♱ | 6. Solitaire
C'était quoi ça ?
Dix minutes s'étaient écoulées depuis le départ précipité de cette fille, dont le comportement avait brouillé mon cerveau. Dix minutes que je restais seul, planté au milieu de cette salle de gym seulement éclairée par quelques vielles fenêtres. Depuis tout ce temps, mon cerveau ne cessait de rembobiner le film de ma discussion partagée avec cette nana, ou du moins, quelque chose qui ressemblait à une discussion.
Je revoyais ses iris bicolores où brillait une lueur déterminée qui cherchait à transpercer mon âme pour y déverser toute la fureur qu'elle éprouvait à mon égard. Tandis que j'avais laissé mon regard détailler son accoutrement qui changeait de sa tenue de corbeau, à l'exception de la multitude de bracelets qu'elle portait au niveau de ses poignets et de ses leggins noir. Pour la première fois depuis notre rencontre fracassante, Grincheux portait un vêtement blanc et ce simple T-shirt avait modifié tant de choses en elle. Elle m'avait paru moins froide, moins ténébreuse. Jusqu'à ce qu'elle ouvre sa grande gueule.
Mais dès l'instant où j'avais mentionné son frère, la haine qui brillait dans ses opales s'était éteinte et avait été remplacée par une lueur préoccupante. Elle avait perdu tout son désintérêt pour moi, ignorant ma blague qui, je devais l'admettre, ne volait pas haut. Elle s'était tout simplement enfuie sans rien dire en me laissant ici, comme un idiot.
Un sifflement soudain me sortit de ma torpeur. Je réprimai un faible bond en me retournant. Ce son provenait de l'extrémité du couloir qui s'était allumé. Ça ne pouvait pas être Grincheux, car la personne qui provoquait ce bruit était joyeuse. Tout l'inverse de l'autre qui gueulait tout le temps à tout bout de champ.
À pas feutrés, je pris la direction de l'entrée de la salle de gym et penchais mon corps en travers du cadre de porte, afin de découvrir l'identité de la personne qui venait de débarquer. La surprise me saisit lorsque j'aperçus au loin, ce vieux type qui m'avait chassé des sous-sols, la veille. Et cette fois-ci, il poussait un chariot de nettoyages dont les roues émettaient un grincement sinistre. Une désagréable sensation s'empara de moi, m'insufflant l'illusion que ma présence était devenue très indésirable. Mon cœur loupa un battement lorsqu'il leva les yeux sur moi. La constatation des traits furieux qui envahirent son visage confirma mes soupçons et je regrettai alors de ne pas avoir réagi assez rapidement pour disparaître de son champ de vision.
— Encore toi ? Ma parole, tu traînes toujours dans les endroits où tu ne dois pas être !
Sa voix furieuse résonna en un écho dans les couloirs déserts. Cependant, ce n'était que lorsqu'il s'empara d'un geste hâtif la panosse qui reposait dans son seau, que mon corps se réveilla enfin. La panique électrisa chaque membre de mon corps et je détalai à pas de course, fuyant ce vieux fou.
— Fous l'camp d'ici et la prochaine fois, j'avertis monsieur Jareau !
Sa colère ne cessait de retentir dans mon dos, m'encourageant à accélérer le rythme de la course. Ça ne faisait que deux jours que j'avais débuté l'école ici et j'étais déjà mal parti pour passer inaperçu auprès du corps enseignant – si ce type en faisait partie – et des élèves.
Une fois à l'extérieur l'air frais emplit mes poumons et s'écrasa sur mon visage, m'indiquant par la même occasion que je ne craignais plus rien. Je jetai un coup d'œil par-dessus mon épaule pour m'assurer que le vieux ne me pourchassait plus. Constatant que c'était bien le cas, ma pression s'évapora de mon métabolisme.
Haletant, je m'adossai contre le mur de béton de la salle de sport et me laissai glisser au sol. Je n'avais même pas parcouru trente mètres que j'étais essoufflée comme si j'avais fait dix fois le tour du bâtiment. Je fermai les yeux, tout en cherchant à récupérer le souffle qui me manquait.
Quelle journée !
— Il faudra trouver une excuse à sortir à maman pour expliquer ton état.
À l'entente de cette voix, j'ouvris grand mes paupières, mon sang se figea dans mes veines. Mon regard se tourna en direction de l'entrée du lycée qui faisait face à la salle de gym et aperçut Grincheux qui en sortait. J'imaginais sans aucun doute le mécontentement qui l'enivrerait si elle me découvrait une nouvelle fois dans les parages. Mon interruption de tout à l'heure avait déjà animé sa contrariété. De plus, elle n'avait pas eu l'air de me croire lorsque j'avais prétendu m'être perdu. Et elle avait raison, parce qu'en soit, ce n'était pas la vérité. Je savais exactement où je me trouvais ; Je visitais simplement les locaux et étais malencontreusement tombé sur elle qui parlait toute seule.
Cette fois, si elle me trouvait ici, elle me jetterait son habituel regard sombre, voire viendrait m'aboyer dessus pour achever notre discussion interrompue plus tôt. Cependant, je n'avais aucune envie de la supporter une seconde de plus. Je me relevai et me dépêchai de trouver une cachette derrière la série de gros pins qui délimitaient le périmètre du terrain extérieur, là où se trouvait le stade.
Je découvris son frère qui la talonnait et mon cœur se souleva en découvrant l'état effrayant de son visage. Une grosse trace rouge entachait sa lèvre et plusieurs hématomes amochaient son faciès.
Qu'est-ce qui lui était arrivé ?
Je fis alors rapidement le lien entre le changement de comportement soudain de Grincheux et son frère. La raison de son inquiétude provenant de nulle part prenait alors tout son sens. Néanmoins, l'explication qui se présentait devant moi souleva un nouveau mystère. Grincheux semblait avoir compris ce qui était arrivé à son frère avant même de l'avoir retrouvé. Comment avait-elle su ? Un océan de secrets et de mystère entourait ces deux individus. Et d'une manière curieuse, l'idée de les percer à jour m'attirait dangereusement.
Non, surtout pas ! Je devais me tenir à mon plan : garder tout le monde éloigné de moi et éviter les attachements. C'était mieux ainsi pour tout le monde.
Tandis que je vis Grincheux et son frère pénétrer dans la salle de gym, je demeurai caché encore quelques secondes, au cas où le duo ressortirait subitement parce que le vieux les avait fait dégager. Mais il n'en fut rien. Je me dépêchai alors de quitter les lieux, prêt à rentrer chez moi.
Le petit vent frais qui s'abattit sur moi me parcourut de frissons et m'obligea à sortir ma veste en jean de mon sac à dos. J'avais choisi de longer la plage, afin de profiter du splendide panorama qui donnait vue sur l'horizon, là où la mer et le ciel pouvait se rencontrer. Je devais admettre que pour l'instant, c'était le seul atout de cette ville, bien qu'en Angleterre, il y avait aussi des plages. Mais la vue ici était différente, comme une agréable suspension au temps.
J'étouffai un cri de surprise quand je sentis un contact soudain au niveau de mon épaule droite. Je me tournai dans un sursaut brutal pour découvrir un homme à l'apparence négligée qui me filait les jetons. Je fis un mouvement de recul, cherchant à comprendre ce qui se passait.
— Hey, p'tit ! T'aurais pas une clope, par hasard ? me demanda-t-il d'une voix rauque.
En dépit de la distance que j'avais pris, son souffle puant le mélange d'alcool et de tabac parvint jusqu'à mon visage. Je fis un nouveau pas en arrière. Mes prunelles détaillèrent l'individu qui me faisait face. Il était vêtu de haillons et je supposai alors que cet homme n'était qu'un sans-abri qui voulait simplement une cigarette.
— Désolé, m'sieur, mais je n'ai pas...
Je laissai ma phrase en suspens, tandis qu'il passa sa langue sur ses lèvres recouvertes par les poils de sa barbe poivrée sel qui s'entremêlaient les uns aux autres. Mon palpitant s'affola dans ma cage thoracique. Mes iris bleus devinrent hypnotisés par ce voile noir brumeux que je venais tout juste de remarquer et qui entourait vicieusement l'homme. Intérieurement, je vacillai et priai pour ne pas sombrer dans la folie.
Je ravalai difficilement la boule qui s'était formée dans ma gorge. Ma bouche s'entrouvrit, mais je n'émis aucun son. Cette vision fit revenir les événements de mon passé comme un effet boomerang. Une douleur me brûla au niveau de la poitrine ; la culpabilité de rester muet et d'être le responsable de tant de tragédie dans mon existence.
Tandis que je reculai progressivement, l'homme me sonda avec intensité. Ma mine effarée devait le surprendre. Cependant, il se retourna en poussant un grognement frustré. Peut-être qu'il avait compris que vers moi, il n'obtiendrait rien de ce qu'il prospectait.
Je repris donc ma route avec un poids dans l'estomac. Une partie de moi voulait rattraper cet homme avec l'espoir naïf de pouvoir le sauver. Mais de quoi ? De l'inévitable ? Et puis si ça se trouvait, la mort était déjà en lui, peut-être sous forme de cancer ou autre maladie. Je ne pouvais rien faire pour lui. Je savais seulement qu'il passerait de l'autre côté très bientôt. Très bientôt.
C'était ainsi que ça avait toujours fonctionné et ma culpabilité ne cessait d'être alimenté lorsque je percevais ce voile et que je feignais l'indifférence. Alors qu'à l'intérieur de moi, c'était tout l'inverse. J'étais le seul à apercevoir cette chose ténébreuse qui était l'annonciateur d'une terrible fin. C'était donc moi qui attirais la présence de ce voile. Il n'existait aucune autre explication possible à mes yeux.
Jamais je n'en avais parlé, de peur de finir dans un asile. Mais après tout, peut-être que ma place était là-bas. Car en étant coupé du monde, je n'aurais plus à craindre de découvrir cette ombre mortelle qui me narguait.
— Salut.
Alors que je posai sur mon plateau, la bouteille d'eau que je venais de récupérer, je me tournai et laissai la surprise prendre possession de moi en découvrant ce garçon aux cheveux bouclés qui n'était nulle autre que le frère de Grincheux. Avait-il dépassé tout le monde derrière moi pour venir me parler où était-ce juste un hasard qu'il me talonnait pour récupérer son repas ?
Les lèvres pincées, il oscillait d'un pied à l'autre. En plus de constater sa timidité bien visible, je notai que l'état de ses blessures s'était amélioré au cours de ces deux derniers jours. Une croûte s'était formée au niveau de sa lippe inférieure, la couleur de ses hématomes avaient viré à une couleur sombre.
— Salut, fis-je tout en me demandant ce qu'il me voulait.
Il passa une main derrière son crâne.
— Ça va peut-être te paraître bizarre parce que je suis un élève de première et toi, tu es en terminal.
Mon cœur sauta un battement. Comment avait-il appris ça ? La première explication qui traversa mon esprit était qu'il m'avait enquêté à mon sujet pour obtenir ces informations. La tension disparut de mon corps quand je me rappelai ensuite que j'étais toujours le nouveau du lycée et que les informations basiques à mon sujet circulaient vite. Je supposai alors que tout le monde savait que je venais d'Angleterre, que je m'appelais Marty Jackson et que j'avais encore dix-sept ans.
— J'ai remarqué que tu étais souvent seul et je me suis dit qu'on pourrait faire connaissance.
J'ignorai l'incertitude présente dans sa voix et mes prunelles s'arrondirent.
— Oh, pas dans ce sens-là ! Mais pour peut-être devenir ami, rectifia-t-il avec une pointe de déception dans sa voix.
Oh, zut ! Moi qui avais espéré pouvoir rester aussi solitaire que possible pour m'éviter les ennuis, voilà que le frangin de la fille qui ne peut pas me voir en peinture voulait devenir mon ami. D'un geste nerveux, je saisis un verre de la pile qui se présentait devant moi et fus imité par le skateur dangereux – je n'avais pas oublié qu'il avait failli me percuter, deux jours plus tôt.
Que devais-je lui répondre ? Que je ne voulais pas me faire d'amis par peur de les perdre subitement et d'en avoir le cœur brisé ? C'était absurde.
— Heu...
— Allez, tu as l'air sympa. Et je n'aime pas voir les gens cools tout seul.
Je me mordis l'intérieur de la joue. Il était si insistant sans être désagréable que j'étais incapable de lui dire non. Je libérai un soupir et levai mon regard dans le sien.
— D'accord.
La joie illumina instantanément son visage. D'un geste hâtif, il me saisit par le bras et m'entraîna vers les tables, alors que je n'avais pas encore pris mon plat. Mon souffle se coupa dans ma trachée en découvrant qu'il me conduisait vers sa sœur. Cette dernière, attablée au fond de la salle, avait la tête abaissée et donc, n'avait pas constaté mon arrivée. Pour le moment.
— Heu, je ne sais pas si ta sœur sera heureuse de m'avoir avec vous, déclarai-je, tout à coup incertain à l'idée de partager un repas à sa table.
Mais le skateur continuait d'avancer en me traînant derrière lui.
— Ne t'en fais pas, elle va s'y faire.
Je n'en suis pas si sûr que toi.
Lorsque nous atteignîmes la table où Grincheux attendait, son frère déposa d'un geste excité le plateau vide, ce qui poussa Miss Corbeau à lever sa tête. Dès l'instant où ses iris bicolores se posèrent sur moi, la confusion envahit ses traits et fut vite balayé par le mécontentement. Pour ma part, une pincée de regret me vrilla l'estomac quand je sentis l'air se charger de plomb. Pourquoi j'ai accepté de lui tenir compagnie, sachant qu'elle serait aussi présente ?
— Arrête de faire la tête, Polly, râla son frère. Ce n'est pas gentil pour lui, alors qu'il essaie de s'intégrer.
Le regard de Grincheux ne lâcha pas le mien. Comme elle, je n'avais aucune envie de me retrouver avec elle. Mais je m'efforçais de faire plaisir à son frère. Je n'avais alors pas d'autre choix que je jouer le jeu et rester à table avec eux, pour la plus grande fureur de Grincheux.
☆______________________________☆
• Hey beautiful people ! 🤗
Qui c'est qui va accueillir Marty à bras ouverts ?
Certainement pas Polly ! •
•......•
• Votre avis sur ce chapitre où nous avons une apparition du "don" de Marty ?
• Vous avez deviné quelle est sa "particularité" ?
• Vos impressions sur Steven par rapport à Marty ?
• Pour la suite, ça va être... intriguant
•......•
☆ Le prochain chapitre sera du PDV de Polly ☆
Kissouilles ❣️
📽 TikTok : aliiwriter
📸 Insta : Aliiw.riter
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top