♱ | 2. Perdu
Sous l'effet de l'attente insoutenable qui faisait palpiter mon cœur, ma jambe ne cessait de tressauter. Je pris une profonde expiration, mordillait ma lèvre inférieure. Monsieur Jareau s'était rendu en Suisse pour quelques copies ? Tout portait à croire que c'était le cas, puisque son absence commençait à devenir agaçante.
Je ne trouvais plus une seule occupation. J'avais fait le tour de son bureau plus de deux fois et à présent, je pouvais fermer les yeux et énumérer tout ce qui s'y trouvait. Sur le mobilier, il avait créé une pile impressionnante de papiers. Ses crayons et stylos étaient rangés minutieusement dans un pot à compartiment prévu à cet effet. Il les avait triés en plusieurs catégories. Les noirs ensemble, tout comme les stylos bleus étaient dans un autre compartiment. Il possédait également une véritable plume à l'ancienne avec son encrier. Sa bibliothèque, située à ma droite, était également rangée de manière très précise. Il les avait triés par genre, puis par auteur.
Un vrai maniaque, celui-là.
Pour la énième fois en quinze minutes, je changeai de position sur ma chaise inconfortable. Ce sentiment d'impatience qui me gagnait progressivement alimenta mon agacement. Une seule envie me prenait ; celle de prendre mes jambes à mon coup pour déguerpir de ce bureau où j'avais l'illusion d'y être confinée depuis plusieurs heures. Je lâchai un gémissement contrarié.
Tout ça pour des foutus papiers !
Pourquoi ce cher monsieur Jareau ne me les avait pas fait parvenir avant ma rentrée ? Ainsi, j'aurais évité de l'attendre durant des plombs. Cette première expérience au sein de ce nouveau lycée me laissa avec une première impression plutôt amère, concernant la suite des événements. Les professeurs seraient-ils aussi désorganisés que le proviseur l'était ? Je ne l'espérais pas.
Bon, trop c'est trop !
À l'instant où je me levai avec la décision de me tirer d'ici, la porte s'ouvrit dans mon dos. En me retournant, je découvris le retour du proviseur qui afficha un air navré. Le soulagement se déploya alors dans mon métabolisme. Je m'installai à nouveau sur ma chaise qui semblait dater du siècle passé.
— Veuillez m'excuser, l'imprimante était en panne, fit l'homme en s'installant sur son fauteuil qui parut bien plus agréable que cette vieille chaise en bois. Par contre, je vais vous demander de retirer votre casquette, Marty. Vous pourrez la remettre une fois à l'extérieur du bâtiment.
J'arborai un sourire forcé qui puait l'hypocrisie tout en retirant ma casquette rouge, tandis que Jareau vérifiait une énième fois les documents qui se trouvaient entre ses mains. Ses sourcils se froncèrent, puis il releva sur moi, ses yeux voilés d'une curiosité qui me heurta.
— Jackson ? Votre père ne serait-il pas, Jeffrey Jackson ?
Je hochai la tête, sans grande surprise, puisque le nom de mon paternel devait figurer sur les formulaires d'inscription. Tout comme celui de ma mère qu'il ne mentionnait pas.
— Je me souviens de lui ! Il était élève au Mallory West High School.
Tandis que son regard se perdit dans le vide, à la recherche de souvenirs, mon front se rida à mon tour. La confusion s'empara de moi.
— J'étais jeune à cette époque et c'étaient mes premières années en tant que proviseur. Alala, il ne laissait aucun répit à nos professeurs et m'avait donné beaucoup de fil à retordre !
À mesure que l'homme poursuivait dans son récit, je m'enfonçai davantage dans cet océan obscur, en état de perdition. Dans mon esprit, mes cellules se heurtèrent les unes aux autres, tout se mêla. Je ne comprenais plus rien. J'avais l'amère illusion d'être coupé de la socialisation, de ne plus être dans ce bureau. Je tentais de comprendre ce que Jareau venait d'insinuer. Il devait se trouver, le contraire était impossible.
Mon père n'avait cessé de me raconter qu'il avait vécu en Suisse depuis sa naissance, c'était là-bas qu'il avait rencontré ma mère, là-bas que j'étais né. Les souvenirs de Jareau devaient certainement se confondre avec d'autres. Mon père n'avait jamais mis les pieds dans cette ville.
Et pourtant, le fait qu'il connaissait le prénom de mon paternel titilla nerveusement mon esprit. À moins qu'il existait d'autres Jeffrey Jackson.
Ignorant mon expression perturbée qui témoignait l'incompréhension qui m'habitait, l'homme me remit une feuille. Mon emploi du temps.
— Bienvenue au Mallory West High School, Marty.
Le sourire jovial et chaleureux qu'il m'adressait se voulait contagieux. Cependant, je ne parvins qu'à étirer péniblement mes lèvres. Cette histoire concernant mon père qui avait sois-disant vécu à Mallory West me trottait dans la tête.
— Merci.
Son silence soudain m'invita à quitter son bureau, ce que je ne me priais pas de faire. Tout en prenant la sortie de la pièce, mon attention se plongea sur mon planning. Sans relever mes yeux de la feuille que j'étudiais attentivement, ma main trouva la poignée de la porte que j'ouvris en grand. Cependant, quelque chose m'interrompit dans mon élan, comme si j'avais heurté un objet. Je détachai aussitôt mon regard du papier, je découvris une élève qui couvrait une partie de son visage avec ses mains, tandis qu'autour de moi, les élèves témoins de cet incident poussaient des ricanements amusés.
Le rouge de honte me monta aux joues, le silence me captura. J'étais incapable d'esquisser le moindre mouvement. Mince... Je savais que je devrais m'excuser de ma maladresse, mais aucun son ne franchit la barrière de mes lèvres. Au lieu de quoi, je ne trouvais rien d'autre à faire que de la détailler de la tête aux pieds.
Tout chez elle était noir, à l'exception de sa peau pâle, ainsi que ses yeux. L'un de ses iris était vert, tandis que l'autre était bleu. Ce détail éveilla ma curiosité. Jamais je n'avais observé une telle spécificité chez quelqu'un. La première pensée qui traversa mon esprit était qu'elle avait certainement usé de lentilles de contact pour falsifier cet effet fascinant. La seconde pensée était que le regard fulminant braqué dans ma direction m'était destiné. Oups.
— Tu ne peux pas faire attention ? Débile profond !
Interloqué, je laissai le mutisme faire de moi son prisonnier, tandis qu'elle poursuivit sa route en compagnie d'un type qui était proche d'elle. Autour de moi, les lycéens s'étaient à nouveau éparpillés dans le bâtiment, ayant passé à autre chose. J'estimai donc que je devais en faire de même, mais les rouages de mon cerveau n'étaient pas de cet avis.
Débile profond.
Elle n'avait pas eu d'autres meilleure insulte à me balancer à la figure ? Et après tout, qu'est-ce qu'elle fichait derrière la porte ? Tout était de sa faute, si elle se l'était ramassée dans la tronche. Je n'y étais pour rien. Hormis le fait de m'excuser. Peut-être que je devrais le faire la prochaine fois que je recroiserai sa route, afin de mettre à terme à cet incident. Si nos routes venaient à se recroiser.
Je rejetai en arrière ma mèche blonde et remis ma casquette sur mon crâne. Peu importait l'avertissement de Jareau. J'entamais ma route dans les couloirs de ce lycée que je considérais comme étant froids et lugubres. Les murs – qui, autrefois, avait été certainement blancs – avaient viré à un gris horrible. Le sol n'était guère mieux. Plusieurs dalles de carrelages marron étaient fissurées. Un véritable cauchemar.
En Angleterre, l'intérieur des établissements scolaires se montrait plus propre, plus chaleureux, plus accueillant. Tout le contraire d'ici. C'était comme si la Mort planait dans plusieurs endroits en même temps, à l'affût du meilleur moment pour nous tomber dessus. Un véritable endroit glauque.
Tandis que je longeais ces couloirs interminables et bondés d'adolescents, je guettais les numéros inscrits sur les portes, avec l'espoir de trouver ma salle. Mais en vain. Un soupir las s'échappa de mes lèvres. C'était si grand ici que j'ignorais dans quelle direction me diriger et sans plan du bâtiment, je pouvais presque me déclarer perdu. D'un regard désespéré, j'arpentai la foule de lycéens qui défilaient autour de moi, sans me porter la moindre attention. J'en hélai un au hasard en l'attrapant par la manche de sa veste Teddy blanche et verte.
— Excuse-moi, mais tu pourrais m'aider ?
Le garçon fut interrompu de sa conversation. Il s'immobilisa et se retourna vers moi en me jetant une expression obscure qui suscita une cascade de frisson remontant le long de mon épine dorsale. Sa carrure imposante n'était pas due seulement à sa grande taille, mais également à son adiposité. Je compris que je venais de me frotter à la tête dure du lycée.
— T'as un problème, tête de fœtus ? lâcha-t-il d'un ton cinglant.
Je redressai mon dos afin de donner l'impression que sa taille qui me surplombait, ainsi que son expression meurtrière ne m'intimidaient pas. Avec un air impassible, je lui montrai la feuille que Jareau m'avait remise.
— Tu peux me dire où se trouve la salle 180 ?
J'espérais que mon ton calme parvienne à dissoudre son agacement. Il me scruta durant quelques secondes qui me semblèrent être une éternité. Mon cœur s'allégea lorsque je découvris ses lèvres s'élargir. Il tendit son bras dans la direction opposée où je comptais me rendre.
— Tu descends les escaliers qui sont sur ta droite, c'est à l'étage du dessous, la porte au fond du couloir.
Je le remerciai et repris ma route avec l'esprit plus léger. Il suffisait de demander au lieu de s'énerver tout seul.
Cependant, cet état ne dura pas. Arrivé au bas des escaliers, je fus interloqué par les sombres couloirs qui se présentaient devant moi. Il n'y avait personne et l'atmosphère était plus glauque que l'étage du dessus. En découvrant des veilles tables et chaises rangées contre les murs, je compris que je me trouvais dans les sous-sols du lycée. Je ravalai le gémissement de frustration qui menaçait de sortir de mes lèvres et contractai mes poings. Je pris une inspiration comprimée par une colère qui trépignait à l'intérieur de moi.
Merci Sinok !
— Qu'est-ce que tu fous ici, gamin ?
Je fis un bond brutal à l'entente de cette voix qui provenait, à première vue, de nulle part. Mon rythme cardiaque s'emballa, mes yeux balayèrent les couloirs furtivement. Je finis par apercevoir une silhouette qui s'extirpa de la zone ombrée dans laquelle il était tapi. Dans un silence de mort qui alimenta mon malaise, j'analysais l'individu qui se trouvait à quelques mètres de moi désormais. Avec son nez crochu, son dos bossu, sa salopette bleue, ses cheveux blancs qui lui tombaient sur les épaules, il avait tout du vieil homme aigri qui éprouvait une répulsion envers la jeunesse à laquelle il avait à faire.
— Je... On m'a...
Les mots se mélangeaient, j'étais incapable de former une phrase compréhensible. Cependant, je n'eus pas le temps d'expliquer la raison de ma présence, car l'homme s'avança d'un pas furieux vers moi, son balai pointé dans ma direction.
— Fiche le camp, avant que je prévienne monsieur Jareau !
Sa voix criarde résonna dans les couloirs vides de manière à m'exploser les tympans. Je pris mes jambes à mon cou et remontai à l'étage du dessus pour regagner le troupeau de lycéens et me fondre dans la masse. Mais tout le monde avait déjà rejoint leur classe respective. Tant d'amabilité dans ce trou paumé.
Reste à la périphérie de tout contact social.
Facile à dire quand toute la classe venait vers moi parce que j'étais le nouveau. Mais je savais que ce n'était qu'une attention éphémère qui s'estompera d'ici quelques jours. Ou du moins, je l'espérais. Parce que je devrais agir comme à l'accoutumé : me tenir à l'écart, observer, analyser. Ainsi, je pouvais reconnaître les personnes dignes de se trouver en ma compagnie. Et pour l'instant, personne ne s'y montrait à la hauteur. Et certainement pas ce type qui m'avait envoyé dans les sous-sols du lycée, ni cette fille grincheuse qui m'avait aboyé dessus parce qu'elle s'était ramassée la porte en pleine figure. Bon, sur ce coup, j'étais un peu fautif. Mais elle ne m'avait pas laissé le temps de m'excuser !
Installé sur le dernier banc des immenses gradins du stade, j'admirais la vaste vue du terrain qui s'étendait devant moi. Cette ville était peut-être petite, mais bon sang ce que ce lycée était immense !
Mallory West.
Ville junmelle de Key West, de l'État de Floride. Jamais auparavant, je n'avais entendu parler de cet endroit. Jusqu'au jour où mes parents avaient déclaré vouloir s'y installer, sans me laisser émettre mon avis. Je m'étais ainsi retrouvé contraint de quitter mes connaissances – je n'étais pas assez proche d'eux pour les considérer comme de véritables amis – en Angleterre. Mais créer n'était-ce qu'un faible lien avec eux s'était révélé être une des tâches les plus difficiles que j'avais connues.
Je craignais de m'attacher au gens, qu'il s'agissait d'amour ou d'amitié. Parce que j'avais conscience qu'à tout moment, il pouvait partir, sans que je puisse agir pour les sauver. Quelque chose en moi me le rappelait constamment que rien n'était éternel. Le décès de tonton Bill me l'avait prouvé.
Me revoilà donc à la case départ, dans un nouveau continent, une nouvelle ville ainsi qu'une nouvelle ville. Si mes parents étaient optimistes à affronter autant de changements, ce n'était pas mon cas. Vraiment pas. En Angleterre, j'avais ma propre réputation, tout le monde me connaissait même si personne ne venait me parler. Ici, je devais tout recommencer, repousser ceux qui tenteraient de m'approcher, de tisser des liens avec moi.
Mon attention se verrouilla au loin, là où l'équipe de pom-pom girl exécutait une chorégraphie, sans public. Excepté moi. Je croquai dans mon sandwich tout en contemplant la synchronisation parfaite de leurs mouvements. Elles devaient connaître chaque geste, chaque pas pour obtenir un tel résultat bluffant. Je devais admettre que j'éprouvais la curieuse envie de les voir à l'action pendant les match de frisbee.
Oui, frisbee.
C'était bien ce que monsieur Jareau avait énoncé plus tôt. Décidément, cette ville sortait de l'ordinaire et ses habitants également. J'étouffai un ricanement sarcastique. Je n'avais pas d'autre choix que d'accepter ma nouvelle vie ici, mon statut de nouvel élève qui attirerait la foule autour de moi durant quelques jours. J'espérai alors que durant ce temps, rien ne se manifesterait. Cette aptitude qui n'en était pas une que j'étais contraint de subir à vie, m'empêchait de nouer des liens sociaux comme n'importe quel adolescent de mon âge. À cause de ça, j'étais obligé de vivre en reclus de la société. Parce que je ne considérais pas ça comme un don, mais une malédiction qui bouffait mon existence.
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• Hey beautiful people ! 🤗
Je vous présente Marty, un jeune homme mystérieux, n'est-ce pas ? Mais je sens que je vais adorer écrire sur son PDV •
•......•
• Votre avis sur ce chapitre ?
• Sur ce que le proviseur Jareau a dit à propos du père de Marty ?
• Sur la « malédiction » de Marty ?
•......•
☆ Le prochain chapitre sera sur le PDV de Polly ☆
Kissouilles ❣️
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