III.
Assis en tailleur et attablés autour de la petite table basse, Izuku observe Katsuki essayer d'utiliser une fourchette tout en se posant des questions. Après l'avoir essuyé comme il le souhaitait, lui laissant quand même le soin de faire ses parties intimes lui-même, ils s'étaient installés pour dîner et depuis, il réfléchissait.
C'était quoi cette dernière phrase "Pas sirène. Compagnon humain" ? Que voulait dire la créature par là ? Si on prenait la déclaration au premier degré, il était clair qu'il était ici pour prendre un humain pour compagnon. Mais...comment cela était-il possible ? Cela voulait-il dire qu'il y avait un moyen de devenir sirène ou inversement, qu'eux deviennent humains ?
Le cerveau d'Izuku tourne à plein régime alors que la sirène touche du bout des doigts les piquants de la fourchette, perplexe.
- Comme ça, intervient Izuku, prenant sa propre fourchette, avant de la piquer dans un bout de poisson et de la porter à sa bouche.
Le cendré l'observe attentivement puis, tentant de tenir correctement le couvert, il imite maladroitement le geste. Tremblant légèrement, le poisson finit par arriver à bon port et Izuku le voit disparaître dans la bouche de Katsuki qui s'empresse de mâcher, un air satisfait sur le visage.
- Je suis désolé, mais je n'ai que du poisson à vous proposer. C'est assez...hum, enfin, sachant ce que vous êtes.
La bouche pleine, la créature relève la tête vers lui et hoche une nouvelle fois des épaules.
- Nous manger tout.
- Ah d'accord, tant mieux alors.
Puis le silence reprend sa place. Mangeant tout en zieutant parfois Katsuki, Izuku n'ose lui poser les questions qui le taraudent. Déjà d'une part, il ne veut pas l'importuner et d'autre part, il n'est pas sûr que les réponses soient compréhensibles. Même s'ils arrivent à se comprendre, la sirène parle quand même par monosyllabes, ce qui n'est pas hyper facile pour expliquer des choses compliquées. De plus, Izuku ne serait pas sûr non plus de comprendre ses réponses.
Au cours du repas, il peut voir Katsuki lui jeter des petits coups d'œil, regardant la manière dont il se sert de tel ou tel couvert, la façon de le porter à la bouche et de le reposer sur la table par la suite afin de l'imiter du mieux possible. Inconsciemment, Izuku suit les mouvements de la créature, surtout le moment où les aliments arrivent à ses lèvres qu'il se met à fixer. Elles sont tentantes, beaucoup trop tentantes. Pourquoi faut-il que tous les mecs canons qu'il rencontre soient, soit de parfaits connards, soit des êtres fantastiques ? Quand la vie est une salope, elle l'est jusqu'au bout...voilà pourquoi il était là-bas ce soir. Ce n'était pas toujours la joie avant mais ce n'était pas si mal non plus. Alors que depuis...
- Toi vas bien ?
Izuku sursaute et lève le regard vers Katsuki qui est en train de l'observer, la tête penchée sur le côté, les joues pleines et aussi rondes qu'un hamster. Devant cette image, il pouffe légèrement, remplaçant la gêne qui l'avait assailli d'être pris en flag de matage.
- Oui oui, pardon. J'étais juste plongé dans mes pensées. Je me disais aussi que je pourrais vous tutoyer non ?
La tête toujours penchée sur le côté, Katsuki fronce des sourcils. Apparemment, il n'a pas compris la question.
- C'est pas grave. Je vais le faire, ça sera plus simple.
Ils finissent le repas et, une fois la vaisselle terminée sous les yeux curieux de la sirène, Izuku sort de l'unique placard un matelas rafistolé qu'il place au sol, près du lit une place qui occupe le fond de la pièce.
- Je ne sais pas comment ça fonctionne chez toi, mais ici, la nuit, les humains dorment. Je te laisse mon lit, je vais prendre le matelas, déclare-t-il en pointant l'objet.
- Non.
- Comment ça, non ?
- Toi, répond Katsuki en pointant le lit du doigt.
- Non non, tu es l'invité, c'est à moi de dormir par terre. En plus, ça sera mieux pour ta blessure que tu dormes sur quelque chose de décent.
Le blond s'approche alors de lui et lui attrape la main.
- Alors, toi dormir avec moi.
Rouge de gêne, Izuku fixe sa main prisonnière de celle de Katsuki. Il est conscient que la sirène ignore les règles et coutumes des humains, mais tout de même ! Il le trouve un peu trop tactile pour une créature qui est censée se méfier de lui. Entre la phrase de tout à l'heure et celle-ci à présent, il est complètement largué face à lui. S'il continue comme cela, il pourrait se méprendre et il n'a pas envie de subir encore une fois une humiliation. Il a assez donné.
Récupérant doucement son membre qu'il plaque contre son torse, dans un geste vain de protection, il secoue la tête.
- Non, je...je ne peux pas faire ça. Je suis désolé.
Encore une fois, la sirène le regarde perplexe puis fronce des sourcils, contrarié. Izuku se tend, prêt à subir ses foudres. Mais finalement, il reçoit en guise de réponse un hochement d'épaules - encore une fois - puis il le voit alors s'allonger doucement sur le matelas. Y'a pas à dire, cette créature est une vraie tête de mule.
Secouant la tête, tout de même amusé par la situation, il s'approche lui aussi de son lit et y grimpe, se glissant sous les couvertures. Il appuie sur l'interrupteur au-dessus de sa tête et ils se retrouvent dans le noir et le silence, seulement entrecoupé par leurs respirations.
- Bonne nuit Katsuki, finit-il par dire tout en se tournant sur le flanc, dos à lui.
- Bonne...nuit I-zu-ku.
Trop mignon ! Il a réussi à retenir mon nom et l'a prononcé à la manière d'un enfant cherchant ses mots. Je fond ! Non non Izuku, ressaisis-toi ! On dirait une mère complètement gaga devant les premiers mots de son fils...Aller, endors-toi, tu bosses demain. Si tu n'es pas en forme, il te le fera payer.
Et c'est sur ces dernières pensées qu'Izuku se laisse sombrer dans les bras de Morphée, ne faisant plus attention à la sirène allongée derrière lui.
.
Enveloppé dans une chaleur agréable, mais inhabituelle, Izuku papillonne des yeux, l'esprit encore engourdi par le sommeil. Il a étrangement bien dormi, pas de réveil en pleine nuit ni de cauchemars à répétition. Non, rien de tout cela.
Devant ses yeux se dresse le mur sale de son appartement, celui auquel il faisait face hier avant de s'endormir, il n'a donc pas bougé dans la nuit. Baillant à s'en décrocher la mâchoire, il essaye de se relever, mais ne peut faire un geste, un bras puissant le maintenant par la taille. Qu'est-ce que...?
Se contorsionnant le cou, il trouve alors Katsuki endormi dans son lit, en cuillère derrière lui, son bras autour de lui et ses jambes entre-mêlées aux siennes. Depuis quand est-il là lui ?! Je ne l'ai pas entendu se glisser dans le lit ! Le rouge aux joues et le cœur battant la chamade, Izuku essaye de nouveau de se dégager de l'étreinte du blond, mais celui-ci ne l'entend pas de cette oreille et, toujours profondément endormi, raffermit sa prise, le collant davantage à lui. Étonnement, il est bien là. Est-ce grâce à lui qu'il a passé sa première nuit paisible depuis des lustres ?
C'est à cet instant que des coups se font entendre contre le bois de sa porte d'entrée le faisant sursauter. Qui ça peut bien être à cette heure ? D'ailleurs, quelle heure est-il ?
Tout en se dégageant de la sirène sans délicatesse, il descend du lit précipitamment, s'emmêlant les pieds dans les draps du matelas par terre et s'étale de tout son long sur le sol. De nouveaux coups retentissent, plus durs et pressés, comme si la personne derrière la porte s'impatientait.
- Oui oui, j'arrive ! s'exclame-t-il en se redressant.
Des voisins ? Ça serait étrange, je ne les ai presque jamais vus depuis que je suis ici. Et personne ne connait mon adre...oh non...faites que ce ne soit pas lui ! Tendu au possible, il passe les mains dans ses cheveux, essayant de les ordonner un peu, avant d'entrouvrir la porte, se retrouvant devant la personne qu'il redoutait de voir.
- Deku, je pensais que tu m'évitais, t'as pas répondu à mes messages d'hier soir.
L'homme qui se tient sur son paillasson, habillé dans un costume noir aussi cher que quatre mois de loyer, se penche vers lui et sa main se dépose sur sa joue avant de dériver sur sa bouche dont le pouce presse légèrement sa lèvre inférieure. Un frisson de dégoût le saisit soudainement qu'il réprime du mieux qu'il peut. Mais sans doute pas aussi bien qu'il l'aurait souhaité, car un sourire sadique apparaît sur le visage en face de lui. Il l'a senti.
- Je t'ai attendu, tu avais un client.
- J-je...pa-pardon, mon po-portable n'avait plus...de batterie.
C'est faux. Il l'avait éteint hier et laissé chez lui. Là où il avait voulu se rendre, ce n'était plus nécessaire. Mais voilà qu'à la place, il avait trouvé une sirène blessée et l'avait ramené chez lui, oubliant complètement de rallumer son téléphone. Il allait en faire les frais. Son patron détestait quand il manquait à son devoir, ça lui faisait perdre de l'argent et mettait un coup à sa réputation de Mac intraitable. Et ça, c'était tout sauf acceptable.
- Oh, tu n'avais plus de batterie, c'est bien dommage. Pourtant, je constate que l'électricité fonctionne, répond l'homme d'un ton doucereux avant d'attraper le bas de son visage entre ses doigts et d'approcher le sien, leurs nez se frôlant. Me prend pas pour un con Deku. Je sais pas ce que t'as foutu hier, mais si t'as fait exprès de pas venir bosser, tu vas le regretter. N'oublie pas à qui tu appartiens.
- J-je suis désolé, ça-ça n'arrivera plus, j-je vous le promet Shinso. Vous...vous me faites mal.
Tétanisé et les larmes aux yeux, Izuku ne peut réagir. Cet homme, Hitoshi Shinso, lui a toujours foutu une peur bleue. Magnat de la finance et PDG de diverses entreprises dans de nombreux secteurs, il a su faire fortune sur tous les fronts, mettant tout le monde dans sa poche grâce à son talent de persuasion hors du commun. Pour Izuku, c'est plutôt comme un lavage de cerveau. Et il y a de ça quelques années, c'est lui qui est tombé dans son piège.
Sa mère est morte quand il avait tout juste douze ans. Il se souvient d'elle comme d'une personne attentionnée, protectrice et toujours enjouée. Il l'adorait. Quand elle est décédée, son père, fou de chagrin, est tombé dans les addictions que sont l'alcool et le jeu, délaissant son petit garçon. Néanmoins, même si ce n'était pas facile avec un père dans cet état, Izuku prenait soin de lui et la vie n'était pas si mal. Mais comme souvent quand on joue, on s'endette, et Hisashi Midoriya n'a pas échappé à cette règle. Il a joué avec les mauvaises personnes et il en a payé le prix de sa vie. A ses dix-neuf ans, Izuku s'est alors retrouvé seul avec la dette énorme de son père à rembourser.
Enchaînant les petits boulots, il faisait son possible pour payer cette dette, mais il se tuait à la tâche, littéralement. Un homme est alors entré en jeu, Hitoshi Shinso, et lui a proposé de la racheter en contrepartie de...ses charmes. Sur le coup, Izuku n'a pas compris. C'est une fois devant le contrat que tout à pris sens. S'il voulait sortir la tête de l'eau, il devait vendre son corps pendant une durée de 6 ans. Tout cela n'avait rien de légal, il le savait. Il avait entendu les rumeurs. Shinso était, en plus d'un PDG impitoyable, un Mac inflexible et tenait ses filles et "fils" d'une poigne de fer. Et avant qu'il n'ait compris ce qu'il se passait, sa signature était apposée au bas de la page. Maintenant, à vingt-et-un ans, ça fait seulement deux ans qu'il se "laisse prendre" par tout un tas d'hommes tous plus véreux les uns que les autres, "merveilleux" entourage de son patron, et il n'en peut tout simplement plus. Mais l'homme en face de lui ne doit surtout pas apprendre qu'il a essayé de mettre fin à ses jours.
Brusquement, la porte s'ouvre en grand et le bras de Shinso se fait attraper violemment, libérant le visage d'Izuku. Sous le geste, Izuku vacille légèrement en arrière avant d'être retenu par une main dans le bas de son dos. Tournant la tête, il découvre Katsuki parfaitement réveillé et habillé du même ensemble jogging/débardeur qu'il lui a prêté hier, qui tient fermement le bras de son patron, les traits de son visage déformés par la colère.
- Ne touche pas.
Sa voix est si menaçante qu'un frisson dégringole le long de la colonne vertébrale d'Izuku. Heureusement qu'il sait que cette créature a un côté gentil, car à cet instant précis, une aura meurtrière l'entoure et s'il ne veut pas un meurtre sur le palier, il faut absolument qu'il arrive à le calmer.
- C'est qui lui ? demande froidement Shinso en essayant de se libérer de l'emprise du blond. Et pourquoi il a tes fringues ? Donc tu viens pas bosser, mais tu te fais quand même baiser par ce type ?! Tu te fous de ma gueule !
- C'est-c'est pas ce que vous croyez, bégaye Izuku, paniqué. C'est-c'est mon cousin ! Un-un cousin éloigné qui a dé-débarqué hier soir.
- Ton cousin, mais bien sûr.
Les deux hommes s'affrontent du regard, le bras de Shinso toujours prisonnier de la poigne de Katsuki. La tension entre eux est si palpable qu'elle en est presque suffocante.
- J-je vous jure ! C'est mon cousin ! Katsuki, dit-il alors en posant sa main sur le bras du blond. Arrête, lâche-le, s'il te plait.
Sans lâcher sa victime, le concerné baisse son regard vers lui, tombant dans ses émeraudes humides de larmes. Izuku lui fait un petit sourire et, c'est après un claquement de langue, qu'il finit par lâcher son patron qui récupère son bras, essayant de cacher la grimace qui déforme sa bouche. La sirène doit avoir une sacrée force.
Shinso retrouve alors son masque, jetant un regard noir à Katsuki avant de poser ses yeux sur Izuku.
- Toi et moi, on s'expliquera. Ce soir, 20h et t'as pas intérêt à être en retard, t'as double "service" vu que j'ai dû reporter tes clients d'hier.
- J'y serais, répond alors Izuku dans un souffle, déjà fatigué de la soirée qui s'annonce horrible.
- Bien. A plus tard le...cousin.
Et dans un dernier regard noir envers le blond, il tourne les talons, descendant les marches. Les mains sur son torse, Izuku fait reculer précipitamment Katsuki, referme derrière lui, claquant la porte puis s'y adosse, le visage caché entre ses mains. Il était fini. L'excuse du téléphone aurait pu encore passer, mais il avait fait un trait sur sa pseudo-liberté dès que Katsuki s'était montré. Il ne lui en voulait pas, il avait seulement réagi à l'animosité de Shinso, mais ça lui portait préjudice. Ce soir, il allait ramasser, c'était sûr.
- Lui, méchant. Mauvaise odeur.
Izuku relève la tête, laissant ses mains retomber près de son corps pour observer Katsuki qui fixe la porte d'entrée, la mâchoire crispée et les poings serrés. Il est vraiment en colère.
- Oui, je sais.
- Pourquoi toi avec lui ? demande le blond en se rapprochant de lui.
- J'ai pas le choix.
Le blond penche la tête sur le côté, comme à chaque fois qu'il ne comprend pas.
- Laisse tomber. Ca serait trop dur à expliquer et tu ne comprendrais pas de toute façon.
Comment le pourrait-il ? Il ne se voyait pas lui expliquer son métier, c'était déjà compliqué de le faire envers un humain alors envers une créature fantastique, c'était mission impossible. Surtout question sexualité, comment ça se passait chez cette espèce ? Est-ce qu'ils se rapprochaient plus des animaux et ne s'accouplaient que pour la reproduction ou avaient-ils une part "humaine" et couchaient également pour du plaisir ? Toutes ces interrogations faisaient qu'il n'aborderait pas la question de son métier avec la sirène.
Une main se posa sur sa joue et il sursauta, plongeant son regard dans celui de Katsuki.
- Toi faire attention. Toi gentil, bonne odeur.
Le cœur d'Izuku rate un battement. Le contact chaleureux de cette main contre lui, lui fait un bien fou. C'est la première fois depuis des lustres que quelqu'un lui demande de faire attention et le pire, c'est que ça ne vient même pas d'un humain.
- Oui, ne t'inquiètes pas.
La vie est définitivement bien injuste.
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