côtés durant cette période, non ?

Le café refroidissait et aucun d'eux n'y avait encore touché. Clay comprenait parfaitement la position de Mary, mais les ordres étaient les ordres.

- C'est moi qui l'ai envoyé en mission, avoua-t-il en baissant le regard, comme honteux d'affronter la réaction de Mary.

La jeune femme ne dit rien, se contentant de regarder fixement le jeune blond, attendant une quelconque suite à sa déclaration.

- Il était venu me voir pour me demander une faveur. Il m'avait expliqué votre situation et demandé une augmentation pour pouvoir gérer les événements avenir.

Clay était plus que gêné de raconter cela, c'était censé rester entre lui et son ami. Déjà que ce dernier se sentait assez mal de le lui demander.

- Les travailleurs du palais ne sont pas sous ma responsabilité, poursuivit-il. Je n'ai rien pu faire pour lui, jusqu'à ce que cette mission se présente.

- Je n'ai pas besoin d'argent, j'ai besoin de mon mari, ici, avec moi !

- Je n'ai fait que lui rendre service. C'est très bien payé.

La colère semblait s'être emparée de Mary alors qu'elle se leva brusquement de sa chaise. Ses yeux étaient injectés de sang et humides.

- J'ai un mauvais pressentiment, dit-elle amèrement. Et mes intuitions ne m'ont jamais trompée, messire Hans. J'espère pour vous que mon mari me revienne sain et sauf.

Clay avait du mal à digérer ses menaces, mais il était connu pour son sang-froid. Il pouvait maîtriser des situations similaires et ne laissait rien paraître de ses réelles pensées. Il ne répondit pas à Mary, se contentant de l'observer. La jeune dame était terrifiée, et le fait qu'elle était enceinte n'aidait en rien son humeur à s'améliorer. Mais elle était forte. Clay le vit dans ses yeux flamboyants.

- Comment faites vous pour survivre, ici ? Demanda-t-il finalement.

Elle semblait déstabilisée par cette question soudaine.

- Je ne vois pas le rapport avec Jonah.

- La vie me semble un peu dure dans ce quartier, surtout pour la femme d'un fidèle serviteur du roi. Je sais que sa Majesté n'est pas du tout apprécié ici.

Mary eut un léger sourire au coin, amère.

- Pourtant je vois que vous menez une routine assez tranquille, votre maison est entretenue, votre apparence soignée, dit-il en marquant une petite pause. Vous ne semblez pas dans le besoin, ce qui va à l'encontre des inquiétudes permanentes de Jonah.

- Où voulez-vous en venir ? Demanda-t-elle, sourcils froncés.

- Dites-moi, c'est vous qui gérez la bourse familiale, n'est-ce pas ?

Mary se rassit, et but sa première gorgée de café.

- Jonah est bien trop naïf pour survivre ici sans moi.

- Je n'en doute pas.

Elle hocha la tête.

- Vous êtes perspicace. Il n'en a vu que du feu depuis près d'une quinzaine d'années, lui.

- Comment faites-vous ? demanda Clay, très intéressé par la tournure qu'avait prise la discussion.

- Je ne fais pas grand chose, rit-elle. J'ai juste un frère qui assure mes arrières.

- Et qui a la main bien trop généreuse, poursuivit Clay.

- J'ai grandi ici, contrairement à Jonah qui est venu pour le travail, et je peux vous dire qu'il n'y a qu'une seule façon pour survivre ici.

- Je doute que Jonah soit d'accord avec ça.

- Pourquoi pensez-vous que je le cache depuis tout ce temps ? Il ne comprendra jamais.

Le silence s'installa pendant quelques secondes. Le regard perdu dans le vide, Mary caressait son ventre avec de lents mouvements circulaires.

- Je mène une vie assez aisée ici, finit-elle par murmurer. La seule raison qui m'oblige à quitter ce malheureux quartier, un jour ou l'autre, est mes enfants. Je ne peux tolérer de les voir grandir en criminels. Jonah en aurait le cœur brisé.

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