Malgré toutes ces heures qui le séparaient de ce terrible cauchemar, Dan arrivait toujours à entendre clairement ces voix le traiter de traître avec reproche. Il ressentait toujours la main de Gareth serrer son cou, sentait toujours la vie déserter son corps. Il ne pouvait ignorer ça. Ce n'était pas la première fois qu'il faisait un rêve aussi clair, si réel qu'il lui était très difficile de le différencier de la réalité.

La première fois que cela s'était produit était à ces quatre ans, quand il vit le visage de son père adoptif, Nolgan, alors qu'il ne l'avait pas encore connu. Il ne se rappelait pas du rêve tel qu'il était, mais il était convaincu que cela avait présagé l'arrivée de cet homme dans sa vie.

Après cela, il ne pouvait qu'être en alerte au sujet de son ami qui était toujours introuvable.

Il emprunta la route étroite qui menait vers le marché, non loin de la maison qu'il occupait avec son paternel. Il marchait tête baissée, plongé dans ses pensées. Il se rappela qu'il avait déjà lu un livre qui affirmait que l'on pouvait très bien contacter autrui en empruntant la voie des rêves. Aussi irréaliste que cela pouvait paraître, il y croyait. Après avoir découvert son amour pour la lecture dès son plus jeune âge, de vraies pépites étaient tombées entre ses mains, parlant du pays tel qu'il était avant le règne du roi Hector. Le monde était bien différent, à l'époque.

Très peu après le couronnement du roi actuel, certains genres de livres commençaient à sortir du marché, la plupart d'entre eux voyaient leurs auteurs disparaître ou abandonner ce métier pour de bon.

Malgré son jeune âge, Dan avait réussi à faire ressortir le point commun entre tous ces ouvrages ; l'ère des Ülgars.

Il en avait lu pas mal à ce sujet, fasciné qu'il était par la magie et les créatures surhumaines. Mais il n'était pas bête, avec le temps, sa passion et son savoir à ce sujet devint secret, pour se protéger et protéger son père du destin que le roi réservait à ceux qui en savaient trop.

Dan ne savait pas dans quel but tout cela s'appliquait. Le roi voulait modifier l'histoire, faire en sorte que tout ce qui concernait les " Non Humains" soit jeté à l'oubli, mais il ignorait quel intérêt cela lui apporterait.

Les Ülgars s'étaient repliés vers les montagnes du nord, après la guerre. Mais les Dryardes s'étaient comme évaporées, depuis quelques années, sans aucune explication, et ne laissant aucune trace derrière eux.

Cela avait-il quelque chose à voir avec le roi Hector ? Dan en était certain, mais c'était une chose qu'il ne trouvera pas expliquée sur du papier.

Les impures, les sang-mêlés, devraient être toujours présents sur ces terres, se cachant parmi le peuple, craignant d'être découvert. Tout comme lui.

Le jeune blond traversa le marché tout entier, fouilla dans tous les endroits où Gareth et ses coéquipiers avaient l'habitude de jouer et lancer leurs paris. Il jeta un coup d'œil à chaque ruelle suspecte. Mais le trio était introuvable.

Il prit la peine de demander à quelques villageois, mais comme attendu, personne ne les avait aperçus. Certains ne prenaient même pas la peine de cacher leur satisfaction face à leur absence.

Dan ne lui restait plus qu'un endroit à fouiller.

Arrivant devant la porte de Pitt , il frappa avec impatience avant de faire quelques pas en arrière. La maison semblait vide, les volets étaient fermés et l'intérieur était silencieux. Il toqua une seconde fois, avec plus d'insistance, mais aucune réponse ne vint.

Il soupira, s'apprêtant à quitter les lieux quand il entendit un bruit sourd en provenance d'une ruelle à côté. fronçant les sourcils, il s'avança silencieusement, ses pas aussi légers et calculés que ceux d'un félin en chasse. Des chuchotements lui arrivaient aux oreilles, de plus en plus insistants.

- Tu t'en tireras pas aussi facilement ! Grogna l'une des voix.

Se mettant à l'angle de la maisonnette, Dan jeta un coup d'œil en direction des chuchotements.

Pitt et Al se trouvaient là. Le plus costaud des deux prenait le second par le col de sa chemise, l'attirant vers lui brusquement, les yeux lançant des éclairs menaçants.

-Quand est-ce que tu vas enfin comprendre ? Il nous a monté l'un contre l'autre pour se casser avec la plus grande partie ! Cria Pitt, brisant le calme qu'Alain veillait à préserver.

En réponse à ses justifications, Al l'attira une seconde fois vers lui pour lui donner un puissant coup de tête. Pitt s'effondra aussitôt sur le sol.

- Si vous pensez pouvoir vous jouer de moi, toi et l'autre petit crétin, vous vous trompez grandement, dit-il avant d'enchaîner avec un coup de pied aux côtes.

Malgré son mépris envers Pitt, Dan ne supportait pas de le laisser ainsi. Al était connu pour sa force et sa violence, personne ne savait quand il allait se décider à s'arrêter s'il n'intervenait pas.

Une petite partie de lui prenait du plaisir à le voir aussi misérable, lui chuchotant de profiter encore du spectacle. Mais sa conscience prit le dessus et le poussa à se montrer.

- Je pense que le message est passé, dit-il à l'adresse d'Al.

Alain se tourna vers lui, laissant à son coéquipier un moment de répit. Ce dernier, toujours recroquevillé sur lui-même, ne bougea pas d'un pouce.

- Ah oui ? Demanda Al en esquissant un sourire amer. Et tu sais qui n'a pas encore vu le message passer ?

Il s'avançait de Dan d'un pas menaçant.

- Je crois l'avoir deviné, répondit-il sans broncher.

- Bien ! rit Al. Je t'aurais bien dit de déguerpir d'ici avant que tu ne le regrette, mais je crois que tu es arrivé au bon moment.

Dan ne sentait pas du tout cette histoire. Il n'avait encore jamais vu ces deux là se dresser l'un contre l'autre. Et l'absence de Gareth ne lui disait rien qui vaille.

- Tu m'étonnes.

Il gardait son sang-froid, il était hors de question de montrer ses craintes devant eux.

- Où est ton pote ? Le questionna Al une fois arrivé à sa hauteur. J'ai deux mots à lui toucher.

Ce qu'il craignait venait de se confirmer. Quelque chose est arrivé cette nuit, et Gareth n'était trouvable nul part.

- Qu'est-ce qui est arrivé cette nuit ?

- Tu n'as pas bien compris, c'est moi qui pose les questions.

Dan resta silencieux. Il devait en savoir plus, si Gareth était en danger, il fallait l'en sortir le plus vite possible. Défiant Al du regard, le jeune blond n'ouvrit toujours pas la bouche.

- Ce minable n'a pas l'air d'en savoir grand chose, s'éleva une faible voix derrière Alain. Il s'est bien foutu de nous, et il n'a partagé ça avec personne, on le trouvera pas.

Le visage d'Al s'empourpra de colère. Serrant la mâchoire, il concentra son attention sur Dan une seconde fois.

- Parle ! Ordonna-il en le poussant d'un geste de la main.

- Je suis justement venu vous demander la même chose, expliqua Dan enfin. Ça fait un moment que je le cherche...

- Ouais c'est ça ...

S'apprêtant à le pousser à nouveau, Dan anticipa son geste, et d'une agilité qu'Al ne lui connaissait pas, il contra son action d'une main et le prit au cou de la seconde. le grand gaillard écarquilla les yeux, que ce soit par surprise ou par manque d'air, Dan n'aurait pu le dire. Il essayait de se dégager de son emprise, mais étonnamment, Dan était bien plus fort. Serrant de plus belle, il souleva son adversaire à quelques centimètres du sol.

À cet instant, l'image de Gareth le décollant du sol de la même façon frôla son esprit. Son bras en trembla légèrement, mais il réussit à se ressaisir. Pitt le regardait, bouche bée, n'osant pas intervenir.

"Par ta faute, je suis devenu un assassin".

Cette phrase résonna dans la tête de Dan comme s'il l'entendait pour la première fois. Le regard chargé de haine, il demanda à nouveau :

- Que s'est-il passé au manoir ?

Il déposa Al à terre, jugeant cela suffisant pour qu'il comprenne à qui il avait affaire.

- Les propriétaires nous ont trouvés, répondit Pitt en se relevant difficilement.

- Gareth a-t-il tué quelqu'un ?

Pitt semblait surpris par une telle question. Pris au dépourvu, il se tut quelques secondes, fronçant les sourcils d'incompréhension.

- Pas que je sache ... non, répondit-il enfin. Nous étions séparés à ce moment, mais nous pensons qu'il se soit enfui. Il était le plus proche de la sortie.

- Sans oublier d'emporter avec lui les deux tiers de ce qu'on a récupéré, ajouta Al, se tenant le cou.

- Donc, aucun de vous ne l'a plus revu depuis cette nuit ?

- Nous l'avons cherché partout, depuis cette nuit, répondit Pitt. Mais je suis convaincu qu'il se cache quelque part pour se faire oublier, et profiter pleinement de son nouveau trésor.

Ses dernières paroles furent prononcées amèrement. Mais Danfort décida de ne pas en tenir compte. Malgré tous ses défauts, Gareth n'aurait jamais osé se retourner contre ses coéquipiers de cette façon, surtout que sa part lui aurait totalement suffit à rembourser son frère. Dan savait que c'était ce qui comptait le plus pour lui en ce moment.

Sa disparition n'était pas voulue, il en était convaincu, il restait à découvrir ce qui lui était arrivé après s'être séparé de son groupe.

La réponse se trouvait à Föhra.

À présent qu'il connaissait le prochain point de recherche, il se retourna pour quitter les lieux. Mais avant de partir,il les mit en garde :

- Si jamais Gareth revient, où que vous tombez sur lui par hasard, et que vous osez toucher à un poil de sa tête, rappelez-vous ceci : J'ai été d'une assez bonne humeur, aujourd'hui.