La Terre

J'atterris en puissance dans une ruelle pavée, située au cœur d'une petite ville d'Amérique latine. Les roches se brisent sous l'impact de ma réception, créant un petit cratère autour de ma position.

Accroupie, une main enfoncée dans le sol, le premier contact terrien qui m'assaille est l'horripilante odeur de chair en décomposition.

Je déloge mon poing des minéraux avant de relever la tête. Mes ailes se heurtent à plusieurs lampadaires, dont les ampoules éclatées sont maculées de sang séché.

C'est le chaos.

Autour de moi, des ruines, des ruines et encore des ruines. L'allée principale semble déserte de vie, mais certainement pas de mort. Des dizaines de corps moisissent sous l'atmosphère suffocante. Des enfants, des adolescents, des femmes et des hommes... aucun n'a été épargné.

Je me redresse au fur et à mesure que le paysage apocalyptique entre dans mon champ de vision. Les deux bâtiments qui siègent à ma droite et à ma gauche portent encore les séquelles d'affrontements sanglants. Des éclaboussures rougeâtres, souvent parsemées de traces de mains gluantes, déclenchent ma chair de poule. Des traînées de suie s'ajoutent au tableau macabre.

Ma gorge ne m'a jamais parue si étroite.

Au bout de la rue, une rangée de maisons mitoyennes happe mon attention. De la fumée s'élève des carcasses anciennement nommées "domiciles familiaux". Et des corps. Encore et toujours des corps, qui s'étalent à mes pieds, dans l'allée perpendiculaire, sur les seuils des maisons et au pied de balançoires qui se meuvent au gré du vent.

Si les Obscurs y sont confrontés tous les jours, les Humains, eux, ne sont visiblemenr pas assez solides pour survivre à la violence de l'Obscurité.

— Charmant.

Je ne fais pas l'effort de répondre à Alicante. Le spectacle me prive d'humour.

Les sons de bris de pierres, accompagnés de bourrasques, m'indiquent que le reste du groupe a atterri. Le souffle choqué d'Armorie ne fait qu'accentuer ma peine.

Leurs voix ahuries se mettent à converser, brisant le silence mortuaire.

Qu'ai-je fait ?

Je décide de prendre mon courage à deux mains, la boule au ventre, le cœur battant, pour me traîner dans ce tombeau à ciel ouvert. Le long de la ruelle, en zigzaguant entre les cadavres troués, décapités, voire démembrés. Seul le grincement d'un panneau publicitaire a le pouvoir de faire vibrer mes tympans délaissés.

Les bâtisses qui font les angles de la rue sont des restaurants abandonnés. Les grandes enseignes qui grésillent sur les toits en attestent.

Je ne tarde pas à atteindre l'intersection des trois voies. Ainsi plongée au cœur d'un silence malsain, ma déglutition me paraît amplifiée par six mégaphones.

Sur ma gauche, se situe une grande place. Au centre de celle-ci, une statue.

Il s'agit d'une sculpture de cinq mètres de haut, faite de bronze, aux courbes indéniablement féminines. Dans le creux de sa main droite siège un cœur, et dans la gauche une flûte. L'inscription affichée au pied de celle-ci nomine l'horreur qu'elle représente : "Notre gardienne bien-aimée, la Déesse de l'Amour : Ecclésia".

Une larme dévale ma joue droite. Une seconde goutte suit son chemin, puis une troisième, jusqu'à ce que mon visage soit inondé de pleurs silencieux.

Je les ai trahis.

Pour sauver ma peau, mon organisme s'est alimenté en Obscurité, au détriment du bien-être des Hommes... de mes protégés.

Le comble de l'égoïsme dans toute sa splendeur.

Je poursuis ma ronde infernale, le cœur de plus en plus lourd, et m'arrête sur la devanture de l'un des deux restaurants. Les vitrines sont brisées, les tables bousillées et la pancarte – auparavant chargée d'énoncer les menus – est piétinée.

En fond sonore, les lampadaires grincent en continu, tandis que le vent se charge de transporter les odeurs pestilentielles jusqu'à mes narines. Fouet odorant, qui lacère mes espoirs et me rappelle chaque seconde ma monstruosité.

J'évite d'inspirer le plus longtemps possible, en évitant soigneusement de baisser les yeux sur les pavés jonchés de cadavres. Lâche, je tourne sur moi-même, le nez en l'air, quand un bruit me fige sur place. Je pose mes yeux sur une silhouette. Grande, aux épaules carrées. Un Humain. La surprise me foudroie sur place, dressant l'ensemble de mes poils sur ma peau frigorifiée.

Les autres divinités sont aux abonnées absentes. Par ailleurs, suite à un rapide coup d'œil circulaire, je réalise que nous sommes seuls. Lui et moi, au milieu de cette intersection abandonnée, séparés par quatre bons mètres salutaires.

Mais lui est bien vivant.

Mes épaules se détendent l'espace d'une fraction de seconde, le temps qu'il me faut pour remarquer son arme. Il s'agit d'un fusil de chasse.

Vêtu de guenilles, la crasse étalée sur son visage illustre son hygiène de vie d'après-Obscurité. Le canon qu'il braque sur moi se charge toutefois de souligner sa brutalité.

Mais il est vivant. Il est vivant... sauf que son doigt caresse la gâchette.

— Espèce de garce.

L'insulte se répercute sur les murs, me répétant inlassablement à quel point la confiance aveugle qu'ils m'ont autrefois léguée a été bafouée.

La langue terrestre la plus parlée est celle qu'utilisent les dieux. C'est pourquoi ses paroles ne me sont pas étrangères, malgré l'accent brésilien qui en ressort.

Ses yeux bruns me toisent comme une femme violée dénigrerait son agresseur. Comme quelqu'un à qui la justice n'a jamais souri, ou du moins, pas avant ce jour béni. Mais son arme peut enfin y remédier, elle peut exterminer l'immondice responsable du carnage.

La folie qui exulte de son regard me coupe le souffle. Mais la Haine qui s'y reflète est bien plus percutante, bien plus blessante et culpabilisante encore.

— Enrico Alvarez.

Ses bras se crispent : il est surpris. Cela ne devrait pourtant pas être le cas. À moins d'éviter de faire l'effort de me concentrer pour la révéler, je peux admirer l'âme de chaque Humain. Cette petite boule rouge qui stagne à proximité du cœur. Yeux plissés, l'esprit en ébullition, je distingue la sienne des autres grâce à leur unicité. Une singularité conférée par la taille, la brillance, la forme et le rayonnement.

Enrico Alvarez, sans aucun doute.

Il reprend contenance, abaissant sa nuque de manière à ce que son œil voie à travers la visière de l'arme.

— J'ai cru en toi, crache-t-il, venimeux.

Sa respiration laborieuse se mêle au désastre de la mienne, toutes deux actrices d'un ballet régit par la peur et l'appréhension.

— Tout le monde croyait en toi ! hurle-t-il.

Je me racle la gorge, histoire de me donner l'illusion d'une assurance.

— Tout le monde ne croit pas en moi.

— Ouais. J'aurais dû faire partie des athées. Ça m'aurait empêché de prier la pire des salopes qu'ait jamais abritée l'Univers !

— Je suis désolée.

Ridicule, risible, pathétique. Je doute que mon brusque besoin de faire amende honorable ramène ces pauvres gens à la vie. Qu'en a-t-il à faire, de mon pardon ? Rien. Et il aura raison.

Mais que puis-je faire de plus ? À l'époque, j'ai apprécié répandre le Mal sur cette planète. Ce que je faisais me paraissait approprié, puisque soumis aux exigences de l'Obscurité qui m'habitait. Le chaos, c'était leur destinée. C'était l'univers dans lequel mon âme noircie par le Mal s'épanouissait, et contaminait, par conséquent, celles de mes petits protégés.

Il lâche un rire froid, qui électrise davantage l'atmosphère tendue.

— J'ai tué ma famille, par ta faute. Vois comme tu prends soin de ton peuple, ô grande Déesse de l'Amour et gardienne de nos âmes vulnérables !

Un silence pesant s'éternise. Il persiste à transporter ces paroles tranchantes d'ironie à travers l'air vicié.

— Le pire, dans tout ça, reprend-il, tandis que le canon de l'arme s'agite en fonction de ses soubresauts. Le pire c'est que, maintenant, je réalise que ce que j'ai fait est mal. Depuis hier, j'ai récupéré ma conscience en un claquement de doigts ! Mais elle ne m'empêchera pas de faire ce qui me semble juste, désormais. Parce que je brûle de l'intérieur. Un volcan est en éruption là-dedans, m'indique-t-il en tapotant son torse. Et il aime cracher son magma par le biais de mon flingue !

À l'aide d'un geste rude, il me désigne avec son index gauche. Enrico ne tire pas. Pourtant, je ressens chaque mot comme une balle, chaque regard comme une giclée d'acide perforante. L'air s'est-il appauvri en dioxygène ? Je m'efforce malgré tout d'augmenter mon débit respiratoire, car je me dois de rester debout. J'ai froid, j'ai chaud, le sol tangue, de violents haut-le-cœur menacent de poisser le sol déjà gangrené par la Mort, mais je mets un point d'honneur à tenir le coup. Pour lui. Pour eux. Pour la Terre.

Je me dois d'être à son écoute, de respecter son chagrin et sa colère, de recevoir et encaisser sa Haine.

C'est le moins que je puisse faire.

— Je vais te tuer ! s'égosille-t-il.

Par réflexe, l'une de mes jambes recule.

Il inspire avant de reprendre :

— Je sais que lorsque ton corps s'effondrera, ce ne sera pas suffisant. Le volcan se déchaînera toujours en moi. Ma rage ne connaîtra jamais de repos. Et... et elle m'empêchera d'éprouver de la tristesse ! hurle-t-il après deux secondes de silence. Je. Ne. Sais. Plus. Pleurer, articule-t-il lentement. Je ne sais même plus ce que cela fait, d'être heureux. Il me semble que c'était agréable...

L'homme fronce les sourcils, comme s'il cherchait au fond de sa mémoire quelque chose qui puisse l'aiguiller au sujet de cette sensation disparue.

— Je suis déçu de devoir t'achever aussi rapidement, juste pour éviter que d'autres s'en chargent à ma place.

— Je suis désolée, je n'avais plus toute ma tête... Je...

Je me tais. Rien de ce qui sortira de ma bouche ne justifiera cette hécatombe. Encore moins ma virée dans le côté Obscur.

Une grimace dédaigneuse déforme ses traits sales. À travers le brouillard de culpabilité dans lequel baignent mes pensées, j'ai tout juste le temps de le voir diriger l'embout de l'arme entre mes yeux, avant que son doigt presse la détente.

À ce stade de la conversation, plus rien n'a de sens, pour moi. Il est un homme qui détient une arme. Je suis une déesse qui lutte contre la force de pesanteur. Des pavés à nos pieds. Le ciel au-dessus. Deux cœurs qui battent.

Point.

Soudain, la chute d'un corps pontue la détonation.

Interdite, j'observe mon agresseur choir sur les pavés. C'est avec horreur que j'avise la longue flèche transpercer son crâne d'arrière en avant, ensanglantée. Il me faut un instant supplémentaire pour remarquer la présence de la paume de Genesis dans mon champ de vision.

Ses yeux fixent quelque chose qui se tient devant moi. Quelque chose d'assez petit pour m'obliger à plisser les yeux. La balle plane dans les airs, à une poignée de centimètres seulement de mon front, comme si le temps s'était arrêté. Lorsqu'il baisse sa main, le tintement métallique qu'elle produit en heurtant le sol me libère de ma brève paralysie.

Alicante jaillit de la ruelle pour rejoindre sa victime. L'arc en main, il s'accroupit pour récupérer la flèche de la tête inerte.

— Ces choses sont de véritables poches de sang, bougonne-t-il.

L'objet du crime, encore planté dans le crâne de la victime, n'empêche pas Alicante de tirer dessus par à-coups, comme on découperait une cuisse de poulet pour le pique-nique dominical. Ses gestes brutaux ne tardent pas à amplifier les dégâts, si bien qu'un véritable flot de sang rejoint les creux qui séparent les pavés.

— Alicante ! rugis-je.

L'intéressé se retourne, nonchalant.

— Vous qui ne tarissiez pas d'éloges à propos de vos Humains me paraissez bien moins enjouée, tout à coup, commente-t-il, grave. Au bout de combien d'excuses comptiez-vous l'abattre ?

— Ça va, Alicante, gronde Genesis.

L'intéressé le fusille du regard.

— Ne vous avisez plus jamais d'exécuter le moindre Humain ! m'enflammé-je.

Alors que ma jauge de colère grimpe dangereusement, Genesis a la bonne idée de se positionner entre nous.

— C'était lui ou toi, m'explique le Soigneur.

— Tu as pu arrêter la balle.

Il hausse les épaules.

— Il s'apprêtait à en tirer une autre.

— Et tu aurais aussi pu la stabiliser.

— Ecclésia... soupire-t-il.

— Comme vous l'a si bien dit Genesis, le choix était fait, explique Alicante, qui vient de forcer son cousin à se décaler. L'heure n'est plus à analyse, il faut agir. Davantage lorsque quelque chose ou quelqu'un se met en tête de vous nuire. Vous savez que personne n'arrivera à vous atteindre, ne serait-ce qu'à frôler l'une de vos mèches bleues, tant que je... tant que l'un de nous sera dans les parages. Humain ou pas.

À la fois sidéré et irrité par ses sous-entendus, mon cerveau m'offre seulement le luxe de secouer la tête.

Malgré mon amour pour l'être humain, mon cœur refuse d'ignorer le dévouement d'Alicante. Il veut se perdre dans son regard pénétrant et oublier le chaos qui nous entoure, oublier la déception de Genesis et la mort de l'Humain. Mais c'est impossible. Je ne peux pas le laisser noyer le poisson alors qu'il vient d'abattre un Terrien. L'un des quelques survivants. Si l'espèce humaine venait à disparaître, jamais je ne pourrai à nouveau me regarder dans une glace.

— Écoutez bien ce que je vais vous dire.

Alerté par la fermeté de ma voix, il arque un sourcil.

— S'il s'avère que vos sales pattes ôtent la vie d'un nouvel Humain, n'essayez plus de m'adresser la parole. Ce serait peine perdue.

Il m'observe un long moment. Bien qu'il demeure silencieux, la lueur orangée qui s'étire autour de ses pupilles en dit long sur la teneur de ses pensées.

— J'apprécie tout particulièrement lorsque vous vous comportez de la sorte, murmure-t-il d'une voix rauque d'excitation... et de colère.

Un cocktail perturbant.

Je récupère l'index pointé vers son torse, déstabilisée par ses propos enflammés. Mes joues s'échauffent à tel point que, au vu du stade avancé de la brûlure, je ne sais plus si la raison de leur rougissement est l'embarras, l'excitation, la colère, ou les trois à la fois. Sans doute les trois à la fois.

Quelles qu'en soient la ou les causes exactes, j'espère sincèrement que ma détermination se lit à travers mon expression. À en juger par le refroidissement soudain de ses iris, j'ai de bonnes raisons de croire que l'objectif est atteint.

— Et s'ils se servent de vous comme d'un fourre-balles ?

— Neutralisez-les, mais ne les tuez pas.

— Pourquoi prendrais-je le risque de vous perdre pour le bien-être d'un misérable Humain ?

— Dans le cas contraire, vous renouerez bien assez tôt avec les joies du célibat.

Ses yeux s'apparentent à deux grenades dégoupillées. Les jointures de ses articulations blanchissent, à l'instar des arêtes de sa mâchoire. Puis, sans crier gare, il fait volte-face et assène un puissant coup de pied au cadavre transpercé.

J'assiste à la scène émétisante, bouillonnante de rage. Lorsqu'il s'écarte pour glisser le corps d'une nouvelle flèche dans l'encoche de son arc, prêt à éliminer d'éventuels autres Humains, une sensation étrange se produit en moi. Étrange, mais d'une violence à couper le souffle.

Quelqu'un m'attrape par le bras. En une fraction de seconde, la personne est éjectée hors de mon espace vital.

— Ecclésia ? s'inquiète Genesis, dont la main est encore tendue vers moi.

Il me détaille avec effroi et fascination. De mon côté, un pied campé devant l'autre, les poings armés et les muscles bandés, je m'efforce de dompter l'orage émotionnel qui m'habite. Mon esprit oscille un temps vers le Bien, l'autre vers le Mal, si bien que je ne sais plus tout à fait s'il faut que je m'excuse ou me batte.

Soudain, un écran noir s'abat devant mes cornées. Je ne saurai estimer le temps durant lequel il me plonge dans la pénombre, mais lorsque ma vue se rétablit, mes réflexions sont de nouveau majoritairement Lumineuses. Je le devine à la façon dont la Culpabilité et la Tristesse mitraillent mes tripes et nouent ma gorge.

En parallèle, mes muscles se détendent et mon corps adopte une position plus passive. Malgré mon soudain assagissement, Genesis m'observe de la même façon. C'est-à-dire, avec ahurissement.

— Tes yeux ont viré au noir, avoue-t-il. Pendant cinq secondes exactement.

De brusques coups de feu me sortent de ma léthargie. Sitôt les balles tirées, Genesis se jette sur moi, tandis qu'une ribambelle de bruits de pas martèle le sol. Des sifflements fendent l'air, déclenchant une panoplie de cris étranglés. Peu de temps après l'apparition de ces onomatopées peu rassurantes, le Soigneur se relève pour piquer un sprint. La main d'Armorie se présente devant mon visage.

— Viens !

Sa voix surpasse de peu le bruit de fond, associé en tout point à celui d'une guerre.

— C'est la Déesse ! hurlent plusieurs voix.

J'attrape sa main et me relève d'un bond, tandis qu'une marée humaine se déjette sur le carrefour. Alertés par les coups de feu, les hommes sortent d'habitations lointaines, de rues et d'endroits encore inconnus au bataillon, munis de fusils, de haches, de couteaux, de tronçonneuses et de tout ce qui est susceptible d'engendrer la mort.

— Je me charge de libérer l'allée ! hurle Genesis.

Armorie hoche la tête avant de me tirer derrière l'un des panneaux de bois du restaurant adjacent. Elle l'a relevé de façon à ce qu'il nous serve de bouclier.

Les multiples impacts de balles qui le parsèment attestent de fusillades passées. Les trous nous permettent néanmoins de suivre les actes barbares qui se déroulent à quelques mètres.

Les Humains présents sur les lieux sont tous de sexe masculin. Provenant des trois rues alentour, la plupart m'ont repérée. Ils se blessent entre eux, s'insultent, déterminés à être ceux qui me tueront. Moi : la cause de ce désastre. Sur le moment, j'aurais parié avoir affaire à une grappe d'Obscurs aguerris. Sans les capacités inhumaines et la maîtrise des sentiments noirs qui les habitent, cependant... Ce qui les rend d'autant plus esclaves de leurs pulsions.

Les retardataires qui n'ont aucune idée de l'endroit où je me cache laissent vagabonder leurs yeux un peu partout, quand ils ne suivent pas bêtement le flot d'hommes sanguinaires.

Si bien qu'ils se dirigent tous vers nous.

Comment pourrai-je me rendre utile sans envenimer la situation ? Si je sors, ils m'enverront un maximum de projectiles contondants. Offensives qui obligeront Alicante à les exécuter.

— Armorie, il faut que l'on s'en aille.

Mais ma mère de cœur me retient fermement par le poignet. La Lumière qui irradie de son poing droit effleure le carton au point de l'enfumer.

Alors, la Déesse de la Tolérance patiente. Elle analyse. Durant tout le temps de leur approche, je m'emmure dans un silence envahissant. Mes émotions explosent simultanément, paralysant ma perception analytique, mes muscles ainsi que mes instincts de survie.

Culpabilité, Compassion, Empathie, Tristesse...

— Leur mort est-elle inévitable ? murmure-t-elle comme pour elle-même, alors que sa grimace nous induit la réponse.

— Non, réponds-je par bêtise.

Sa main effleure ma joue, avant qu'elle ne colle son œil à l'une des nombreuses ouvertures du carton.

— Ce n'est pas de ta faute.

Une trentaine d'Humains progresse sans se soucier du fait que nous soyons dotées de capacités surhumaines. Que nous soyons des déesses. Seul le besoin impérieux de semer la mort guide leurs mouvements bestiaux. Les plus rapides progressent au pas de course, six exactement.

Ils accourent, visualisent notre cachette, s'arrêtent puis esquissent un geste dans le but de réduire en charpie notre rectangle de carton ajouré.

Une décharge électrique me parcourt, évinçant ma léthargie. L'instinct de survie décuplé.

Je m'apprête à tirer Armorie hors de notre prétendue cachette, lorsqu'une flèche embroche trois crânes à la fois. Nos trois autres assaillants en reçoivent des similaires en plein cœur.

Le restant des troupes s'arrête, stupéfait. Les Humains noircissent désormais l'intersection, provenant de toutes parts, mais personne ne s'en prend au Prince qui les cible depuis les airs. Battant nonchalamment des ailes, sa silhouette majestueuse projette suffisamment d'ombre pour les priver de Soleil.

Mais leur objectif ne change pas. C'est moi, qu'ils veulent.

Des sons étranglés retentissent chaque fois qu'un homme s'écroule, embroché par les bons soins d'Alicante. Une poignée se résout à lever la tête. Une expression horrifiée déforme leurs expressions faciales, mais aucun n'a le temps de prononcer les mots qui leur brûlent les lèvres : Ange Noir.

La masse humaine est désordonnée. Parmi les têtes qui s'approchent, certaines s'écroulent à la manière d'un château de cartes ébranlé par le vent.

Les plus lucides jettent un œil intelligent aux corps inanimés, avant de réaliser que le moyen le plus efficace pour m'atteindre est de m'attaquer à distance. Alors, les fusils se mettent à braquer notre carton et les armes se préparent à l'attaque. Comme s'il s'agissait d'une compétition vitale, les Humains n'essaient même plus de se mettre des bâtons dans les roues. Ils s'allient pour m'abattre.

Le poing d'Armorie irradie d'une telle force, qu'il creuse un énorme trou dans le carton. Alicante, quant à lui, prononce quelque chose qu'il m'est impossible de comprendre de là où je me trouve.

Les doigts se posent sur les détentes, les muscles se bandent. Armorie esquisse un geste de l'épaule.

— Le fils du Malin ! hurle un homme horrifié.

Le malheureux tend un doigt tremblant en direction du Prince, dont les ailes métalliques ne cessent de brasser l'air tiède.

Tous lèvent la tête. Pas le moins du monde déstabilisé par l'armada de pistolets qui le braquent désormais, ledit « fils du Malin » leur adresse un large sourire.

— Quand tu veux, Genesis, marmonne-t-il entre ses dents.

Soudain, les Hommes se figent. Si j'en crois les souvenirs qui subsistent des cours élémentaires de Krux, la tétanie ne dure qu'une poignée de secondes. Plus on est puissant, plus la durée de la compétence est importante. Mais elle n'excède jamais la minute. Le sachant parfaitement, Alicante s'empresse de dégainer son épée et de plonger dans l'amas d'Humains neutralisés.

S'ensuit une véritable boucherie.

Armorie me tire jusqu'à la ruelle où nous avons atterri un peu plus tôt. Le lieu a manifestement été dégagé par Genesis.

Quelques paires d'yeux affolées se collent à la fenêtre d'un restaurant que je pensais abandonné, avant de se renfoncer dans la pénombre de la bâtisse.

Des Humains meurent. À la pelle.

La Déesse de la Tolérance m'y entraîne envers et contre tout. Arrivées à un certain niveau, des bras nous ouvrent la porte. Bien que surprise, Armorie redouble en vitesse, pressée par les cris, quand deux créatures roulent à nos pieds.

Les Humains meurent. À la pelle.

Un jet de bile remonte mon œsophage, pour se déverser à mes pieds.

En me redressant, je constate avec hébétude qu'il s'agit d'Icanée et d'un Humain équipé d'un couteau. La fillette se débat comme une lionne. Son petit corps s'agite devant l'adversaire, esquivant ses multiples tentatives d'embrochement. Icanée finit par se laisser glisser entre ses jambes, bondir sur ses pieds, se retourner et briser sa nuque d'un coup sec. Le grand gaillard choit raide mort à terre.

Alors que la petite rousse s'élance à la poursuite d'une autre proie, Armorie me tire pour de bon dans le restaurant.

Une odeur de moisi envahit mes narines, on claque la porte du bâtiment et nous voici plongées dans une quasi-pénombre. L'unique fenêtre non barricadée qui donne sur-le-champ de bataille est notre unique source de lumière.

Ma respiration laborieuse est le seul son parasite qui hante le lieu. Après un court instant d'hébétude, la tête en vrac, j'ai la présence d'esprit d'analyser les environs et de réaliser qu'une bonne cinquantaine d'Humains occupe la pièce.

***

Je pars très bientôt pour deux semaines de job dans un trou paumé, donc je n'aurai pas le temps de retravailler les chapitres hebdomadaires, et même si c'était le cas, peut-être qu'il n'y aura pas de connexion. 😅 Voili voilou !

A bientôt, profitez bien du soleil !

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