Le revers de la médaille
PDV Alicante
J'ai agi à l'instinct. Genesis s'est donné le droit de me subtiliser ce qui m'est destiné.
Son culot est sans limites.
Sans limites. C'est également le terme que j'emploierai pour qualifier la dépendance à laquelle Ecclésia et moi sommes sujets. Dès l'instant où ses sentiments, trop puissants, sont entrés en résonance avec les miens, j'ai compris ce qui se déroulait.
Alors, j'ai implosé. D'un seul coup, sans préavis.
C'était terrifiant.
Si l'on peut considérer ce lien comme un pont ancré dans nos cages thoraciques, reliant nos mondes émotionnels en un tout commun, il est aisément possible de l'associer à une métaphore plus sombre.
À un lien qui strangule nos deux cous, par exemple. Qui restreint nos libertés respectives, à l'image de celles de bêtes apprivoisées. Si les pantins que nous sommes ne sont maniés par aucun maître, il n'en demeure pas moins que notre couple est soumis. À lui-même. Chacun détient l'embout capable d'étrangler l'autre, le moyen de le traîner dans la boue et de le forcer contre son gré à subir l'impensable. Inconsciemment ou non.
Le résultat en est la preuve : je me bats dans ce fleuve répugnant.
J'ai beau me démener en milieu aquatique, l'instabilité de mes appuis n'altère en rien la puissance de mes coups. Genesis a franchi l'ultime limite.
Mon poing s'abat dans sa figure d'animal en rut. Le cartilage de son nez explose en dizaines de morceaux grossiers qui hurlent au contact de mes phalanges. Un jet de sang se mêle au liquide verdâtre dans lequel nous luttons sauvagement depuis plusieurs minutes. Chaque geste est souligné par un mur d'eau foncée, dont les gouttelettes nauséabondes finissent par se disperser.
À l'époque où Père le soutenait, je n'avais pas suffisamment de ressources pour l'anéantir. Il a eu le loisir de me dérober des trésors inestimables, ma dignité et la reconnaissance du Roi y compris. L'occasion de prendre ma revanche a pris la forme d'un attachement fraternel pour Icanée. Je l'ai jeté au quatrième étage du Palais, en rebut de la société Obscure. Puis Ecclésia est arrivée et nous a involontairement contraint à coopérer.
Mais la guerre continue. En vérité, elle n'a jamais cessé.
Je l'attrape par le col de son tee-shirt pour le propulser derrière l'infrastructure, avant de le rejoindre.
Genesis a une fois de plus fait mouche : il a visé le point sensible. Sensible et inaccessible. Mais pourquoi ? Pourquoi a-t-il pris le risque de me froisser à ce point ? Avant qu'Icanée ne frôle la mort, ses penchants stratèges lui montraient le chemin du triomphe.
Quelle destination convoite-t-il, à présent ?
Ma Haine atteint des sommets. Mes offensives fragilisent sa cervelle, effilochent ses cordes vocales, roulent ses yeux dans ses orbites. Regarde-moi. Assume les conséquences de tes actes.
Genesis braille. Son visage tordu en une grimace à quatre-vingt-quinze pourcent pathétique, trois peureuse et deux rageuse, s'efface régulièrement sous le niveau de l'eau pour mieux rejaillir à la surface, en quête d'un nouveau stock d'air impur. Je ne cherche pas à ce que le fleuve signe son trépas, les poings qui s'appliquent à l'accueillir lors de chaque remontée vitale s'en chargent déjà.
Ses mains gesticulent, non plus pour me blesser, ni même pour me repousser. Elles me crochètent désespérément et se servent de mon corps comme d'une bouée de sauvetage. Ses ongles se plantent dans la chair de mes bras ou de l'épaule qui œuvre en faveur de sa destruction.
Le Soigneur surgit pour hurler et respirer dans une explosion de liquide vert et rouge. Son crâne cabossé semble de moins en moins enclin à laisser libre-court à ses réflexes de survie. Tant et si bien que, quelques uppercuts plus tard, ses lèvres déchirées peinent à acheminer la quantité d'air nécessaire pour sa survie.
J'ai vaguement conscience des corps qui se déplacent et des voix qui hurlent en sourdine, supplantées par le mugissement du sang dans mes tempes.
Soudain, mes doigts pressent le cou de mon adversaire. Avant que mon cerveau ne puisse y associer une explication rationnelle, une violente douleur me percute l'épaule. Celle-ci se propage dans mon cou, mon buste, mes hanches et ainsi de suite, jusqu'à ce que ma vue soit grignotée par une nuée de points noirs.
Le néant m'engloutit.
***
La texture du milieu sur lequel mon dos repose m'indique que je suis sur la terre ferme. En bougeant, mes mains s'enroulent autour de brins d'herbe secs, qui se brisent entre mes doigts. Une vague odeur d'eau croupie se presse à l'entrée de mes narines, m'obligeant à plisser le nez de dégoût.
Engourdi, j'entreprends de relever ma nuque. Celle-ci ne parvient qu'à se mouvoir d'un côté, de l'autre, tandis que mes paupières sont réduites au frétillement. Je suis trempé. Un rayon de soleil s'étale néanmoins sur mon buste, réchauffant un tantinet ma peau.
Cela ne fait plus aucun doute, je suis allongée sur la berge du fleuve.
Une autre sensation concentre mon attention sur mon visage. Il s'agit d'un effleurement, le toucher traverse mon front. L'une des mèches qui s'y agglutinent est décalée. Je fronce les sourcils. Une caresse similaire migre sur la ride qui vient de se former entre mes yeux. Douce, hésitante. Un mélange d'étonnement et de curiosité influe sur la lourdeur de mes paupières, qui s'évapore. J'ouvre les yeux. Armorie tressaille, surprise, avant de coller ses paumes l'une contre l'autre et d'observer ma réaction, dans l'expectative.
Je la toise en silence, immobile. La Déesse crispe ses lèvres en une moue pleine d'espoirs et d'inquiétudes. Des sentiments que j'accueille avec l'impassibilité d'une roche volcanique. Si je l'ai épargnée, si j'ai par la suite pris le soin de l'ignorer, cela ne signifie pas pour autant que je suis prêt à effacer trois siècles de mensonges en un jour. Une position qu'Armorie semble lire sur mon visage puisqu'elle baisse les yeux et s'écarte, m'offrant de l'espace et du temps.
Habillé d'un jean, d'un tee-shirt et de bottes noirs, je suis bel et bien sur la berge, au bord du fleuve. L'eau clapote sur les bordures cimentées. Lorsque je me redresse, de l'eau dégouline de mes cheveux. Elle fonce le tissu de mon pantalon, déjà trempé par ma baignade.
Ma main s'aventure par réflexe sur mon épaule gauche. La zone est encore sensible. Avec un froncement de sourcils, je m'efforce de braver la confusion de mes souvenirs pour tenter d'éclaircir les faits. On m'a attaqué. Puis il me semble avoir été aveuglé par un éclair blanc, très blanc.
Je tourne la tête sur le côté. La berge s'étire sur des dizaines de mètres, étendue verdoyante parsemée d'ombres mouvantes. En son centre, le Soigneur inanimé est allongé sur le dos, au pied d'un banc. Kyra lui tient la main d'un côté, Ecclésia le bombarde de Lumière de l'autre.
L'évidence me coupe le souffle. C'est elle, qui m'a attaqué.
Son pull gris est lui aussi imbibé d'eau, à l'instar de ses cheveux et du reste de ses vêtements. Elle nous a également repêchés. Avec Armorie et Kyra, deviné-je, en avisant leurs tenues mouillées. De dos, la déesse ne me remarque pas. Son intérêt se restreint aux orteils que son pauvre patient agite laborieusement.
Empli de rage, je me lève, attrape mon arme, mon baluchon. Armorie m'observe emprunter un passage creusé dans un mur de briques grises, dont la sortie débouche sur la seconde partie de la berge.
Là-bas, la pelouse est plus large, lézardée de chemins de terre et agrémentée d'arbres fleuris. Il y fait bon. Une brise souffle sur les branches, ébouriffe mes cheveux. Les yeux fermés, j'inspire. Le brasier qui crépite sous mon abdomen accueille cette bouffée comme une bénédiction. Mon poing se serre malgré tout sur le tissu du baluchon dont je ne me sépare jamais, en proie à la Colère. C'est trop. Tout cela, c'est bien trop, même pour un Dieu. Je n'ai aucune idée de la façon dont un être vivant se doit de gérer toutes ces choses qui s'ébrouent dans son ventre et dans son cœur. Comment les humains s'y prennent-ils ? Existe-t-il un mode d'emploi ? Une technique pour faire face aux coups durs de la vie ?
Au Palais Obscur, il suffit de taire ma Lumière, de la museler. Alors, je deviens insensible aux pires blessures qui soient : les psychiques. Les profondes. Celles que l'on ne peut guérir à la Lumière, aux bandages ou aux pansements. Celles qui cicatrisent en nombre d'années, qui s'infectent parfois, s'aggravent souvent. Celles qui infectent ce que l'on pensait savoir de soi.
— Haut les mains !
Dites-moi que je rêve.
Je me retourne, les mains basses. La lame d'une épée quelconque entre en contact avec ma gorge.
Mes instincts ne se méfient même plus d'elle.
Ornée d'un sourire plaisantin, Ecclésia brandit l'arme avec un excès de zèle qui aurait été comique dans d'autres circonstances. Ses cheveux, aplatis par le poids de l'eau, dégoulinent du sommet de son crâne, épousent la courbe de ses épaules et rebiquent comme toujours sur sa poitrine voluptueuse. En plus de souligner les contours de sa silhouette chimérique, le fleuve a nappé sa peau laiteuse d'un film de diamants humides.
Elle scintille au soleil, plus précieuse qu'une topaze raffinée.
Ses sourcils bleu nuit se froncent, le coin gauche de ses lèvres s'étire.
— On ne dirait pas, à première vue, mais je suis énervée. Et j'ai de bonnes raisons de l'être.
Elle plisse ses yeux bleus, accusatrice. Je reste de marbre, aussi immobile que l'arche de pierre qu'elle vient de traverser.
— Petit un, je suis la Déesse de la Haine. Si quelqu'un m'agresse, je suis capable de venger mon honneur seule, comme une grande fille, sans avoir à compter sur l'intervention d'un molosse enragé. Genesis était saoul, il ne savait plus ce qu'il faisait. J'ai jugé bon de passer l'éponge, compte tenu de son bon fond.
Je tâche de contrôler ma respiration, que j'espère aussi maîtrisée qu'à l'accoutumée.
— Petit deux, consultez-moi la prochaine fois que vous projetterez d'étriper un allié, histoire de me donner le temps de vous faire la morale avant qu'un événement de ce genre ne se reproduise. Petit trois, c'était violent. On évite devant les enfants. Et petit quatre, énonce-t-elle, l'air faussement scandalisé, vous vous réveillez et vous me snobez ? Hé, j'ai bravé la pollution, pour vous !
Ma contemplation muette efface son sourire. Ecclésia penche la tête sur le côté, intriguée. Lentement, et sans la quitter des yeux, je me départis de mon arme à feu, de mon baluchon, avant de prendre la direction du fleuve. Au bord de l'eau, je m'assois en tailleur. Un rayon de soleil m'enrobe de sa chaleur.
Je passe mes mains dans mes cheveux, en extirpe un maximum d'humidité, puis attrape le bas de mon tee-shirt pour le faire passer au-dessus de ma tête et l'étaler sur le sol. Je m'attaque dans un second temps à mes chaussures, mes chaussettes, qui se retrouvent étendues au soleil.
Uniquement vêtu de mon jean, je m'allonge alors sur le dos et croise les bras sous ma tête.
Sans surprise, la chaleur de l'astre est pulvérisée par l'ombre d'Ecclésia, qui s'arrête à côté de moi. Joueuse, elle pointe à nouveau l'embout de sa lame vers ma pomme d'Adam. Je dégage l'arme d'un revers de la main. Mon geste ne semble pas le décourager puisqu'elle la repositionne au même endroit.
— Si vous glissez, vous m'ouvrez la gorge.
— Ah, vous avez donc une langue, sourit-elle en déplaçant la pointe de la lame pour la glisser entre mes lèvres. C'est bien ce qui me semblait.
Je la bloque avec mes dents. Le métal retrouve malgré tout le chemin de mon cou.
— Je ne plaisante pas.
— Moi non plus. J'ai un bon équilibre.
Sans crier gare, je lui balaye les jambes à l'aide d'un bras et tape dans l'épée. Ecclésia chute, j'amortis son atterrissage en encerclant sa taille et en roulant avec elle. Nous nous retrouvons l'un sur l'autre, moi en hauteur, elle coincée sous mon corps. Elle sourit. Encore. Les cheveux étalés en auréole autour de son visage rayonnant, les bras en chandelier, elle cille.
Je reste en appui sur mes avant-bras, ce qui n'empêche pas mon buste de presser sa poitrine et mes hanches de taquiner son bassin. Un souffle de vent tiède agite mes mèches brunes sur son front.
— Il fallait préciser que j'atterrirai sur un beau gosse, je serai tombée de mon plein gré, murmure-t-elle en passant le bout de ses doigts sur ma joue. Je suis contente de vous revoir.
Je rive mes yeux aux siens et l'embrasse. Ses lèvres aspirées entre les miennes, je m'applique à en sucer la douceur avec un sérieux et une application qui flambent nos températures corporelles. Ecclésia gémit. J'invite ma langue aux retrouvailles, plus fiévreux de seconde en seconde. Ses mains agrippent ma nuque, se servent de leur prise pour souder nos visages. J'enfonce mes doigts dans la terre molle de la pelouse, à proximité de ses joues enflammées. Lorsque nos hanches se calquent sur le rythme de nos langues, ondulant sur la pelouse dégarnie, ses gémissements se muent en couinements aigus.
Elle souffle mon prénom, je grogne le sien. Le haut de mon corps forme un entrelacs de muscles contractés, qui s'efforcent de juguler mon excitation dans leur chair. Lascives, ses mains en explorent le volume. Sa bouche en picore le sel.
Le fantasme d'Ecclésia, nue, soumise à mon toucher affamé me monte à la tête. J'enfouis ma tête aux creux de son cou, que je mordille et embrasse à outrance. Son dos s'arc-boute. Elle ferme les yeux. J'en savoure l'arc des deux mains, mes paumes brûlantes glissant sur toute la longueur de la cambrure. Le rouge de ses joues s'étale sur sa gorge, ses clavicules, son buste, au point de roser son ventre découvert. Le souffle court, elle se rallonge confortablement sur la berge et lève les bras pour m'aider à la débarrasser de son tee-shirt. La dentelle noire de son sous-vêtement décuple mon désir. Ses doigts qui tirent mes cheveux vers le haut m'ordonnent de butiner sa poitrine. Je m'attelle à la tâche tout en déboutonnant son jean. Ecclésia suffoque. Mes gémissements, jusqu'alors retenus dans ma gorge, se muent en grondements sourds qui trouvent écho dans ses soupirs exaltés.
Embrasé, je baisse son pantalon en même temps que je me redresse, le fais passer autour de ses chevilles et l'étale négligemment dans l'herbe. Alors, la frustration au portillon, l'esprit ravagé par la folie, je me rassois au bord du fleuve et appuie mon front sur mes mains croisées.
— Qu'est-ce que...
— Je souhaitais vous aider à vous débarrasser de vos vêtements pour les faire sécher au soleil. Moi aussi, je suis énervé, débité-je, paupières closes, le corps en feu.
Je l'entends soupirer, se laisser retomber dans l'herbe.
— Au point de vous punir vous-même ?
— Oui, grogné-je d'un ton si rauque qu'il confine au grondement félin.
Elle éclate de rire.
Je souris avec elle.
***
Hey !
Pour celles et ceux qui ont connu la version précédente, vous devez être largué(e)s, parce que j'ai purement et simplement tout réécrit, supprimé pleiiin de trucs et fusionné deux chapitres. Je ne vous raconte pas le chantier !
Bref, passez une bonne semaine (c'est un ordre), on se retrouve ce week-end si tout va bien ;)
À bientôt ! 😘
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