Chapitre 7 : Am I a hero? - 1/3 {Cyrielle}
"Am I a hero?
Am I a hero now?
To die a hero
Is all that we know now"
Cyrielle
La gourmette un peu trop grande tournait encore et encore autour de son poignet, au rythme de ses doigts agités. Ils ne stoppaient leurs mouvements que pour caresser l'inscription gravée en son dos. Mutatis mutandis, devise des Jupiter. En changeant ce qui doit être changé. Cyrielle la portait sans en avoir le droit et pour une raison idiote, cela semblait la rendre plus belle. Plus brillante. Plus puissante.
Absurde.
Une tasse de café brûlant fumait devant elle et le réfectoire, bruyant, ne lui prêtait pas attention. Pas tout à fait exact : il y avait bien eu quelqu'un, un jeune homme du nom de Salam qui s'était présenté quelques minutes plus tôt en remarquant qu'elle prenait son petit-déjeuner toute seule. Puis l'avait invitée à se joindre à son groupe, maintenant ou à tout moment de l'année, si jamais elle en éprouvait l'envie ou le besoin. Cyrielle lui avait souri avant de refuser poliment. Peu importait l'espèce de bonté brute et indestructible qui émanait de ce garçon. Une tempête se déchaînait sous son crâne et elle ne souhaitait pour l'instant la partager avec personne.
« Tu devrais cacher ça », lança une voix dans son dos.
Cyrielle sursauta, se retourna, et porta la main à sa poitrine comme pour calmer les battements fous de son cœur tandis que Madeline enjambait le banc en bois pour s'asseoir à ses côtés. Elle transportait d'une main un plateau chargé de tartines de confitures, de l'autre une poche en plastique.
« Tu ne devrais même pas l'avoir sur toi.
— Je l'ai méritée, s'offusqua Cyrielle en rabattant la manche de sa veste par-dessus la chaîne en or.
— Ça, j'en doute pas. Il n'empêche que tu ne devrais pas la porter maintenant. La Répartition a lieu dans quarante-cinq minutes et les gourmettes ne seront pas distribuées aux élus avant la fin de la journée. Si quelqu'un te surprend à te pavaner comme ça avant l'heure, ils sauront que tu as obtenu les faveurs d'un professeur dès ton premier jour et ça ne pourra que mal finir. C'est pour ça qu'on dit que ça porte malheur, de faire une chose pareille. »
Cyrielle ne pouvait pourtant se défaire de l'idée que ce bijou lui porterait chance. Il était un cadeau inattendu, symbole du nouveau départ qu'elle avait souhaité prendre en s'aventurant dans ces contrées anglaises. Au diable les superstitions ; elle inventerait les siennes.
« Tu en veux ? » Madeline ouvrit sous son nez le sac en plastique qui contenait plus de viennoiseries qu'elle ne possédait de doigts. « Il y a une boulangerie française à dix minutes d'ici, et je me suis dit que tu aurais peut-être le mal du pays. Tu es bien française, n'est-ce pas ? Ton accent ne me trompe pas. »
Cyrielle attrapa un pain au chocolat et croqua dedans à pleines dents sans lui offrir une réponse plus élaborée qu'une pluie de miettes de pâte feuilletée et un simple :
« Peut-être bien.
— Oh, je vois. Mademoiselle souhaite conserver sa part de mystère. Soit. Comme il lui plaira. Raconte-moi pour la peine comment tu as fait pour décrocher l'or. »
Le sourire de Cyrielle se fit de plus en plus vaste, de plus en plus énigmatique, et Madeline l'observa avec la fascination et l'agacement d'Alice face au Chat du Cheshire. Elle se détourna d'elle sans cacher sa déception. Fit tournoyer si vite sa petite cuillère dans sa tasse que du thé fumant s'en échappa à grosses gouttes.
« Ce n'est pas juste. Hier tu pensais que j'étais folle, et aujourd'hui tu me prives des détails croustillants. Déjà, tu devrais t'excuser de ne pas m'avoir crue. Et ensuite, tu devrais tout me raconter pour te faire pardonner. Ce ne serait que justice. » Elle ajouta un morceau de sucre dans sa tasse et de nouveau, du liquide chaud se déversa sur la table. « Cette ambiance me manque. La deuxième année est si rasoir, si bêtement... scolaire. Des cours, des cours, et encore des cours ! Aucune passion ! Si je ne m'étais pas inscrite en théâtre, je serais déjà en train de dépérir à vue d'œil.
— Je n'ai jamais pensé que tu étais folle.
— Tu mens très mal. Tu seras une horrible avocate. Une horrible, horrible, horrible avocate. »
Un affreux malaise se trouva une place entre elles, poussant des coudes sans se soucier de leur écraser les côtes au passage ou de rendre l'ambiance étouffante. Mais lorsqu'elles croisèrent de nouveau le regard l'une de l'autre, elles éclatèrent de rire devant l'absurdité de la situation.
« Excuse-moi, se radoucit Madeline. Parfois je m'emballe, il ne faut pas le prendre personnellement. Ça ira mieux quand on m'attribuera un rôle qui me permettra de me défouler. Évacuer toute cette satanée énergie. » Elle avala une gorgée de son thé tandis que Cyrielle lui assurait qu'il en faudrait bien plus pour abîmer son égo, puis ajouta en lui adressant un clin d'œil :
« Et puis à quelques exceptions près dont personne ici n'accepte jamais de parler, les Jupiter ont tous réalisé d'impressionnantes carrières. Tu seras géniale, évidemment. Évidemment. Il faudrait être cinglé pour en douter. »
***
Moins d'une heure plus tard, les étudiants de première année furent tous réunis dans le même amphithéâtre que la veille pour assister à la Répartition. L'ambiance se révéla des plus formelles. Des plus décevantes, en vérité. Une fois les premières folies dissipées, ne restait plus qu'une réalité presque morne. Rien de plus que des groupes de travail participant à un projet extrascolaire. Des élèves un peu mieux préparés que les autres, un peu plus pressés de réussir, un peu plus chanceux, sans doute.
Lorsque l'un d'entre eux était appelé, il devait descendre les marches, grimper sur l'estrade, et piocher dans une urne en verre un papier sur lequel était inscrite son affiliation. Luna, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus, Saturne, ou Sol Indiges. Cette année, affirmaient les professeurs, tout était laissé au hasard.
À la tombée de la nuit, Madeline offrirait une cigarette à Cyrielle et assise à même une table en bois, sur la pelouse du college, lui expliquerait que jusqu'à présent, les membres d'une même fraternité possédaient en commun certains traits de caractère précis. Pour le meilleur et pour le pire.
« Mais à mon avis, ils mentent, lui déclarerait Madeline dans un nuage de fumée. Je ne crois pas à leur théorie du hasard. Je crois qu'ils se dédouanent au cas où.
— Au cas où quoi ? Quelqu'un mourrait ? »
Madeline ne répliquerait pas à son sarcasme. Elle laisserait simplement la vapeur grise les envelopper toutes les deux. Dans cette nuit douce et silencieuse d'octobre.
Quand Cyrielle fut appelée à descendre à son tour sur l'estrade, elle croisa le regard de Laurie qui, en pleine discussion avec l'un des professeurs, sembla à peine la remarquer. Sur le papier qu'elle piocha figurait la bonne mention – Jupiter – et elle ne se soucia pas vraiment de savoir comment ils avaient truqué le tirage au sort pour elle. Peut-être, après tout, que Madeline avait raison. Peut-être qu'ils l'avaient truqué pour tout le monde.
Elle rejoignit ensuite le côté de la scène réservé aux Jupiters et se tint, droite et fière, à côté d'un jeune homme blond aux yeux conquérants. Oliver McPherson, l'un des rares élèves dont elle avait retenu le nom car elle se souvenait avoir vu son visage, la veille, écrasé à s'en abîmer la mâchoire contre la vitre du Pont des Soupirs ; prêt à tout pour gagner. Sans cette déformation grotesque, il s'avérait très agréable à regarder. Il arborait cependant ce même regard qui lançait des flammes, dès qu'il tournait la tête en direction de l'un de ses concurrents. Se refusant à se borner à sa première impression, Cyrielle lui adressa sa courtoisie, qu'il lui rendit sans ferveur. Par chance, Georgia fut aussi sélectionnée parmi eux. Parut en être la première surprise. Le Préfet Greenfield, à ce moment-là, posa enfin son doux regard sur elles. Et leur offrit son plus somptueux sourire.
***
« Tu as remarqué que le Préfet se trouve partout ? »
Georgia répétait cette question pour la deuxième fois. Peut-être même la troisième. Cyrielle l'écoutait à peine, plongée corps et âme dans un manuel de droit romain. Les cours avaient commencé depuis une semaine et elle ne souhaitait pas prendre plus de retard qu'elle n'en avait déjà accumulé. Laurie avait raison : la moitié des élèves, ici, avaient consacré leur été à apprendre par cœur tout ce qu'ils étaient censés découvrir dans les prochains mois. Sans doute n'avaient-ils jamais connu d'autres inquiétudes, depuis leur plus jeune âge, que celle de décrocher la première place. Jamais connu d'autres peurs que celle de ne pas être à la hauteur de leurs ambitions.
« Dès que je franchis un couloir, il est là, poursuivait sa camarade. J'ai envisagé de jeter un papier de chewing-gum à même le sol, l'autre jour, et je l'ai entendu siffler dans mon dos pour m'en dissuader. Envisagé, Cyrielle, comprends-moi bien. Envisagé seulement. Ce type lit dans les pensées.
— C'est insensé. Ce type, comme tu dis, est tout ce qu'il y a de plus normal. Ton imagination débordante te joue des tours, voilà tout. »
Mais Cyrielle aussi aurait pu jurer qu'il la suivait partout. Imperceptible, intouchable, mais présent en permanence. Une ombre. La plupart du temps, il ne lui adressait pas la parole et se contentait de la saluer d'un hochement de tête. Parfois il lui souriait du regard, et à d'autres occasions, fronçait sévèrement les sourcils. Les rappels à l'ordre étaient fréquents. Contre tout le monde ; pour des broutilles, le plus souvent. Laurie semblait ne pas supporter le moindre écart de conduite. Et quand ce n'était pas lui, qui les pistait jusqu'au bout du monde, c'était l'un de ses sous-préfets temporaires.
Comme leur nom l'indiquait, ces derniers étaient remplacés à l'infini. Ils ne restaient en poste que quelques jours – quelques heures, selon certaines rumeurs –, ce qui rendait difficile de les identifier et, par conséquent, quasi impossible de leur échapper. Cyrielle, néanmoins, n'avait rien ou presque à se reprocher de ce côté-ci de la Manche. Et contrairement à bon nombre de ses camarades, ne fuyait devant rien ni personne. Préfet ou pas.
« Il paraît qu'ils peuvent nous coller des pénalités, tu sais. » Georgia refusait de s'arrêter. « Le Préfet, bien sûr, mais les sous-préfets aussi. Il paraît qu'ils tiennent des listes, avec nos noms à tous, et un capital de points en face de chaque nom, et il paraît qu'à la fin de l'année ça peut nous coûter une matière. Ou plus.
— Georgia, encore une fois, c'est grotesque. Toutes ces histoires de fraternités secrètes, ça vous monte à la tête. Ils sont là pour s'assurer que personne ne déroge au règlement, oui, mais c'est tout, ça ne va pas plus loin que ça. S'est-il produit quoi que ce soit d'étrange depuis que nous sommes arrivées ici ?
— Non, reconnut la jeune femme en baissant le regard.
— Non, reprit Cyrielle en écho. Parce que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et que tu t'inquiètes beaucoup trop, pour rien. »
***
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