3 Octobre 1811

Une mare de sang entourait le corps disloqué de l'enfant qui, il y a quelques instants à peine, débordait de vie. C'était son énergie débordante qui le poussa à s'approcher un peu trop près du bord pour mieux apercevoir la scène. Son père s'était empressé d'arrêter le zeppelin qui lui servait de taxi pour descendre retrouver son fils.

Mais la chute s'était avérée fatale. 

Le docteur Cole Wheeler regardait le dirigeable partir dans un nuage de vapeur avec culpabilité. Il se demandait ce qui avait pu intriguer son fils au point qu'il y laisse la vie. Si seulement Cole avait été plus attentif... Jamais il n'aurait cru que sa curiosité scientifique puisse lui coûter si cher. Il n'avait pas pu s'empêcher d'aller observer l'automate qui faisait office de chauffeur, ni de le questionner sur son mécanisme, chose à laquelle il n'était pas programmé pour répondre. 

Les automates devenaient de moins en moins performants. Le cuivre possédait des propriétés encore méconnues, qui poussaient la performance des machines plus loin que n'importe quel autre métal ne le permettait. L'engouement que cette découverte avait provoqué au siècle passé donna lieu à une pénurie de cette précieuse ressource. Une reforme pour interdire la possession de cuivre à usage personnel se préparait. On l'avait peu à peu remplacé par le fer, plus abondant et moins coûteux. Les gens s'étaient désintéressés de la recherche, jugeant le monde au paroxysme de son évolution en matière d'avancée technologique. 

Heureusement, le docteur Wheeler avait contribué à nombre d'inventions qui lui avaient permis d'amasser une petite fortune. Bien que le sujet de l'intelligence artificielle fût houleux, Cole était obsédé par l'idée de créer un automate capable de raisonner. Il dilapidait son argent dès que le moindre morceau de cuivre était trouvé et assistait à tout un tas de conférences scientifiques. Il ne manquait plus qu'une pièce pour réaliser son expérience, mais il doutait que personne ne soit jamais à même de fabriquer un mécanisme aussi complexe. C'était d'ailleurs à une conférence sur ce sujet qu'il devait se rendre avant que son fils.. Avant l'accident. 

Le docteur Wheeler se releva et balaya les environs du regard. Il se trouvait dans une zone industrielle entourée de manufactures désaffectées. Un objet brillant au loin attira son attention. Ce devait être ce que son fils avait vu. La dernière chose que son fils avait vue. Cole s'approcha pour voir ce dont il s'agissait. Un sanglot noua sa gorge lorsqu'il réalisa que la dernière pensée de son enfant chéri avait dû lui être destinée. 

Il essuya ses lunettes d'aviateur et regarda à nouveau pour être sûr qu'il n'hallucinait pas. À ses pieds se trouvaient des engrenages assemblés en un cœur de cuivre. La dernière pièce qui manquait à son automate. 

Une idée germa dans l'esprit du scientifique. Une idée criminelle, malsaine, contre-nature, qui résultait du plus profond désespoir. Une idée humaine. Il se devait d'essayer. Il avait déjà perdu sa femme, il ne supporterait pas de perdre son enfant.

Cole s'empressa de ramasser sa précieuse trouvaille et se tourna vers son fils. Son corps était encore chaud et, avec un peu de chance, il y avait toujours une activité cérébrale. Transportant le petit corps ensanglanté, il courut aussi vite que ses frêles jambes en manque d'exercice le lui permettaient. 

Une fois dans une rue fréquentée, il troqua tout l'argent qu'il avait sur lui pour une automobile qu'il racheta le double du prix. Ça lui était égal. Il n'avait qu'une idée en tête : rentrer chez lui et réaliser l'opération qui transférerait l'esprit de son petit Yacynthe dans le corps de l'automate.