𝔗𝔯𝔬𝔦𝔰𝔦𝔢𝔪𝔢 𝔲𝔫
Le bâtiment sonne les dix-huit heures.
Je prends alors une pause le temps que les classes se remplissent par les chuchotements qui m'ont déconcentré lors de mes deux dernières heures de reprises. Nous sommes vendredi, environ un mois plus tard, et j'ai renfilé mes pointes usées dont je n'ai pas encore cœur de me séparer. J'ai pris mon temps sur mon échauffement, que j'ai commencé à quinze heures et que j'ai terminé une heure après pour enchainer sur d'anciennes routines.
Jean m'a laissé les clés et s'en est allé à un studio voisin pour remplacer un professeur malade, et puisque mes chers camarades habituels et professionnels sont en stage en Russie, je me retrouve seul dans l'un des studio exiguë du premier étage. Les élèves arrivés en avance ont rapidement trouvé de quoi s'asseoir pour me regarder progresser sur le parquet ciré. Et bien que je me sois ménagé sur chaque routine, chaque mouvement et chaque musicalité, les vagues d'applaudissements admiratifs n'ont pas manqué. J'ai reconnu des visages familiers dans la petite foule de curieux, des accoutumés de l'école depuis leurs plus jeunes âges. L'un d'eux m'a un jour avoué qu'il s'est donné pour but de réussir en temps que danseur pour atteindre un dixième de mon niveau lorsqu'il sera plus âgé. Autant vous dire que j'ai grincé des dents lorsqu'ils sont parties en cours.
La symphonie d'un compositeur récemment décédé, et très talentueux, continue en fond tandis que je descends la fin de ma bouteille, là assis par terre contre le miroir. Je peine à reprendre mon souffle alors que je n'ai pas fais de grandes folies. Sûrement une minute plus tard, incapable de me stabiliser, j'ai du attraper ma ventoline avant de voir des moutons danser sur les murs.
Ma reprise n'a pas pourtant pas été si catastrophique, il y a trois semaines. J'ai miraculeusement réussi à ne pas m'effondrer à la fin du cours et je n'ai pas eu recours à ma petite boîte en plastique. Et comme mère voulait confirmation de ce que Jay m'a conseillé de ne plus faire mais que le diagnostic s'est avéré contraire, je suis obligé de remettre pied à l'étrier avant d'être quotidiennement suivi et escorté par je-ne-sais quel molosse baraqué engagé pour me surveiller.
Mon état s'est dégradé, vous vous en doutez, j'ai maintenant besoin de ma ventoline deux fois par cours minimum. Et mère est dans un pays à l'autre bout du monde pour, je cite : le travail. Je ne l'ai pas questionné sur sa destination, tant qu'elle est loin je m'en porte bien. Papa quant à lui ne s'est pas présenté depuis plusieurs semaines et je ne reçois que de brefs messages confirmant qu'il est toujours en vie, quelque part aux États-Unis ou dans le monde, qui sait ?
J'aimerais revoir papa, lui au moins s'inquiète de mon état et pas seulement de mon compte en banque. Sauf que, soyons honnête, je ne le reverrai pas tant que ma génitrice ne sera pas dans les parages. C'est très rare que je le côtoie seul à seul, mère doit toujours rajouter son grain de sel dans nos courts moments ensemble.
Aujourd'hui, il ne m'a rien envoyé, comme hier et avant-hier. Je laisse tomber mon téléphone dans mon sac et m'assomme la tête avec le miroir derrière. Je souhaite ne pas perdre espoir quant au fait de le voir revenir, de le voir me sourire autrement que par la contrainte stupide de mère, sauf que de jour en jour l'espoir s'évanouit.
Je me suis assez entraîné et je n'ai plus la tête à danser pour me vider l'esprit. Je débande mes pointes et les fourre au fond de mon sac à l'odeur âpre de mon déodorant qui s'est ouvert ce matin, je renfile mon jogging vert sapin et mon gros sweat-shirt d'un concert de rock que je me suis permis d'allé voir dans le dos de mes parents, et je traverse la salle pour fermer les volets électriques, apercevant la neige qui tombe toujours comme au premier jour. Je rentrerai à pieds, personne ne sera dans les rues. Mollement, je retourne au devant de la pièce pour éteindre la musique — en fin de morceau —, planque la tablette dans le tiroir coffre-fort et attrape mes affaires en râlant de fatigue.
Finalement je prendrais un bain ce soir, c'est décidé !
Je vérifie une dernière fois que j'ai bien tout clôturé lorsque je croise une présence dans le reflet du miroir, à l'opposée de la porte. Et je n'ai pas sursauté, juste tressailli. La faucheuse est là, comme une vieille copine avec qui on s'est fixé le rendez-vous pour nos retrouvailles aujourd'hui. Elle est présente à chaque fin de répétitions depuis le début de semaine, telle une épée de Damoclès qui me rappelle que je devrais écouter Jay et m'arrêter de danser. Je remonte la bandoulière sur mon épaule et la salue d'un court geste de la main avant de me détourner, je préfère me dire que je ne vais pas mourir aujourd'hui sans avoir revu mes proches — dont Jay qui, avec la neige, est surbooké jusqu'au cou.
Je ferme la porte à clé, après avoir éteint la lumière principale, et je suis déjà à dévaler l'escalier, les mains dans les poches et les écouteurs enfoncés dans les oreilles. La nouvelle playlist que Sunoo m'a partagé devient peu à peu mon petit réconfort après mes routines, mélangeant pop, rock, classique et chansons bien tristes que je me réserve pour la maison.
Bingo pour moi, les trottoirs sont effectivement partiellement vide, je n'aurais donc à tracer ma route comme un forcené pour espérer ne pas croiser une connaissance qui me demanderait vaguement de mes nouvelles pour surtout parler de sa vie et ses galères. Ce sont les mêmes qui viennent en représentations pour fanfaronner devant leur connaissance en prétextant une amitié de longue date et d'une admiration à toute épreuve. Et ce sont exactement les mêmes qui, pendant mes années d'étudiants, se moquaient de mon corps couvert de bleus ; de ce «sport de nana» ; que les «pd devraient mourir» et que j'étais à vomir. Le terme «très bon amis» n'est pas celui que j'utiliserais.
La soirée est fraîche, la neige si blanche que j'aimerais la figer dans le temps pour ne jamais avoir à l'attendre l'année suivante, et la ville est tout aussi bruyante que d'habitude. Et comme je ne suis pas attendu chez moi, que je n'ai pas de rendez-vous avec Sunoo ou que j'ai à me dépêcher de rentrer pour x ou y raison, je prends mon temps pour savourer les flocons sur mon nez et le bruit crissant sous mes baskets. J'ai troué mes chaussettes ce matin, en arrivant dans le quartier, je n'ai donc pas remis cette barrière de laine contre le froid.
Sur le chemin, je me suis arrêté chez monsieur Lee, à sa salle de boxe plus précisément car Jean m'a demandé de lui remettre les clés en gage de sécurité — comme si je n'étais pas assez digne de confiance malgré les années. L'ascenseur étant encore en panne, malgré le réparateur la semaine dernière, je me tourne immédiatement vers l'escalier sur la droite pour grimper au premier étage. Par respect, j'ai enlevé mes écouteurs avant de pénétrer dans l'atmosphère de sueur et j'ai poussé la porte sans sonner — la sonnette aussi est cassée après qu'un boxeur bourré ait martelé le pauvre petit bouton. La porte en fer absorbe pas mal des bruits qui tapissent les murs et la chaleur m'assaille comme si je venais d'entrer dans un sauna, ce qui me brûle le nez tant le froid s'est occupé de mon cas précédemment.
La salle équivaut au salon de mon appartement et, malgré le tout petit bureau derrière quatre pauvre carreaux sales, les deux rings principaux prennent l'ensemble de la place. Des grognements, des râles d'efforts et des cris de douleurs résonnent dans la salle comme une décoration habituelle. Il y a une dizaine de personnes ce soir, je repère donc facilement monsieur Lee qui est en train de supervisé un match entre deux jeunots assez maigrichons pour me dire qu'ils sont collégiens. Leurs casques rouges de protections se fondent partialement avec les couleurs sombres et vives du lieu, et il me semble apercevoir du sang sur le menton de l'un d'eux. Monsieur Lee, un bon vivant avec trois poils sur la tête et une moustache digne des pubs de barbershop, corrige la posture du plus grand des deux et lui explique à voix basse ce qui ne va pas dans son jeu de jambe.
Lorsque nos regards se croisent, je soulève les clés et lui indique son bureau puisque je pressent qu'il n'aura pas finit son match avant une bonne vingtaine de minutes.
«– Hey, Jungwon !, hurle de son accent sudiste très prononcé. C'est ouvert !»
Tous les curieux ont tourné la tête vers moi, c'est à dire tout les boxeurs, et je m'éclipse ni une ni deux dans son bureau à gauche. Je pousse la porte de l'épaule et contourne le bureau sans chercher à savoir s'ils ont repris leur entraînement. Je tire le tiroir le plus en bas pour cacher les clés sous la tonne de papier relatif à du courrier jamais ouvert et indésirable.
Et lorsque je me redresse, je sursaute en étouffant un couinement disgracieux en trouvant la présence d'un homme dans l'encadrement de la porte. Mais ce n'est pas monsieur Lee qui fait une pause pour venir me saluer mais un noiraud qui m'est vaguement familier. Dans un tee-shirt de compression sombre — qui met en valeur une musculature impressionnante — et un jogging de la même teinte, il remet en place une bande autour de sa main en me regardant comme s'il ne revenait pas de me voir ici. Dingue les yeux ! Ils ont l'air de briller dans la semi pénombre.
Je l'ai certainement de l'avoir déjà croisé, les beautés pareilles ne courent pas les rues, sauf que je ne saurais dire pourquoi il m'a l'air plus que familier.
«– Vous m'avez fait peur !, je rigole doucement. Je ne vous avais pas entendu.»
Après m'avoir étudié, il s'arrête pour laisser sa main retomber contre sa cuisse et se recule d'un pas, visiblement confus par... par quoi, au fait ?
«– Apparement, je ne suis pas le seul à avoir eu peur, je remarque, embarrassé.»
Je sors de derrière le bureau pour rejoindre la porte de la minuscule pièce et la fermer derrière nous. Et vu de près, ce jeune homme est vraiment une merveille pour les yeux — si j'avais su qu'un tel sportif s'entraînait si peu loin, je serais venu plus régulièrement ! Je ne saurais dire lequel de nous deux est le plus troublé. Il n'a fait qu'un pas sur la droite pour me laisser claquer la poignée mais ne m'a pas quitté des yeux, comme s'il cherchait lui aussi à savoir d'où il me connaît. Sauf que je suis exténué et que l'appel du bain me pousse à ne pas m'attarder sur le pourquoi un tel homme me mâte ainsi.
«– Bonne soirée, je le salue du menton avant de partir vers la porte en fer close.
– Attends, s'empresse-t-il en m'attrapant le poignet.»
Je n'ai jamais, ô grand jamais ressenti un tel choc électrique me parcourir de la tête aux pieds. Je me tourne vivement vers lui et reprend mon bras en ouvrant les yeux grands comme des soucoupes. L'ambre de ses mirettes semblent flamboyer lorsque nos regards se croisent, et mes poumons cessent un instant de fonctionner. Heeseung. C'est ce qui crie vérité dans mon esprit.
«– Tu ne te serais pas frotté avec une serviette, par hasard ?, je demande, la panique montant le long de ma colonne.»
Non ce n'est pas ça, ce n'est pas à cause de l'électricité statique et tu le sais. Que j'enfouis bien loin dans mes pensées. Sauf qu'il reste silencieux, là, à me regarder comme si j'étais la personne responsable dans l'histoire.
Beau ou non, il n'a pas l'air très malin, typique de son genre. Et le silence qui s'éternise entre nous m'agrippe les tripes désagréablement, m'obligeant à fuir avec un :
«– Bon, bah j'y vais.»
Et un demi-tour sec avant que je ne devienne parano. J'ai cavalé dans les escaliers comme si j'avais le feu aux fesses. Dehors, je manque de glisser sur la neige fraîche et me rattrape au mur, éraflant ma main au passage. J'ai le cœur affolé, l'esprit sans dessus-dessous et le souffle court. C'était l'interaction la plus étrange que je n'ai jamais vécu et pourtant, je m'en retrouve boulversé. Je suis d'une part certain que ce gars s'appelle Heeseung et qu'en plus, le choc n'était pas dû à l'électricité statique, c'était autre chose. Mais quoi ?
«– Eh.»
Là, je tombe misérablement dans la neige, le coccyx en premier pour bien me rappeler que malgré la neige, le goudron c'est dur ! Sans parler du cri peu élégant que j'ai poussé tant mon cœur à fait un bond immense dans ma poitrine. En levant le nez, je tombe évidemment sur le noiraud d'en haut — sinon ce n'est pas drôle. En plus d'être disgracieux, je suis couvert de honte, génial !
«– Tu t'es fait mal ?, se précipite-t-il pour m'aider à me relever.»
Et il est en tee-shirt, sous zéro degré. À moi, cette fois-ci d'être sans voix quand son visage, si proche, m'apporte ce détail perturbant : il sent la fraise des bois, malgré sa transpiration. La même odeur dont je me rappelle après le fameux accident il y a un mois.
«– Je ne voulais pas te faire fuir, s'excuse-t-il en balayant la neige de mes manches.
– Ex... Excuse-moi, je balbutie en clignant bêtement des paupières.»
Il s'arrête net pour me regarder, nulle part autre que mes yeux et uniquement mes yeux.
«– Oh m*rde, je souffle, tu as des yeux magnifiques.»
Ne me demandez pas pourquoi je lui ai dit ça, ni pourquoi j'ai l'impression de voir une aura illuminer son dos d'une joli couleur argenté lorsque ses doigts glissent jusqu'à ma peau pour la frôler.
«– Et tu brilles.»
Il fronce un maigre instant les sourcils, semblant vouloir dire quelque chose et pourtant, hésiter. Et moi j'ai l'air timbré à dire des choses pareilles à un inconnu rencontré il y a deux minutes. Giflé de cette pensée, je me recule en me raclant la gorge, détournant difficilement les yeux de ses cils capturant les flocons de neige pour sublimer son regard.
«– Oh là, qu'est-ce que je raconte ?»
Surtout que non, il ne brille pas plus que la neige scintille, c'est ridicule.
«– Pardon, j'ai du me cogner la...
– Tu me vois briller ?, m'interrompt-il en se redressant légèrement.
– Quoi ? Oh, non, je disais n'importe quoi. Ma tête à dû rencontrer le mur en tombant.
– Tu m'as vu, murmure-t-il comme pour lui-même.»
Je pense que mon expression vaut le coup d'être marquée sur une pierre blanche tant mes sourcils sont venus caresser le haut de mon front et que mes yeux ont voulu sortir de leur orbites. Lui aussi a perdu des neurones ce soir ?
«– Hein ?, je couine, perplexe.
– Tu es protégé par un dieu, n'est-ce pas ?»
Ma bouche s'est grand ouverte avant qu'un rire nerveux ne s'échappe de ma gorge. Elle est bien bonne celle-là ! Il est beau mais bête et fou, finalement je souhaiterais fuir tout ça.
«– Non mais ça ne va pas ? Et puis quoi encore ?»
Encore une fois, le jeune homme reste interdit et moi je recule, je veux fuir et maintenant.
«– Ne me suivez pas, je lui ordonne, l'index levé.»
Et je m'enfonce dans les rues enneigées en fuyant le plus loin et le plus vite possible sans de nouveau tomber dans la neige.
Quand je vous dit l'interaction la plus étrange de ma vie !
[PAS RELU]
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