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— Où tu étais ? crache-t-il.
J'inspire un grand coup pour parler clairement, sinon il s'énervera encore plus.
— Je suis allé courir, et il s'est fait tard alors ce garçon du lycée m'a ramené en voiture, c'était plus sûr que les bois.
J'expire longuement. Ses yeux vont et viennent, me toisant prudemment. Puis il se recule dans l'encadrement, signe que je dois rentrer. Je m'exécute et fonce droit dans la cuisine.
— Depuis quand tu laisses des inconnus te ramener chez toi ? s'exclame mon père en déboulant derrière moi.
— Ça restera des inconnus tant qu'on ne prendra pas la peine de les connaître, je rétorque, l'air mauvais.
— Et tu crois qu'apprendre à connaître quelqu'un le soir dans sa voiture c'est une bonne idée ? intervint Jay, bras croisés sur son torse.
Je les regarde tour à tour, furieuse. Ils me prennent pour une gosse de douze ans incapable de prendre une décision censée.
— Je vous rappelle que vous m'avez appris le close combat tous les trois ! Et je me débrouillais plutôt bien si mes souvenirs sont exacts. Et puis de toute manière, si quelqu'un cherchait vraiment à me faire du mal, il y arriverait très bien ici pendant toutes ces heures où vous vous absentez pour Dieu sait quelle raison !
— Tu sais très bien que c'est pour le boulot, réplique Aiden.
Je frappe violemment la table du plat de la main.
— Arrêtez de me prendre pour une idiote !
Ils restent tous trois figés par la surprise.
— Vous revenez tâchés de sang ! Rien à avoir avec le travail ! Vous êtes une entreprise de travaux forestiers, pas dans la boucherie ! Il faut arrêter de me prendre pour une enfant.
— Et tu crois qu'on fait quoi là-dehors tous les jours ? m'interroge Jay en s'approchant de moi l'air amer. Tu crois qu'on s'amuse à gambader dans les bois et à tirer sur tout ce qui bouge ?
— Je ne sais pas. Et si vous me disiez la vérité, pour changer ?
— Ça suffit ! On mange.
Mon père clôt le débat en sifflant, premier avertissement avant la sanction. Jay et moi nous affrontons toujours du regard, aucun de nous n'est prêt à battre en retraite. Le repas se passe en silence.
J'ai laissé les fenêtres ouvertes pour laisser passer l'air. L'odeur de la pluie me détend. Affalée sur le lit, écouteurs aux oreilles, je relis les cours du jour. Mais mon esprit est trop dispersé pour se concentrer. Je repense à la dispute avec ma famille. Ils me cachent quelque chose, je le sais. Aujourd'hui je n'étais pas là à leur arrivée, donc ils ont eu le temps d'effacer toutes les traces, mais je verrai ça les prochains jours. Quoique, maintenant que j'ai ouvert la bouche ils feront peut-être plus attention, mais au moins ils ont comprit que je suis au courant de leurs petites cachotteries. Je ne compte pas lâcher le morceau. Je fais quand même parti de cette famille, alors que ça concerne l'entreprise ou une activité extra-scolaire, je veux savoir ce qu'il se passe. Sinon autant que j'aille vivre seule ailleurs, ça reviendra au même. Mais ce qui occupe principalement mes pensées, c'est ma rencontre dans les bois. Basil. Je n'ai qu'une envie, le revoir. C'est la première fois que je me sens aussi connectée à quelqu'un, il dégageait une aura envoûtante de charisme et de séduction. Tout mon corps réagit au souvenir de ce garçon. Ses yeux, si sombres, restent imprimés dans ma tête. Il m'attire comme un aimant. J'ai envie d'en savoir plus sur lui. Mais mon caractère d'introverti s'affole dès lors que je m'imagine aller à sa rencontre demain. La faute à qui si je n'aime pas les inconnus.
Cette nuit-là, je rêve de deux yeux noirs dans une forêt sombre et brumeuse. La silhouette aux yeux noirs s'avance doucement avant de se jeter sur moi, me recouvrant de toute son obscurité. Je me réveille d'un bond. Mes bras sont gelés. Du coin de l'oeil, je remarque que j'ai oublié de refermer la fenêtre hier soir. J'ai le corps encore tout engourdi, il doit être tôt. Trop tôt pour se lever. J'appuie sur mon téléphone. 04h57. Ma tête tombe lourdement sur le coussin moelleux, il me reste encore quelques heures de sommeil. Je ferme les yeux, prête à me rendormir. Mais un bruit dans la maison m'alerte. Je tends l'oreille. Des voix s'élèvent du rez-de-chaussée. J'y crois pas. Je dégage mes jambes du lit, et m'avance à pas de loups jusqu'à la porte. Sans faire de bruit, j'ouvre la porte pour mieux entendre.
— On se rapproche d'eux, je le sens. Il faut devenir plus prudents, on n'en a jamais eu autant. Cette ville en est infestée.
C'est Jay. Infestée de quoi ? Pourquoi ils sont sortis aussi tard ?
— Comment tu as su qu'on choperait le gros lot ici ? demande Aiden.
— Des ouïe-dire, réplique brièvement mon père.
Son ton est sans appel, il n'en dira pas plus. Personne ne parle pendant un court instant, j'ai peur qu'ils m'aient entendus, mais ils reprennent à parler.
— Il va falloir qu'on lui dise, ça devient dangereux.
C'est Aiden. Il parle de moi ?
— Non ! C'est trop tôt ! s'exclame mon père. Rappelles toi comment tu l'as vécu à tes dix-huit ans.
— Papa, elle à dix-sept ans ! Et quand tu nous l'as dit, on n'était pas dans une ville blindée de ces saletés comme ici ! Regarde ce soir ! Elle est sorti dans les bois, elle aurait pu tomber sur l'un d'eux.
Le silence qui suit est lourd. Je veux connaître sa réponse, mais rien ne vient.
— Nettoyez tout et allez vous coucher, leur ordonne-t-il.
L'escalier en bois craque sous leurs pas. Je m'empresse de refermer la porte et m'élance sur le lit. Heureusement qu'il est moelleux. Je rebondis, puis me glisse sous les draps en une fraction de seconde. Quelques instants après, je les entends passer devant la chambre. Pleins de questions se bousculent dans ma tête. Alors ils me cachent vraiment quelque chose d'important. Ça n'a pas l'air d'être en rapport avec leur travail. Ils parlent d'une invasion de... saletés, surtout dans cette ville. Je ne comprends pas. Ça à l'air dangereux, et mes frères l'auraient vécus difficilement. Et, dans les bois ? Quel est le rapport avec les bois ? Il y aurait des animaux dangereux qui s'y promènent ? Trop de questions et pas assez de réponses. Je suis trop fatiguée pour réfléchir, je préfère me recoucher et penser à tout ça demain.
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