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Cela fait plus d'une semaine que j'ai passé la nuit chez Basil. Je ne lui ai pas parlé de ma petite escapade nocturne, et visiblement il ne le sait pas puisqu'il ne m'a rien dit. Malgré des petites recherches, le mot inscrit sur la couverture n'a rien donné. J'ai essayé de faire détecter la langue par Google, mais elle reste inconnue au bataillon. Je n'ai malheureusement aucune connaissance en allemand, et je ne peux pas demander à mon père car il poserait beaucoup trop de questions. J'aurai bien demandé à Amelia, la compétitrice toutes catégories confondues en ce qui concerne la connaissance, mais elle n'est pas sortie de chez elle depuis le samedi de Portland. En bonne amie, j'ai pris de ses nouvelles et lui ai noté tous les cours et devoirs, mais sa réaction est excessive alors je me pose un peu des questions. Quoiqu'il en soit, j'ai d'autres chats à fouetter. Ses états-d'âmes ne sont pas mon problème majeur, je dois d'abord régler mes propres problèmes.
Les garçons sont de nouveau en chantier à partir d'aujourd'hui, je vais donc pouvoir fouiller leurs affaires en toute tranquillité. Et au vu de ce que j'ai découvert chez lui, mon partenaire de crime va rester à l'écart de mes investigations. Il en sait plus que ce qu'il dit, je le sens. Trop de détails m'ont sautés aux yeux dans ce vieux livre que j'ai trouvé. Je n'y connais rien à l'allemand, mais Jäger sonne comme mon nom, et il est apparu à de nombreuses reprises sur les pages que j'ai feuilleté. J'évite de justesse une voiture qui recule, et rejoins ma voiture au fond du parking. Le ciel est chargé depuis quelques jours, le temps est plus froid. Il va sûrement bientôt neiger. Comme à mon habitude, je fais d'abord un arrêt chez Amelia pour lui apporter les cours. Étonnement, lorsque je frappe à la porte, c'est Amelia elle-même qui vient m'ouvrir.
— Amelia ! Comment tu vas ? je m'exclame en la prenant dans mes bras.
Mon amie paraît surprise de mon engouement soudain, mais je suis réellement heureuse de la revoir après plus d'une semaine.
— Je te remercie pour tout ce que tu as fais, et je suis désolée d'avoir été ... parano, s'excuse-t-elle.
Ses longs cheveux roux sont toujours parfaitement coiffés, mais des cernes violettes creusent sa peau de porcelaine. Elle me fait entrer dans son manoir et m'amène dans la cuisine, survolant le carrelage froid tel un ange, vêtue de son long peignoir en soie et dentelle noir.
— Qu'est-ce que tu bois ?
— Un café s'il-te-plaît.
Elle me sourit, puis sort une tasse qu'elle place sous la buse de la machine à café.
— Alors, qu'est-ce que j'ai raté ? demande-t-elle en s'appuyant sur le plan de travail en bois.
Je lui donne quelques nouvelles du lycée, mais l'info que j'ai vraiment envie de partager, je ne peux pas le lui dire. Quand je lui annonce pour le feu de camp et la nuit chez Basil, ses yeux bruns pétillent d'excitation. Elle essai de me faire avouer un quelconque plaisir coupable, mais étant donné que nous sommes restés sages toute la nuit, elle se met à bouder.
— Comment ça se fait que deux êtres superbes comme vous, restiez les mains dans vos poches en étant dans le même lit toute une nuit ?! s'indigne-t-elle en roulant des yeux.
— Tout simplement parce-qu'on n'est pas des bêtes sauvages assoiffées de sexe, je lui réplique d'un sourire malicieux.
Elle explose de rire. Je termine mon café, lui donne les cours et devoirs, puis l'enlace une nouvelle fois avant de reprendre la route. La maison est de nouveau vide pour quelques heures. Je n'ai pas beaucoup de temps devant moi pour trouver des indices. Je décide donc d'attaquer sans plus attendre, et me dirige droit vers le bureau de mon père. J'enjambe quelques cartons ouverts, et m'avance pour jeter un oeil aux papiers laissés en plan sur le bureau en acajou. Rien que des papiers professionnels. Je m'assieds sur le fauteuil en cuir et soupire. Par où commencer ? Cette maison est trop grande pour que je puisse la fouiller intégralement en quelques heures, il va falloir que je procède méthodiquement. Les lieux les plus pertinents d'abord, et ensuite je verrai pour les éventuelles cachettes. Je gonfle ma poitrine, et me mets enfin au travail. Je trie les cartons, ouvre les tiroirs de gré ou de force, inspecte toutes les étagères et bibliothèques du bureau, mais ressors bredouille. Sans perdre de mon aplomb, je me dirige vers la chambre de mon père.
Les fenêtres ouvertes laissent entrer un courant d'air agréable, quoique frais. Les draps blancs sont tirés au pied du lit, et les oreillers étendus au bord de la fenêtre. Une douce odeur de cannelle, mélangée au tabac et au vieux cuir, me titille les narines. Des vêtements sales sont posés sur un rocking-chair foncé. Je fronce les narines. Il ne pourrait pas les mettre au sale ? Je secoue la tête et me re-concentre. Son placard ouvert ne laisse rien dépasser, mais je décide quand même de vérifier. La plupart de ses vêtements sont sous housse, je les ouvre les unes après les autres et fouille chaque recoins. Je passe à l'étagère du haut en tâtonnant, perchée sur le bout de mes orteils. De l'extrémité des doigts, je touche quelque chose de dur. Intriguée, je m'étire encore plus pour essayer de le ramener vers moi, me servant de mes ongles pour l'agripper. Après avoir bataillé pendant de longues secondes, je parviens finalement à tirer l'objet assez près du bord, afin de pouvoir l'attraper à pleines mains. Il s'agit d'un livre aussi ancien que celui trouvé chez Basil. Le titre est également en germanique. Je grimace, mais je peux toujours essayer de traduire. Je copie le titre sur mon portable, mais rien n'y fait, la langue doit être trop ancienne et ne peut pas être traduite par internet. Tant pis, je dois aller voir Amelia. J'envoi un message aux garçons pour leur dire que je rentrerai sûrement tard, prends mes affaires ainsi que le livre, puis repars chez mon amie.
La nuit est tombée depuis un moment quand je toque à la porte des Lewis. C'est sa mère qui m'ouvre. Ses yeux bleus turquoises me toisent d'un air surpris. Elle a les mêmes cheveux de feu que sa fille, tout aussi impeccables et brillants.
— Théa ? Amelia ne m'a pas prévenue de ta visite, s'excuse-t-elle.
— Non Madame Lewis, c'est moi qui ne l'ai pas prévenue. J'ai une question urgente à lui poser à propos d'un devoir pour demain.
Mes compétences en matière de mensonge s'améliorent de jour en jour. Elle se pousse sur le côté et m'indique qu'Amelia se trouve dans sa chambre. Je la remercie et enjambe les escaliers deux par deux, dorénavant habituée au palace qui lui sert de lieu de vie. La porte de sa chambre est entrebâillée. Amelia est assise en tailleur sur son lit à baldaquin, les yeux fermés et les mains retournées sur ses genoux. Mon instinct me dit de ne pas bouger. La pièce est éclairée seulement par quelques bougies qui trônent sur ses tables de chevet. Le silence qui règne est inconfortable. Je ne devrais pas l'espionner comme ça. Gênée, je rebrousse chemin jusqu'au bout du couloir, et la hèle en feignant de débarquer à l'instant. Je la vois ouvrir les yeux d'un coup, paniquée. Elle ferme un livre à ses pieds que je n'avais pas vu, puis se redresse en vitesse pour venir allumer les lumières.
— Théa ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? s'étonne-t-elle, les joues rouges et les pupilles dilatées.
J'arrive une fois encore au niveau de sa porte, et je peux sentir l'encens qui flotte dans l'air.
— Je ... je méditais, explique-t-elle, ça m'aide à me concentrer pour réviser, tout ça.
J'hoche la tête. C'est la première fois que je la vois faire ça, mais je ne dis rien. Elle dissimule habilement le volume qu'elle lisait, et m'interroge du regard.
— J'ai un service à te demander, dis-je d'un ton sérieux.
Elle fronce les sourcils, plus attentive. Je lui tends le bouquin de mon père.
— J'ai besoin que tu m'aides à traduire ça. C'est trop ancien pour qu'internet m'aide.
Elle attrape le livre avec émerveillement. Ses yeux écarquillés crient toutes les questions qui lui traversent l'esprit. Mon amie se presse vers son bureau et s'y installe confortablement.
— Théa ... ce livre ... il doit valoir une fortune ! Il date au moins du XVième siècle, voir même encore plus ancien !
À mesure qu'elle tourne les pages, son ahurissement s'accroît.
— On dirait qu'il a traversé les siècles. Quand on compare les écritures, les dessins et ornements du début et de la fin, ce n'est plus du tout la même époque. À la fin, c'est même très récent ! Il a à peine quelques décennies. Mais en revanche au début, il pourrait dater de l'apparition des écrits que ça ne m'étonnerait pas.
Elle semble fascinée.
— Théa, où tu as eu ça ?
Cette fois-ci, aucun mensonge ne passera, son ton est sans appel. Je ne pensais pas que ce bouquin serait aussi exceptionnel, je me disais que c'était juste un livre de famille.
— Je l'ai trouvé dans les affaires de mon père.
— Merde mais tu te rends compte de la valeur qu'il a ?! Il retrace l'évolution de l'art et du langage à travers les siècles ! C'est un livre de famille ?
— J'en ai l'impression. C'est pour ça que j'ai besoin de ton aide, je dois découvrir ce qu'il y a dedans, dis-je en m'appuyant sur son bureau.
Amelia secoue la tête en se frottant les tempes.
— Je veux bien t'aider, mais mes compétences ont des limites. La plupart des pages sont beaucoup trop anciennes pour moi. Tu devrais aller voir des professeurs à l'Université de Portland. Ils te paieraient pour l'avoir entre les mains.
J'hoche la tête. C'est une bonne idée, j'irai les voir demain après les cours.
— Il n'y a pas quelque chose que tu peux traduire en attendant, pour me donner une idée de ce que c'est ? j'insiste en l'implorant du regard.
Mon amie soupire mais hoche la tête. Je lui laisse le livre pour qu'elle y travaille dessus en toute tranquillité. Je ne m'étais pas rendue compte de son ancienneté, il doit regorger de réponses. Je suis impatiente qu'Amelia m'en donne des nouvelles demain, en espérant qu'elle ait réussi à traduire quelque chose.
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