La vérité peut parfois faire pire que blesser - Deuxième partie
Attention ! J'ai posté deux parties aujourd'hui, veillez à lire les précédentes !
***
Dans les rues désertes de la ville, le manque oppressant qui sévissait ma poitrine m'handicapait.
— Ça ne va pas ? s'enquit Kyra.
Nous marchions depuis près d'une heure côte à côte. Seul le bruit de nos pas, entremêlé à celui de nos respirations, comblait le vide de nos discussions.
— D'après toi, crachai-je en suivant les indications d'Evan, qui ouvrait la marche avec Armorie.
Je détaillais l'intersection que nous traversions. Les feux de signalisation clignotaient d'une lumière orangée, tandis que les panneaux gémissaient. Quelques voitures étaient encore stationnées sur les trottoirs, une poignée de boutiques portaient encore un écriteau affirmant leur ouverture sept jours sur sept.
Elle soupira.
— Fais-moi confiance.
Je laissai échapper un rire bref. La déception semblait dégouliner de mes pores tant elle m'accablait.
— C'est à elle que je fais du tort.
Mes doigts se recroquevillèrent sur mes paumes. J'étais hors de moi.
— Alicante... se plaignit-elle en saisissant mon bras.
Je rompis brutalement le contact et m'arrêtai à un carrefour. Lorsque nos regards se heurtèrent, ses traits se crispèrent, son teint pâlit, mais ses iris s'emplirent d'une humiliante compassion.
— Fais-moi confiance, insista-t-elle.
— Toi qui m'as définitivement poussé dans ses bras, tu es aussi celle qui s'efforce de me l'arracher ! hurlai-je à l'en faire frémir. Mais à quoi joues-tu, bon sang ?
Devant son silence horripilant, mes mains esquissèrent un mouvement pour la secouer. La menace lui rendit la parole avant que je ne la touche.
— Je ne joue pas, crois-moi.
— Tu ne comprends rien. Ce que tu lui fais à elle a un impact sur moi, lui expliquai-je entre mes dents. Nous sommes liés.
— Je n'avais pas pour intention de la tuer, seulement de mettre les choses au clair. Ton sort m'importe. Tu le sais, n'est-ce pas ?
Je fronçai les sourcils.
— Ecclésia n'est pas une menace.
— Tu n'es plus en capacité de la combattre. Tu es aveuglé.
— Ecclésia n'est pas une menace, répétai-je en détachant chaque mot.
— Je m'en chargerai donc pour toi, insista-t-elle, comme si mes paroles n'avaient jamais traversé mes lèvres.
— Je ne te le pardonnerai pas. Le passé appartiendra au passé et la seule chose qui me reviendra en mémoire sera ta trahison.
— Tu ne sais plus ce que tu avances.
— Je t'aurais prévenue, crachai-je en m'écartant à grands pas, avant d'être tenté de commettre l'irréparable.
La fureur me propulsa en tête du cortège. Je déambulais dans les allées. L'heure était venue pour moi de prendre du recul sur la situation, sans personne pour me parasiter. Seulement, lorsque deux cadavres d'Hommes entrèrent dans mon champ de vision, je compris que mes souhaits ne s'exauceraient pas aujourd'hui.
Dans une ruelle, de dos, l'auteure du double-meurtre se figea.
Elle soulevait l'un des corps. Je n'avais pas besoin de distinguer son visage pour associer un nom à la responsable. Son mode d'action, sa façon de se vêtir et la mare de sang brouillonne qui maculait les pavés en disaient long. Nous avions affaire à la mère de Kyra, la femme de Père, ma belle-mère démoniaque : Mordret.
— J'aurais dû m'en douter, psalmodia-t-elle, atone et immobile.
Si le premier contact avec Mordret était auditif, n'importe quel entendant aurait affirmé qu'un mâle s'exprimait. Sa voix était si grave qu'on aurait pensé s'adresser au détenteur d'une verge en bonne et due forme.
Sa chevelure également, était hors-norme. Je l'avais un jour entendu dire qu'elle possédait autant de mèches blanches que de brunes, toutes moulées dans une courte cascade d'anglaises.
Comme tout Obscure qui se respectait, elle avait la peau lisse et mâte, était grande et plantureuse. La dentelle rouge de ses sous-vêtements ne se devinait pas, elle se voyait, agressait, intrusait les rétines sous sa courte robe noire. Les portes-jarretelles en étaient assorties, teintées de la même couleur flashy. Sa chair en avalait les fils avec le professionnalisme d'un sable mouvant. Le tout formait une paupiette d'Obscure engoncée dans un pan de tissu sombre.
Elle se redressa lentement. Bien que je ne puisse pas voir son expression, je savais qu'elle léchait le sang qui tachait ses dents. Elle y veillait chaque fois. Mordret égorgeait toujours en souriant, c'était son pêché mignon. Les lames la fascinaient, le sabre était son attribut.
Elle lâcha le corps, se retourna. Son vêtement descendit sensiblement sur son buste, dévoilant davantage les obus qui lui servaient de poitrine.
Elle posa une main sur une hanche puis porta un objet cylindrique à sa bouche surdimensionnée. J'ai toujours pensé qu'un coup de griffe la dégonflerait.
— Toujours en vie, constata-t-elle en tirant une bouffée de l'objet argenté.
Elle cracha une volute de fumée circulaire qui se dispersa dans les airs.
— Comme tu peux le constater.
Elle aspira une nouvelle fois dans la paille perfectionnée, laissa la fumée s'aventurer dans sa vaste poitrine et la souffla. L'odeur me fit plisser le nez. A l'arrière, les bruits de pas de l'équipe s'amplifièrent. Kyra fut la première à nous rejoindre.
— Bonjour, Mère. Une cigarette ? Je vois que tu t'es familiarisée avec les trésors de cette planète, constata-t-elle en désignant ladite "cigarette".
Lorsque Mordret souffla à s'en creuser le ventre, je réalisai qu'elle ne portait pas de robe, il s'agissait d'un ruban dans lequel son corps était étroitement enroulé. Un gros nœud frétillait dans son dos.
J'essayais par tous les moyens de contenir les émotions qu'éveillaient mes souvenirs d'enfance. Etant de sang royal, j'ai toujours été plus puissant qu'elle, seulement, du haut de mon mètre de hauteur, Mordret avait toujours eu l'air d'un monstre saucissonné.
Lorsqu'elle m'observa, sa grimace la trahit. Elle m'avait toujours haï. Si on lui avait proposé de m'éradiquer en échange d'un organe, elle porterait très certainement un cache-œil à l'heure qu'il est.
— Il n'y a plus de fragments en Terre de Paix, pas vrai ? déduit-elle.
— Non. En effet.
Ses yeux, rapetissés par l'illusion d'optique que créait son maquillage, me balayaient avec un dédain perceptible.
— Et tu tiens debout.
C'était une affirmation.
— Sur mes trois jambes, raillé-je froidement.
Elle se ferma, la cigarette se figea à proximité de son visage.
— Que de nostalgies, la Chose a bien grandi. Si mes souvenirs sont bons, tu me respectais un peu mieux à l'époque où papounet te défonçait la peau.
Elle laissa échapper un rire, la tête renversée en arrière.
— Comment t'appelait-il, déjà ? Ah oui, la Larve. Tu étais en voie de transformation, disait-il, mais en quoi ?
Un rire l'étrangla lorsqu'elle releva subitement l'index.
— Tes... tes c-cris m'empêchaient de d-dormir ! s'esclaffa-t-elle de plus belle. Attends ! Le pire, c'était lorsqu'il te flambait. Tu faisais vibrer les murs ! (Elle secoua la tête, hilare) Ah, mais quel morveux tu faisais...
Elle laissa, cette fois-ci, la fumée ravager ses fosses nasales. Un grand sourire s'étira sur son visage de hyène.
— Mais maman était là pour toi, ma Larve...
— Mère ! intervint Kyra, scandalisée.
Kyra ouvrit de nouveau la bouche, je la coupai à l'aide d'un geste de la main.
Ses attaques glissaient sur ma peau. Maintenant qu'elle se tenait devant moi, maintenant que j'étais adulte, il fallait que je fasse tout ce qui était en mon pouvoir pour gérer la situation et la reléguer au rang de « fantôme du passé ».
Seul.
— Maman pensait à toi, renchérit-elle en s'approchant à pas lents. Elle t'avait forgé une épée assez tranchante pour que tu puisses t'égorger sans accroc. Oui, maman pensait à tout, chuchota-t-elle, tout près de moi. Mais tu ne l'as pas écouté. Vilaine, vilaine petite Larve...
— Vous n'êtes pas sa mère et vous ne le serez jamais ! cracha si férocement la Déesse de la Tolérance que j'en frémis.
Je me tournais vers Armorie, qui nous rejoignit à vive allure, suivie de près par l'homme. L'expression qui la défigurait m'ôta les mots de la bouche. Un bouquet de colère et de tristesse s'appropriait en quantité égale son visage, si bien que ses sourcils formèrent un V, sa bouche frémit et ses joues accueillirent la peine qui dégouttait de ses yeux luminescents.
Ses poings, dangereusement scintillants, firent ressortir les veines bleu clair de ses bras.
Si Armorie réagissait de cette manière, c'est qu'elle voyait en Mordret une ennemie de taille. Une ennemie mortelle. D'ordinaire, les Lumineux ne devenaient agressifs qu'envers l'élément opposé. Or, venant d'elle, la Déesse de la Tolérance, il fallait bien plus qu'un peu d'Obscurité pour la sortir de ses gonds. Le fait que Genesis, Kyra et moi puissions la côtoyer en était la preuve.
Devais-je m'inquiéter ?
Mordret provoquait sur elle l'effet d'un geyser de feu.
La silhouette blanche qu'elle constituait s'avança mécaniquement, tandis que la lueur aveuglante qui s'échappait de ses poings croissait. La silhouette noire, qui avait déclenché son comportement étonnant, se contenta de rire. Elle abandonna l'objet cylindrique dont elle pompait l'épaisse fumée dans la nature.
— De mieux en mieux ! s'étouffa Mordret, à tel point qu'elle se mit à tousser bruyamment. Une Lumineuse vole à ta rescousse !
Étrangement impassible, Armorie s'arrêta à trois mètres d'elle. Le blanc et le noir, le Bien et le Mal, la Sagesse et la Décadence, le choc des éléments promettait un échange aussi cinglant que déroutant.
Kyra s'écarta instinctivement des soleils qui grandissaient aux creux des poings d'Armorie, dont l'énergie augmenta la température ambiante. Une telle puissante était édifiante. Nul doute, il s'agissait bel et bien de la sœur du Pionnier des Lumineux.
Le sourire de Mordret disparut. Je n'avais jamais assisté à une telle démonstration de détermination, que ce soit sur le champ de bataille, lors de la Grande Guerre ou dans le regard de Père. Jamais. A moins que les deux divinités se connaissaient, je ne trouvais aucune explication rationnelle à cet antagonisme.
— Pour qui vous prenez-vous ? s'époumona Armorie, si soudainement que nous tressaillîmes tous.
Sa voix, d'ordinaire paisible, longea l'ensemble de mes os. Mordret ouvrit de grands yeux déroutés. La peau des bras de la Lumineuse avait troqué sa pâle blancheur contre une lumière crue, qui semblait attester de l'implosion proche de ses cellules. Elle brillait.
— Que lui avez-vous fait endurer, par tous les dieux ?
Les trémolos de sa voix dotaient sa terreur d'accents désespérés. Je sus que les larmes débordaient de ses yeux dès lors qu'une pluie de perles de lumière s'abattit à ses pieds, créant un curieux parterre de fleurs colorées.
— Quelle bande de monstres immoraux a maltraité mon fils ? insista-t-elle au cours d'un chuchotis brisé.
Trois secondes à prononcer ces quelques mots.
Trois secondes pour me détruire.
***
Hello !
Alors ? L'aviez-vous deviné ? En tout cas, une chose est sûre, Alicante ne s'y attendait pas du tout, du tout. Héhéhé.
N'empêche, cette révélation explique bien des choses, vous ne trouvez pas ?
Allez, à la semaine pro ! ;)
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