Chapitre 27 : Hey child! - 2/2 {Bennett}
Bobby partit d'un grand éclat de rire.
« Mais détends-toi, ma jolie, je ne fais que m'amuser. » Il se saisit de l'araignée et, doucement, la replaça dans son vivarium. « Nous n'avons pas besoin que tu nous aides à mettre le grappin sur ton oncle. » Il claqua des doigts et un homme s'avança vers elle, son téléphone portable à la main. « Danny-boy accourra dès lors qu'il recevra ce message, ne t'en fais pas. Souris pour la photo. » Bennett fut aveuglée par un flash. « Je voulais juste te faire un peu peur. » Elle entendait sa voix, n'avait toujours pas recouvré la vue. « T'apprendre à te tenir tranquille comme une gentille petite fille modèle. J'espère bien que t'as retenu la leçon. »
Il posa une main sur son crâne, lui ébouriffa les cheveux, rit davantage, et puis les laissa seuls.
« Danny ne viendra pas », murmura-t-elle lorsqu'il fut parti.
Elle était à bout de souffle, avait envie de vomir. Voyait de nouveau, et aurait préféré rester plongée dans le noir.
« S'il est en danger, il cherchera à se sauver, lui, et puis c'est tout. »
Il ne se démènerait pas pour secourir l'aimant à problèmes qui lui servait de nièce.
« Bien sûr, qu'il viendra », lui rétorqua Joey sans hésiter une seule seconde. Son visage était livide, mais sa voix ne tremblait pas. « Tu lui causes des milliards de soucis, mais tu sais bien qu'il t'aime. Il ferait n'importe quoi pour toi. »
Bennett secoua la tête.
« Non, Joey, tu ne... Tu ne sais pas. Tu n'étais pas... Tu ne comprends pas, tu ne peux pas comprendre. »
Tout était devenu si confus dans son esprit qu'elle ne savait plus très bien qui parlait de qui. Qui avait trahi qui. Qui avait abandonné qui.
(C'était elle, bien sûr.)
(Elle, qui avait trahi tout le monde.)
« Danny viendra, répéta Joey avec fermeté, la défiant presque de remettre une nouvelle fois en cause son avis. Et s'il se défile, ton père nous tirera de là. »
De cela non plus, Bennett n'était pas sûre, mais elle se retint de partager ses doutes avec lui. Joey n'était pas là. Il ne savait pas à quel point Ted l'avait haïe ce matin, à quel point il devait la haïr au moment même, et à quel point elle méritait toute cette haine. Il ne comprenait pas, comment aurait-il pu, il ne l'avait pas entendu hurler son ire, sa déception, son désespoir, ne l'avait pas entendu s'époumoner à en frôler la mort.
Ted hurla son nom et elle se figea, debout sur la dernière marche de l'escalier. Il avait tout découvert. Évidemment, qu'il avait tout découvert. Elle rassembla son courage et grimpa jusqu'à l'étage.
Cousin Bobby surgit dans la pièce et se précipita vers les araignées. La porte claqua derrière lui et les deux enfants sursautèrent d'un même mouvement. Le forcené dénombrait les insectes en les désignant chacun de l'index. Il marmottait en dialecte, de nouveau. Avaient-elles donc des noms ? Il s'arrêta, leva la tête vers le plafond en fermant les yeux comme pour se souvenir de quelque fait important, puis recommença à compter en repartant depuis le début.
« T'en fais pas, elles sont toutes là, pesta Bennett sous cape. Et j'aimerais qu'elles te dévorent tout cru. »
Il se retourna vers elle d'un geste brusque. S'approcha d'un pas lent.
« Un ange au milieu des flammes, dit-il en caressant ses cheveux. C'est comme ça qu'on a décrit la fillette, tu sais. Une fillette à la chevelure blanche comme neige, tombée du paradis. Un ange au milieu des flammes.
— Oh elle n'a rien d'un ange, croyez-moi », lui assura Joey, mais il ne sembla pas l'entendre.
Absolument rien d'un ange.
Elle suivit la voix de son père mais contre toute attente, celle-ci ne la mena pas jusqu'à sa propre chambre. N'avait-il pas tout découvert ? N'avait-il pas aperçu les biens volés de Monsieur Bobby, cachés dans son coffre ? Non. Ted n'était pas dans la chambre de sa fille. Il se tenait droit dans son bureau, les traits si déformés par la colère et l'horreur que Bennett crut bien qu'il y avait trouvé un cadavre.
Quelqu'un appela le maître des lieux alors qu'il serrait encore entre les doigts une mèche des cheveux de Bennett. Elle tourna vers lui sa tête bouillonnante de souvenirs pour lui attraper l'index entre les dents, mais il s'écarta juste à temps.
« Une vraie petite sauvageonne », commenta-t-il en riant. Puis, s'adressant à Joey : « Si tu ressors d'ici vivant, fiston, et qu'elle aussi, tâche de la garder sous le coude. Elle pourra t'être utile d'ici quelques années. »
Comme pour mieux illustrer son propos, il tira la chaise de Joey jusqu'à celle de l'adolescente, les plaçant côte à côte face à la grande baie vitrée.
« On s'amuse toujours plus avec les demoiselles dans son genre.
— Si je ressors d'ici vivante, reprit Bennett en écho, je vous tuerai. »
Il éclata d'un rire qui ressemblait étrangement à celui de son cousin.
« C'est ça, mon ange. Et tu m'escorteras jusqu'au paradis. »
« Tu as fouillé dans mes affaires. » Cela n'avait rien d'une question. « Et tu as embarqué le collier de ta mère. Tu as volé –
— Je n'ai rien volé du tout ! s'emporta-t-elle, piquée au vif, en espérant qu'il ne perçoive jamais l'ironie de la situation. Il était à Maman, comment peux-tu savoir qu'elle n'aurait pas voulu que je le porte ?
— Moi, je ne veux pas que tu le portes, et puisqu'elle est morte, seul mon avis compte. Tu l'as sur toi, n'est-ce pas ? » Elle porta la main à sa poitrine par réflexe, s'en maudit aussitôt. « Rends-le-moi. Tu vas le perdre, toi qui cours toujours d'un bout à l'autre du monde sans jamais te soucier de tomber. Tu ne comprends pas, Bennett, il ne me reste pas grand-chose de ta mère, depuis qu'elle est morte, et je ne supporterai pas que –
— Mais elle n'est pas morte ! » Elle criait presque aussi fort que lui ne l'avait fait, quelques minutes plus tôt. « Elle n'est pas morte, Ted, elle est tout simplement partie, elle t'a quitté, elle t'a quitté, voilà tout, elle a décidé qu'elle serait mieux sans toi, sans nous, et elle est partie. Et moi, je ne supporte plus que tu parles tout le temps d'elle comme si elle pourrissait quelque part sous terre, et que tout le monde te laisse faire parce qu'ils ont tous pitié de toi ! »
Ted contempla quelques secondes le monstre en lequel sa fille s'était muée. Avant de contre-attaquer.
« Et qu'est-ce que ça change ? Hein ? Dis-moi, Bethany. Explique-moi donc ce que ça change. Elle pourrait tout aussi bien être morte. Quand as-tu discuté avec elle pour la dernière fois ? » Silence. « Les cartes postales qu'elle envoie à ta sœur ne comptent pas, elles ne nous sont pas destinées, bon sang, Bennett, il n'y figure même pas l'adresse de l'expéditeur. » De nouveau un silence. Plus long, cette fois. « Je l'entendais rire tous les matins. Je l'embrassais tous les jours avant de partir travailler. Je l'écoutais tous les soirs me raconter les détails les plus insignifiants qui mis bout à bout, fabriquaient sa vie. Et maintenant elle est si loin qu'il m'arrive parfois de me demander si elle a réellement existé, si je n'ai pas tout inventé. Je ne sais pas où elle est. Ce qu'elle fait. Ce qui l'a amusée aujourd'hui, et ce qui l'inquiètera demain. Elle était ma meilleure amie, mon plus fidèle allié dans ce monde de fous et la minute suivante, la voilà redevenue une étrangère. C'est le refrain le plus vieux du monde, Bennett. Et je te souhaite, je te souhaite du plus profond de mon cœur de ne jamais avoir à le chanter. Mais en attendant de vieillir et de comprendre et que cela te plaise ou non : ta mère est morte le jour où elle m'a quitté, et elle a emporté avec elle une partie de moi dans la vallée des ombres.
— Tu as tort, lui rétorqua Bennett avec aplomb. Maman n'erre pas dans la vallée des ombres, à l'heure actuelle. Où qu'elle soit, elle est bien plus heureuse que toi. »
Elle le planta là. Dévala l'escalier à toute allure. Et prit la direction de l'école.
« Alors c'est pour ça que tu étais de si mauvaise humeur tout à l'heure », compatit Joey.
Et qu'elle s'était allée aux sanglots dans ses bras. Il paraissait presque aussi atterré qu'elle à présent qu'il savait quel drame s'était joué plus tôt, dans la matinée. À présent qu'il était évident que personne ne viendrait les sauver, ni Ted, ni Danny ; personne. Il voulut ajouter quelque chose, mais la porte s'ouvrit de nouveau à la volée. Cousin Bobby scruta la pièce à la recherche de... À la recherche de quoi ? Impossible à dire. Il tenait à la main une batte de baseball tremblante et les dévisageait les yeux exorbités, comme s'il ne les avait jamais vus auparavant. Bennett se plongea dans son regard vide et comprit, alors, à quel point les choses s'apprêtaient à mal tourner.
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