♱ | 7. Rejet

C'est une blague ?

Parce que si c'en était une, elle était de mauvais goût. De très mauvais goût. Prise de court, je me laissai capturer par un silence de mort. La surprise que provoquait la présence inattendue du nouveau me hérissa le poil. La mâchoire contractée, mes yeux s'assombrirent et mitraillèrent le garçon qui se tenait devant moi, tandis que mes entrailles vrillaient de mécontentement. L'air s'était chargé en électricité, tout le monde l'avait constaté. Les muscles contractés, je ne lâchai pas du regard, ce plouc à la veste en jean dont la mine s'était crispée. J'espérais alors qu'il avait saisi le message que je lui renvoyais : il n'était pas le bienvenu ici.

- Je vais aller chercher mon assiette, finit-il par déclarer subitement.

Lorsqu'il tourna les talons avec son plateau en main, une brève bouffée de soulagement m'enivra. Cependant, mes opales toujours animées d'une lueur furieuse, s'ancrèrent sur celles de mon frère. Nullement impressionné par mon expression furibonde, Steven se contenta de prendre place face à moi en libérant un soupir dépité, ce qui accrut ma colère.

- Pourquoi, Steven ? crachai-je d'un ton sec.

- Il est nouveau ici et j'aime pas le voir seul.

À ces mots, une décharge de lucidité électrisa l'ensemble de mon corps. L'évidence frappa mon esprit de plein fouet. Bien sûr, ça tombait sous le sens ! Pourquoi n'y avais-je pas songé plus tôt ? J'adressai un regard ahuri à Steven.

- Il te plaît ?

L'effarement se peignit sur son visage. Il analysa la cantine d'un air soucieux, de peur que quelqu'un surprenne notre conversation. Il reporta son attention sur moi, retrouvant son sérieux.

- Non, ce n'est pas ça. Je me dis qu'il est nouveau à Mallory West et qu'en l'aidant à s'intégrer, il pourrait devenir notre...

- Ami ?

Les lèvres pincées, Stev' hocha la tête. J'étouffai un lourd soupir en regardant autour de moi. Tous ces lycéens rappelaient la raison pour laquelle je préférai ma solitude à leur fausse compagnie. Mais Steven semblait ne pas s'en souvenir.

- C'est impossible, lâchai-je avec un poids soudain sur la poitrine. Quand lui ou ses parents se rendront compte qu'il n'y a rien à Mallory West, il s'en ira et nous abandonnera.

Comme elle l'avait fait autrefois.

Les lèvres crispées, mon frère baissa la tête, étouffant un nouveau soupir. Je parvenais à deviner la déception ayant envahi son visage. Mais surtout, je pouvais mettre ma main à couper que cette discussion avait fait ressurgir dans son esprit, les souvenirs de Tracy Portman. Tracy qui habitait autrefois dans les lotissements du quartier Brown, dans la maison face à la nôtre. L'image mentale de cette petite blonde aux yeux marron qui se forma dans ma tête oppressa douloureusement ma poitrine, bloquant l'air dans ma trachée. Le départ de notre amie nous avait tous deux attristés profondément. Surtout si on rappelait le fait qu'elle et sa famille avaient connu une fin tragique, alors qu'ils étaient sur la route pour quitter Mallory West.

Telle était la raison pour laquelle je préférai tisser de lien avec personne, pour demeurer à la périphérie des liens sociaux. Je craignais qu'une nouvelle fois, les gens nous lâche soudainement, comme Tracy. Or, il existait une autre raison plus sombre qui me poussait à repousser les individus qui s'approchaient de nous, de moi. Une raison que Steven ignorait, car je la conservais dans ma boite de Pandore.

Si je me tenais à l'écart du moindre attachement social, c'était pour ne pas apercevoir le dégoût allié à la terreur sur le visage des gens quand ils découvraient la véritable couleur de mes démons. Cette crainte de rejet remontait à mon enfance, parce que la personne qui était supposée m'aimer en dépit de tout ce qui pouvait m'arriver avait pris peur lorsqu'elle avait compris.

Mon amitié avec Tracynavait représenté mon ultime espoir pour me faire des amis. Malheureusement, le Mal qui m'habitait avait fini par ressurgir et effrayer ma seule amie. C'était ça qui l'avait tuée.

Comme tout le monde, j'avais voulu me convaincre que c'était un terrible accident où les freins du véhicule avaient soudainement lâché pour le faire quitter la route et le faire sombrer à tout jamais dans l'océan. Mais une part de moi savait que j'avais indirectement joué un rôle dans le drame de la famille Portman.

Je réprimai un sursaut discret lorsque la main de Steven couvrit la mienne. Ce contact m'arracha de mes sombres souvenirs que je me dépêchais de ranger à leur place ; un recoin dans les tréfonds de ma mémoire, là où je ne pourrais jamais les oublier.

- Les gens ne sont pas tous des lâches, Polly.

Bien sûr qu'ils le sont !

Cependant, mon jumeau était incapable de comprendre ma terreur à l'idée qu'on puisse me percer à jour. Parce que si ça arrivait, j'avais de grandes chances de retourner dans cet endroit terrible. Et je refusais d'y retourner.

- Tu ne l'aimes peut-être pas, mais fais un effort pour être un minimum gentil avec lui.

La confusion brouilla ma tête durant quelques secondes. Je clignai des yeux pour me souvenir de discussion qui avait précédé ma sombre chute dans les souvenirs de mon passé. Ce n'était que lorsque l'Angleterrien revint à notre table que l'évidence me frappa. On parlait de lui.

Mon cœur se serra en constatant l'expression qu'arborait Steven face au retour de ce débile profond. Je lâchai un grognement discret qui indiqua ma contrariété et reportai mon attention sur les feuilles d'informations que monsieur Turner, notre professeur de sport nous avait données à la fin du cours. Il avait proposé l'idée d'organiser un voyage pour l'équipe de frisbee et des cheerleaders du lycée.

Ce projet n'était pas mauvais. Mais je devais garder à l'esprit qu'Evy serait de la partie. Je devais alors me poser la question suivante : est-ce que j'avais vraiment envie de faire tout un trajet en compagnie de cette peste née et de conserver ainsi une mauvaise expérience de ce séjour ? La réponse était, en toute logique, un grand non.

- Toi aussi, tu fais du skate ? s'exclama Steven d'un ton ahuri.

À mesure que je poursuivrais ma lecture, mon agacement montait davantage. En l'espace de quelques minutes, mon frère venait de mettre un terme à notre longue carrière de solitaire. Si je ne le connaissais pas, j'aurais pu le décrire comme étant un élève sociable avec les autres. Alors que la réalité était tout autre.

En relevant mes saphirs, je constatai un changement curieux chez mon jumeau, un détail qui me frappa. Une étrange étincelle animait son regard. Ce genre de lueur n'apparaissait que très rarement et lorsqu'elle se manifestait ce n'était qu'en ma présence et celle de mon père.

À ce moment, Steven semblait ouvert à la discussion avec une personne qui n'appartenait pas au cercle familial. Et si jusqu'à présent, j'avais pensé que si Stev était comme ça, c'était parce que l'Angleterrien lui plaisait, je remettais ma propre hypothèse en question. Jamais mon jumeau n'avait paru aussi à l'aise avec quelqu'un, pas même avec Léon Hanson pour qui il avait eu un puissant béguin l'année passée.

Je me surpris à contempler le nouveau, à admirer ce sourire timide incurvant ses lèvres qu'il rendait à Steven quand ce dernier lui parlait, ses iris d'un bleu profond qui oscillait entre son plat et le visage de mon frère. Durant l'espace d'une seconde, je fis céder mes barrières de protection pour constater qu'il dégageait une aura désagréable, inspirant la confiance.

Non !

Je me redressai d'un mouvement brutal, suscitant le regard intrigué des deux garçons sur moi. J'étais revenue à moi-même, abandonnant ces idées dangereuses au loin. Je devais me tenir éloigné de lui le plus possible.

- Ça va, Polly ?

Non, ça n'allait pas ! Pour la deuxième fois, ce maudit Angleterrien causait un trouble inquiétant sur moi. Étais-je la seule à m'en rendre compte ou lui aussi le percevait ? Je préférai ne pas le savoir.

- Je vais un moment sur le terrain, déclarai-je en récupérant frénétiquement les feuilles posées sur la table.

Alors que je tournai les talons pour quitter la cantine, j'entendis une voix dans mon dos qui souleva mon cœur.

- Attends !

Mon cœur se souleva, mes muscles se contractèrent subitement. Je sentis l'agacement allié à la panique pulser dans mes veines. Je n'allais certainement pas l'attendre, car je cherchais à m'éloigner de sa présence nocive pour moi. J'accélérai le pas, quitte à me mettre à courir s'il venait à me poursuivre. Mon sang se figea dans mes veines lorsque la chaleur de sa main entra en contact avec mon bras. En me retournant, je vis le nouveau me contempler de ses grands yeux bleus.

- Polly, c'est ça ?

Je me mordis furieusement l'intérieur de la joue, regrettant le fait que Steven ait dévoilé mon prénom en sa présence. Lorsqu'il me relâcha, je réalisai qu'on s'était arrêté au milieu de la cantine. À mon grand soulagement, nous n'étions pas au centre de l'attention des autres lycéens.

- Je crois que toi et moi, on est très mal partis. Et ça m'embête d'avoir des problèmes avec quelqu'un ici, alors que je viens à peine d'arriver.

Oh, le pauvre chéri ! ai-je pensé sarcastiquement.

- Je m'excuse pour l'autre jour, c'était un accident. J'aimerais que tu acceptes mes excuses, comme ça, on pourra enterrer cette histoire.

- Malheureusement, on n'a pas tout ce qu'on veut dans la vie. Parce que j'aimerais que tu disparaisses de mon espace vital et pourtant, tu n'arrêtes pas de me coller aux baskets ! conclus-je du tac-au-tac.

La stupéfaction s'imprima aussitôt sur son visage. Mais je ne profitai pas de savourer ma victoire, car sans lui laisser l'occasion de lancer la moindre répartie, je repris ma route d'un pas décidé. Ce n'était que lorsque je me rapprochai de la sortie de la cantine que l'envie de me retourner pour me délecter de l'expression perdue qui défigurait ses traits faciaux. Or, je dus y résister, pour ne pas lui donner l'autorisation de me suivre pour contre-attaquer. Cette manche, je l'avais remportée et il l'avait perdue.



Installée sur le dernier gradin du stade avec mes écouteurs dans les oreilles qui diffusaient Carry On My Way Ward Son, je me perdis dans mes rêveries qui, cette fois-ci, n'étaient pas aussi sombres. Elles étaient tournées vers lui, l'Angleterrien. La manière dont je l'avais taclé quelques instants plus tôt faisait gonfler ma dose de satisfaction.

J'aurais pu accepter ses excuses et on en serait resté là. Mais quelque chose en moi m'avait contraint à le repousser à l'éloigner de moi. Car le pardonner aurait effacé toute trace d'animosité entre nous deux, mais ça pouvait surtout nous exploser au risque dangereux de tisser un lien entre nous. Chose qui ne devait absolument pas nous arriver.

Je ne voulais pas être une nouvelle fois responsable de la mort d'un innocent.




- Psst.

Je levai les yeux au ciel, un petit sourire amusé accroché au coin de mes lèvres. Au lieu de faire du bruit inutilement, alors que la classe était plongée dans un silence religieux, Stev' n'avait qu'à me donner un petit coup de coude pour attirer mon attention. Je lui jetai un coup d'œil tout en poursuivant mes exercices.

- Pourquoi tu es comme ça ? chuchota-t-il.

Je fronçai mes sourcils, laissant la curiosité me submerger.

- Avec lui. Tu es si dure.

Je me mordis la lèvre inférieure. Comment lui donner une explication suffisante sans lui dévoiler le fond de mes pensées ?

- C'est-à-dire ?

- Quand tu es partie soudainement de la cantine, il est venu vers toi pour s'excuser.

Mon front se plia davantage. Comment avait-il connaissance du contenu de notre bref échange ?

- Je vous ai entendu. Polly, il a été gentil avec toi et tout ce que tu as trouvé de mieux à faire, c'est de l'envoyer balader comme un vulgaire morceau de fumier.

Pourquoi mon attitude le surprenait-il autant ? Steven avait plutôt l'habitude de me voir rembarrer les gens et selon à qui je me confrontais, ça lui plaisait. Mais cette fois-ci, il en était contrarié. Ah, j'oubliais un détail crucial : ma « victime » était l'Angleterrien, autrement dit, l'idole éphémère de mon frère.

- Qu'est-ce qui ne te plaît pas chez lui ?

Le raclement de gorge de monsieur Douglas nous fit tous deux sursauter. Nous relevâmes nos yeux sur notre professeur de littérature qui nous toisait d'un air sévère. Je compris qu'il nous aurait à l'œil durant les prochaines minutes. Stev' et moi feignîmes de reprendre nos exercices afin qu'il nous lâche la grappe.

Après avoir perçu monsieur Douglas qui retournait à la correction de nos récents examens, Steven me porta un bref coup de coude afin de reprendre notre discussion.

- Alors ?

Je jetai un rapide coup d'œil en direction du professeur, m'assurant qu'il était bien plongé dans son travail.

- Il a une tête d'Angleterrien qui ne me revient pas.

J'observai la réaction de mon frère qui se pinça les lèvres pour lutter contre l'envie d'éclater de rire. En dépit de tous ses efforts pour ravaler son hilarité qui ne cessait de croître - ses joues devenaient rouges et j'éprouvais la cupidité mal placée de me moquer de lui, il lâcha malgré lui un ricanement qui brisa le blanc dans lequel nous étions plongés. À mon tour, je fus la victime d'un terrible fou rire et pour l'étouffer, je portai ma main contre ma bouche. Malheureusement pour moi, ça créa davantage de bruit.

- Puis-je vous aider, mademoiselle et monsieur Gubler ?

La voix ferme de monsieur Douglas qui sonnait comme un avertissement ne parvint pas à calmer notre hilarité contagieuse. Nous étions devenus le centre de l'attention de la classe, créant la confusion et le divertissement chez certains de nos camarades.

- On verra si vous serez toujours d'humeur à plaisanter durant la retenue qui vous attend en fin d'après-midi, s'énerva l'homme en tapant furieusement son poing sur le pupitre de son bureau.

Le silence qui revint claqua dans l'air comme un coup de fouet. Steven et moi prîmes de profondes inspirations pour atténuer notre soudain accès d'hilarité. Du coin de l'œil, je guettai la prochaine réaction de mon frère. Être à nouveau en retenue ne devait guère lui plaire. Mais pour moi, c'était le programme parfait.

☆______________________________

• Hey beautiful people ! 🤗

Mmmh, voilà que je soulève un nouveau mystère dans ce chapitre •

•......•

• Votre avis sur ce premier chapitre ?

• À votre avis, Steven a un coup de cœur pour Marty ?

• Mais qu'est-ce qui a bien pu se passer avec cette Tracy ?

• La manière dont Polly a clashé Marty ?

• Vous avez déjà un personnage favoris ?

•......•

☆ Pour le prochain chapitre, on restera sur un PDV de Polly ☆

Kissouilles !

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