Chapitre 7
Je délasse mes chaussures à talons, mes pieds me remerciant pour cet acte généreux avant d'envoyer valser mon blouson dans le placard. Un soupire s'échappe de mes lèvres alors que je me dirige vers la cuisine.
Lyssandra s'est encore mise dans de beaux draps. Comme toujours, son travail finit par lui poser des problèmes. Entre les hommes étranges qui l'abordent et la drogue qu'elle ingère, je ne suis pas assez naïve pour croire qu'il ne lui arrive rien.
Alors si je dois encore passer pour la fille bourrée, festive, et naïve pour la sortir d'un mauvais pas, je le ferais. Au moins de là ou je suis, je pourrais continuer à la surveiller du coin de l'œil et à la protéger en repoussant les inconnus.
La lumière artificiel s'allume subitement, se reflétant dans le plan de travail en marbre de la cuisine. Je sursaute manquant de faire tomber mon verre d'eau contre le sol.
-« C'est à cette heure-là que vous rentrez, Mademoiselle Shaffer ? Où étiez vous encore fourrez ? », me demande une voix sévère en fronçant les sourcils.
Mon père se tient au milieu de la pièce un air dur sur le visage. Ses cernes tombent sur son visage pâle et ses cheveux blonds sont embrouillés, signe qu'il a encore mal dormi. Son pyjama tombe en lambeau malgré le salaire qu'il ramène à la maison et sa lèvre inférieur tremble de colère.
Mais pire que son physique, sa manière de s'adresser à moi. Il met une distance si grande que j'ai l'impression que les années ont érigés un mur impossible à transpercer. Nous vivons dans la même maison depuis vingt ans et pourtant, c'est comme si nous nous connaissions à peine.
Et honte à moi si je n'utilise pas toutes les formules de politesses...
-« Excusez moi, j'étais à Blisscrystal avec Lyssandra », je m'excuse platement en rangeant le verre.
Mon père ricane et fronce du nez, antipathique, chassant mes excuses d'un revers de main.
-« Bien sur, mettez tout sur le dos de votre amie, c'est bien plus simple pour justifier vos débauches. Vous sentez l'alcool à plein nez. Je ne vous ai pas élevée pour que vous trainiez dehors mais pour que vous travaillez et puissiez prendre la succession de la famille », rétorque t'il durement en frappant du poing sur le plan de travail.
Je ne dis rien et me contente de baisser le regard. Je ne suis pas de nature timide ou terrifiée, mais je sais exactement lorsque le conflit est inutile. Mon père a toujours tenu en haute estime le patrimoine familiale, bien plus que l'amour que lui porte ses proches.
Rien n'est plus important que l'apparence en société mondaine, les diners, les galas réguliers et savoir que je pourrais reprendre la succession.
-« Bien, je m'excuse père », je lui dis platement une nouvelle fois.
Il soupire, puis jette une pile de papiers violemment sur le plan de travail de la cuisine. Le bruit sourd aurait pu me faire sursauter s'il n'était pas devenu habituel.
-« L'avocat de votre mère réouvre l'enquête pour exagération des faits, et pression sociale de la part de la famille Shaffer. Ils veulent nous faire porter le chapeau pour les horribles actes de votre mère et demander une diminution de peine aux juges de Cassation. J'ai besoin que vous alliez la voir demain et que vous essayez d'amadouer la situation, par culpabilité elle acceptera peut être ses dix années de prisons et si ce n'est pas le cas, vous devriez témoigner », m'ordonne t'il d'un ton autoritaire avant de tourner les talons.
Je me fige en découpant chaque mot qui venait d'être prononcer par mon propre père. Je le connais suffisamment pour savoir qu'il a attendu que je rentre simplement pour me forcer à aller au parloir demain.
C'est sa manière de me punir d'être rentrée tard et d'aller en soirée. Comme il l'a toujours dit ; c'est pour m'éduquer et me permettre de vivre dans ce monde avec lequel je ne me suis jamais familiarisée.
-« Père, j'ose espérer que vous me demandez pas réellement d'aller la voir, pas après ce qu'il s'est passé », je balbutie, presque suppliante en tentant de déceler sur son visage une once d'émotion.
-« Vois le comme une manière de t'éduquer », rétorque mon père impassible et dur, sa carapace que les années ont forgé ne laissant transmettre aucune émotion à part un petit sourire satisfait.
C'est la phrase de trop.
Une chaleur commence à monter lentement dans mon estomac, un feu doux s'étire sur tout mon être. Mes poings se serrent si fort que mes phalanges blanchissent, et mes ongles s'enfoncent dans la chair tendre de mes paumes.
Ma mâchoire se crispe à m'en briser les dents, et je sens une tension douloureuse se propager le long de mon cou. La colère s'empare de moi, d'abord comme un grondement lointain au fond de mon esprit. Mais il devient plus fort à mesure que son expression de fierté ne quitte pas son visage.
Comment peut-il me regarder avec ces yeux pleins d'arrogance ?
Comment ose-t-il savourer cet ascendant qu'il croit avoir sur moi, comme s'il détenait le droit divin de juger et de punir ?
Et surtout, quel droit croit t'il détenir pour me forcer à revivre mes pires terreurs ?
Mes pensées s'embrouillent, tourbillonnent, se heurtent les unes aux autres dans un chaos furieux. Chaque mot qu'il a prononcé résonne dans ma tête comme des coups de poignard acérés qui ravivent la braise de ma rage.
Je repense à toutes les fois où il m'a traitée avec ce mépris glacial, où il a préféré le prestige familial à notre relation. Ces souvenirs se superposent, se brouillant pour alimenter la flamme de ma colère.
Il n'y a plus de retour en arrière possible, plus de place pour la retenue ou la diplomatie.
-« Tout ce que vous savez faire, c'est vous cacher derrière la famille Shaffer quand vous avez besoin d'imposer votre autorité. Mais ça ne fait pas de vous un père mais juste un tyran en costume ! ", je clôture en attrapant ma veste pour regagner ma chambre.
Mon père m'arrête net en donnant un coup de poings dans le mur. Immédiatement, je me fige en entendant le bruit résonner dans les fondations. Je frissonne complétement happée par le trou béant qu'il a provoqué.
Ma respiration s'accélère, mon cœur palpite.
Je sens mes poils s'hérisser et des gouttes de sueur couler de mon front. Mes yeux se plongent dans ceux de mon père, froncés, terrifiants. Les veines de sa main ressortent, saillantes déformant son visage de haine.
-"Et vous, vous vous cachez derrière votre mère alcoolique chaque fois que vous avez besoin d'une excuse pour vos actions irresponsables ?", s'insurge Monsieur Shaffer en levant la main.
Un silence glacial s'abat sur la cuisine. Les mots résonnent comme un coup de tonnerre. Mon cœur ratte un battement en entendant les divagations de mon père. La dispute a atteint un point bien au-delà de ce je pouvais imaginer.
Je n'ai pas tendance à réagir au quart de tour. Je suis réfléchie, patiente et reposée. Je sais bien que je devrais m'arrêter maintenant car mon père déteste que je lui tienne tête.
Mais de quel droit parle-t-il de ma mère ?
-"Parce que vous voulez reparler de maman maintenant ? Peut-être qu'elle n'aurait pas commencé à boire si vous aviez passé plus de temps à la maison !", je rugis acerbe, le ton empreint d'amertume et de frustration.
Mon père déteste cette histoire que les avocats utilisent pour réduire la peine de ma mère. Il a toujours été absorbé par son travail et ses apparitions en société. Il fallait toujours être parfait et montrer une bonne image de la famille pour faire fluctuer la nouvelle entreprise d'art contemporain des Shaffer.
Il se faisait tellement d'argent, que ça en ait devenu plus important que sa propre famille. Lorsque ma mère a commencé à boire, c'était pour noyer la tristesse qu'elle ressentait de savoir que son mari ne rentrait plus à la maison et ne la voyait que comme un objet commercial qui lui permettait d'obtenir des contrats.
Être stable personnellement était engageant pour prouver qu'on l'été aussi professionnellement. C'est le moment ou leur relation a commencé à se faner.
À trop courir après le contrat professionnel, il avait perdu de vue que la véritable richesse était sa vie personnelle.
Monsieur Shaffer attrape une chaise qu'il envoie valser contre le mur. Ses poings se serre et il hurle avec rage.
-"Et peut être qu'elle ne t'aurais pas frappée si tu n'adoptais pas tout le temps des comportements extrêmes", renchérit son père le visage déformé par la haine.
Mon cœur se serre à l'entente de ses mots, comme si chaque syllabe prononcée était une lame poignardant mon âme. Je sens une bouffée d'émotions contradictoire m'envahir : de la douleur à la nostalgie et de la tristesse à la colère.
Je vois dans les prunelles de mon père briller une rancœur synonyme de toute la souffrance qu'il porte envers son ex-femme. Une douleur, qu'il projette sans cesse sur moi comme si j'étais responsable de tous ces maux.
Il n'arrivait pas à faire autrement pour faire le deuil de son mariage, si heureux autrefois. Il y a quelques années, je me tenais pour responsable des actes de ma mère. Bien qu'elle ait commis des erreurs, une chose est sure, ce n'est pas sa faute si leur couple n'avait pas fonctionnée.
Je lutte pour garder mon calme malgré la tempête qui ébranle mon âme. Je sais que mon père souffre, et que le mur qu'il a érigé l'empêche de percevoir le mal que ses paroles peuvent causer.
Ses remarques désobligeantes sont une habitude, et je me suis déjà bien trop de fois battue contre lui. Mais je sais aussi quand je dois arrêter de me battre.
-« Et bien soit père, je passerais au parloir demain si tel est votre désir mais pour ce qu'il y ait du témoignage, je vous laisserais trouver un autre pigeon à faire chanter », je rétorque en prenant mes affaires et traversant le couloir.
Il n'essaye même pas de me retenir ou de s'excuser et je ne reste pas assez longtemps pour voir sa réaction. Dès que j'arrive dans le hall d'entrer, ma respiration se régule et les battements de mon cœur ralentisse.
J'arpente les longs dédalles et couloir, montant le grand escalier de marbre à la hauteur sous plafond impressionnante, passant devant les multitudes de galerie d'art pour enfin arriver à rejoindre ma chambre.
Cette maison est bien trop grande et silencieuse. Depuis qu'on y vit que tous les deux, elle est devenue insipide, presque laissée à l'abandon et la décoration n'a pas été refaite. Elle est juste l'expression d'une richesse attristée.
Après une rapide douche, je tapote sur mon téléphone, un message à Lyssandra lui expliquant que je serais absente demain. Puis, je le pose sur la table de nuit et ne tarde pas à sombrer dans les bras de Morphée.
**********
Le salon est plongé dans un silence tendu alors que je me tiens devant ma mère. Tout me parait plus grand, et moi si petite. Mon cœur bat la chamade, l'excitation mêlée à la terreur. Mes yeux pétillent, et je fais une prière intérieure pour qu'elle accepte ma demande. Je prends une grande inspiration avant de me lancer :
-"Maman... est-ce que tu peux venir à mon spectacle de chant ?", je demande d'une voix timide, essayant de masquer mon anxiété derrière un sourire crispé.
Je sais que maman préfère quand je lui souris plutôt que quand je la regarde avec tristesse ou supplication. Ça a le don de l'énerver alors je lui ai promis de toujours le garder aux lèvres. Le regard vitreux de ma mère se pose sur moi, une expression ironique étirant ses lèvres gercées.
-"Si tu veux que je vienne, ramène-moi une bière."
J'hoche la tête avec précipitation, mon sourire devenant de plus en plus forcé. Je sais que je dois agir vite avant qu'elle ne change d'avis. Je me précipite hors de la pièce, courant dans le couloir, mes pas résonnant contre le sol.
Mais la maison est si grande et je suis si lente. Chaque seconde semble s'étirer à l'infini et la peur croissante m'empêche de redoubler d'effort. Quand je reviens enfin avec la bière, ma mère est toujours là, son expression sombre et impatiente.
Dans un élan de rage, elle arrache la bouteille de mes mains et la lance violemment dans ma direction. Je lève les bras pour me protéger. La bouteille vole en éclat, le verre coupant ma peau et entaillant mon visage fragile dans les zones que mes maigres bras ne peuvent protéger.
Je sens la brulure des plaies à vifs et le sang couler en grand filet le long de ma peau blanche. L'odeur ferreuse et habituelle me prend le nez. J'enlève mes bras en voyant le verre retomber sur le sol.
En silence, sans grimacer et sans pousser le moindre gémissement, j'enlève les quelques morceaux qui reste encastrer dans ma peau. Mes doigts se coupent à mesure que j'essaye de trouver une prise pour les attraper.
Mais tout le long, alors que la douleur me pique, que les larmes veulent couler, je laisse mon doux sourire placarder sur mon visage. J'espère encore que ma mère sera fière de moi.
-« Maman, s'il te plait, tu viendras ? », je lui redemande avec un faux sourire.
Son nez se fronce et ses yeux se plissent dans une expression de cruauté malsaine.
-« J'en ai rien à foutre de ton spectacle. Tu n'es qu'une salope, incapable d'aller me chercher une bière », s'énerve t-elle.
La main de ma mère agrippe mon épaule ensanglantée avec une force brutale, me tirant en arrière. Je perds l'équilibre et tombe sur le sol du salon. Les morceaux de verre coupent les endroits que ma peau nue touche.
Le sang s'écoule tachant le parquet d'un rouge ocre. Je sens la présence menaçante de ma mère se dresser au-dessus de moi. Ses mots crus et ses rires cruels emplissent l'air. Puis, un coup violent s'abattit sur mon flanc.
Le souffle me manque alors que je sens déjà le deuxième s'écraser sur mes côtes. Elle continue sans s'arrêter déferlant sa haine et sa rage sur mon corps souffrants. Des étoiles dansent devant mes yeux. J'essaye de reprendre mon souffle.
Je sens la chaleur du sang sur ma peau. À chaque coup, un éclair de souffrance parcourt mon corps, engourdissant mes membres et me coupant le souffle. Les coups assénés avec force font vibrer mes os.
Chaque coup de poing, chaque coup de pied est comme un marteau frappant du métal chaud, déformant mon corps dans une danse de douleur et de désespoir. Je ne parviens pas à limiter les tremblements de terreur qui saisissent mon corps.
Mais mon sourire s'agrandit encore restant figé comme imprimé sur mon visage.
Maman a l'air contente, alors ça veut dire que ça lui fait plaisir. Et si elle ait fière, elle viendra à mon spectacle.
Les pensées s'entremêlent mais les coups ne s'arrêtent plus. Je lutte pour ne pas sombrer dans l'inconscience de peur que mon sourire disparaisse.
Lorsque ma mère me quitte finalement, je reste là, ma tête reposant sur le parquet, à moitié consciente. Les éclats de verre jonchent le sol, continuant les contusions sur ma peau. Le cœur et le corps meurtri, c'est le moment où je peux laisser les larmes s'écouler en torrents sur mes joues.
Je peux laisser ce sourire disparaitre au profit de ma tristesse et de la peur qui me paralyse. Je me recroqueville sur moi-même, mes mains jointe sur le cœur pour apaiser ses hurlements de souffrance qui tente de s'en échapper. Dans le silence oppressant, je me murmure à moi même :
-"Mais maman... Tu as oublié... Aujourd'hui c'était mon anniversaire".
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Bonjour,
Comme vous l'avez maintenant compris ce livre est un roman polyphonique. (Plusieurs point de vue à la première personne).
J'ai fais ce choix pour que vous vous immergiez complétement dans mes personnages, car chacun compte !
Que pensez vous d'Evelyn maintenant ?
Avez vous trouvez le changement pertinent ?
Merci beaucoup d'être arrivé jusqu'ici.
Et ne vous inquiétez pas, vous retrouverez Lyssandra !
Lunarae
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