Chapitre 47

Je me sens glisser, lentement, hors de ma propre conscience, tandis qu'Eleonora prend le contrôle. Sa présence n'est plus une vague sensation, mais s'impose, prenant toute l'espace de sa douce lumière.

Une énergie sourde, une force implacable s'empare de mon esprit, le plongeant dans l'ombre. Je suffoque. Mes pensées se font lointaines, évanescentes, comme si j'étais poussée sous l'eau, alors qu'Eleonora prend possession de chaque fibre de mon être. Elle surgit avec cette rage ancienne, une colère profonde qui semble avoir mûri pendant des siècles.

Je ne suis plus qu'une observatrice dans mon propre corps.

Devant nous, Nikolay se tient, l'air imposant, maître de lui, chaque muscle tendu. Son regard sombre est rivé sur nous, ou plutôt sur elle. Ses yeux trahissent une lueur que je n'ai jamais vue, et je comprends qu'il la reconnaît, qu'il sait qu'Eleonora a pris le dessus. 

Peut-être qu'il comprend aussi, pour la première fois, ce que cela signifie. Pourtant, son visage reste de marbre, impassible, comme s'il s'était déjà préparé à cette rencontre.

-"Nikolay !", lance Eleonora à travers moi, sa voix rauque, aussi venimeuse qu'une morsure. 

Cette voix ne m'appartient pas — douce, menaçante, emplie de cette rage qui me consomme aussi. Elle avance vers lui d'un pas déterminé, traînant mon corps qui ne semble plus qu'un pantin. Les mots s'échappent de ma bouche, des mots que je ne contrôle pas.

-"Je n'ai jamais demandé à revenir. Je n'ai jamais voulu cela. Une vie pour la mienne... Tu sacrifierais des innocents pour ramener une morte ? Tu ne comprends rien, Nikolay. Rien n'a de sens si c'est ainsi que je reviens", crache t'elle.

Son ton est acide, et chaque syllabe pèse comme une accusation. Nikolay ne cille pas. Il la laisse déverser sa haine, il se tient là, solide comme un roc, absorbant chaque parole, chaque poison qu'elle crache. Il semble peser chacun de ses mots en réponse, chaque regard, chaque respiration. Finalement, il rompt le silence d'une voix calme, glaciale.

-"Je le fais parce que je t'aime, Eleonora. Je suis ton grand frère. Tout ce que j'ai fait, tout ce que je fais... c'est pour te ramener auprès de moi".

Ses mots me traversent comme des lames ; ils semblent sincères, mais en eux vibre une note fausse, une teinte qui me met mal à l'aise, même dans cet état de spectatrice. Un frisson glacé m'a parcourt. 

Eleonora rit, un éclat amer qui résonne, teinté de douleur, de souvenirs qu'elle seule connaît.

-"C'est ce que tu te dis pour te donner bonne conscience, Nikolay. Mais la vérité, c'est que tu fais tout cela pour toi, pour combler ton propre vide, pour étouffer ta propre folie. Tu t'es perdu dans ta soif de contrôle, et tu oses appeler ça de l'amour ?", s'insurge t'elle.

Ses mots sont un fouet, chaque coup semble ouvrir une nouvelle blessure dans l'âme de Nikolay. Lui aussi, malgré sa carapace, frissonne. Il porte la main à sa cravate, la resserre d'un geste vif, comme s'il cherchait à étouffer l'angoisse qui monte en lui.

-"Peut-être", répond-il après un long silence. Ses yeux sont vides, glacials, "Peut-être que tu as raison. Mais qu'est-ce que ça change ? Détester, aimer... Qu'importe ? L'amour et la haine ne sont que deux faces d'une même pièce. Ce qui compte, c'est le contrôle".

Eleonora rejette ses mots d'un geste vif, indifférente à sa souffrance. À travers elle, je sens l'amertume, la lassitude, l'épuisement qui pèse sur elle depuis des siècles.

-"Tu ne comprends rien. Je ne veux pas de cette vie. J'ai traversé mille années de souffrance, j'ai vu des guerres, des horreurs, et je ne souhaite plus rien d'autre que la paix. Nikolay, je t'en prie, laisse-moi partir", le supplie t'elle presque.

Le silence qui suit est lourd, presque palpable. Nikolay reste immobile, les yeux plantés dans ceux d'Eleonora, une détermination froide, inébranlable, peignant son visage. Dans ses yeux, je lis un refus catégorique, une fureur mêlée à une possessivité sans borne. Ses dents serrées, il articule avec une férocité contenue.

-"Non. Je ne te laisserai pas partir. Pas comme ça, pas maintenant. Pas alors que je viens de te retrouver", dit t'il. 

 Il s'avance, chaque pas chargé de puissance, sa présence m'écrasant, m'étouffant.

-"Je suis prêt à tout pour toi, Eleonora. Parce que tu es à moi".

Son emprise se resserre autour de mon esprit, et je sens la colère d'Eleonora déferler en moi comme une tempête. Je ne contrôle plus rien, je ne suis qu'une marionnette, un corps qu'elle utilise pour exorciser sa rage. 

Sans prévention, je me jette sur lui, mes mains enserrant sa gorge avec une force qui me surprend, mes ongles s'enfonçant dans sa chair. Le combat éclate dans une danse de furie et de haine.

Nikolay réagit instantanément, ses mouvements rapides, précis. Ses coups sont lourds, calculés, il esquive chaque attaque avec une agilité surnaturelle. Eleonora pousse mon corps au-delà de ses limites, la vampire qu'elle est se déchaîne dans cette lutte, déchaînant en moi une puissance brute, inhumaine. 

Mais je sens mon propre corps s'affaiblir, des douleurs éclatent dans mes muscles, mes articulations brûlent. Je lutte pour respirer, pour maintenir le rythme qu'elle m'impose. D'habitude se sont les retombés qui me fatiguent, mais là, même maintenant alors que son âme supporte une partie de ma douleur, je la sens me frapper de plein fouet.

Nos corps s'entrechoquent, nos poings frappent, l'air est saturé d'une violence palpable. Nikolay riposte, sa main se referme autour de ma gorge, me plaquant violemment contre le sol. J'étouffe, l'air me manque, ma vision se brouille. 

Eleonora lutte, mais elle faiblit, nous faiblissons. 

Nikolay a le dessus, et je le sens, je sens qu'il est prêt à nous tuer.

-"Vas-y... tue-moi...", murmure Eleonora à travers mes lèvres, ses mots tremblants d'une rage désespérée.

Elle le défie, une ultime provocation. Elle sait, je le sens, que Nikolay ne pourra pas franchir cette ligne. Sa main tremble, son regard vacille. C'est une hésitation infime, une seconde d'indécision, mais c'est tout ce dont Eleonora a besoin. 

Dans un élan désespéré, je me saisis d'un morceau de bois jonchant le sol, ma main se croustillant autour de l'arme improvisée. Avant même qu'il ne puisse réagir, le pieu s'enfonce dans sa poitrine dans un bruit sourd.

Nikolay titube, son regard choqué se pose sur moi, ou plutôt sur elle. Ses mains tremblent en se posant sur la plaie qui s'ouvre en lui, un sang noir s'en écoulant lentement. Il tombe à genoux, ses yeux incrédules rivés aux miens.

-"Non...", murmure-t-il, sa voix rauque, brisée.

Je m'effondre à ses côtés, mon cœur brisé, les larmes dévalant mes joues. Ce n'est pas les larmes, pas plus que mon coeur qui souffre. C'est le sien qui saigne à n'en plus finir. C'était son choix, mais pourtant elle portera le poids du meurtre de son frère. 

La seule personne qu'elle a finit par tuer est celle qui pendant tant d'année c'était évertué à la protéger. Elle le haïssait, je sens encore sa colère fleurir dans mes veines mais pourtant aucune émotion ne pourra noyer l'amour qu'elle avait pour lui. 

Nous n'avons pas seulement tué un homme ; nous avons tué l'unique personne qu'Eleonora n'avait jamais réellement aimée, quelqu'un qui, malgré ses actes et ses ténèbres, n'a jamais arrêté d'appartenir à son cœur.

-"Je suis désolée... ", chuchote Eleonora, sa voix empreinte de tristesse, une sincérité que je n'avais jamais perçue en elle, "Je suis désolée, Nikolay. Mais il fallait que cela cesse".

Je reste là, incapable de bouger, mes mains toujours tachées de son sang, la lame de bois encore enfoncée dans sa poitrine. Des larmes roulent sur mes joues, et quelque chose en moi se brise, une douleur lancinante qui me traverse toute entière. C'est elle, elle est entrain de s'évaporer.

-"Je suis... désolée... ".

La voix d'Eleonora, un murmure faible et sincère, tremble à travers moi.

Je sens son énergie, si intense et si lourde, commencer à s'échapper de mon corps. C'est une agonie lente. Mon corps n'est pas fait pour tenir seule face à une telle souffrance. Mes muscles ont été déchirés par la vitesse vampirique. 

Mes vaisseaux sanguins ont claqués sous les asseaux de Nikolay. Ma peau sera teinté de bleu si mes os ne finissent pas briser. 

Je tombe en avant, m'effondrant dans la terre, mes membres alourdis, et une douleur insupportable commence à irradier dans chaque fibre de mon corps. La vitesse, la force, la férocité d'Eleonora... tout cela avait épuisé un corps qui n'était pas préparé à de telles épreuves. Mes muscles, mes os, chaque articulation protestent dans une souffrance vive, brûlante.

La clairière, où règne maintenant un silence morbide, se transforme en un lieu de calvaire. J'essaie de respirer, mais chaque inspiration est comme un coup de poignard. J'étouffe, le poids de mon propre corps m'écrasant dans la boue froide.

Puis, malgré la brume qui se forme devant mes yeux, je regarde autour de moi, tentant de me perdre dans son regard qui me détend et m'apaise. Et je réalise. Cassian et Zephyr ne sont plus là. 

La terre est marquée de traces de lutte, d'empreintes qui s'enfoncent dans le sol comme les vestiges d'un combat sauvage. Mais eux, mes seuls alliés, mes seuls repères, sont absents.

Une terreur sourde s'empare de moi. Je tente de me relever, mais mes jambes ne répondent plus. Ma vision se brouille sous la douleur, les larmes de l'effort et du chagrin se mêlent à la sueur sur mon visage. Ils sont partis... ou pire encore, Cassian a emmené Zephyr.

-"Cassian... Zephyr... ,  j'appelle, mais ma voix n'est qu'un souffle, emporté par le vent.

Je ne peux pas les perdre. Pas eux. Pas maintenant. Mon esprit, engourdi de désespoir et de fatigue, se raccroche à l'idée de les retrouver. Je plante mes mains dans la terre et, avec une lenteur déchirante, je commence à ramper. 

Chaque mouvement est une torture, mais je m'oblige à avancer, centimètre par centimètre, ignorant les pierres qui déchirent ma peau, les racines qui s'enroulent autour de mes jambes, comme pour me retenir dans cet endroit maudit.

Le monde autour de moi semble se resserrer, comme si la forêt elle-même m'épiait dans l'ombre, m'isolant de toute échappatoire. Le souvenir de Zephyr me hante — son regard calme, sa présence rassurante. Il était la seule lueur dans ce monde où chaque ombre semble prête à m'engloutir.

Mais ils ne sont nulle part. Le sol défile sous moi, mais la forêt demeure silencieuse, oppressante. Chaque respiration devient une lutte, mes forces me quittent, et, à mesure que je m'épuise, la peur se transforme en une certitude glaciale : je ne les reverrai jamais. Zephyr est perdu, Cassian est perdu... je suis seule.

Je sens mon esprit s'obscurcir, et l'obscurité envahit ma vision, s'étalant comme une encre noire dans la lumière. Je rampe encore, mes mains ensanglantées et tremblantes se croustillantes autour des racines qui s'enfoncent dans la terre.

La forêt devient floue autour de moi, et avec elle, les derniers fragments de ma volonté se disloquent. Je sens la terre froide sous moi, m'avalant dans son étreinte, et, dans cet état de faiblesse absolue, je murmure pour la dernière fois, un nom qui se perd dans l'abîme :

-"Zephyr..."

Et tout devient noir.

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Bonjour, 
Qu'avez vous pensé de ce chapitre ? 
Lunarae.


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