Prince Charmant

PDV ALICANTE

Si le temps est de l'argent, à présent, il est aussi létal. En deux secondes, deux gorges peuvent être tranchées et des dizaines de balles se ranger dans la chair. Ecclésia court ainsi le risque de trépasser deux fois. Le temps que je gaspille à courir d'un bâtiment à un autre pour en inspecter les sous-sols vides est à un cheveu de me rendre fou.

Et je n'ai pas de piste.

Pas d'homme à faire pleurer. Rien qu'un silence entrecoupé par mes jurons, mes pas de course effrénés et les insupportables glapissements du chien.

- Quoi ? finis-je par cracher en me tournant vers la bête, la poignée d'un bâtiment restée dans la main.

Je vais devoir défoncer la porte.

La bête grogne lorsque je la repousse du pied, puis s'assoit pour m'observer enfoncer un poing dans l'obstacle.

Ecclésia ?

Toujours pas de réponse.

Au moment où je m'apprête à pénétrer dans le bâtiment, les longs crocs du chien se plantent dans ma jambe. Un millier de stratégies d'exécution rapide pullulent dans mon crâne, jusqu'à ce qu'il prenne ses distances et relâche un bout de tissu imbibé de bave à mes pieds. Légèrement troué, le morceau de vêtement gris fume sur le sol. Le chien se frotte à mon mollet, renifle la relique de tee-shirt. Un pan sur lequel deux cheveux bleus sont accrochés.

- Gene..., soufflé-je, surpris, en m'abaissant juste assez pour pouvoir poser une main sur sa tête volumineuse.

Il a sans aucun doute dû le lui arracher lors de l'attaque. Et peut-être même avait-il tenté de secourir Ecclésiastique. Soudain, la bête s'immobilise, dresse la tête et détale. Alors, je la suis.

Les grosses pattes touffues de l'animal effleurent les pavés, évitant chaque ruine avec une vélocité sans pareille.

Ce chien est un génie.

Il bondit par-dessus les carcasses de voiture, dérape à l'aide de ses griffes. Un jet de bave acide dégouline continuellement de sa gueule entrouverte. Je le suis en volant puis atterris face à un nouveau bâtiment, sur un parterre de petites fleurs colorées.

- Bon chien.

Une grille métallique fait office de porte. Derrière elle, végète une pénombre opaque, dans laquelle il est impossible de distinguer autre chose que ces foutues petites fleurs aux couleurs criardes. Gene glisse son museau dans un interstice, reniflant l'obscurité. Ecclésia se trouve à l'intérieur.

- Bon chien, insisté-je en inspectant les alentours.

Alors que j'agrippe la grille dans l'optique de l'écarter, une série de « bips » retentit. Aux aguets, je recule et remarque un amoncellement étrange. Il s'agit de rouleaux rouges, collés les uns aux autres, qui soutiennent un petit écran affichant des chiffres qui ne cessent de défiler. Les bips proviennent vraisemblablement de cet engin.

Les grognements du chien me poussent à me retourner. Lui aussi vient de découvrir un appareil similaire. Des chiffres fluorescents qui défilent, des objets cylindriques regroupés...

- Le Prince Charmant a perdu sa belle ?

Gene et moi sursautons et tournons spontanément le dos à la grille. Une dizaine d'engins de trois mètres de haut et de deux de large sont alignés devant nous. Prolongées d'un long tuyau, ces choses vertes sont surmontées de roues suffisamment volumineuses pour broyer la roche.

Au sommet de chacune d'elles campent quatre Humains vêtus de gilets foncés, de casques, de médaillons et de combinaisons. Ce qui semble être le meneur, perché sur l'engin du centre, porte un cône blanc devant sa bouche. Dès lors qu'il reprend la parole, le volume de sa voix est amplifié.

Cet homme, je l'ai déjà vu. A travers la « télévision », comme l'appelle Ecclésia. Un rictus aux lèvres, je me remémore l'intervention de ce type qui passait son temps à hurler, frapper du poing et organiser toutes sortes d'attaques contre nous : les soi-disant dieux sensibles à ses armes. Des rangées de médailles luisent contre sa veste kaki, à l'instar du crâne graisseux que ses cheveux en brosse dissimulent particulièrement mal.

- Qui es-tu ? exige-t-il par le biais de son amplificateur de voix. Et à quelle espèce appartiens-tu ?

Gene aboie. Des écumes de bave fourmillent de part et d'autre de sa gueule fumante.

Aussi intimidé que pourrait l'être un bout de bois, je fais un pas en avant. La seconde suivante, le chien et moi nous retrouvons prisonniers d'un demi-cercle de machines vertes. Leurs tuyaux, visiblement mobiles, se tournent tous dans notre direction. Je les détaille un à un avant de lancer au général un regard assassin. Un sourire suffisant se creuse sous son nez.

- Toi. Qui es-tu ?

La Haine qui habite mes mots se mue en frissons sur leurs peaux. Sauf chez le leader.

- Ta perte, Prince Charmant.

La lueur malsaine qui brille dans ses petits yeux noirs en dit long sur le plaisir qu'il semble tirer de cette altercation.

- Ma perte, Humain ? Mis à part du temps, j'ai bien du mal à déceler ce que tu serais capable de me faire perdre.

L'homme pose un petit boîtier devant lui. Ses rires résonnent à travers l'amplificateur.

- Pourquoi venir nous emmerder sur cette planète ? N'as-tu donc rien de plus intéressant à faire, dans ton trou à rats intergalactique, que d'agiter ces bons à rien de scientifiques et croyants abrutis par des mythes à la con ? ADN par-ci ! ADN par-là ! s'emporte-t-il à grands mouvements de bras. Légendes de mon cul et puissance de mes burnes !

Je plisse les yeux, conscient de devoir ravaler mon irritation si je souhaite retrouver Ecclésiastique en le travaillant proprement.

- La science a prouvé ton inhumanité, reprend-il, mais certainement pas le poids de tes couilles. Abattre une poignée des nôtres dans le dos, Prince Charmant sait le faire ! Mais lorsque sa salope disparaît, Prince Charmant perd son gland ! Que te reste-t-il dans le calebute ? Toi, le fameux mutant ? Hein ?

Dix engins. Dix armes de poids qui ne me tueront pas, mais qui me plongeront dans les vapes dans le cas où je n'arriverais pas à les esquiver. Tout dépendra de la taille des balles qui en ressortiront et de la vitesse des tirs qui me cibleront. Peut-être aurais-je le temps de les égorger avant qu'ils ne bougent un orteil ? Mais s'il s'avère qu'ils aient plus de réflexes que prévu, prendre le risque de finir inconscient n'est sûrement pas la meilleure des stratégies...

Quand bien même je parviendrais à m'enflammer de nouveau, sachant le phénomène long et voyant, les Humains auraient largement le temps de transpercer chaque centimètre de mon corps.

Le chien me bouscule en grognant.

- Coucher, Gene.

Il s'exécute.

Le général s'invective encore, vidant son sac à qui veut l'entendre.

- Est-elle derrière cette grille ? le coupé-je, à cran.

Ma question le plonge dans le silence. Sa bouche, ouverte face à l'amplificateur, se fend progressivement d'un sourire.

- L'amour donne des ailes, n'est-ce pas, Prince Charmant ?

Je m'applique à respirer profondément.

- Est-elle derrière cette grille ? je répète, calmement.

Il sourit de plus belle.

Nous tournons en rond. Mais il m'est impossible de l'approcher sans que ses chiens de garde s'excitent et me mitraillent sous le coup du stress. Impossible de lui arracher les vers du nez. De lui arracher quoique ce soit, tout court.

- Elle est bel et bien derrière cette grille, mais...

- Mais quoi ? craché-je, de plus en plus chaud.

Il rit. De ce rire gras horripilant.

- Derrière-toi, mais sous terre. Et sais-tu ce que je tiens là ?

Je détourne mes yeux du sol, et relève la tête pour analyser le fameux boîtier qu'il tient à nouveau en main.

- Si j'appuie, adieu la salope.

Les bips qui résonnent en arrière-plan prennent soudainement tout leur sens. Des bâtons de dynamites. Ces bruits proviennent de machines reliées à des bâtons de dynamite. Les Humains avaient tenté de combattre des membres de mon peuple sur Terre, il y a quelques temps de cela, avec des explosifs à base de poudre conductrice. Ma respiration se coupe un instant. Ecclésia a évoqué la présence d'Humains à ses côtés. Le fameux Ils qui l'ont réduite au silence.

- Tu n'appuieras pas, affirmé-je après réflexion. Tes petits copains sont avec elle.

- Quitte à choisir entre sauver le reste des nôtres et exterminer ta pétasse, le choix est vite fait. Ce qu'il y a de différent entre nous, Charmant, c'est qu'ils ne me sont pas chers. Si les scientifiques meurent, nos rations de nourriture ne seront que plus riches.

Contrôler sa respiration. Gérer le feu qui s'embrase sous ma peau.

- Qu'attends-tu de moi ?

- En voilà, une question intéressante ! s'égaye le général en prenant le soin de positionner son pouce au-dessus du bouton du boîtier. Une piqûre.

D'un signe de tête, il ordonne à l'un de ses toutous de lui apporter une valisette qu'il ouvre en un clic. D'une main, il en sort une seringue remplie d'un liquide translucide.

Je serre les dents, pris au piège. Gene glapit tandis que je soupèse les pour et les contre. Pour : diminuer le risque qu'il fasse tout sauter. Contre : cette mise en scène n'est peut-être qu'un vaste bluff. D'un geste hargneux de la tête, je pointe la seringue.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Ta perte, élude-t-il avant de s'expliquer. Ta salope leur a permis de concevoir quelques puissants somnifères, capables de vous plonger dans un profond sommeil. Je t'endors et te mitraille la gueule, jusqu'à ce que ton joli minois ne soit plus qu'un ravissant Hachi Parmentier.

Mon corps s'échauffe instantanément. Je croise les bras pour tâcher de dissimuler la couleur orangée de ma peau puis donne le change en haussant un sourcil hautain, terrifié et enragé.

- En résumé, je me suicide pour la laisser se faire tuer par les scientifiques. Alléchante proposition.

L'homme esquisse un sourire goguenard alors que le temps s'écoule encore. Je jette un œil discret aux alentours, dans l'espoir de trouver une échappatoire, lorsque mes yeux croisent ceux d'Evan. Perché sur une benne à ordures, hors de l'arc de cercle de machines, il échange un regard avec Armorie. Depuis ce même poste d'observation, cette dernière assiste à la scène d'un air concentré. Je ne sais alors s'il me faut féliciter ou maudire leur présence. Le fait de me laisser enchaîné dans une cave ne reflète pas tout à fait l'envie de rallier mon camp.

Tandis que le général se lance dans un nouveau monologue, je les épie du coin de l'œil.

L'homme aux lunettes de soleil vise le général avec le canon de son arme à feu. Armorie regroupe une importante quantité de Lumière dans ses mains. Focalisée sur le général, la Déesse n'accroche pas une seule fois mon regard. Je me prépare à combattre, aussi tendu que le fil d'un arc.

C'est alors que Gene perçoit Evan. Il aboie de contentement.

Alors, tout s'enchaîne très vite : le général se retourne. Surpris, Evan manque la main qu'il ciblait et touche l'épaule. Malgré la blessure, le militaire ne lâche pas le boîtier. Pendant ce temps, Armorie envoie son attaque et les dizaines d'hommes du général déclenchent des tirs automatiques, contaminés par un mouvement de panique générale. Les boulets de canon défoncent le bâtiment, me brisent un fémur, détruisent le perchoir de mes renforts. La boule de lumière détruit quantité de machine à long tuyau.

Boiteux, je déploie mes ailes et me jette sur le détenteur du boîtier. Seulement, par réflexe, le général presse le bouton.

Le souffle brûlant de l'explosion nous propulse à plusieurs mètres de hauteur. Des corps d'Humains brûlés et des débris d'engins verts pleuvent sur les pavés. L'atterrissage me brise des côtes, me froisse des organes. Je me redresse pour observer la croissance des flammes qui lèchent les façades de l'édifice.

Il n'avait pas bluffé.

***
Hello !
Je pars en vacances, mais je vais essayer de poster un chapitre pendant mon séjour. Comme d'hab, vous serez informé.e.s sur les réseaux ! 🤗

À votre avis, que va-t-il se passer ensuite ? 😱

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