Chapitre 16 : I've been dazed - 1/2 {Cyrielle}
"Won't you carry on?
Help me carry on"
Cyrielle
Ce devait être le matin le plus long de l'Histoire.
Tous les cours avaient été annulés.
Cyrielle montait et descendait les marches de l'escalier, bien loin du vacarme dans le réfectoire. Laurie l'avait abandonnée dès leur arrivée, convoqué de toute urgence dans le bureau du Doyen avec l'ensemble des professeurs. Madeline s'était sauvée direction l'école de théâtre, mais avait fait jurer à Cyrielle de tout lui raconter en détail plus tard, dans la soirée. Georgia avait disparu de la surface de la Terre, elle aussi, sans que Cyrielle ne puisse se rappeler si oui ou non elle l'avait aperçue dans la salle de réception, plus tôt, avec tous les autres. Elle se souvenait très bien, en revanche, du drôle de regard que lui avait jeté MacPherson.
Rien ne se déroulait comme prévu : MacPherson avait presque semblé fier. D'elle ? Son sourire avait marqué au fer rouge la chair de la jeune femme, quelque part sous son sein gauche. Depuis elle ne cessait de secouer la tête pour en effacer le souvenir de cette scène.
Pourquoi cela durait-il aussi longtemps ? La dernière fois, éliminer les Lunas n'avait pas nécessité autant de pourparlers. Cyrielle avait commencé à se ronger les ongles à défaut de pouvoir attaquer à la source les tergiversations qui l'empoisonnaient de l'intérieur.
« C'est un désastre », annonça une voix dans son dos.
Laurie, descendant les marches quatre à quatre.
Il lui attrapa le bras et l'entraîna dans son sillage. Les remous furent si forts qu'à plusieurs reprises elle manqua de boire la tasse.
« Un vrai désastre, répéta-t-il une fois à l'extérieur.
— Qu'est-ce qu'il se passe, qu'est-ce qu'ils ont dit ?
— Ils sont renvoyés. Décision à visée immédiate.
— Qui ? Les Saturnes ? » Il hocha la tête. « Renvoyés de la compétition ?
— Renvoyés de l'université. J'ai essayé de les sauver, je te jure que j'ai essayé. Mais c'est la première fois que... »
Il s'interrompit au milieu d'un soupir. Sa main se posa sur le sommet de son crâne, y martyrisa les mèches noires de ses cheveux.
« Quelqu'un a contacté l'équipe juridique adverse dans la nuit avec un... une espèce de tuyau tombé du ciel. L'affaire sur laquelle les Saturnes travaillaient est rendue caduque par un précédent judiciaire. Tu le crois, ça ? Leur client est furieux, il menace l'université, il parle de poursuites. Je ne sais pas comment ils vont calmer le jeu, c'est... »
Il ne trouvait plus ses mots ; ils étaient pourtant juste là, devant ses yeux, prêts à sortir des lèvres de Cyrielle, brillant seulement pour lui, brûlant d'impatience :
« Du jamais vu.
— Oui, exactement : du jamais vu. Incroyable. Vous aurez fait pire que la promotion 84. »
Son teint perdit de ses couleurs alors qu'il répétait cette dernière phrase comme s'il en saisissait tout juste le sens.
« Que s'est-il passé, en 1984 ?
— Quelqu'un est mort. Une fille, une Vénus. On n'a jamais vraiment su si elle est tombée, ou si elle a été poussée. Mais ça a failli enterrer les fraternités une bonne fois pour toutes, et c'est à cause de ça qu' il n'y a pas eu de tournoi en 1985.
— Tu es sérieux ?
— Oui. Tu n'imagines pas la somme astronomique qui est versée tous les mois aux parents de cette fille pour s'assurer qu'ils se taisent ad vitam aeternam. Mais là, franchement... Félicitations. Vous avez fait pire.
— Je ne suis vraiment pas sûre que ça soit comparable.
— Dans ce cas tu ne comprends rien ! » explosa-t-il.
Elle l'assassina du regard et il s'excusa aussitôt.
« C'est la première fois que les murs sont franchis, conclut-il après un bref et horrible silence. Qu'allons-nous faire s'ils tombent ? »
Son désarroi devenait contagieux. Cyrielle tentait encore de s'expliquer comment la situation lui avait autant échappé. Au beau milieu de la nuit, l'idée ne lui avait pas paru si mauvaise. Bien au contraire. En trouvant l'aiguille dans la botte de foin, ce fameux précédent judiciaire capable d'annuler l'affaire des Saturnes, elle avait exulté. Alors pourquoi lui semblait-il aujourd'hui qu'à défaut d'une aiguille c'était un poignard, qu'elle avait attrapé dans le noir, si fière, si sottement fière, pour l'enfoncer à l'aveugle dans la chair de ses ennemis ? Dans la chair de Laurie.
Laurie qui continuait de marcher sans s'arrêter, sans se calmer, sans lui parler, traçant de grands cercles dans la pelouse.
« Pourquoi sont-ils tous renvoyés ? », lui demanda-t-elle.
Il fallait qu'elle comprenne. Que quelqu'un lui explique où et quand, exactement, le train avait déraillé.
« Qu'est-ce qu'ils ont dit ?
— Eux, pas un mot. Ils maintiennent qu'ils n'y sont pour rien et qu'ils ne savent pas ce qu'il s'est passé. Mais un témoin les a dénoncés et sa parole a beaucoup plus de poids que la leur.
— Un témoin ? répéta-t-elle, incrédule.
— Hoffman. Il certifie avoir aperçu un Saturne aux archives, tard dans la soirée, avec dans les mains le dossier de la fameuse affaire qui fait office de précédent judiciaire. Mais il refuse de donner un nom. »
Hoffman.
Le train n'avait pas déraillé. Il avait explosé dès le coup de sifflet, sans même sortir de la gare. Partout où je passe. Partout où je passe, le chaos. À ce moment-là, elle voulut tout révéler à Laurie. Absolument tout. Mais ses pas l'avaient conduit à un pôle de son cercle, si loin d'elle qu'il ne semblait même plus la voir. Les mains placardées sur ses joues, il répétait en boucle la même phrase :
« Dix expulsions d'un coup. »
***
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