𝔗𝔯𝔬𝔦𝔰𝔦𝔢𝔪𝔢 𝔡𝔢𝔲𝔵
«– Tu es certain que tu n'as pas juste rêvé ?»
Ma sortie au restaurant n'a été rendu obligatoire que parce que Sunoo, se plaignant de ne plus me voir assez régulièrement, est venu me kidnapper dans mon propre appartement. J'ai été forcé d'enfiler un pull attrapé sur le tas d'une de mes étagères «de la honte» — toujours les mots de ma mère —, un vieux pantalon de lin que j'enfilais jadis lors de mes filages à Los Angeles, juste après mon diplôme, et une veste immense que je n'ai jamais porté. Je n'ai sans doute pas grand sens de la mode mais j'ai conscience qu'à côté du noiraud, je fais tâche. Il m'a enfilé son écharpe bleuté pour cacher la misère. Autant dire que je ne croise pas longuement les regards des New Yorkais à la pointe des dernières tendances.
Le maquilleur m'a coiffé dans l'ascenseur, pour me donner meilleur mine, et pincer mes joues comme une mère poule qui sublime son fils partant à la rencontre de l'amour de sa vie. Pour la blague, il m'a aussi pincé le nez et s'est exclamé de ma beauté retrouvée. Vous vous doutez qu'en croisant mon reflet dans le miroir, je ressemblais à un éméché.
Le froid de décembre n'a rien arrangé !
«– D'un gars à tomber qui fait partie d'une secte ?, je siffle en picorant mon assiette. J'aurai préféré !»
Sunoo nous a réservé une table dans le restaurant français en bas de ma rue, tenu par des américains qui n'ont voyagé à Paris qu'une fois pour une pauvre semaine et que se revendique chefs spécialisés, et m'a évidemment prévenu uniquement en passant ma porte tout à l'heure. Malgré la nourriture fade ou trop salé, trop huileuse et excessive, l'enseigne est constamment pleine à craquer. Il y a un tel brouhaha qu'en commandant un hachis parmentier, le serveur à dû s'y reprendre à deux fois avant de deviner ce que je racontais. La musique est un poil trop forte pour que l'ambiance se prête à l'élégance si mythique des brasseries françaises — s'ils savaient !
«– Et il est chez monsieur Lee, tu as dit ?, s'intéresse mon ami en coupant son entrecôte à point.»
Sunoo est un crime pour la nourriture comme je suis une poire en sport de combat. En le voyant avalé son généreux morceau, je me demande comment sa bouche peut encore avoir de la salive pour l'envoyer bouler dans sa gorge. Il n'a pas bu une seule fois !
«– Ça m'en a tout l'air. Mais je ne l'ai jamais vu là-bas auparavant.
– Et pourtant, tu connais son nom, termine le noiraud en essuyant un coin de sa bouche. Tu ne t'es pas dit que ça, c'est étrange ?
– Bien-sûr que si, je ronchonne.»
Je n'ai pas pu savourer la chaleur de mon bain ni de ses bien-faits sur mon corps endolori. Cela fait quatre jours et je n'ai pas prévu de gâcher plus d'eau juste parce que mon esprit était ailleurs.
Je gratte mon plat quelque instants avant de venir mâcher une bonne fourchette en soupirant. De nous deux, je ne sais pas qui est le plus fou. Je ne compte pas le revoir pour lui demander. Si c'est pour qu'il me sorte que je-ne-sais quel dieu m'aime et qu'il faut que me saigne pour lui, mes yeux se passeront de son physique agréable.
«– Comment tu connais son nom, 'Won ?, rebondit Sunoo en me jugeant.
– Je n'en sais rien. Je ne m'en rappelle pas plus que mon accident avant que Jay ne m'emmène crapahuter à Chicago.
– Hum, en parlant garçon baisable, tu l'as revu ?»
Mon eau est ressorti par mon nez et la table d'à côté, deux jeunes filles en pleine conversation sur la dernière célébrité en vogue, me regarde de travers comme si j'avais la peste. Plus subtil et discret que Sunoo, ça ne se fait pas.
«– Tu ne veux pas le crier, non plus ?, je toussote dans ma serviette.
– Oh ça va, ce n'est pas comme si j'avais dit que tu te tapais ton professeur.»
Le rouge me monte aux joues quand les pipelettes se sont tus pour nous écouter, soudain très intéresser par la suite de la conversation. Je fusille du regard le noiraud qui, pas perturbé pour un sou, continue de se remplir tranquillement la panse.
«– Je ne me tape pas mon professeur, Sunoo, je râle à voix basse.
– Il est quoi déjà ?, demande-t-il, innocent.
– Il travaille dans la santé.
– Oh, dans ta santé tu veux dire.»
Je lui frappe le genoux sous la table en hésitant à lui faire bouffer son assiette en une fois, ou l'utiliser pour lui entailler le visage — la partie dont il prend le plus soin de son corps. Son sourire malicieux et fier me coupe l'appétit et je me redresse en le maudissant sur trois générations.
«– Ne fais pas une telle tête, petite étoile mourante, ricane-t-il sous le deuxième coup de pieds, ça va rider ton si joli minois !
– Je vais t'en donner du petit minois, moi, je bougonne dans ma barbe et croise les bras.
– Ta mère veut toujours se le...
– Je vais payer, je le coupe.»
Ma chaise a tant grincé que quelque tables environnantes ont aussi cessé leur discussion. Tandis qu'il éclate de rire, je lui donne rendez-vous dehors, puisqu'il a fini, attrape ma veste et me rue jusqu'au comptoir. Les deux jeunes filles de la table voisine n'en pas osé piper le moindre mot. Heureusement pour moi, il n'y a pas beaucoup de queue et je n'ai eu qu'à patienter sur mon téléphone deux pauvres minutes avant que la serveuse, une jeunette sans doute fraîchement diplômée, m'encaisse en me demandant si tout s'est bien passé.
J'ai payé la totalité, laissé un généreux pourboire et me suis enfui du restaurant avec une moue contrariée sur le visage. Sunoo ne connaît pas ses limites et ignore promptement les miennes, et ça le fait bien marrer de le voir me liquéfier sur place. Surtout en public.
Le froid glacial de New York m'agresse immédiatement et j'enroule l'écharpe de mon ami pour ne pas me prendre le vent de plein fouet. Si je peux encore m'éviter un rhume, ça m'arrangerait ! J'ai aussi espoir que la foule agglutinée sur les trottoirs permette de faire barrière. Un vendredi, c'est toujours bondé ! Surtout par les touristes qui se pavanent sur les passages piétons en se prenant en vidéo parce que c'est tendance de s'exhiber si facilement. Ou ceux qui s'arrête devant chaque rue peu attrayante pour se prendre en photo devant parce que «ça fait américain».
Maintenant agacé et embarrassé, tout m'agace et je deviens un vieux bougon avant l'heure. C'est terrible pour un jeune homme de mon âge !
Je m'excentre près d'une impasse pour me sortir de la foule, celle pile à côté du restaurant où les serveurs et cuisiniers sortent pour fumer. Personne n'y est à cette heure et j'en suis bien content ! Je peux m'isoler le temps de taper une insulte peu alléchante à l'intention du noiraud mesquin lorsqu'un :
«– Jungwon.»
Retentit au moment où je lui envoie. Je relève aussitôt les yeux, m'attendant à voir un camarade de classe dont je ne me souviens pas ou un collège danseur. Sauf que c'est un sportif d'un tout autre genre qui se trouve devant moi, les cheveux en pétard à cause du vent et les joues rosies par le froid.
«– Oh merde, le mec de la secte, je lâche avant de réfléchir.»
Très élégant de saluer une personne de cette manière, vous ne trouvez pas ? J'ai fais tilt deux secondes après, trop tard bien évidemment.
«– Enfin, je veux dire, le boxeur, je me rattrape maladroitement.»
Le jeune homme me regarde avec une pointe d'attendrissement et d'amusement, je ne vous fait pas part du ressenti de mon estomac quand j'ai osé croiser son regard ambré — je suis tout chose. Il est entièrement vêtu de noir aujourd'hui, contrastant avec la neige qui lui tombe sur le nez et ses piercing aux oreilles. Sauf qu'il ne porte qu'un tee-shirt moulant d'une marque sportive dont on voit la pub partout, sous une simple veste ample noir tout à fait mon style si je m'écoutais réellement.
«– Tu vas... Enfin, vous allez à votre entraînement ?, je m'empresse de combler lorsque le silence prend de l'ampleur.»
Il hausse les sourcils comme s'il me demandait d'où je sors une telle chose. Et du menton, je désigne son sac rectangulaire.
«– Je reconnais la marque, je précise, j'ai le même à la maison.
– Oh, fait-il en baissant à peine les yeux, oui je comptais faire un peu de sport.»
Et moi je sèche le mien, quelle coïncidence ! Je n'ai pas prévenu Jean en amont, il va falloir que je lui envoie un message avant de me faire taper sur les doigts.
«– Boxeur chez monsieur Lee ?, je demande malgré moi.
– Monsieur Lee ?»
Silence. Il ne connaît pas monsieur Lee ? Pourtant c'est bien dans son école que je l'ai vu, bien en bas de son bâtiment qu'il m'a suivi. C'est impossible que je me trompe, il connaît mon nom !
«– Hum... Oui, celui a ouvert son complexe de boxe dans lequel vous étiez... en début de semaine, je termine à voix basse, plus certain de moi à mesure que son visage n'affiche rien d'autre que sa réflexion.
– Ah ! Fabio, avec un accent plus parfait.»
Il est vrai que maintenant que j'y réfléchit, je n'ai jamais demandé à savoir son nom.
«– Oui, depuis un mois, finit-il par répondre.»
Je hoche la tête, par certaine de comprendre comment il connaît son prénom et non son nom de famille alors que son institut porte littéralement son nom.
«– C'est mon oncle.
– Oh !, je m'exclame. Tout s'explique.»
Sauf qu'en le détaillant, je ne trouve aucune ressemblance avec monsieur moustachue et l'irréel jeune homme devant moi. La beauté ne se répartie vraiment pas justement dans ce monde. Je serais vert de voir mon être avoir hérité de tous les beaux gênes alors que je ne casse pas trois pattes à un canard, si j'étais lui. Ou si j'étais moi. Puisque je suis moi. Le gars qui ne casse pas trois pattes à un canard...
Heeseung, dont je connais mystérieusement le nom, me sourit lentement et me demande :
«– Tu es occupé ?
– Quoi ?, puisque je n'écoutais plus pour me concentrer à le mâter.
– Tu aimerais un café ?»
Tout mon visage se décompose en une lente stupéfaction qui me cloue sur la place. Déjà parce que son sourire est à tomber, que j'en placarderai les murs de ma chambre de fond en comble, mais qu'en plus, il m'invite à prendre un verre. Si ma mère l'apprend...
«– Je... Vous allez me reparler de dieu ?, m'enquis-je en paniquant.»
Si je trouve la neige jolie, qu'en est-il de ce visage illuminé par des dents blanches par son sourire ? Jay ne lui arrive pas à la cheville, je vous le garantit.
«– Non, sauf si tu me le demandes, m'assure-t-il.
– Même pas en rêve !»
Et son petit rire bouleverse la cadence rapide de mon cœur fragile et je toussote avant que mes poumons ne lâchent, et ils sont prêt à me laisser en plan pour partir avec lui.
«– Alors c'est oui ?
– Wonnie étoile mourante, pourquoi tu te planques ?!, s'écrie presque une voix dans la petite impasse.»
J'avais oublié Sunoo. J'ai oublié Sunoo. Ma respiration se bloque lorsque j'aperçois le maquilleur arriver en trombe, son téléphone à la main, le manteau à peine posé sur ses épaules qui ne semble pas avoir vu le jeune homme dos à lui.
«– Ça fait deux fois que je t'appelles, je gèle !, s'indigne-t-il en me plantant son téléphone devant le nez.
– Sunoo, je commence, gêné.
– Non mais tu te rends compte ? J'avais l'air fin devant le restaurant !»
Je lance un regard troublé à Heeseung qui observe Sunoo comme une drôle de créature. Mauvais timing.
«– Agenouille-toi, je vais te faire bouffer la neige pour la peine, m'ordonne-t-il, tel un gosse.
– Sunoo, j'insiste en attrapant son avant-bras.»
Il hausse un sourcil puis suit mon regard. Heeseung, les mains dans ses poches, penche la tête sur le côté lorsque mon ami siffle un :
«– T'es qui, toi ?»
Tout en délicatesse. Autant dire que notre petite conversation dans le restaurant dix minutes plus tôt n'était qu'une vulgaire part de gâteau comparé à l'embarras que j'éprouve à ce moment-là. Je savais mon maquilleur parfois peu commode, or là... Je souhaiterais disparaitre.
«– Tu ne serais pas acteur ?, enchaine-t-il avant que le noiraud ne puisse répondre.»
Le tact Sunoo, le tact.
«– Je m'appelle Heeseung. J'in...
– Mais non ? Le mec de la secte !»
Le tact Sunoo, le tact !
Je lui assène un coup de coude dans les côtes en fuyant du regard ledit religieux suspect. Et je sens son regard s'intensifier sur moi avant que Sunoo ne reprenne la parole.
«– Quel gâchis, s'apitoie-t-il en attrapant mon bras, tu serais tellement plus beau si tu n'étais pas bizarre.»
Je relève vivement la tête vers mon ami, les yeux aussi gros que des ballons. Il n'a pas dit ça, quand même ? Dites-moi qu'il n'a pas dit ça !
Couvert de honte, je lance un regard affolé au boxeur qui toise Sunoo longuement avant de claquer subtilement la langue et de secouer la tête tout aussi imperceptiblement. Je suis foutu, il va me juger moi aussi.
«– Je ne fais pas parti d'une secte, se justifie-t-il avant de revenir à moi, le regard plus doux. Alors, ce café ?»
Je sens le regard scrutateur de mon ami brûler ma joue, lui faire un trou comme s'il attendait lui aussi ma réponse avec impatience. Que suis-je censé répondre ? Oui, parce que j'ai envie d'apprendre à le connaitre et savoir pourquoi il m'a parlé de son truc-machin de protection de dieu ? Non uniquement parce que Sunoo ne me parlerait plus pendant les semaines qui suivraient ?
«– Je...
– Il est déjà prit, dommage pour toi, me sauve Sunoo tandis que ma voix se fait absente.»
Puis il m'emporte sans ménagement hors de l'impasse sans me demander mon avis. Abasourdi par son manque cruel de politesse, je n'arrive pas à contester ni à trouver quelque chose à redire. Je ne détache mon regard du boxeur que lorsque le mur d'un bâtiment nous sépare, et il ne m'a pas quitté non plus, les sourcils froncés.
Pris dans la foule, Sunoo ne desserre pas sa prise avant que nous ayons passé le deuxième passage piéton menant à chez moi.
«– Tu ne m'avais pas dit qu'il était aussi canon, rompt le noiraud en se lovant contre mon bras.»
Je tourne un regard horrifié vers lui tandis que son expression froide est passée à l'amourette.
«– Tu viens littéralement de l'agresser et tu me dis que tu le trouves canon ?
– Quoi ? Il n'a dit qu'à la fin qu'il ne faisait pas parti d'une secte ! Je n'y peux rien.
– Tu abuses, c'était méchant de ta part, je bougonne en croisant les bras.»
Sunoo me bouscule légèrement puis il me frotte doucement la tête.
«– Ah, Wonie, si tu n'en fais pas ton quatre heures, je te le prends.»
En admettant qu'il veuille vraiment me revoir après ça...
[PAS RELU]
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