CHAPITRE 11: QUELQU'UN DE BIEN ( Partie 1/2)
Si cela n'avait été de la récompense qui l'attendait bien gentiment à son retour, Gareth aurait tout lâché depuis bien longtemps. Tout dans ce voyage l'ennuyait; les routes désertes et interminables qu'ils empruntaient, ses longues nuits qu'il devait passer à faire le guet, le visage tout gentil et inoffensif de Jonah, et pour finir, la princesse.
Tout en elle le mettait sous les nerfs, Son visage faussement angélique, sa voix, son arrogance et par-dessus tout, sa façon de les prendre pour des idiots à jouer l'innocente jeune fille qu'on devait protéger. Elle n'était pas nette, il en était certain. Gareth n'avait pas oublié ce regard qu'elle lui lança le jour de leur rencontre, ni cette petite escapade nocturne quelques jours plus tôt. Il faisait donc un effort immense pour la traiter avec le respect qu'il lui devait.
Cela faisait deux jours qu'il laissèrent la forêt derrière eux. Jonah était bien content de voir qu'aucun incident ne s'y était passé, clamant à Gareth qu'ils avaient fait le bon choix en évitant quand-même la ville, fière d'avoir suivi les ordres de son roi. Gareth roula des yeux face à ce cirque, le pauvre homme était bien trop naïf. Si rien ne s'était passé, c'était parce que la princesse était allée bien gentiment jusqu'à eux, et non le contraire.
Il l'avait bien-sûr suivie cette nuit-là, bien plus par curiosité que par envie de la protéger, il n'était pas dupe, elle savait ce qu'elle faisait, et savait qu'elle ne courait aucun risque. Il n'avait malheureusement pas pu s'approcher de la demeure, ni même quitter la forêt, il s'était donc contenté d'observer la scène depuis sa lisière.
Le jeune homme n'avait pas tiré grand chose de cette petite virée, sauf que Barton ne voulait aucun mal à Dahlia, et qu'elle en était bien consciente.
Cette horrible femme qui servait de mère au jeune Barton ne s'était pas trompé en lui disant que la princesse ne risquait pas de le dénoncer. Mais pourquoi ? Quelle histoire pourrait bien cacher ce collier ?
En jouant de ses doigts habiles avec le bijou dans sa poche, le jeune homme fut parcouru d'un violent frisson à ce souvenir. Ce précieux objet ne l'avait pas quitté depuis leur départ.
À présent, ils avançaient vers les montagnes que Gareth redoutait plus que tout. Cela n'avait rien à voir avec cette comédie que jouait la princesse avec son prince dévoué, les hors la loi qui habitaient ces hauteurs étaient bien réels, mais il n'avait pas encore abordé le sujet avec Jonah, redoutant sa crise de fidélité et d'obéissance aveugle, il n'était pas d'une assez bonne humeur pour avoir affaire à lui pour l'instant. Il se contentait d'avancer en silence.
Ils campèrent cette nuit-là, loin de la route, derrière une sorte de petite colline qui arriverait aisément à les mettre à l'abri des regards malveillants - si regards malveillants il y avait. Le vent était glacial, et bien que le ciel fut dégagé au-dessus d'eux, le jeune brun perçut un groupe de nuages, dense et sombre qui avançaient vers eux en provenance des montagnes. D'après ces connaissances en la matière, la tempête ne serait pas là avant le lendemain, midi. Il n'y avait donc pas de quoi s'alarmer.
Gareth s'occupait à décharger leurs affaires des chevaux tandis que Jonah se chargeait d'allumer un feu. Dahlia s'était timidement approchée de lui, avec un léger sourire étirant ses lèvres, elle échangea quelques mots avec le garde. Ce dernier se mit alors à lui expliquer comment faire un feu. Avec de lents mouvements, faisant tourner le petit bâton entre ses mains avant de le tendre à la princesse qui se mettait à imiter ses gestes.
Gareth ne ratait rien de la scène. C'était la première fois qu'il put déceler un semblant d'humanité chez elle. Son sourire était sincère, et son regard, chargé d'une curiosité enfantine, pétillait. Si elle pouvait laisser la peste qu'elle était de côté pour se comporter comme une fille ordinaire, pourquoi lui adressait-elle autant de mépris, à lui ? Il venait d'avoir la preuve que ça n'avait rien à voir avec son statut social.
Il haussa brièvement ses épaules avant de se remettre au travail. Cela lui importait peu, il voulait juste qu'elle lui fasse des vacances, qu'elle le lâche avec ses regards pesants et réprobateurs.
Le jeune homme se mit à lui monter sa tente. En l'espace de quelques secondes, il s'imaginait la princesse venir à lui pour lui demander comment il s'y prenait. à cette pensée, la seule réponse qu'il se vit lui offrir était de lui coller l'un des appuis de la tente en plein figure. Cela arriverait peut-être à la montrer sous son vrai visage.
Il se mit à rire face à ses propres bêtises, il essayait tant bien que mal d'oublier le froid nocturne qui lui gelait les extrémités des doigts, rendant sa tâche bien plus pénible qu'aux précédentes nuits. Il regarda ses compagnons de route du coin de l'œil, souhaitant que Jonah arrête de jouer les gentils timides et allume ce foutu feu.
- J'espère vivre assez longtemps pour voir ce feu illuminer ce misérable campement, finit-il par dire en se dépoussiérant les mains l'une contre l'autre, une fois fini.
- La princesse n'en a jamais fait auparavant, je lui ...
- Sans blague, coupa Gareth. Elle semble pourtant si bien maîtriser la chose !
Dahlia le foudroya du regard. Quitte à être pris pour le rabat-joie, autant l'être vraiment.
- Je lui apprends donc à faire un feu, reprit quand même Jonah. Ça pourrait lui être utile.
La façon dont il se démenait tout le temps pour éviter les conflits et garder la bonne humeur au sein du groupe amusait tellement Gareth. Même si sa face d'optimiste lui tapait sur les nerfs, il était bien heureux qu'il soit là pour l'aider à la gérer.
- Allume moi ce foutu feu et apprends lui à en faire un beau jour d'été ensoleillé. Pour l'instant, je gèle.
Dahlia finit par lui rendre le bâton avant de s'éloigner d'eux en silence. Gareth trouvait ça un peu étrange que, pour une fois, elle n'avait pas sauté sur l'occasion pour lui aboyer dessus. Il n'en a pas trop pensé pour autant, content qu'elle prenne ses distances.
- Tu l'a vexé, fit remarquer Jonah.
- Voilà qui va m'empêcher de dormir cette nuit.
Le jeune homme s'installa en face du garde. Tendant les mains, paumes face au bois, il se prépara à les réchauffer. Jonah reprit alors son travail.
- Je sais qu'elle peut sembler arrogante, égoïste et gâtée ...
- Insupportable, ajouta Gareth.
Jonah soupira. Un petit filet de fumée commençait à s'élever au-dessus de ses mains.
- Je fais mon possible pour rendre ce voyage "vivable". Et j'apprécierais que tu m'aides.
Gareth ricana. Ça avait tout d'un rire forcé.
- Tu me connais pas mais tu aurais remarqué que je ne suis pas du genre à me laisser marcher dessus.
- J'ai intégré la garde royale très jeune. Commença Jonah après avoir soufflé quelques instants sur les flammes naissantes. Peu de temps avant mon mariage, histoire d'offrire une vie stable à ma femme.
Gareth hocha la tête, une petite pensée pour son frère effleura son esprit.
- J'ai en quelque sorte vu la princesse grandir. J'ai souvent été assigné à la garde de son pavillon, et je peux t'affirmer que sa vie n'a pas vraiment été facile.
- Bien-sûr, être la gamine la plus riche du pays, c'est très dur à gérer.
- Et la plus seule, ajouta le garde, le fixant du regard.
- Personne ne voulait de son amitié ? Voilà qui m'étonne, plaisanta Gareth.
Jonah sourit, secouant la tête lentement. L'humeur de Gareth s'améliora, la douce chaleur que lui procurait le feu de camp était la plus délicieuse sensation de la journée.
- C'est pas facile d'avoir une conversation sérieuse avec toi, fit remarquer Jonah.
- C'est l'une de mes plus grandes qualités, sourit-il.
- À cause de ses différences, la princesse n'avait pas le droit de quitter son pavillon. Les serviteurs et gardes autorisés à y accéder étaient sélectionnés avec soin. Je pense que tout cela a dû influencer son caractère.
- C'est bon, Jonah, j'ai compris je t'assure, le rassura le jeune brun. Je ferai de mon mieux.
Jonah lui sourit, le regard chargé de gratitude. Sincèrement, il se fichait pas mal de son histoire désolante, le résultat était le même, il ne ressentait aucune pitié pour la jeune fille. Elle était peut-être une princesse solitaire, mais elle profitait tout de même de repas chauds quand son estomac à lui se nouait de faim, elle était entourée de ses oreillers en plumes d'oie et de ses couvertures en soie les nuits où, lui, songeait à fuguer pour épargner à sa famille la charge du fardeau qu'il était.
La solitude, c'était bien triste, mais la pauvreté était une toute autre histoire.
Toutefois, il garda ses vraies pensées pour lui, jugeant que leur partage mènerait tout droit à une discussion stérile, en plus, il détestait parler de sa vie, de ses faiblesses.
- Comme ça, tu es marié ? Demanda-t-il, essayant de changer de sujet.
À la seule évocation de son mariage, le visage de Jonah s'illumina. Il orienta son regard vers le ciel dégagé, comme pour se remémorer un merveilleux rêve qu'il venait de faire.
- Ça doit faire presque quinze ans, dit-il avec un large sourire. Ma femme va bientôt accoucher de mon deuxième fils et je peux te dire que cette petite mission est tombée pile au bon moment.
- Derniers moments de répit ? À ta place je préférerais supporter les incessants pleurs d'un nouveau né que de servir la princesse.
Jonah rit sincèrement. Pourtant, Gareth était très sérieux. Il est vrai qu'il avait toujours vu les naissances de ses neveux comme de nouvelles sources de problèmes et de disputes à la ferme. Qui dit naissance dit nouvelle bouche à nourrir, nouvelles dépenses pour une famille qui arrivait à peine à subvenir à ses besoins, c'est pour ça qu'il évitait de penser que le quatrième fils de son frère était déjà en route.
Malgré tout cela, il y avait du bonheur. En tenant ces enfants dans ses bras, une joie immense le submergeait et lui faisait oublier le reste, alors que la princesse n'était que source de problème et il n'y avait tout simplement rien de positif à tirer d'elle.
- Non ... finit par dire le garde. Cette escorte est bien payée, ça m'aiderait à préparer sa venue.
Le jeune arnaqueur ne savait pas combien allait être payé Jonah, sûrement moins que lui, mais cela allait lui suffire à accueillir le nouveau membre de la famille. En l'espace d'un instant il songea à faire de même. En plus de rembourser sa dette envers son frère, il pourrait très bien l'aider, pour une fois, à sortir la famille de cette crise qui durait depuis bien trop longtemps.
Mais était-il vraiment ce genre de personne ? une occasion similaire ne se présenterait certainement jamais. Il ne se pensait pas capable de se priver d'une nouvelle vie, pas maintenant qu'il se sentait si prêt du but.
Enfin, il n'était pas un sans cœur, il y avait déjà réfléchi, et il ne pouvait malheureusement pas apporter grand chose à une famille aussi nombreuse. S'il partageait les pièces d'or sur les huit membres, il se trouverait avec une part digne de l'un des plus misérables cambriolages qu'il planifiait avec Pitt et Al à ses débuts. Pas de quoi faire long feu.
On pourrait très bien le traiter d'égoïste, il avait appris à s'immuniser contre ce type de jugements, il avait connu bien plus que ça. L'idée qu'il ne revienne même pas lui effleura l'esprit; aller récupérer le butin à Föhra et tracer directement sa route vers une destination inconnue, voilà qui réglerait pas mal de soucis.
Pour ce qui était de sa dette envers Harold, il pensait à laisser Dan s'en charger. Il comptait tout de même lui rendre une dernière visite, il lui devait des explications, un au revoir. Une dernière rencontre s'imposait, après tout ce qu'il avait fait pour lui; il l'avait toujours épaulé et assuré ses arrières. Il était tout simplement le frère qu'il avait souhaité voir en Harod.
Il regarda la jeune demoiselle assise près de sa tente, en train d'observer les étoiles avec intérêt. Elle le fuyait comme la peste, et le voilà assis près du feu, profitant de sa chaleur et de sa douce lumière, alors que l'héritière du pays combattait silencieusement le froid. Il se demanda s'il allait perdre sa récompense si jamais elle chopait une quelconque maladie en route. Une pensée qui le mit debout instantanément :
- Je vais inspecter les alentours. Tu devrais l'appeler pour se réchauffer un peu.
Jonah le gratifia d'un regard qu'il jugea bien trop amical à son goût. Quant au sourire scotché à ses lèvres... il s'était juste habitué à lui.
- Quoi ? lui demanda-t-il, plus gêné qu'agacé.
- Tu peux être quelqu'un de bien quand tu le veux.
Gareth roula des yeux.
- Eh bien ne t'y habitue pas trop, répondit-il avant de lui fausser compagnie.
Il prit le premier tour de garde cette nuit-là, attisant le feu de temps à autre, il ne luttait pas contre le sommeil. Ce dernier l'avait complètement déserté, les yeux perdus dans le jeu des flammes dansantes, il repensait à cette dernière discussion avec son compagnon de voyage. "Tu peux être quelqu'un de bien quand tu le veux." étaient les mots qu'il reçut de sa part. Le pouvait-il vraiment ? Cela faisait tellement longtemps qu'il avait arrêté de penser à autrui qu'il doutait que cette partie de lui puisse toujours exister. la faim, la pauvreté ... ça pouvait facilement changer une personne, transformer la naïveté d'un enfant en ruse et en égoïsme. Contrairement à son frère, à sa maturité et à sa forte personnalité, il avait cédé à tout cela.
Tout ce qui lui importait était sa propre personne. Jonah réussit à lire en lui comme sur un livre ouvert, dès le premier jour de voyages, alors que Gareth cherchait à connaître son point de vu sur la situation, le garde lui répondit simplement : " Je n'ai pas l'habitude de m'impliquer personnellement dans les missions qui me sont assignées, j'exécute les ordres et c'est tout." Borné et curieux qu'il était, Gareth insista après avoir vérifié que la princesse ne pouvait pas les entendre.
" Ce dont je suis sûr, c'est que c'est inutile que je me méfie de toi." Ce que Gareth trouvait très étrange, car au moment de le maîtriser au bureau du conseiller du roi, il faillit lui déboiter le bras, mais il n'en avait rien dit, laissant Jonah poursuivre. " Je ne dis pas que tes intentions étaient bonnes, tu n'inspire pas trop confiance, mais au moins, je suis sûr que tu n'es pas là pour t'en prendre à la princesse. Et sur ce point on s'entend déjà." C'est à ce moment qu'il lui avait adressé son éternel sourire pour la première fois depuis leur départ.
Ce fut aussi la première fois que Gareth ne s'était pas senti jugé.
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