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Cette journée a été interminable. Les professeurs se sont tous levés du pied gauche visiblement. Amelia n'a rien pu me rendre de concret, juste quelques mots. Elle m'a dit qu'il s'agissait de haut allemand, même dans les pages récentes. À quinze heures, elle a insisté pour m'accompagner à Portland. N'ayant pas le temps de négocier, j'ai accepté.

Une fois arrivées à l'université, on trouve rapidement un panneau d'indication, et nous rendons au département des langues et littératures internationales. Il nous reste dix minutes avant la fin du cours.

— Pourquoi tu n'as pas demandé à ton père pour le livre ? me demande soudain Amelia alors que nous nous asseyons contre le mur adjacent à la salle de cours.

— Parce-qu'il me cache des choses. Et ce bouquin en fait parti.

Elle doit voir mon visage se fermer, car elle me prend la main.

— Je suis désolé d'avoir été absente ces derniers jours, mais je n'ai pas besoin de te dire que si tu as besoin de parler, tu peux compter sur moi, hein ?

J'esquisse un sourire en coin en hochant la tête. Son regard insistant m'indique qu'elle attend. J'inspire profondément, et espère ne pas regretter de la mettre elle aussi au courant.

— Il se passe des choses dans cette ville. Et mon père et mes frères en font parti. Ça fait un moment que j'ai capté leur petit manège, mais c'est devenu plus intense depuis qu'on est arrivés ici.

Amelia est toute ouïe.

— Je les ai suivis avec Basil un soir, on a découvert qu'ils chassaient des canidés bien trop grands pour être normaux. On n'a pas vu les bêtes, mais une empreinte plus grande que ma main. Ils ont des conversations étranges et ils ne veulent pas me mettre dans la confidence. Mais de ce que j'ai compris, cette activité nocturne fait parti de mon patrimoine. Le plus bizarre dans tout ça, c'est qu'il y a un lien avec la famille de Basil. Le soir où j'étais chez lui, j'ai trouvé un livre comme celui-ci, où le nom Jäger apparaissait partout. Je ne suis pas calée en allemand, mais ça a la même racine. Donc il me cache aussi des choses.

Mon amie paraît réfléchir à toute vitesse.

— Il faudrait mettre la main sur le livre de sa famille, me lance-t-elle.

— Et comment ? Je ne peux pas me pointer chez lui et le lui demander gentiment. Ça n'a pas l'air d'être un livre qu'on prête volontiers.

Nous sommes coupées par la porte de l'amphithéâtre qui s'ouvre sur une colonie d'élèves. Je me dépêche de me frayer un chemin à contre-sens, et parviens à atteindre l'estrade où se trouve le professeur avant qu'il n'ait rangé toutes ses affaires.

— Monsieur Menke ! je m'exclame en trottinant vers l'homme aux cheveux blonds cendrés et à la petite moustache.

Il relève la tête et me sourit, repoussant une mèche à l'écart de ses yeux.

— Bonjour, est-ce que vous auriez un peu de temps à m'accorder ?

— De quoi s'agit-il ?

Je sors le livre de mon sac et le lui tends. Son regard interloqué survole la couverture du livre.

— J'aurai voulu que vous m'aidiez à traduire ce livre, dis-je simplement.

Il attrape le bouquin avec prudence et se réinstalle à son bureau. Il enfile une paire de lunettes rondes, et se penche sur les premières pages. Il fronce les sourcils et relève ses yeux chocolats sur moi.

— Où avez-vous eu un tel ouvrage ? demande-t-il d'un ton presque accusateur.

— Il est dans la famille depuis un bout de temps visiblement.

— Mademoiselle, ce livre est une véritable relique.

— J'ai cru comprendre oui, mais je dois absolument savoir ce qu'il y a écrit dedans.

L'homme jette un oeil à sa montre et pince les lèvres.

— Écoutez, j'ai une réunion dans dix minutes. Mais je vais me libérer après ça. Attendez-moi au Blend Coffee, j'y serai vers dix-sept heures.

J'opine et rejoins Amelia qui discute avec un étudiant aux yeux baladeurs. Elle lui fait un petit signe de la main lorsqu'il s'éloigne d'elle, puis tourne enfin son regard brillant vers moi.

— Il s'appelle Brett, et il étudie la criminologie depuis deux ans, m'informe-t-elle avec fierté.

— Alors il est deux ans trop vieux pour toi, je lui réplique, moqueuse.

On prend notre temps pour rejoindre le café dans lequel le professeur Menke nous a donné rendez-vous, flânant dans les rues et léchant les vitrines les plus chics de la ville. Puis on décide d'aller au café un peu à l'avance au cas où ; je choisis une table à l'écart. C'est un endroit simple aux murs en béton brut habillés d'une crédence en bois, il y a à peine dix tables en bois aux fauteuils noirs, et une grande ardoise avec toutes les boissons proposées. Je commande leur spécialité au miel et à la cannelle, et Amelia se prend un thé matcha. J'ai le temps de grimacer en goûtant leur mélange trop sucré de café, lait moussé, miel, cannelle et Dieu sait quoi d'autre, que le professeur arrive. Je pousse le mug de côté, lui laisse le temps de se commander un double expresso, avant de poser le livre sur la table. Il sort son ordi et un cahier puis se penche dessus.

On y passe toute la fin de journée, et c'est à peine si on a fait un tiers du livre. Le professeur et Amelia sont comme des enfants devant ce bouquin, débattant des infimes différences de traduction, me demandant s'il peut s'agir de ceci ou cela. Mais ma première impression s'avère vraie, ça parle de chasse. Nous ne réussissons pas à traduire toutes les pages, certaines étant un peu effacées par le temps. Mais à la fin, le professeur me laisse ses notes en repartant, me permettant de cogiter un peu au sujet du bouquin et de ce qu'il implique. Amelia ne me pose pas de questions, mais je vois bien que son cerveau chauffe. Il y a de quoi, nous avons parlé pendant plus de deux heures de chasseurs, de monstres, d'hommes-loups. Mais moi je suis toujours sceptique face à ces révélations. Des hommes-loups ? Je ne veux pas le croire. Les loups-garous ne peuvent pas exister. Ce livre doit être un conte pour effrayer les enfants. Pourtant, quand je mets bout à bout les indices, cela devient plus plausible. Les empreintes géantes peuvent correspondre, le fait de parler de pleine lune aussi, que les garçons reviennent tâchés de sang et qu'ils aient eu du mal à accepter la réalité. Une boule se forme dans ma gorge.

Après avoir déposé Amelia chez elle, je roule par automatisme jusqu'à la maison. Comment ça peut être réel ? Ce n'est que mythes et folklores pour moi. J'ai vu tous ces films d'horreur ou d'ados, mais rien de réaliste. Et puis quoi encore ? Les vampires ? Les sorcières ? Non, c'est complètement absurde. Mais j'ai beau me convaincre que c'est faux, mon cerveau à fait tous les liens pour que la vérité me hante. Seules les paroles de mon père pourront me convaincre. Il n'y a que lui qui puisse me donner une explication.

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