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C'est une journée rayonnante, aujourd'hui. Tous les élèves profitent de ces rares faisceaux de lumières, préférant manger dehors sur l'herbe ou sur les quelques tables mises à disposition. Avec Amelia, nous avons réussi à en attraper une avant qu'il n'y en ai plus. Il ne fait pas aussi bon qu'en Californie, mais je peux au moins retirer ma veste et rester en t-shirt à manches longues sans problème. Instinctivement, je jette un oeil à la ronde pour voir si je croise de nouveau son regard. Depuis ce matin, je cherche Basil où que je sois. Nous nous sommes croisés à plusieurs reprises, et c'est avec plaisir que j'ai constaté qu'il me renvoyait mes regards.
— Il n'est pas là, j'entends Amelia dire.
Je l'interroge du regard, comprenant à son sourire satisfait que je n'ai pas été discrète.
— Monsieur Basil-à-tomber-Leatherwood, il mange toujours du côté du stade.
— Pourquoi tu me dis ça ? je feins, d'un air faussement perplexe.
— Ne fais pas l'innocente, depuis ce matin tu es distraite et tu passes ton temps à regarder autour de toi. C'est pas compliqué de savoir qui tu cherches, vu que dès qu'il est là, tu deviens toute rouge. Si vous aviez pu être seuls, vous vous seriez sûrement jetés l'un sur l'autre.
J'écarquille les yeux.
— C'est faux !
Je vérifie que personne n'écoute aux alentours, avant de lui parler de ce qu'il s'est passé la veille.
— Hier, après le lycée, je suis allé courir derrière chez moi. J'ai fini par tomber sur lui quand il commençait à faire nuit, alors il m'a proposé de me ramener. Et une fois arrivés chez moi, c'est devenu bizarre. J'avais super chaud, je n'arrivais plus à respirer, je n'arrivais même plus à parler correctement.
Amelia sourit, visiblement amusée par mon histoire.
— C'est l'effet qu'il produit sur toutes les filles, me dit-elle. Lui et ses copains, ils font tous cet effet-là aux filles. J'en ai fais l'expérience avec Noah. Il y en a qui en profitent pour s'amuser, et d'autres comme ton Basil, qui n'ont pas une longue liste de conquêtes. C'est rare qu'il s'intéresse à une fille.
Après la pause de midi, je me dirige vers les vestiaires pour mettre ma tenue de sport. Je suis excitée d'enfin pouvoir montrer mes talents. Dans la famille, nous avons toujours été doués en sport, plus que les autres. Plus rapide, plus forts, avec de meilleurs réflexes. Tous les professeurs que j'ai eu m'ont toujours posés des questions sur mes antécédents, curieux de savoir pourquoi j'étais dotée de telles capacités. Je suis montée sur ressorts aujourd'hui. Nous nous retrouvons tous à l'extérieur, près du stade, où le professeur nous attend tout sourire. Avec ses cheveux blonds attachés en chignon et son tatouage apparent, il à l'air tout droit sorti d'Hawaï.
— Bonjour à tous ! s'exclame-t-il, visiblement d'excellente humeur. Il fait un temps magnifique aujourd'hui, alors j'ai décidé d'en profiter un peu. On va faire un exercice un peu particulier. J'ai fais plusieurs équipes de niveaux équivalents, et vous allez vous affronter dans une course équipés de ces petits jouets.
Il se penche et sort un fusil du sac posé à ses pieds. Il positionne l'arme contre son épaule et vise. Plusieurs personnes s'écartent devant moi, mais aucune balle de peinture ne sort.
— Ce sont des fusils équipés de pointeurs lasers à détection.
Il attrape autre chose dans le sac. Ça ressemble à une sorte d'épaulière. Il l'enfile sur sa propre épaule, étape par étape, pour au final confirmer mon hypothèse. L'épaulière descend en fines bandes de tissus jusqu'à sa main, où plusieurs fils se relient à l'arme. Lorsqu'il accroche le dernier fil, l'arme clignote à trois reprises avant de se fixer en vert.
— Ce petit bijou-là, est une épaulière dotée de capteurs. Elle va repérer les lasers sur votre corps, et désactiver votre arme dès lors que vous serez touchés. Les LED sur le côté changent de couleur en fonction de votre équipe. Il y a vert, bleu, rouge, jaune et blanc. Vous vous affronterez sur une zone délimitée dans les bois derrière. Le but n'est pas uniquement de dégommer tous les adversaires, ça serait trop simple sinon. Vous aurez un point à atteindre. Dès que vous l'aurez atteint, votre équipe sera immunisée. Alors à vous de choisir quelle stratégie vous allez adopter.
Tous les élèves trépignent d'impatience, excités par l'activité surprise. Le professeur appelle les équipes l'une après l'autre. Je suis dans l'équipe rouge avec quatre garçons, dont le fameux Noah - un garçon au teint d'albâtre aux cheveux noirs et aux yeux gris avec une cicatrice qui traverse sa pommette gauche - et une fille. Basil est dans l'équipe bleu. On se suit tous en direction de la forêt qui borde le lycée. Chacun enfile son épaulière, plus ou moins vite, et s'extasie dès que la couleur de son équipe apparaît sur son arme. Le rouge sur le fusil noir, ça rend plutôt bien.
Avec Noah, Tom, Ethan, Paul et Andréa, on s'éloigne des autres pour réfléchir à une tactique. La partie la plus difficile de l'exercice commence : se mettre d'accord. Deux des garçons insistent pour qu'on court sans but et qu'on tue tous ceux qu'on croise. Andrea et un autre garçon préfèrent qu'on reste à couvert, en attendant qu'ils se tuent presque tous avant de rejoindre le point. Enfin, je propose qu'on s'allie avec une autre équipe, en l'occurrence les bleus, pour éliminer plus facilement les autres avant de s'occuper de nos alliés. Le débat part sur le « après » avoir éliminé les autres équipes, et on se met d'accord pour des équipes de deux rouges et deux bleus dans un affrontement en duo. Manque plus qu'à les convaincre eux. Finalement, ils acceptent, ravis et avec sûrement une idée derrière la tête. On évalue nos forces pour équilibrer les duos et quatuors. Noah insiste pour être avec moi, proclamant que je suis une fille donc moins forte, et de plus nouvelle, donc que je ne connais pas les environs. Il me prend pour un poids. Basil esquisse un petit sourire, et assure à Noah que c'est plus équitable pour les bleus s'il vient dans notre groupe pour le final.
Nous sommes répartis par le professeur aux quatre coins de la zone, et il nous ordonne d'attendre treize heures trente pile pour commencer. L'attente est interminable, mais l'adrénaline à la demi est exquise. Sans un mot, nous nous élançons tous les six dans les bois. Noah et moi nous dirigeons vers le Nord dans le plus grand des silences. On s'accroupit, nous cachons derrière les arbres et buissons, et éliminons les premiers joueurs sur lesquels on tombe. Il siffle un coup sec puis attend, aux aguets. Un sifflement lui répond quelques instants plus tard. Il me fait signe de le suivre, et on aperçoit Basil et une blonde élancée en face.
— Deux jaunes, reporte Noah en chuchotant. Un chacun, il ajoute en me désignant du menton.
— Un vert, un blanc, seul.
Quel arrogant. Pour ne pas se faire tuer dans le dos par l'autre équipe, on échange de partenaire. On avance doucement vers le point, s'accroupissant la plupart du temps pour ne pas se faire repérer. Une compétition s'installe entre nous, à qui tuera le plus d'adversaire. Les garçons sont étonnés de mes capacités, je les devance. La fin du jeu approche peu à peu, et la tension monte. Qui tirera le premier sur l'autre ? On continue de parcourir la zone, mais ça fait trop de temps qu'on n'a croisé aucun autre joueur. J'échange un regard avec Noah, et on décide de se séparer. Chacun son combat. Basil et moi on s'écarte sur la droite, et eux sur la gauche. Alors que le silence devient de plus en plus lourd, Basil le brise.
— Si tu prévois de me tirer dessus, je te conseille d'être rapide.
— Tu me sous-estimes un peu je trouve.
Nos regards se croisent et ne se lâchent plus. Un demi sourire fend son visage, embrasant ses iris noires. Il avance pas à pas vers moi, ses yeux toujours rivés aux miens. Instinctivement je recule, un pied après l'autre, jusqu'à ce que la terre s'affaisse sous mon poids, et que je glisse en arrière dans un trou de trois fois ma taille. J'inspire d'un coup en écarquillant les yeux, levant les mains en appel à l'aide silencieux. Alors que je sens mon corps chuter dans le vide, Basil m'attrape la main et me retiens. Son sourire le trahit. Il lève son arme sur mon buste. Il savait. Il a profité de l'effet qu'il a sur moi pour me prendre au piège. Quel enfoiré ! Je ne me laisse pas abattre et pointe également mon arme sur lui pour qu'on soit à égalité, puis je tire sur son bras de toutes mes forces pour me remonter sur la terre ferme. Il ne bouge pas d'un poil malgré la traction sur son bras. Sacrés appuis. On est à moins d'un mètre de distance, nos armes touchent presque nos bustes l'un l'autre. Mon cerveau analyse toutes les options qu'il a en quelques secondes. J'ai confiance en mes capacités, j'ai toujours été plus forte que quiconque.
D'un coup, je m'accroupis en tournant pour faucher ses jambes et m'agenouiller au-dessus de lui, l'arme parée. Mais alors que je m'apprête à tirer, il me balance son pied dans le buste. Le coup me projette en arrière et me coupe le souffle. J'atterris durement sur les fesses. J'ai à peine le temps de contrôler la douleur, que son genoux cogne mon sternum et me plaque au sol. Vexée, je fronce les sourcils et décide de sortir les grands moyens. Je n'aime pas perdre. Je fais pivoter mon arme et lui assène un coup de crosse dans la gorge. Il tombe à son tour en arrière, le souffle coupé. J'en profite pour reprendre des appuis fermes et tire une première fois. Basil est encore un peu secoué, mais il a assez de réflexes pour se pencher sur le côté. Loupé. J'essai un deuxième, mais il roule et pointe son arme sur moi. Ça sera au plus rapide alors. On tire tous les deux. Nos armes s'éteignent en même temps. Un rire incontrôlable s'échappe de mes lèvres. Basil se joint à moi en se laissant tomber par terre.
— Bravo, tu m'as épaté, il me félicite.
— Ravie de vous avoir diverti Monsieur Leatherwood.
Je me mords la lèvre dès que j'ai prononcé son nom. Basil se redresse, un sourcil haussé.
— Tu as fais des petites recherches je vois, s'amuse-t-il.
— Je ... l'ai lu sur la feuille du prof tout à l'heure.
Je suis une menteuse pitoyable. Il élargit son sourire et se relève, avant de me tendre la main pour m'aider.
— Un jour il faudra que je t'apprenne à mentir. D'ailleurs, où tu as appris à te battre comme ça ? Le coup dans la gorge c'était pas joli pour une fille.
Un demi-sourire emplit de fierté étire mes lèvres.
— Ma famille. Mon père et mes frères sont un peu sur-protecteurs.
— Ils travaillent dans quoi tu m'as dit ?
— Une entreprise forestière.
Ses sourcils se froncent furtivement.
— Et ça marche bien ?
— Ça a toujours bien marché, où qu'on soit. Mais en ce moment ils sont tendus. Je ne sais pas si le boulot, ou autre chose aussi. À cause de leur humeur, je m'en suis prise plein les dents hier soir en rentrant.
— À cause de moi ?
— Oui, mais pas seulement je pense. Le fait que je rentre tard avec un inconnu, ça n'a pas aidé disons.
— Et tu sais à cause de quoi ils sont tendus ?
Est-ce que je lui parle de mes doutes ou pas ? Certes c'est personnel et je le connais à peine, mais je n'ai plus personne à qui parler. Avec leur attitude ils se sont éloignés et je me sens plus seule que jamais. On a une histoire assez compliquée, et leurs secrets n'arrangent rien. Mais j'en ai assez de me prendre la tête avec tout ça. J'ai besoin de me vider un peu l'esprit. L'éclat de rire de tout à l'heure m'a fait du bien, ça faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi légère.
— Je suis sûre qu'ils me cachent quelque chose, je lui avoue.
Basil tend l'oreille.
— Ça fait quelque temps qu'ils sont de plus en plus négligents, et j'ai remarqué plein de détails. Ils partent à des heures insensées pour soit-disant leur travail, puis reviennent plein de boue ou parfois de sang.
J'observe sa réaction au cas où, mais il est concentré et attend la suite, pas le moins du monde effrayé.
— Hier soir je les ai surpris à rentrer à presque cinq heures du matin. J'ai entendu leur conversation et j'avoue que je n'ai pas tout compris.
— Qu'est-ce qu'ils ont dit ? demande-t-il quand même.
— Ils parlaient de cette ville. De quelque chose de dangereux qui pourrait se trouver dans les bois, qu'il y en a toute une invasion, que ça en est infesté.
La mâchoire de Basil se contracte frénétiquement.
— Tout va bien ? je m'inquiète en voyant son air contrarié.
— Oui ! Oui pardon excuse-moi, c'est que je vais souvent dans les bois, alors ça m'inquiète de savoir qu'il peut y avoir du danger.
Il ment, je le sens. Son pouls bat plus vite qu'à la normale, ses pupilles sont dilatées et ses muscles tendus.
— Il a quoi comme entreprise ton père ?
— Je ne sais pas exactement, il en dit le moins possible et coupe court quand je pose des questions.
— Et tu n'as jamais cherché à en savoir plus ?
— Si, mais je ne peux pas les forcer à m'en parler, je me défends.
— Non, mais tu peux les suivre quand ils sortent.
Je dévisage Basil, et son petit sourire en coin m'indique qu'il a une idée derrière la tête.
— Ça te dit une sortie nocturne ce soir ? il me propose avec son regard de braise.
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