Chapitre 22 : Am I a hero now? - 2/3 {Cyrielle}


***

Metzinger les accueillit dans la bibliothèque, les ruines d'un cigare entre les lèvres. La fumée enveloppait son fauteuil d'un nuage toxique, et son front semblait affublé de quelques rides supplémentaires. Les élèves déjà présents avaient laissé une distance de sécurité entre leurs chaises et celle du professeur, craignant le pire. Cyrielle s'installa près des jumeaux Tellington, prête à y faire face. Mais le pire ne se produisit pas. Après quelques secondes d'un silence presque religieux, Metzinger se hissa sur ses deux jambes et se contenta d'exposer l'affaire de long en large comme si c'était la première fois, comme s'ils venaient tout juste d'entrer à l'université, timides mais émerveillés, impatients mais innocents, comme s'il ne s'était rien passé, aucun crime, aucun drame, zéro larme, comme si tout était oublié, effacé, pardonné. Le tout en traversant la pièce sous leurs yeux circonspects.

Ce fut une séance calme, studieuse, pédagogique. Toutes les questions – ou presque – furent accueillies avec clémence, et toutes les idées – ou presque –, écoutées sans malveillance.

« Que les choses soient bien claires, conclut le Professeur lorsque l'heure fut venue de les abandonner à leur sort, à partir de maintenant, la moindre manigance obscure, la moindre petite initiative qui serait moralement discutable, même de loin, vous vaudra à tous une exclusion immédiate. Le tournoi reprend, oui, mais il vous faudra désormais jouer à la loyale ou risquer davantage qu'une humiliation publique. »

Cyrielle perçut la frustration des jumeaux et à plus faible mesure, celle de tous les autres, mais sortit quant à elle de la bibliothèque le cœur un peu plus léger. Elle se rendit aux archives et ne manqua pas de partager avec Hoffmann ce qu'il venait de se passer, tenant à peine en place, exaltée comme une enfant gâtée le matin de son anniversaire.

« C'était tellement instructif, résuma-t-elle une fois calmée, le dos calé contre une étagère, c'était... C'était tout ce que j'espérais trouver ici en postulant.

— Je croyais que tu détestais cette affaire. » Une tête émergea dans l'entrée et brandit deux larges enveloppes qui arrivaient par courrier pour l'archiviste. « Posez ça là-bas, sur mon bureau, je vous prie.

— Oh mais je la déteste toujours, lui confirma Cyrielle, et j'aurais payé cher pour pouvoir travailler sur autre chose, croyez-moi. Mais au moins j'apprends. J'apprends vraiment. Toute cette compétition sordide, ce n'était pas pour moi. Ce n'était pas moi. »

Les larmes lui montaient aux yeux et elle s'éclaircit la gorge pour étouffer le sanglot qui la menaçait. Hoffmann l'observait avec une douceur presque paternelle.

« Je sais », lui souffla-t-il comme s'il n'en avait jamais douté – et peut-être n'en avait-il jamais douté, lui, pauvre fou qu'il était, aveuglé par son affection pour elle et le souvenir de ses propres erreurs de jeunesse –, avant de se diriger vers son bureau, Cyrielle sur ses talons.

Il décacheta une enveloppe, commença à en extraire un document, puis un autre, et en jurant dans sa barbe, attira l'attention de la jeune femme.

« Putain de Jésus Christ, Chorkah, je t'ai pas déjà dit de ne pas poser ta tasse à même le bois ? »

Ses yeux s'étaient fixés sur des marques, sur le meuble, vestiges d'une tasse de chocolat chaud gisant là quelques jours plus tôt. Il avait rabattu la manche de sa veste sur son pouce et s'efforçait de frotter le bureau pour le remettre à neuf. Mais Cyrielle ne l'écoutait plus. Ne le regardait pas davantage. Toute son attention était focalisée sur la photographie qui s'échappait en partie de l'enveloppe abandonnée.

Une photographie qu'elle aurait pu reconnaître entre mille, bien qu'elle se soit évertuée à en éliminer toute trace de sa mémoire. Une photographie signalétique, capturant à tout jamais son visage éreinté, défiguré par la honte et le chagrin, dans les locaux glaçants d'un commissariat français.

« Je reviens, lui indiqua l'archiviste, j'ai de la cire à bois quelque part, dans la réserve. » En remarquant qu'elle était devenue blême, il ajouta : « bon sang, ne fais pas cette tête, ce n'est pas si grave. Tu as déjà fait pire. »

Elle l'observa s'éloigner sans rien dire. Puis bondit sur ses deux jambes, se rapprocha du bureau, écarta doucement l'enveloppe pour découvrir tout ce qu'elle contenait. Un dossier entier la concernant. Signant sa perdition. À la hâte, les mains tremblantes, elle parcourut chaque ligne, s'arrêta sur chaque détail, chaque image. Se replongea avec horreur dans le cauchemar qu'était devenue sa vie ; refusa de pénétrer dans l'enfer à venir.

Hoffmann avait-il déjà tout vu ? Était-ce là l'enveloppe qu'il venait de décacheter, ou celle-ci trônait-elle sur ce meuble depuis un moment déjà ? Cyrielle était incapable de s'en souvenir. Elle n'avait pas fait attention en entrant dans la pièce, n'avait pas su, à ce moment-là, n'aurait pu deviner qu'il lui faudrait rester sur ses gardes, se cramponner de toutes ses forces, qu'était venu le temps de la toute dernière chute.

Avait-il déjà tout vu ? Était-ce cela, le pire qu'il venait de mentionner ? Était-ce une pique, un piège, une plan sordide pour la faire avouer ?

Elle décida que non. Décida que son sort n'était pas scellé, qu'elle pouvait encore se sauver, de nouveau tout effacer. La voix de Hoffman lui parvenait, de plus en plus proche. Il avait trouvé la cire. Elle rangea tout en vitesse et glissa l'enveloppe sous ses propres manuels scolaires. Elle emporterait le dossier avec elle et s'inquièterait plus tard de découvrir qui le lui avait expédié, comment, pourquoi, et si elle était encore en mesure d'éviter que cette personne ne recommence. Elle emporterait tout avec elle. Le dossier, son secret, son avenir.

« Tu t'en vas ? s'étonna l'archiviste. N'en fais pas tout un drame, je ne t'en veux pas. C'est moi qui t'ai autorisé à manger et boire dans cette pièce, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. »

Il plaisantait. Ou plaisantait-il, vraiment ? Pourquoi son ton lui paraissait-il soudain si étrange ? Si froid.

« Non, ce n'est pas à cause de ça, je viens seulement de me souvenir que Laurie m'avait donné rendez-vous ce soir. Je vais être en retard.

— Laurie ? Il m'avait semblé croire que vous n'étiez plus en si bons termes, tous les deux. »

Elle l'évitait toujours, et il avait cessé d'essayer de comprendre pourquoi. Avait cessé de courir après son ombre.

« Tant mieux, je suis content pour vous. Les connexions de ce genre, ça n'arrive pas trente-six fois dans une vie. Allez, file. » Il lui sourit, avant de se rétracter. « Attends, tu oublies quelque chose, ça a dû tomber de tes affaires. »

Un cliché issue du dossier. Qui s'était envolé dans sa panique, et gisait désormais au sol. Hoffmann se pencha pour la ramasser et Cyrielle attrapa le premier objet à sa portée. Une vieille lampe de bureau en bois en forme de fleur. Cyrielle ne constata à quel point elle était massive que lorsqu'elle la souleva de ses doigts hésitants. Mais il était trop tard. Trop tard pour reculer. S'en aller. Tout sauver. Elle s'approcha de Hoffman, déjà en déséquilibre, incliné au-dessus de la photographie, et le frappa à l'arrière du crâne.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top

Tags: