Chapitre 27 : Hey child! - 1/2 {Bennett}
"We were born wild"
Bennett
Ils étaient ligotés à une chaise. Comme au cinéma, mais sans popcorns, sans étoiles dans les yeux, sans sortie de secours. Bennett tira sur ses poignets et grimaça en sentant les liens lui brûler la peau.
« Ne t'agite pas comme ça », lui souffla Joey. Assis en face d'elle, il semblait étonnamment calme. « Tu vas juste réussir à te faire mal.
— Comment se fait-il que tu ne paniques pas ? »
Contrairement à elle, qui n'écouta pas ses conseils et tenta de nouveau de se libérer par le seul usage de la force.
« Ça aiderait, si je paniquais ? ironisa-t-il. Non parce que je peux le faire, hein, c'est tout à fait dans mes cordes. Un mot de ta part et je lance la machine. D'ailleurs pour être honnête, je crois que le pilote automatique est déjà en train de s'enclen–
— Bon sang, tu me fais honte, Joey.
— Et c'est toujours avec plaisir. »
Au fond du regard de son meilleur ami perça soudain un début de quelque chose, qui disparut aussi vite qu'il était apparu, qui disparut tout de même trop tard. Bennett reconnut la peur avant qu'il n'ait le temps de l'enfouir à nouveau aussi profondément que possible. Bien sûr, qu'il avait peur. Il était tétanisé, comme elle. Il s'échinait simplement à ne pas le lui montrer, luttait de toutes ses forces pour la rassurer, la convaincre que tout allait bien se terminer, lui insuffler du courage. Pendant qu'elle se plaignait comme une idiote.
Bennett ne reconnaissait pas l'endroit. La pièce dans laquelle on les avait abandonnés à leur sort s'apparentait à une bibliothèque, et pour la première fois de sa vie dans un tel lieu elle ne fut pas tentée de se rapprocher des étagères pour lire les titres inscrits sur chacune des tranches des multiples ouvrages. Si elle parvenait à s'échapper d'ici, elle courrait aussi loin que ses jambes le lui permettraient, sans un regard en arrière pour tous ces livres. Elle se précipiterait dans les bras de Ted et ce même si ce dernier devait la détester, à l'heure actuelle.
« Ce n'est pas la maison de Monsieur Bobby, pas vrai ? demanda-t-elle à l'intention de Joey. Ça ressemble à l'une des pièces dans lesquelles tu es entré hier soir ? »
Il fit non de la tête.
« Mais c'est bon signe, affirma-t-il, ça veut dire que ça n'a peut-être aucun rapport avec hier soir. Et si c'était juste un coup de Danny pour nous faire peur ? »
Un homme déboula parmi eux en ouvrant la porte avec grand fracas. De stature massive, il roulait des épaules comme l'oncle de Bennett mais contrairement à ce dernier, ne transpirait pas la nonchalance. Bien au contraire. Il se déplaçait vite, comme s'il avait la mort aux trousses, comme s'il tentait de la semer depuis sa naissance. Une voix lança quelque chose depuis une autre pièce, et il partit d'un éclat de rire tonitruant avant de se figer aussitôt. Ses yeux se posèrent sur Bennett, humides et brillants. Rouges. Ils lui rappelèrent l'illusion du feu d'artifice provoqué par les flammes, le jour de l'incendie.
Il s'exprima dans un dialecte irlandais dont elle ne comprit pas un mot. Elle se retourna vers Joey, qui secoua la tête, incapable de l'aider. Leur ravisseur semblait de toute façon se parler à lui-même.
« Pourquoi ils sont deux ? », cria-t-il dans un anglais compréhensible en direction de la voix dans l'autre pièce.
L'homme au chewing-gum rose apparut dans l'entrée et haussa les épaules.
« Ils étaient deux à l'heure du retrait du colis. J'crois bien que c'est un package. Un acheté, un gratuit. Comme les pizzas. »
Le ravisseur tourna le dos aux enfants et Bennett lut sur les lèvres de Joey ce qu'elle avait déjà compris : Cousin Bobby. Ce dernier s'était penché sur un bureau et traçait une ligne de poudre blanche. Puis il se boucha une narine, s'inclina davantage, et en se redressant poussa un cri d'euphorie qui provoqua chez Bennett des sueurs glaciales. Il la contempla de nouveau en pivotant sur ses talons et sembla se demander qui elle était, au juste, et par quel miracle elle avait été téléportée jusque chez lui. Bennett envisagea de s'adresser à lui mais ne trouva rien, dans son regard, sur quoi jeter son ancre. Joey se racla bruyamment la gorge dans une vaine tentative d'attirer l'attention de la bête.
Par chance, de l'agitation se fit entendre dans le vestibule et tous reconnurent la voix du vieil habitué du Goodfellas. Bennett faillit presque sourire en apercevant Monsieur Bobby dans l'entrée de la pièce. Pendant une fraction de seconde, elle osa croire qu'il allait les sortir de ce piège. Osa croire que cela n'avait jamais été un piège. Un coup de Danny, oui, peut-être. Un coup de Danny, aidé de son ancien partenaire de jeu. Un coup pour leur faire peur. Bientôt quelqu'un s'écrierait « on vous a bien eus, hein ! » et les renverrait chez eux avec la certitude qu'ils avaient compris la leçon. Pendant une fraction de seconde, elle osa croire tout ça, tout ça et bien plus, sans se l'avouer.
Mais Monsieur Bobby n'eut aucun mouvement vers elle. Il avait les mains chargées de besaces qui semblaient peser le poids du monde et qu'il posa au sol, non loin d'elle.
« J'ai été bien sympa de les garder quelques temps mais là, stop. Basta. Je te les rends », décréta-t-il en tirant sur la fermeture éclair. Il extirpa des sacs des vivariums remplis d'araignées de toutes tailles. « Paloma ne veut rien faire, avec ces trucs-là sous notre toit. Liv' non plus, d'ailleurs. »
Il sourit à Bennett mais elle le remarqua à peine, hypnotisée par les pattes velues qui s'agitaient derrière la vitre à moins d'un mètre d'elle. Elle recommença aussitôt à tirer sur ses liens.
« Tu sais pourquoi on t'a amenée ici, ma jolie ? » Il se retourna, montra Joey de l'index en s'adressant à l'un des hommes de main de son cousin. « Et petite question bonus pour les prix Nobel de la bande : pourquoi est-ce qu'il est là, lui ? »
Son air méprisant ricocha contre la face imperturbable du gorille en costume, qui choisit de garder le silence.
« C'est quand même incroyable. Si on veut qu'un boulot soit bien fait, de nos jours, expliqua Monsieur Bobby à Bennett, il faut fournir un mode d'emploi détaillé en trois langues. Si vous saviez comme je regrette l'époque où il suffisait d'un regard pour que mes gars saisissent où je voulais en venir. Tiens, ton oncle, par exemple. On n'a jamais eu besoin de grandes déclarations pour se comprendre. Un type bien, ton oncle, je ne sais pas si je te l'ai déjà dit. Très doué dans son art, vraiment très doué. Mais revenons-en à toi. »
Il tendit un doigt dans sa direction. Le soleil se reflétait sur la chevalière gravée de ses initiales.
« J'attends une réponse à ma question.
— Je n'ai rien fait de mal. Je n'ai rien fait, insista-t-elle, tâchant de maîtriser les tremblements de sa voix, qui n'ait pas été juste. »
Bobby se recula de quelques centimètres. Il semblait contempler une œuvre d'art abstraite dont le sens lui échappait complètement.
« Oh, ça ! finit-il par s'exclamer. Tu crois que... » Il l'observait presque avec amour. « Tu t'imagines que si on t'a amenée ici, c'est parce qu'hier soir tu as confondu ma maison avec un musée ? » Sa voix était si suave, son regard si dur. « Opération portes ouvertes, pas vrai ? Visite gratuite ! Que tout le monde se serve !
— Cette allégorie n'a aucun sens, marmonna Joey. On n'a pas le droit de se servir, dans un musée.
— Non, en réalité, enchaîna Robert Caan comme s'il n'avait rien entendu, c'est un joyeux hasard de la vie. L'un de ces moments qui la rendent si précieuse, n'est-ce pas ? Ton enlèvement, ma puce, est programmé depuis que la rumeur court que mon cher et tendre Danny-boy s'est mis à causer avec les fédéraux. Pour être honnête, je n'avais pas tellement prévu de m'en mêler. Je me fais vieux, tu sais. Tout ça... ça ne me chatouille plus autant qu'avant, j'me suis rangé depuis belle lurette. Mais quand j'ai vu vos jolis minois, sur mes caméras de sécurité, ... eh bien j'ai écourté mon weekend. »
Il s'amusa de la réaction surprise de Bennett.
« Tu ne t'attendais pas au coup des caméras de sécurité, hein, c'est ça ? Je les ai fait installer récemment, Cousin Bobby m'a convaincu. Il paraît qu'il faut vivre avec son temps. Paloma a une... comment ça s'appelle ? Une application, voilà, merci ! dit-il à l'attention de l'homme au chewing-gum rose. Paloma a une application sur son téléphone qui permet de savoir en temps réel ce qu'il se passe sous mon toit en mon absence. Bon sang, si toutes ces conneries avaient existé, à l'époque, ma carrière aurait été bien différente. Et Danny ne te servirait pas des pâtes gratis, c'est moi qui te le dis. Il se tournerait les pouces sous un pont, dans les bas-fonds de Boston. Peut-être même bien qu'il serait mort depuis un bail. Bref, revenons-en à toi. Il se trouve, vois-tu, que je ne supporte pas qu'on me pille. Ça me donne presque autant de nausées que le ragoût du dimanche de ma grand-mère – paix à son âme –, et elle avait la sale manie de cracher en faisant la cuisine sans regarder où ça atterrissait. Je déteste les voleurs.
— N'est-ce pas sacrément ironique ? intervint de nouveau Joey.
— Il s'arrête de temps en temps de parler, ton Roméo, ou est-ce qu'il faut l'éteindre en frappant un bon coup quelque part comme avec les vieux téléviseurs ? » Sans attendre une réponse, Bobby se leva et se dirigea vers l'un des vivariums. « Ça, c'est l'une des techniques favorites de mon cousin pour convaincre les gens, continua-t-il d'expliquer en soulevant le couvercle. Il est complètement siphonné, mon cousin. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué. Je dois bien reconnaître qu'il lui arrive toutefois d'avoir quelques bonnes idées. »
Il enfila un gant et approcha sa main de l'une des araignées. Cette dernière agita ses huit pattes marron alors qu'il l'attrapait par le centre de gravité. Bennett se mordit les lèvres pour ne pas hurler. Une goutte de sang glissa le long de sa langue.
« Toutes ces bestioles ne sont pas venimeuses et ça, Cousin Bobby le précise bien à chaque fois. C'est une sorte de roulette russe, vous connaissez, la roulette russe ? Vous êtes des petits malins, vous devez connaître. Ce qui est drôle, c'est qu'on se méfie toujours le plus des plus grosses, alors que ça ne veut rien dire. Celle-ci, par exemple. »
Il la secoua dans sa main. Il allait la lâcher. Par inadvertance, il allait la lâcher. Et elle courrait en sa direction.
« Elle est énorme, n'est-ce pas ? Monstrueuse. Mais elle est parfaitement inoffensive. » Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, en direction du vivarium. « Attendez une seconde, est-ce que je ne confondrais pas avec sa copine, là-bas, sous la pierre ? »
Le sourire qu'il réserva à Bennett lui assura que cette question n'était que rhétorique. Il jouait avec ses nerfs ; menait au score.
« Ça ne fonctionnera pas sur elle, lâcha Joey, ce qui interpella Bobby. Elle n'a pas peur des araignées. Si vous posez ce truc sur elle, vous lui rendrez même service. Elle rêverait d'être piquée comme Peter Parker.
— Ah oui ? » Joey mentait. « Et toi, alors ? l'interrogea-t-il en s'avançant vers lui. Que penses-tu donc de ces petites coquines ? »
Il plaça l'animal au-dessus de son crâne, menaçant de l'y faire tomber sans attendre tout en fixant Bennett des yeux. Joey l'observait, lui aussi. Il ne regardait qu'elle. Et puis, sans prévenir, Bobby posa l'insecte sur l'épaule de Joey et le laissa descendre le long de son bras. Elle se mouvait avec lenteur, peu pressée de retrouver la terre ferme. Bennett voyait ses pattes avant se soulever une par une pour tâter ce nouveau terrain qu'était la peau de son meilleur ami. Le garçon serra les dents. Et ferma les yeux. Il se débattait, de toute évidence, contre une folle et furieuse envie de se secouer de tout son être, pour faire fuir le danger. Craignant la morsure, il demeurait stoïque. Bobby récupéra l'araignée de sa main gantée, la reposa sur la cuisse de Joey. Bennett crut bien ressentir elle aussi le contact des pattes à même sa chair.
Alors elle céda.
Elle céda presque trop tard, et beaucoup trop tôt, elle céda dans l'horreur, elle céda dans la honte.
Accepta de mourir un peu, si cela leur permettait de survivre.
« Arrêtez ! Je vous en supplie, arrêtez ! » Des larmes coulaient le long de ses joues. « Je vous dirai où trouver Oncle Danny, si en échange vous laissez Joey tranquille. »
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